Cindy Nebel (2024), spécialiste en science de l’apprentissage, explique son expérience auprès d’étudiants en sciences médicales en lien avec des stratégies d’apprentissage efficaces.
(Photographie : mossmoss)
Quand l’efficience l’emporte sur l’efficacité
Elle explique que dans le cadre des études en médecine, l’enjeu n’est pas tant l’efficacité des stratégies d’apprentissage que leur efficience, dans un contexte stratégique où le temps disponible est précieux.
Les étudiants en médecine ont une énorme quantité d’informations à apprendre dans chacun de ces cours en un laps de temps réduit. Leur objectif n’est pas de maîtriser 100 % du contenu, mais de rester bien au-dessus du seuil de réussite.
En effet, l’enjeu n’est pas seulement de mémoriser des contenus. L’objectif n’est pas une connaissance superficielle, mais une capacité de les appliquer dans des cas concrets, ce qui impose une intégration et une flexibilité des connaissances.
Il s’agit de rester au-delà du niveau de réussite en considérant que certaines connaissances mémorisées ne seront pas autant intégrées ou flexibles que souhaité.
Il n’y a tout simplement pas assez d’heures dans la journée pour que ces étudiants maîtrisent l’ensemble de la matière par une mobilisation classique des stratégies couramment recommandées. Ils ont besoin de stratégies d’apprentissage non seulement efficaces, mais aussi efficientes, qui leur permettent de maximiser l’apprentissage tout en étant peu gourmandes en temps.
Des stratégies d’apprentissage efficaces parfois inefficientes lorsque le temps manque
La plupart des stratégies d’apprentissage recommandées en psychologie cognitive prennent du temps :
- C’est le cas d’une pratique espacée de qualité.
- C’est le cas de la pratique de récupération pour laquelle on recommande une triple récupération réussie lors de l’apprentissage initial.
- C’est le cas de la création de synthèses visuelles et d’organisateurs graphiques efficaces.
- C’est le cas de la rédaction de questions de qualité pour l’interrogation élaborée.
- C’est le cas de la conception de résumés Cornell ou de flashcards.
Toutes ces stratégies résolument efficaces pour améliorer la compréhension et la mémorisation.
Toutefois, il peut être invraisemblable ou impossible pour certains étudiants dans certaines situations ou certaines filières de toutes les mettre en œuvre. Ils peuvent se retrouver coincés entre de grandes quantités de matière à assimiler et peu de temps disponible.
Augmenter l’efficience des stratégies d’apprentissage efficaces au niveau de la récupération
Leur objectif est d’augmenter l’efficience des stratégies d’apprentissage efficace.
Une manière de faire est de minimiser les stratégies d’organisation des connaissances. Celles-ci ont pour objet de traiter les informations contenues dans les supports pédagogiques en une autre forme plus adaptée (des flashcards, des organisateurs graphiques, des résumés Cornell) pour être mobilisée par les stratégies cognitives. Le but est de directement entrer activement dans une logique d’apprentissage durable.
Dès lors, il s’agit de privilégier des supports précréés.
Par exemple, il s’agit d’utiliser des ensembles de flashcards numériques directement disponibles dans une application numérique (Anki, Quizlet ou Wooflash). Comme l’application numérique gère elle-même automatiquement l’espacement, il ne faut pas s’en charger et par défaut l’utilisation du temps est optimisée.
Le seul risque à l’usage des flashcards est qu’elles ne rencontrent leur plein potentiel que si leur utilisation ne démarre qu’après que les contenus ont été complètement compris. Cela peut se faire, soit en assistant au cours, soit en lisant attentivement les supports de cours correspondants. En cas de difficulté de compréhension du contenu d’une flashcard, le retour au support de cours pour contextualiser s’impose.
Si cette étape de compréhension et d’intégration des connaissances n’est pas assurée, alors l’usage des flashcards peut n’aboutir qu’à un apprentissage superficiel inefficace. Il peut se révéler trop coûteux en temps, car l’apprenant doit alors se reposer sur un apprentissage par cœur peu interconnecté et peu flexible.
Augmenter l’efficience des stratégies d’apprentissage efficaces au niveau multimodal
Il y a un enjeu à privilégier les supports d’apprentissage (audio)visuels respectant les principes de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia et les formats d’organisateurs graphiques respectant les principes de la théorie du double codage. Ces supports permettent d’accélérer la compréhension et l’apprentissage initial.
L’idée est que ces différents supports ne reprennent que les informations les plus pertinentes de manière intégrée, ce qui réduit la charge cognitive extrinsèque et maximise le traitement.
Ces supports doivent être privilégiés dans un cadre de compréhension et de vérification de la compréhension. Ils peuvent également être exploités à la manière d’un résumé Cornell. Par contre, s’ils induisent un engagement passif, ils risquent de se révéler contre-productifs. La dimension générative de la récupération élaborée doit toujours être centrale.
