jeudi 9 mai 2024

Apprendre à mettre en place un cadre d’apprentissage en classe

Définir, installer, mettre en place et maintenir un cadre en gestion de classe en mobilisant toute une panoplie de pratiques efficaces est un défi pour un nouvel enseignant.

(Photographie : Marco Castelli)





Mettre en place un cadre d’apprentissage


La création d’une culture de l’apprentissage et de la coopération, sûre, uniforme et cohérente est la tâche principale et prioritaire de la gestion de classe. 

Les interventions en cas de perturbations ne viennent que réguler son maintien, mais ne peuvent s’y substituer.

Il est donc essentiel d’y donner de l’importance. Le temps en classe est l’une des ressources les plus précieuses et les plus limitées dont nous disposons pour remplir nos missions d’éducation. Il s’agit de ne pas le gaspiller.

Il nous faut par conséquent investir du temps dans la planification du cadre, de l’organisation, des routines et des normes en classe. L’enseignement explicite des attentes comportementales a également son rôle à jouer. Une fois le cadre installé, il faut investir dans le suivi et le maintien, de manière préventive et proactive, plutôt que réactive.

Le comportement ne peut pas être modifié et rendu adéquat à long terme simplement en demandant aux élèves de bien se comporter. Le programme de comportement doit être enseigné, de la même manière que l’on enseigne une matière scolaire.



L’usage des jeux de rôles pour la formation en gestion de classe


Pour un nouvel enseignant, le jeu de rôle est une bonne approche pour s’exercer à la gestion de classe et apprendre de nouvelles techniques. L’approche peut être attrayante pour certains et susciter des craintes chez d’autres enseignants.

Dès lors, il est utile de définir le cadre et les objectifs de la démarche, car elle est particulièrement utile dans le cadre d’un apprentissage comportemental tel celui lié à la gestion de classe. 

La démarche consiste à élaborer une série de scénarios typiques qui impliquent des interactions entre un enseignant et un ou plusieurs élèves. Ils demandent de mettre en place une stratégie. Il est assez facile de jouer le rôle d’un élève et naturel de jouer celui de l’enseignant. 

Comme au karaoké, il faut surmonter le sentiment initial de gêne ou d’incongruité. Par la suite, il est remarquable de constater la rapidité avec laquelle on peut commencer à entrer dans le personnage. Rien n’est jamais neuf, car nous avons passé de longues années en classe en tant qu’élève ou enseignant.

Un élément remarquable et essentiel, c’est l’étrange sensation de réalité que l’on peut ressentir lorsqu’on est placé dans une situation sociale que l’on trouve difficile. Cela peut ramener, d’une manière sûre et contrôlée, les sentiments d’inadéquation et d’anxiété que l’on a pu ressentir dans des situations similaires où nous avons été parfois sérieusement mis à l’épreuve.

L’utilité de ce processus est qu’il permet de tester sans risque des hypothèses d’interactions et des actions. Nous pouvons travailler sur des scénarios personnels et contextuels. Nous pouvons nous concentrer sur nos propres réactions et nos réponses émotionnelles :
  • Quels sont nos points faibles ?
  • Quelles mauvaises habitudes manifestons-nous trop spontanément  ? 
  • Quelles erreurs commettons-nous dans notre comportement verbal ou non verbal ?
  • Après le jeu de rôle, nous pouvons demander à un partenaire ou à un observateur ce qu’il a pensé de notre performance.
Une possibilité alternative est de se filmer et regarder le film ensemble. Cette méthode présente l’avantage évident de décoder l’interaction au rythme souhaité, de revenir en arrière et de revoir comme souhaité. 

Une autre possibilité est de demander à un observateur expérimenté d’intervenir en direct pendant le jeu de rôle pour diriger, arrêter, faire des pauses, critiquer et conseiller.

L’important est de tester et d’essayer de nouvelles façons de penser et d’agir, des stratégies et des pratiques qui nous sont inédites ou que nous maitrisons de manière incomplète. Il s’agit de développer des habitudes dans un espace totalement sûr où les conséquences d’un échec sont nulles. Il faut que les enjeux soient les plus faibles possibles. Il s’agit d’une simulation dans un contexte d’évaluation formative qui permet d’améliorer les performances.



Le coaching pédagogique


Si nous voulons que les élèves apprennent à bien se comporter, nous avons besoin que les enseignants soient capables d’enseigner aux élèves comment se comporter. Il s’agit d’une compétence délicate à développer.

