samedi 11 mai 2024

Prendre en compte les contraintes cognitives dans un enseignement explicite

La conception et le pilotage d’un enseignement explicite imposent la prise en compte des contraintes de notre système cognitif.

(Photographie : Sean Lemoine



Importance de la charge cognitive pour la mémoire de travail


La théorie de la charge cognitive propose que notre mémoire de travail, qui gère les tâches que nous effectuons, n’est capable de traiter qu’une quantité limitée d’informations nouvelles à la fois. 

Pour chaque tâche que nous accomplissons, il existe une quantité de traitement d’informations et d’efforts à fournir, à ne pas dépasser pour permettre la compréhension et l’apprentissage. C’est la charge cognitive. 

Actuellement, la théorie de la charge cognitive tend à la subdiviser en deux catégories différentes : intrinsèque et extrinsèque : 
  • La charge cognitive intrinsèque :
    • Elle fait référence à la difficulté et à la complexité du contenu à apprendre ou de la tâche à réaliser. 
  • La charge cognitive extrinsèque :
    • Elle fait référence aux distractions et aux perturbations de l’environnement de travail. 
    • Elle fait également référence aux informations contenues dans les supports d’apprentissage ou dans les énoncés des tâches qui ne sont pas directement nécessaires à leur compréhension ou à leur réalisation.
    • Il peut s’agir de la manière dont la matière à apprendre est présentée ou de tout autre aspect extérieur qui ne favorise pas un apprentissage efficace. Par exemple, ce sont des diapositives d’un logiciel de présentation surchargées, ou des murs de classes recouvertes d’affiches aux couleurs vives qui attirent l’œil au point de le distraire. 
Les efforts déployés par l’élève pour assimiler les éléments imposés à sa mémoire de travail peuvent la surcharger et, surtout, l’empêcher de se consacrer à la tâche elle-même. En effet, la mémoire alterne entre la fonction de mémorisation à court terme et de traitement des informations. Lorsque trop de nouvelles informations sont présentées en même temps, il n’y a pas assez de ressources pour les traiter. Or ce traitement de l’information est essentiel pour son transfert en mémoire à long terme au sein de schémas. 

La qualité de ce traitement est également fonction des stratégies mobilisées par l’apprenant pour apprendre et organiser ses connaissances nouvelles. Elles se fondent sur les principes de la consolidation, de la récupération et de l’oubli. 

Selon la théorie de la charge cognitive, si au cours de nos épisodes d’apprentissage notre charge cognitive dépasse notre capacité à traiter les nouvelles informations, il sera difficile d’achever les activités avec succès et d’apprendre.

Au lieu de dépasser constamment les limites de la capacité limitée de la mémoire de travail à court terme des élèves, nous devons viser à réduire la charge cognitive. Les élèves doivent être en mesure de traiter les informations en mémoire de travail et de transférer les connaissances dans leur mémoire à long terme dont la capacité est beaucoup plus grande. 

Une première condition est de disposer des connaissances antérieures adéquates. Si les élèves ont une compréhension incorrecte ou incomplète de celles-ci, ils ne pourront pas s’appuyer sur les connaissances antérieures dans leur mémoire à long terme et leur mémoire de travail risque à nouveau d’être surchargée.

Une seconde condition est la segmentation des connaissances nouvelles pour éviter toute surcharge cognitive.



Le cas d’un déficit en mémoire de travail


Selon Gathercole et ses collaborateurs (2008), la majorité des élèves qui présentent les signes d’une mauvaise mémoire de travail seront plus lents à progresser et à apprendre. Ce sera particulièrement vrai dans des domaines tels que la lecture, les mathématiques et les sciences, tant à l’école primaire qu’à l’école secondaire. 

Ces élèves sont plus rapidement susceptibles d’être incapables de répondre aux exigences d’une tâche qu’ils sont en train d’accomplir, dès qu’elle est nouvelle et dépasse une certaine complexité. Par conséquent, ils en apprendront moins également, ce qui fait que cette difficulté peut s’accroitre en accumulant des déficits en matière de connaissances préalables.

Kane et ses collaborateurs (2007) ont mené des expériences auprès de 124 étudiants de premier cycle. Ils les ont testés au préalable sur des tâches complexes de mémoire. Puis ils ont examiné la relation entre la capacité de la mémoire de travail et l’expérience du vagabondage de l’esprit dans la vie de tous les jours durant 7 jours.

