vendredi 3 mai 2024

L’impact négatif de l’usage du smartphone sur les performances scolaires

Amez et Baert (2020) ont réalisé une revue systématique de la littérature concernant l’impact de l’usage du smartphone sur les performances des élèves dans l’enseignement supérieur 

(Photographie : Joyce Kim)






L’utilisation du smartphone interfère avec la vie éducative et professionnelle des individus.  Il existe de nombreuses raisons théoriques sur lesquelles on s’attend à un effet direct de l’utilisation (intensive) du smartphone sur les résultats scolaires. 


Apports positifs potentiels liés à l’usage du smartphone


Les smartphones pourraient — lorsqu’ils sont utilisés correctement — conduire à de meilleures performances scolaires :
  • La mobilité des smartphones permet aux étudiants d’accéder aux mêmes services (basés sur l’internet) qu’un ordinateur presque partout, presque tout le temps (Lepp, Barkley, & Karpinski, 2014).
  • La facilité d’accès à ces fonctionnalités offre aux étudiants la possibilité de rechercher en permanence des informations liées à leurs études. 
  • Les smartphones fournissent une plateforme multimédia pour faciliter l’apprentissage qui ne peut être remplacé par la lecture d’un manuel (Zhang, Ho, & Ho, 2014).
  • Les réseaux sociaux et les applications de communication peuvent contribuer au partage rapide d’informations pertinentes. Une communication plus rapide entre les étudiants et entre les étudiants et le personnel enseignant peut contribuer à une étude et une collaboration plus efficaces (Chen & Ji, 2015 ; Lepp, Barkley, & Karpinski, 2015).



Apports négatifs potentiels liés à l’usage du smartphone


Les smartphones peuvent conduire à de moins bonnes performances scolaires par trois facteurs principaux :

En induisant une perte de temps


Des recherches ont suggéré que les étudiants universitaires considèrent leur smartphone comme une source de divertissement plutôt que comme un instrument de travail (Lepp, Barkley, Sanders, Rebold, & Gates, 2013).

Ces résultats soutiennent l’idée d’un compromis temporel à la Becker (1965) entre l’utilisation du smartphone et les activités liées aux études. En d’autres termes, le temps consacré à l’utilisation du smartphone est du temps perdu pour les activités d’étude. Ainsi, la décision des étudiants universitaires d’utiliser leur smartphone pourrait avoir un effet délétère sur leurs résultats scolaires.


En favorisant un comportement multitâche


L’utilisation du smartphone peut interférer avec les activités liées aux études en tant que source de distraction en induisant un comportement multitâche.

Un nombre croissant de publications (voir, par exemple, Junco, 2012 ; Junco & Cotten, 2012 ; Levine, Waite, & Bowman, 2012) ont montré les implications négatives de ce comportement sur les résultats scolaires. 

Quatre sources potentielles liées au smartphone sont susceptibles de causer un comportement multitâche : 
  1. Les notifications visuelles et auditives sur le smartphone peuvent attirer l’attention des étudiants pendant les cours ou les heures d’étude (Junco & Cotten, 2012).
  2. Le désir de ne pas manquer ce qui se passe en ligne et d’interagir en permanence avec le reste du monde est aujourd’hui appelé « FOMO ». « FOMO » est l’acronyme de « Fear of missing out », c’est-à-dire la peur de manquer quelque chose. Il peut conduire à un manque de concentration nécessaire pour obtenir de bonnes performances d’étude (Chen & Yan, 2016 ; Firat, 2013).
  3. L’utilisation du smartphone pendant les activités liées aux études peut être le résultat d’un comportement de dépendance et de cyberslacking. Celui-ci peut être défini comme l’interférence de la vie personnelle (en ligne) pendant les activités de travail ou d’étude (Garrett & Danziger, 2008 ; Vitak, Crouse, & LaRose, 2011).
  4. En raison du manque de motivation académique, les étudiants peuvent éprouver un sentiment d’ennui pour lequel les applications de smartphone constituent une échappatoire rapide et tentante (Hawi & Samaha, 2016).


En impactant la santé des individus


L’utilisation du smartphone peut avoir un impact indirect supplémentaire sur les résultats scolaires en influençant la santé des étudiants. 

De plus en plus d’études ont mis en évidence une relation négative entre l’utilisation des technologies, y compris des smartphones, et les indicateurs de santé. 

Des associations négatives ont été découvertes entre l’utilisation du smartphone et :
  • La qualité du sommeil (Christensen et coll., 2016 ; Demirci et coll., 2015 ; Rosen, Carrier, Miller, Rokkum, & Ruiz, 2016 ; Tavernier & Willoughby, 2014)
  • La santé mentale (Lepp et coll., 2014)
  • La condition physique (Jackson, von Eye, Fitzgerald, Witt, & Zhao, 2011).
Ces indicateurs de santé ont à leur tour été associés aux résultats scolaires (voir, par exemple, Baert, Verhaest, Vermeir, & Omey, 2015 ; Galambos, Vargas Lascano, Howard, & Maggs, 2013).