L’une des relations les plus précieuses qu’un nouvel enseignant ou un enseignant en difficulté pour la gestion de classe puisse avoir est celle qu’il entretient avec un membre expérimenté du personnel. Celui-ci est non seulement capable de gérer une classe dans le cadre de l’école, mais il sait également comment conseiller et y former d’autres personnes. 

Si en tant qu’enseignants, nous sommes doués pour enseigner aux élèves, la manière dont nous enseignons à nos pairs est souvent plus inégale. Nous devons nous efforcer de trouver ou de créer une catégorie d’enseignant capable de s’investir dans un accompagnement ou coaching pédagogique pour former leurs collègues moins expérimentés à apprendre aux élèves à bien se comporter. Il ne s’agit pas d’une compétence courante, mais elle s’acquiert.

Dans toutes les écoles, il y a des membres du personnel qui ont une expertise dans la gestion de leurs classes et qui comprennent également ce qu’ils font et comment encourager les autres à le faire. Ils n’ont peut-être pas reçu de formation formelle, mais ils sont suffisamment perspicaces et avisés pour savoir quand cela ne va pas et comment y remédier. 

Souvent, ces profils sont sous-estimés en école. Ils peuvent être vaguement appréciés pour leurs classes calmes et pacifiées, leurs bons résultats et leurs performances générales de leurs élèves. Ils peuvent passer inaperçus. Cependant, ils peuvent être écartés des discussions scolaires sur l’amélioration du comportement, car ils ne sont pas concernés par les perturbations qu’ils n’ont que rarement dans leurs classes. Ils ne se sentent pas directement concernés. Dans tous les cas, dans les écoles, ces personnes compétentes gagnent à être identifiées et mobilisées pour partager leurs compétences. 

La relation de coaching pédagogique peut prendre différentes formes, mais elle gagne à être plus égalitaire et elle perd à être prescriptive. Dans tous les cas, elle doit être fondée sur la collaboration et le soutien. Il n’y a pas d’imposition pour l’enseignant qui apprend. L’enseignant et le membre du personnel le plus expérimenté se développent réciproquement dans la relation de coaching pédagogique. Ils établissent un langage commun et des attentes mutuelles saines, prévisibles et toujours bienveillantes. L’objectif est toujours de s’améliorer. Le coach pédagogique doit toujours être ouvert aux suggestions sur la manière de s’améliorer venant de l’enseignant qu’il accompagne. Il ne s’agit pas d’un processus à sens unique, mais d’une discussion ouverte. 



Se filmer en enseignant 


Se regarder après s’être filmé en enseignant est toujours un choc parce que nous n’avons pas l’habitude de nous voir. Invariablement, cette image ou absence d’image que nous projetons de nous-mêmes va se retrouver brisée. 

Nous nous voyons alors à l’état brut comme les autres nous voient, mais comme nous ne nous voyons pas. Nous voyons nos tics et nos habitudes verbales et physiques, y compris ceux que nous n’imaginions pas.

Nous pouvons mieux constater que certains de nos comportements n’ont pas l’impact verbal et non-verbal que nous pensions qu’ils avaient. Nous pouvons remarquer que notre attention a ses limites inhérentes et que nous pouvons laisser passer certaines choses. 

La démarche peut être douloureuse, mais elle est également incroyablement riche en informations à décoder, en prise de recul et en pistes potentielles d’action à mettre en œuvre. 

En comprenant nos faiblesses, nous identifions différents points d’action et nous pouvons bien mieux comprendre comment atteindre nos objectifs d’apprentissage. Nous comprendrons aussi beaucoup plus profondément quelle part de nos actions est efficace et quelle part ne l’est pas.

Aucune rétroaction ne peut être aussi puissante qu’accompagnée d’une preuve vidéo poursuivie d’échange et d’une analyse partagée avec un coach pédagogique. Il peut nous aider à décoder, à prendre du recul et à déterminer la marche à suivre.

Un coach pédagogique peut nous aider à nous concentrer sur ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas. Il mettra en évidence les comportements qui nous échappent et la nature de nos améliorations possibles. Se regarder peut être aveuglant sur ces points, nous pouvons être victimes de biais cognitifs. 

