samedi 13 juillet 2024

Cinq stratégies pour favoriser l’apprentissage lors d’une pratique coopérative

L’apprentissage lors de pratiques coopératives est trop souvent laissé de côté face aux compétences de collaboration. Mais il n’est pas nécessaire qu’il le soit. Cinq stratégies, synthétisées à partir d’un article de Robert Slavin (2014), permettent de tirer un plus grand profit possible de l’apprentissage coopératif et d’augmenter les chances que la collaboration améliore réellement l’apprentissage.

(Photographie : Max Feingold)


Former des équipes interdépendantes


Une première erreur de conception pour l’enseignant serait de former des groupes de manière aléatoire ou de les laisser se former spontanément.
  
Un groupe coopératif efficace n’est pas un ensemble d’élèves réunis pour une brève activité.

Un groupe est une équipe composée d’élèves divers qui doivent répondre aux caractéristiques suivantes : 
  1. Ils ont à cœur de s’entraider.
  2. Ils ont l’intention de s’apprendre.
  3. Ils ont comme enjeu la réussite de l’équipe elle-même. 
  4. Ils doivent savoir qu’ils peuvent compter les uns sur les autres pour obtenir de l’aide.
Dans le cadre de Success for All, projet de Robert E. Slavin qui a fait de l’apprentissage coopératif la forme pédagogique dominante utilisée, les équipes travaillent ensemble quotidiennement pendant 6 à 8 semaines. Après cette période, les enseignants assignent les élèves à de nouvelles équipes. 

Les principes suivants gagnent à être respectés : 
  1. L’enseignant regroupe les élèves en équipes de quatre membres. S’il reste un, deux ou trois élèves, on forme quelques équipes de cinq membres. Un quatuor offre une certaine souplesse. Certaines activités peuvent être réalisées en binôme, et d’autres avec toute l’équipe. 
  2. L’enseignant compose les équipes de manière à ce qu’elles constituent un échantillon représentatif de la classe : des élèves de différents niveaux sont associés, des garçons et des filles, des élèves aux caractéristiques dissemblables. Les groupes n’auront certainement pas une telle diversité si les élèves choisissent leurs équipes, c’est pourquoi l’enseignant doit prendre chaque fois la responsabilité de la constitution des groupes.
  3. Les membres de l’équipe déplacent et associent leurs bureaux de manière à mieux travailler ensemble et à isoler les groupes les uns des autres pour éviter les facteurs de distraction.



Fixer un objectif d’apprentissage en équipe


Demander aux élèves de s’entraider à la réalisation de tâches n’est pas un objectif en soi, mais une stratégie. Les élèves ont besoin d’un réel objectif d’apprentissage au niveau de l’équipe. Cet objectif commun va leur demander d’activer cette stratégie qu’est la pratique coopérative.

Si la mise en œuvre de la stratégie est nécessaire, il ne suffit pas de demander aux élèves de coopérer pour que ces derniers le fassent, ils doivent encore avoir une bonne raison de le faire. Celui-ci prend la forme d’une récompense collective en lien avec un apprentissage coopératif.

Un objectif d’équipe est une cible, un produit ou un indicateur qui montre qu’une équipe a fait du bon travail en amenant chaque membre à donner le meilleur de lui-même. Les tâches doivent s’accompagner d’une dimension de nouveauté, qu’il s’agisse de problèmes inédits ou d’un entremêlement de tâches normalement maitrisées qui vont demander l’exercice de la discrimination. La réalisation des tâches attribuées matérialise un ou plusieurs objectifs d’apprentissage. Les élèves, au sein d’une équipe, travaillent en fonction de ces objectifs d’apprentissage précisés, dont la maitrise génère un renforcement.

En fonction des élèves, il peut être nécessaire de mettre en place des formes de contingences de groupe pour s’assurer de l’atteinte par tous des objectifs d’apprentissage. 

Cela peut prendre la forme d’un renforcement collectif :
  • Par exemple, l’enseignant peut offrir un avantage ultérieur ou en retirer un à tous les élèves, s’ils se sont ou non aidés mutuellement et ont assuré la compréhension de tous à travers le processus. Pour l’enseignant, il s’agit de s’assurer qu’aucun élève ne soit mis à l’écart ou ne s’y soit mis volontairement. 
  • Il peut s’agir d’un produit global avec des composantes individuelles auxquelles chaque membre de l’équipe a clairement contribué. La contribution de chaque élève devient une condition à la réussite de l’ensemble du groupe. Si la contribution d’un élève n’est pas adéquate parce qu’il n’a pas bénéficié de l’entraide collective, le résultat de tous en est impacté.
Cette forme de renforcement doit être conçue stratégiquement par l’enseignant, de manière à ce qu’elle soit claire et contraignante pour les élèves et aisément vérifiable par l’enseignant. Dans chaque cas, un enseignant doit pouvoir examiner la moyenne de l’équipe et évaluer les contributions individuelles. Les récompenses d’équipe peuvent être délivrées si leurs résultats se situent au-dessus d’un critère défini. Les élèves doivent avoir une visibilité sur ce critère et savoir s’ils s’y conforment.