La capacité de la mémoire de travail a modéré la relation entre le vagabondage de l’esprit et la demande cognitive des activités. Au cours d’activités exigeantes nécessitant de la concentration et des efforts, les sujets ayant une capacité de la mémoire de travail élevée ont mieux conservé leurs pensées. Ils se sont moins laissé distraire que les sujets ayant une capacité de la mémoire de travail plus faible. Les résultats sont cohérents avec les théories de la capacité de la mémoire de travail qui soulignent le rôle de l’attention exécutive et des processus de contrôle dans la détermination des différences individuelles et de leurs conséquences cognitives.

Dès lors, un signe typique d’un élève ayant des problèmes de mémoire de travail (Kane et coll., 2007) qui ne peut plus faire face aux activités cognitives exigeantes qui lui sont demandées est la dérive mentale.



L’importance de la prise en compte des connaissances préalables dans un contexte d’enseignement


La plupart des enseignants savent que les nouveaux apprentissages affinent les connaissances antérieures et ajoutent de la profondeur à la compréhension actuelle. La perspective de la science de l’apprentissage considère que les connaissances antérieures sont essentielles pour organiser et réassembler les nouvelles informations afin de leur donner un sens. Les connaissances antérieures sont l’un des facteurs les plus influents en matière d’apprentissage. 

Pour optimiser le traitement cognitif qui permet de générer des apprentissages, il est important d’activer les connaissances antérieures des élèves. De cette manière, des liens peuvent être établis entre ce qu’ils savent déjà et la manière dont ces connaissances sont liées ou peuvent être complétés par de nouvelles connaissances. Cela permet de créer des schémas plus robustes et de retrouver des informations qui y sont intégrées à l’avenir. 

Parfois, les élèves ont du mal à établir des liens entre ce qu’ils savent déjà et les nouvelles informations. C’est pourquoi il est important que les élèves soient incités à approfondir et à rappeler leurs connaissances antérieures avant qu’on ne leur donne de nouvelles informations. 

S’il n’y a pas de réactivation, même si l’élève les maitrise, il risque de ne pas les mobiliser et les liens ne se feront pas.



Ne pas passer à côté du défi de l’évaluation diagnostique


Le défi de l’évaluation diagnostique pour l’enseignant est double : 
  • Inciter l’élève à réactiver ses connaissances antérieures
  • Évaluer la qualité de sa compréhension et de sa maitrise actuelle. 
L’évaluation diagnostique est nécessaire pour détecter la présence des connaissances préalables, mais aussi pour vérifier si elles sont exactes. En effet, si elles peuvent soutenir l’apprentissage lorsqu’elles sont correctes, elles entraveront la connaissance si elles ne le sont pas.

Ce processus de mise en œuvre de l’évaluation diagnostique doit être soigné. Certaines approches de la conception des cours ont eu tendance à limiter l’activation à une brève introduction, à des rappels par l’enseignant en début d’une nouvelle matière. Ceux-ci permettent une entrée en douceur dans la phase suivante du cours. 

Lorsque les connaissances préalables ont été enseignées récemment, ces activités peuvent être :
  • Simples : « qui se souvient de ce que nous avons fait lors du dernier cours ? »
  • Complexes : « listez cinq mots clés abordés jusqu’à présent »
Lorsque les connaissances préalables ont été enseignées, il y a plus longtemps, il est plus utile de passer par le biais d’une évaluation formative, par exemple un ticket de sortie en fin de cours.

Un piège dans lequel l’enseignant ne doit pas tomber est le fait de poser quelques questions à la volée à l’ensemble de la classe avant une mise en commun. Un résultat fréquemment rencontré est alors la tendance de la classe à déléguer la responsabilité de ces tâches aux élèves les plus doués pour s’assurer d’obtenir les « bonnes réponses ». La grande difficulté dans cette démarche est qu’il arrive que les enseignants renforcent involontairement cette situation en recrutant ces réponses fiables pour passer à l’étape suivante. 

La faiblesse de cette démarche est que tous les élèves n’ont pas réactivé ou ne maitrisent pas les connaissances antérieures au moment de l’introduction d’un nouvel apprentissage.

Lorsque les connaissances préalables ont été enseignées il y a plus longtemps, nous devons développer des tâches d’introduction diagnostiques dans le cadre d’une évaluation formative pour : 
  • Inciter chaque élève à réactiver ses connaissances antérieures par une récupération
  • Évaluer la qualité de la compréhension et de la maitrise actuelles de chaque élève. 
Des tâches introductives peuvent être spécifiquement développées pour atteindre ces objectifs. 