Augmenter l’efficience des stratégies d’apprentissage efficaces au niveau de l’élaboration
L’enjeu est d’exploiter toutes les ressources en matière de questions (liées aux objectifs d’apprentissage et aux exemples d’évaluation) dans le but d’induire des démarches d’élaboration : auto-explication ou explications données à un pair.
De telles démarches permettent d’enrichir l’apprentissage et de se mettre en condition d’évaluation avec des questions similaires à celles qui risquent d’être posées. Cette correspondance de style des questions et réponses est essentielle.
Les avantages de ces démarches sont de coupler la récupération et l’élaboration. Il ne s’agit pas simplement de récupérer des contenus simples, mais de les inclure dans un traitement de l’information propice au transfert. Les raisonnements exécutés doivent être similaires et équivalents à ceux exigés lors des évaluations.
Le bénéfice de tels outils est fonction d’une compréhension et d’un apprentissage initial des contenus. Il peut se faire selon deux modes :
- Étude de problèmes résolus avec auto-explications sur la démarche suivie.
- Résolution de problèmes avec rétroaction ultérieure.
Au plus les connaissances et la maîtrise dans un domaine sont élevées, au plus la seconde option est à privilégier. Pour des novices, la première option est souvent préférable.
Le défi du pilotage de l’efficience par la métacognition
Augmenter l’efficience des stratégies efficaces n’est pas simplement un mode d’organisation, mais surtout un enjeu d’autorégulation.
Par exemple, l’usage de l’entremêlement et de la pratique espacée doit être bien pensé. Le choix de la manière appropriée d’utiliser ces options nécessite une prise de conscience métacognitive et une régulation, ce qui peut s’avérer difficile pour les étudiants.
Un premier défi est de privilégier un apprentissage en profondeur.
Il est important de phaser les stratégies utilisées pour privilégier en tout temps un apprentissage en profondeur :
- Dans un premier temps, il faut miser sur la compréhension. Les supports pédagogiques et surtout, les organisateurs graphiques sont optimaux à ce stade.
- Ensuite, il s’agira de s’engager dans un apprentissage initial qui va laisser la part belle à l’apprentissage initial suivi de récupération. Pour cela, les flashcards sont un outil idéal.
- Finalement, il faudra laisser une place grandissante à la récupération élaborée en s’exerçant à des questions de réflexion et de résolution de problèmes, qui seront typiques pour l’évaluation à avenir. Ce processus va demander de faire des liens, d’appliquer et de transférer ce que l’on a appris par les flashcards.
L’enjeu est de démarrer rapidement l’usage des flashcards et d’entamer la récupération élaborée dès que leur étude espacée commence à demander moins de temps.
La récupération des flashcards et la résolution de problèmes sont toutes deux nécessaires, mais aucune n’est suffisante en elle-même.
La mémorisation est nécessaire, mais la compréhension de la manière dont tous les éléments s’articulent l’est tout autant.
Il importe donc de commencer par l’étude par un peu plus de mémorisation et un peu moins d’application, puis d’évoluer progressivement vers l’application, la mobilisation et le transfert des connaissances.
Si les flashcards sont utiles au départ, il convient également de structurer, d’organiser et d’intégrer les connaissances avec une vue d’ensemble, et de les mobiliser rapidement également. Il est chaque fois important d’adapter la stratégie à la matière apprise et aux connaissances préalables de l’apprenant.
Un second défi est de rendre l’apprentissage cognitivement actif
La distinction entre « apprentissage passif » et « apprentissage actif » est un peu dépassée dans le sens où ce qui compte n’est pas un engagement physique, mais un traitement cognitif des contenus, génératif d’apprentissage. Ce dernier n’est pas directement visible.
Les dimensions passives (mémorisation et récupération) et actives (compréhension et élaboration) de l’apprentissage sont nécessaires en combinaison pour rendre l’apprentissage aussi efficace que possible.
Il faut assister au cours et le lire pour le comprendre. Ce qui compte, ce sont les stratégies mobilisées lors des formes d’apprentissage passives ou actives. Un élément clé est l’auto-explication où l’on utilise un style narratif pour s’expliquer ce que l’on connait ou que l’on est en train de comprendre. Cette forme d’élaboration favorise l’interconnexion de la matière. Elle est idéalement suivie d’une récupération active de ces informations.
Par la suite, une fois la récupération bien engagée, l’élaboration réapparait face à des questions plus complexes de résolution de problèmes et de tâches complexes. L’important est d’être chaque fois cognitivement actif.
Mis à jour le 10/08/2024
Bibliographie
Cindy Nebel , Retrieval Practice in Undergraduate Medical Education, 2024, https://www.learningscientists.org/blog/2024/4/11-1
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