L’existence de ce renforcement aide les membres de l’équipe à considérer leur travail commun comme une réalisation importante. Le fait de s’entraider va augmenter le bénéfice de chacun et le bénéfice collectif. Dans ce cas de figure, chaque élève va avoir tendance à soutenir les efforts des autres. 

En outre, la motivation des élèves est plus forte lorsqu’on récompense leurs progrès, plutôt que leurs performances comparatives. Lorsque les progrès sont récompensés, réussir n’est ni trop difficile, ni trop facile.



Assurer la responsabilité individuelle


La responsabilité individuelle signifie que pour atteindre l’objectif de l’équipe, tous les membres de l’équipe doivent maitriser le contenu ou les compétences visées. Le succès de l’équipe devrait dépendre d’un engagement signifiant et donc de l’apprentissage de tous les membres.

Le double enjeu est que :
  • Personne ne s’approprie la résolution de tout le travail en distribuant les réponses aux autres qui adoptent alors une attitude passive.
  • Aucun membre ne soit complètement désinvesti en se disant que les autres effectueront les tâches à sa place. 
La solution se trouve avant tout dans la conception pédagogique. Il s’agit de s’assurer que les défis présentés à l’équipe nécessitent l’apprentissage et la participation de tous les membres. Il faut dès lors exclure toute production qu’un élève pourrait faire seul. 

Il s’agit également en circulant d’être vigilant et de renforcer l’idée que le but de l’équipe est de s’assurer que tous les membres apprennent. Il ne s’agit pas simplement d’obtenir les bonnes réponses ou de mener à bien le projet. Les objectifs d’apprentissage doivent avoir été bien spécifiés et rappelés. Les élèves doivent prendre conscience que celui-ci ne disparait pas une fois la tâche finie, mais représente une compétence spécifique qui, une fois acquise, devra pouvoir être mobilisée par chaque membre du groupe. 

Il importe dès lors d’expliciter les spécificités et objectifs de la démarche coopérative en elle-même, de justifier pourquoi la responsabilité individuelle est juste. Les élèves comprendront mieux pourquoi aucun membre de l’équipe ne doit être laissé pour compte.

Différentes approches formelles peuvent exister comme la classe en puzzle (jigsaw). D’autres approches informelles peuvent être utilisées pour évaluer l’apprentissage du groupe. C’est par exemple le fait d’évaluer le travail du groupe non seulement à partir de la production collective, mais également en interrogeant un des membres du groupe au hasard sur celui-ci.
L’élève de l’équipe désigné au hasard doit répondre pour l’ensemble du groupe et l’équipe peut gagner des points ou un avantage en fonction de la qualité de la réponse. Une autre approche peut consister à demander à chaque membre du groupe une version manuscrite du travail et évaluer au hasard une des productions rendues pour l’ensemble du groupe.

De telles pratiques communiquent de manière cohérente et constructive et renforcent l’idée que les équipes doivent s’assurer que tous leurs membres apprennent. Plus personne ne peut s’arroger la compréhension ni se mettre en dehors de l’apprentissage. Tout le monde doit comprendre et ceux qui comprennent mieux doivent expliquer à ceux qui rencontrent des difficultés. 

Pour rendre ce fonctionnement possible, il faut que les défis auxquels sera soumis le groupe ne soient ni trop simples ni inaccessibles. Il faut que des échanges explicatifs soient nécessaires entre les membres du groupe sans pour autant être dépendants des explications de l’enseignant.

Cela aurait deux conséquences : 
  1. Saper l’interdépendance croissante des coéquipiers.
  2. Apprendre aux élèves que s’ils feignent l’impuissance, font preuve d’apathie ou travaillent lentement, l’enseignant interviendra rapidement, les aidera et réduira la complexité des tâches. 
Les enjeux se trouvent également au niveau du sentiment d’efficacité personnelle et de l’autonomie. Les élèves doivent apprendre à fournir les efforts nécessaires et à persévérer, ils doivent prendre confiance dans leur capacité à s’améliorer et à apprendre. Ils se rendront compte que demander des explications ou d’en donner, et non la simple obtention ou le partage de la réponse, leur permet d’apprendre. Il s’agit de favoriser la réflexion et son partage.



Enseigner les compétences liées à la coopération


Les membres de l’équipe doivent savoir comment faire bon usage de la possibilité de travailler ensemble. Cela signifie qu’ils doivent apprendre, pratiquer et affiner les principales compétences interpersonnelles.

Les membres de l’équipe disposent de compétences en matière d’écoute active, qui sont essentielles pour un bon travail en groupe : 
  • Lorsque les élèves écoutent bien, ils ont les yeux sur le locuteur et hochent parfois la tête. 
  • Les auditeurs actifs évitent d’interrompre ceux qui expliquent, mais résument périodiquement ce qu’ils entendent et demandent des éclaircissements si nécessaire.
Ces pratiques communiquent le respect de l’orateur et permettent à l’auditeur d’apprendre le plus possible des paroles de cet orateur.