Ces tâches doivent exiger de tous les élèves qu’ils participent activement à l’exploitation de leurs connaissances antérieures en mobilisant une stratégie adéquate.

Ces tâches doivent porter sur une compréhension clé, nécessitant un partage explicite des connaissances pour atteindre l’objectif ou la solution.

Ces tâches doivent pouvoir mettre en évidence des conceptions erronées et en assurer le traitement.



Réduire la charge cognitive pour favoriser l’apprentissage


Selon Reif (2010), la charge cognitive impliquée dans une tâche est l’effort cognitif (ou la quantité de traitement de l’information) requis par une personne pour réaliser cette tâche.

De Jong (2010) déclare que « la théorie de la charge cognitive affirme que l’apprentissage est entravé lorsque la capacité de la mémoire de travail est dépassée dans une tâche d’apprentissage ». 

La mémoire de travail conserve les informations à court terme. Elle est limitée en matière de quantité. Elle est notre interface vers la mémoire à long terme, qui permet de consolider des connaissances sous forme de schémas, mais reste sensible à l’oubli.

Dans une perspective d’enseignement et d’apprentissage, l’objectif devrait être de déplacer les connaissances vers la mémoire à long terme. Lorsqu’un élève est exposé à un nouveau matériel, il peut s’appuyer sur ces connaissances antérieures et la charge cognitive se retrouve réduite. Toutefois, si les connaissances sont incomplètes, l’élève ne peut pas se rabattre sur la mémoire à long terme et la mémoire de travail est surchargée, ce qui entraine des défaillances de la mémoire de travail.

Selon Gathercole et Alloway (2007), la surcharge de la mémoire de travail peut entrainer les défaillances suivantes :
  • Un rappel incomplet de connaissances préalables 
  • Une incapacité à suivre les instructions et les consignes de l’enseignant
  • Un plus grand nombre d’erreurs 
  • L’abandon d’une tâche et l’augmentation de la distraction 
Chandler et Sweller (1991) écrivent que « la théorie de la charge cognitive suggère qu’un matériel pédagogique efficace facilite l’apprentissage en orientant les ressources cognitives vers des activités pertinentes pour l’apprentissage ».  

En appliquant les principes de la théorie de la charge cognitive, les enseignants peuvent éviter certains risques liés aux défaillances de mémoire de travail :
  • La charge cognitive intrinsèque :
    • Elle peut être réduite en segmentant le contenu de la matière, en séquençant l’enseignement de manière à ce que les sous-tâches soient enseignées individuellement avant d’être expliquées dans leur ensemble. L’idée est de ne pas submerger l’élève trop tôt dans l’introduction de nouvelles connaissances ou de nouvelles tâches. 
    • Nous donnons un sens à une nouvelle matière en nous référant à des schémas ou à des modèles mentaux de connaissances préexistantes. Les connaissances préalables de l’élève sur le sujet étudié peuvent permettre d’alléger cette charge. C’est pourquoi il est essentiel de vérifier la maitrise des connaissances préalables.
  • La charge cognitive extrinsèque :
    • Elle peut être réduite par la manière dont les instructions sont présentées. Le manque de clarté des instructions fait peser une charge trop importante sur la mémoire de travail. Cela a pour conséquence que les élèves peuvent passer trop de temps à résoudre les problèmes liés aux instructions plutôt qu’à former de nouveaux schémas. 



Utiliser un étayage pour favoriser l’apprentissage de contenus complexes


Certains contenus complexes ne sont pas aisément en étapes ou sous-tâches simples.

Van Merriënboer et ses collaborateurs (2003) recommandent la démarche suivante pour tenter de réduire la charge cognitive :
  • Commencer par des problèmes résolus pour lesquels une solution complète est présentée, que les étudiants doivent ensuite appliquer à une nouvelle question.
  • Si le niveau de complexité est encore trop élevé, nous pouvons commencer par des problèmes à compléter, où une solution partielle est donnée et où les étudiants doivent la compléter par eux-mêmes. Au fur et à mesure, nous ajoutons des étapes à rebours.
  • Nous terminons par des tâches conventionnelles, où la question leur est simplement donnée.
Il s’agit de donner un étayage au départ pour tenir compte des limites de la mémoire de travail et peu à peu le retirer tandis que l’apprentissage a lieu. Cela aide les élèves à apprendre de manière autonome, sans avoir nécessairement besoin de l’aide de leur enseignant à chaque étape.  