Le coach pédagogique ou le collègue expérimenté qui nous accompagne sera en mesure de suggérer des différences que nous pouvons apporter à notre propre comportement et à nos propres structures, et quand le faire. Il peut mettre en évidence des points forts et aider à garder une vision globale des objectifs d’apprentissage. 

L’enjeu n’est jamais une autocritique. Il est de déterminer quelle est la prochaine étape vers un mieux. Le seul échec serait de croire que nous ne pouvons pas nous améliorer.



Planifier des observations structurées (à faible enjeu)


Une observation de l’enseignement doit se programmer dans un cadre sans enjeux. Elle ne doit pas avoir de conséquences possibles sur l’évaluation de l’enseignant. 

Une première observation peut être générale afin de déterminer la base de référence et d’avoir une idée de la situation. 

Le coach pédagogique et l’enseignant ou le mentor et le nouvel enseignant peuvent ensuite avoir une discussion qui tient compte des points de vue des deux parties. 

Le mentor ou le coach pédagogique ne doivent pas arriver au débriefing avec des réponses toutes faites, mais doivent au contraire interroger l’enseignant pour comprendre avec lui pourquoi il a fait ce qu’il a fait. 

Cette première réunion peut constituer la base d’un programme d’observations ultérieures. Il est utile d’avoir une série d’observations. Les résultats et les attentes du processus doivent également être clairs. 

Chaque observation doit se concentrer sur un nombre restreint et minimal d’aspects. Les sujets peuvent inclure les routines, l’entrée, la sortie, la transition entre les activités, les bavardages, l’installation de la classe, la cohérence, la vérification de la compréhension, etc.

Il ne faut pas faire porter l’observation sur tout et tout le temps, sinon elle ne portera plus sur rien et ne pourra pas avoir d’impact. Des suggestions doivent être faites à des moments dédiés, en dehors des temps d’observations. Une réunion doit être organisée pour définir la prochaine observation et un compte rendu bref et succinct doit être fait après chaque observation. Il s’agit d’une relation qui demande un certain investissement si elle est bien menée. 

Cela représente un coût, mais l’investissement dans les capacités de l’enseignant qui, si elles sont affinées, génère d’énormes dividendes pendant toute la durée de sa carrière. Les bénéfices à long terme peuvent compenser largement l’investissement à court terme.

Pour une école, c’est un bon moyen de retenir et d’investir dans le personnel, de maximiser son efficacité et de construire une meilleure école avec les ressources dont elle dispose. 



Écouter et observer les enseignants qui possèdent la compétence recherchée 


Tout enseignant compétent qui possède une solution facile et pratique, qui fonctionne pour lui, pour régler un problème spécifique de gestion de classe sur lequel d’autres rencontrent des difficultés est précieux. Il peut y avoir des exceptions, mais souvent il possède peut-être une routine qui peut être mise en évidence, transmise et adoptée avec succès par d’autres enseignants. Ces personnes ont sans doute le potentiel d’offrir d’excellents conseils à l’enseignant qui souhaite améliorer sa gestion du comportement sur ce motif spécifique.

Il importe de demander conseil à des personnes qui, elles-mêmes, peuvent manifestement gérer avec souplesse le comportement de classes manifestant les mêmes difficultés. Néanmoins, tout n’est pas à prendre pour argent comptant, il importe d’écouter les conseils, mais également si possible de demander pour aller vérifier et observer in situ en classe la mise en œuvre. 

Si les classes auxquelles ils enseignent se comportent bien et obtiennent de bons résultats, s’ils arrivent à mettre en œuvre des attentes élevées, il est probable qu’ils font quelque chose de bien. 

Cependant, si quelqu’un qui n’appartient pas à cette catégorie donne des conseils, il faut les accepter poliment, mais en prenant un certain recul. De même, les personnes qui possèdent une expertise en tutorat, en petits groupes ou dans des classes plus calmes et naturellement disciplinées, ne sont pas toujours les mieux placées pour donner des conseils dans des situations difficiles.

Nous donnons des cours, nous sommes professionnels, nous devons donc nous améliorer et nous développer dans ce domaine. Pour ce faire, nous devons avant tout écouter, observer et demander conseil à ceux qui l’ont déjà fait ou le font avec succès. Sans cela, nous privilégions les opinions (sans doute bien intentionnées) d’adultes qui pensent pouvoir aider, mais en fait ne le peuvent pas, car ils sont hors contexte.