Les membres de l’équipe ont besoin de compétences liées à la communication et à la persuasion dans le cadre d’interactions coopératives :
  • L’explication doit aller au-delà de réponses à un seul mot. Ils doivent expliquer leurs idées aux autres élèves afin que ceux-ci puissent les comprendre également.
  • Les élèves doivent être capables d’identifier les sources ou les raisons de leurs opinions ou de leurs conclusions personnelles. 
Les élèves doivent s’engager dans des processus métacognitifs, dans une réflexion fondée sur des preuves, la capacité de résumer, de paraphraser et d’écouter attentivement les autres.

Les membres de l’équipe doivent encourager leurs coéquipiers :
  • Les membres efficaces de l’équipe savent comment encourager et soutenir leurs coéquipiers.
  • Ils peuvent s’opposer avec dignité et aider à maintenir un ton positif et prosocial au sein du groupe.
  • Ils prennent la responsabilité de s’assurer que tous les membres de l’équipe participent activement aux parties de réflexion des tâches du groupe. 

Les membres de l’équipe expliquent leurs propres idées tout en encourageant les autres :
  • Il s’agit d’une compétence complexe qui exige que les élèves se respectent les uns les autres.
  • L’enseignant s’assure avec sa gestion de classe que le travail d’équipe se passe dans un environnement sûr dans lequel les élèves peuvent parler, recevoir des commentaires et admettre ce qu’ils ne comprennent pas. 
  • Une fois que les élèves ont établi une relation de travail productive, ils peuvent se fixer des objectifs ensemble, suivre leurs propres progrès et résoudre ensemble les problèmes d’apprentissage.

Les membres de l’équipe terminent les tâches : 
  • Les élèves doivent travailler sur les tâches du groupe jusqu’à ce qu’elles soient terminées à un niveau élevé.
  • Ils doivent s’assurer qu’à la fin d’une session de travail en équipe, tous les participants ont atteint les objectifs d’apprentissage.
  • Les élèves savent ce qui constitue un excellent travail au sein de leur équipe et lorsqu’ils atteignent ce niveau.
  • Les élèves peuvent être fiers d’eux-mêmes et de toute reconnaissance que leur groupe reçoit à l’issue du travail collectif.



Intégrer l’apprentissage coopératif dans la conception pédagogique


L’apprentissage coopératif doit être considéré comme un élément clé à intégrer à bon escient dans un plan de conception pédagogique. Il ne doit pas être exclusif, mais être considéré à un moment donné comme le meilleur moyen pour atteindre un objectif d’apprentissage donné.

Il est la forme pédagogique dominante dans le cadre de l’approche Success for All, le projet de Robert E. Slavin. Dans le cadre d’une approche d’enseignement explicite, l’apprentissage coopératif n’apparait que dans les dernières phases de l’enseignement, lors de la pratique autonome ou de la découverte guidée.

Selon Robert E. Slavin, la meilleure façon d’utiliser l’apprentissage coopératif est de remplacer la pratique autonome, qui dans le cadre d’un enseignement explicite a lieu après le modelage et la pratique guidée, et avant les évaluations. Une vision plus modérée est de la voir comme complémentaire en fonction du contenu d’apprentissage.

Robert E. Slavin avance que la pratique autonome peut être ennuyeuse et inefficace si les élèves rencontrent trop de difficultés. En ce sens, l’apprentissage coopératif rend la pratique de la maitrise engageante et sociale et donne à tous les élèves des collaborateurs l’occasion de donner de l’aide ou d’en recevoir lorsqu’ils rencontrent des difficultés. 

L’apprentissage coopératif intervient également dans le cadre de la découverte guidée. Dans ce cas lorsque l’expertise des élèves dans un domaine est déjà bien installée et que les connaissances préalables sont disponibles, des activités d’équipe peuvent précéder l’instruction de l’enseignant. Mais à un moment donné, l’enseignant doit expliquer les objectifs essentiels et donner aux élèves des paramètres et des conseils pour leur travail de groupe afin qu’ils puissent aller de l’avant.

Utilisé correctement, l’apprentissage coopératif est un moyen passionnant pour tous les élèves d’apprendre, car nous sommes une espèce sociale et nous apprenons principalement les uns des autres par un processus d’imitation. Lorsque les enseignants intègrent les éléments évoqués dans cet article lors de l’apprentissage en groupe, les élèves apprennent davantage, se sentent mieux, aiment l’école et apprécient la matière qu’ils étudient — et s’apprécient et s’acceptent mutuellement.


Mis à jour le 03/07/2024

Bibliographie


Robert E. Slavin, Making cooperative learning powerful, 2014, Instruction that sticks, October 2014, Volume 72, Number 2, pages 22-26,  http://www.ascd.org/publications/educational-leadership/oct14/vol72/num02/Making-Cooperative-Learning-Powerful.aspx

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