Renkl et Atkinson (2003) avancent que la progression séquentielle des activités pouvait réduire la charge intrinsèque, car les apprenants auront déjà maitrisé certaines des connaissances dont ils ont besoin pour trouver une solution à un stade de compétence antérieur. Par conséquent, leur recherche recommande :
  • De commencer par un modèle (un exemple complet)
  • De supprimer progressivement les étapes achevées que l’apprenant devra réaliser de manière autonome.
  • Finalement de ne laisser que le problème à résoudre.
Ces principes qui se rejoignent peuvent être facilement appliqués en classe : 
  • L’enseignant commence par un modelage d’une réponse modèle.
  • Il fournit un cadre/une structure de résolution/de production avec beaucoup d’informations sur lequel une pratique guidée est introduite.
  • Il poursuit avec un cadre/une structure de résolution/de production avec moins d’informations toujours en pratique guidée.
  • Il termine avec une question que les apprenants doivent compléter de manière autonome.
L’étayage ne doit pas être retiré trop tôt pour ne pas saturer la mémoire de travail des élèves. L’étayage ne doit pas être retiré trop tard pour ne pas engendrer l’effet d’inversion de l’expertise (Kalyuga et coll., 2003). En effet, si nous continuons à fournir des exemples élaborés tandis que la compréhension et la maitrise s’installent, leur utilité est considérablement réduite. Il est suggéré que cela est dû au fait que les exemples élaborés contiennent des informations qu’un expert pourrait trouver lui-même. Cela les rend redondants et constitue donc une charge cognitive extrinsèque plutôt qu’une charge cognitive intrinsèque et pertinente. 

Ce sont les procédures de vérification de la compréhension et d’évaluation formative qui permettent de déterminer à l’échelle de la classe quel est le niveau d’étayage utile.


Mis à jour le 05/07/2024

Bibliographie


Haili Hughes, Mentoring in schools, Crown House, 2021

Dominic Shibli  Rachel West, Cognitive Load Theory and its application in the classroom, 2018, https://my.chartered.college/impact_article/cognitive-load-theory-and-its-application-in-the-classroom.

Gathercole, S. E., Alloway, T. P., Kirkwood, H. J., Elliott, J. G., Holmes, J., & Hilton, K. A. (2008). Attentional and executive function behaviours in children with poor working memory. Learning and Individual Differences, 18(2), 214–223. http://doi.org/10.1016/j.lindif.2007.10.003

Kane MJ, Brown LH, McVay JC, Silvia PJ, Myin-Germeys I, Kwapil TR. For whom the mind wanders, and when: an experience-sampling study of working memory and executive control in daily life. Psychol Sci. 2007 Jul;18(7):614-21. doi: 10.1111/j.1467-9280.2007.01948.x. PMID: 17614870.
 
Tay, C. (2018) « A good start: the pedagogical challenge of engaging prior knowledge for all pupils ». Impact (May). Available at: https://impact.chartered.college/article/tay-pedagogical-challenge-engaging-prior-knowledge.

Chandler P and Sweller J (1991) Cognitive Load Theory and the format of instruction. Cognition and Instruction 8(4): 293–332.

De Jong T (2010) Cognitive Load Theory, educational research, and instructional design: Some food for thought. Instructional Science 38(2): 105–134.

Gathercole S and Alloway T (2007) Understanding working memory. A classroom guide. Harcourt Assessment. Available at: https://www.mrc-cbu.cam.ac.uk/wp-content/uploads/2013/01/WM-classroom-guide.pdf (accessed 11 July 2017).

Kalyuga S, Ayres P, Chandler P, et coll. (2003) The expertise reversal effect. Educational Psychologist 38(1): 23–31.

Reif F (2010) Applying cognitive Science to Education. Thinking and Learning in Scientific and Other Complex Domains. Cambridge, MA : The MIT Press.

Renkl A and Atkinson R (2003) Structuring the transition from example study to problem solving in cognitive skill acquisition: A cognitive load perspective. Educational Psychologist 38(1): 15–22.

Van Merriënboer J, Kirschner P and Kester L (2003) Taking the load off a learner’s mind: Instructional design for complex learning. Educational Psychologist 38(1): 5–13.

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