Il s’agit également de s’appuyer sur l’expérience d’enseignants plus anciens, plutôt que de chercher à réinventer la roue régulièrement. 



Lire, puis pratiquer


Il existe de nombreuses publications, livres, articles, blogs, podcasts, vidéos traitant de la gestion du comportement. Leur qualité est très variable. Certains répondent à une idéologie, d’autres proviennent d’auteurs inexpérimentés face à des classes ou à des élèves difficiles. 

D’autres publications peuvent se concentrer sur une approche ou sur certains aspects ou certaines dimensions spécifiques, au détriment d’autres. 

Cependant, le comportement humain répond à des mécanismes complexes. La motivation des élèves peut être très variable. Les réduire à quelques idées ou principes simples, c’est courir à l’échec. L’objectif est de motiver et d’influencer le comportement autant que possible dans le bon sens avec le plus grand nombre d’élèves. Dès lors, il est essentiel d’utiliser le plus grand nombre possible d’approches différentes, qui se complètent les unes avec les autres pour faire face à l’hétérogénéité.

Certaines publications cependant, fondées sur des données probantes et des théories validées, peuvent proposer une meilleure approche de la complexité de la situation des élèves et de classe, et échapper aux pièges idéologiques. 

Leur lecture n’est pas une finalité en soi, mais peut se révéler le début d’une réflexion et l’amorce d’une pratique délibérée qui permet un développement professionnel. 

De bonnes publications peuvent servir de déclencheurs :
  • Nous les lisons attentivement et de manière critique. 
  • Nous prenons soin de réfléchir aux informations qu’elles véhiculent. 
  • Comment éclairent-elles notre contexte ? 
  • De quelle manière peuvent-elles s’appliquer à notre propre situation ? 
  • Comment agir maintenant dans mon contexte ?



Observer d’autres classes


Aller observer d’autres classes et voir ce que d’autres enseignants sont des expériences enrichissantes. Elles permettent de changer de perspective.

L’enseignement est souvent une profession solitaire alors que chaque enseignant fait partie d’une communauté éducative. Cependant, l’acte d’enseigner se fait principalement seul devant un groupe d’élèves. 

À moins d’être observés ou accompagnés, nous nous habituons à nous sentir seuls en face des élèves. Après quelques années, il devient facile d’oublier qu’il existe d’autres façons d’enseigner, d’interagir avec les élèves.

Une démarche d’observation d’enseignants expérimentés ou entre pairs peut être utile. Nous allons observer ce qui se passe dans d’autres classes et d’autres matières. Nous découvrons comment des enseignants expérimentés, des collègues, peuvent agir différemment sur certains points et pareillement sur d’autres. Cela peut nous permettre de faire évoluer notre pratique. 

Dans ce cadre, les questions suivantes peuvent être utiles pour guider notre attention lors de l’observation :
  • Quelles sont les routines adoptées par l’enseignant et ses élèves dans la classe ? 
  • Que font spontanément les élèves sans que l’enseignant le leur demande ? 
  • Quels indices ou signes l’enseignant donne-t-il aux élèves pour les rappeler à l’ordre ?
  • Comment l’enseignant procède-t-il face à un comportement perturbateur et avec quels résultats ?
  • Quelles sont les routines spécifiques et quel est leur impact ? 
    • Comment se passe l’entrée en classe ?
    • Comment se passent les transitions entre les activités ?
    • Comment l’enseignant procède-t-il pour la vérification de la compréhension ?
    • Comment les élèves procèdent-ils pour poser des questions ?
    • Comment l’enseignant distribue-t-il ou récupère-t-il des documents ?
    • Que font les élèves lorsqu’ils ont terminé le travail demandé ?
    • Comment se passent la fin du cours et la sortie de classe ? 
  • Quel type de relation l’enseignant entretient-il avec ses élèves au fil du cours, comment gère-t-il les interactions ?
  • Quels sont le langage, le ton, la posture, le volume, la voix, le mouvement et le déplacement dans la pièce de l’enseignant ? Comment les élèves y réagissent-ils ?
Un autre intérêt est d’aller observer des cours donnés d’une autre école dont l’environnement socio-économique est similaire au nôtre, mais où le comportement, les résultats ou les normes sont d’un niveau plus élevé.



Bibliographie


Tom Bennett, The Running the Room companion, John Catt, 2021

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