Données probantes sur l’impact de l’usage du smartphone dans un contexte d’apprentissage


Amez et Baert (2020) ont rassemblé 23 études liant l’utilisation des smartphones et les résultats scolaires dans l’enseignement supérieur. 
  • 18 des 23 études incluses (soit 78,3 %), s’appuyant sur des approches empiriques divergentes détaillées ci-dessous, concluent à une association négative. 
  • 5 des 23 études incluses (soit 21,7 %) ne trouvent pas d’association statistiquement significative entre l’utilisation globale du smartphone et les performances à l’université.
  • Aucune étude à ce jour ne fait état d’une association globale positive.
La littérature examinée semble suggérer une association négative entre l’utilisation globale du smartphone et la performance scolaire qui est de faible ampleur. 

Il apparait que les mécanismes négatifs contribuent davantage à l’association entre l’utilisation du smartphone et les résultats scolaires que les mécanismes positifs.

La principale limite identifiée dans la littérature est que les études existantes effectuent toutes des analyses corrélationnelles ou des analyses de régression linéaire ou logistique sur des données transversales. Dès lors, leurs résultats ne peuvent pas faire l’objet d’une interprétation causale. 

Un autre élément manquant est l’absence de recherche sur la validité empirique des mécanismes théoriques examinés pour un impact potentiel de l’utilisation du smartphone sur les performances scolaires. Or, la découverte des mécanismes en jeu est d’une grande importance pour l’élaboration des politiques. 

Pour mettre en œuvre des mesures politiques adéquates sur l’utilisation des smartphones dans les établissements d’enseignement, nous devons connaître les causes précises de leur relation (potentielle). 



Des biais qui tendent à sous-estimer l’impact négatif du smartphone


Amez et Baert (2020) ont mis en évidence l’existence probable de certains biais qui tendent à minimiser l’impact négatif du smartphone.

Par exemple, l’impact négatif du smartphone est moins marqué dans les études analysant des données recueillies par des questionnaires papier et stylo. Il est plus élevé dans le cadre d’études portant sur des données recueillies par des enquêtes en ligne. Il est également moins élevé dans les études s’appuyant sur des moyennes de notes autodéclarées par rapport aux études utilisant les notes réelles. 

Lorsque les chercheurs utilisent des méthodes de collecte de données plus susceptibles de donner lieu à des comportements sociaux souhaitables, ils constatent plus souvent une association non significative.

Ainsi, lorsque les questionnaires sont remplis pendant un cours et que les participants sont donc entourés de pairs, ce qui peut accroître la tendance à donner des réponses socialement souhaitables (Krumpal, 2013).

Six études utilisent des données sur les notes effectivement obtenues par les étudiants auprès du professeur, de la faculté ou de l’administration de l’université. Toutes ces études concluent à une association significativement négative entre l’utilisation du smartphone et ces résultats. 

Onze études s’appuient sur des notes autodéclarées. Les cinq articles ne faisant pas état d’une association négative font partie de ces onze études. Ce contraste peut indiquer que des erreurs de mesure se sont produites dans les variables des notes autodéclarées. En effet, ces variables peuvent être biaisées en raison de problèmes de mémorisation ou de réponses socialement souhaitables (Krumpal, 2013).

De plus, il apparait que les étudiants ont davantage tendance à donner des réponses socialement souhaitables (Krumpal, 2013) lorsqu’ils sont interrogés sur l’attitude ou la dépendance par rapport à la fréquence d’utilisation du téléphone.



Bibliographie


Amez, S., & Baert, S. (2020). Smartphone use and academic performance: A literature review. International Journal of Educational Research, 103, 101618. 

Baert, S., Verhaest, D., Vermeir, A., & Omey, E. (2015). Mister sandman, bring me good marks! On the relationship between sleep quality and academic achievement. Social Science & Medicine, 130, 91–98. 

Becker, G. S. (1965). A theory of the allocation of time. The Economic Journal, 75, 493–517.

Chen, R. S., & Ji, C. H. (2015). Investigating the relationship between thinking style and personal electronic device use and its implications for academic performance. Computers in Human Behavior, 52, 177–183.

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Firat, M. (2013). Multitasking or continuous partial attention: A critical bottleneck for digital natives. Turkish Online Journal of Distance Education, 14, 1302–6488.

Galambos, N. L., Vargas Lascano, D. I., Howard, A. L., & Maggs, J. L. (2013). Who sleeps best? Longitudinal patterns and covariates of change in sleep quantity, quality, and timing across four university years. Behavioral Sleep Medicine, 11, 8–22.

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Tavernier, R., & Willoughby, T. (2014). Sleep problems: Predictor or outcome of media use among emerging adults at university? Journal of Sleep Research, 23, 389–396. 

Vitak, J., Crouse, J., & LaRose, R. (2011). Personal Internet use at work: Understanding cyberslacking. Computers in Human Behavior, 27, 1751–1759.

Zhang, M. W. B., Ho, C. S. H., & Ho, C. M. (2014). Methodology of development and students’ perceptions of a psychiatry educational smartphone application. Technology and Health Care, 22, 847–855.

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