vendredi 24 mai 2024

Des modèles mentaux pour l’enseignant en classe

Les modèles mentaux sont des connaissances organisées pour guider l’action d’un individu dans des circonstances spécifiques.

(Photographie : TwentyFourStar)




La résolution progressive de problèmes est la méthode par laquelle nous enrichissons nos problèmes mentaux en cherchant continuellement à trouver des solutions plus efficaces aux défis rencontrés en classe.



Le développement de modèles mentaux dans un cadre spécifique


Imaginons que nous souhaitons nous rendre à pied, d’une gare en périphérie vers un lieu en centre-ville la première fois. Imaginons que nous nous dirigeons à l’aire d’une application. Il est probable que le trajet se fera avec quelques hésitations et recherches de repères qui ralentiront notre déplacement.

Imaginons-nous maintenant plus tard. Après avoir fait le trajet une dizaine de fois à pied, l’usage de l’application est devenu inutile. Nous nous dirigeons d’un pas sur et assuré sans même y penser entre les deux lieux. 

L’acquisition de connaissances, sous forme de repères visuels, au fur et à mesure des trajets, nous permet de nous engager dans une série d’actions fluides. Nous mobilisons ces connaissances dans les lieux successifs et nous nous dirigeons avec une facilité naturelle. 

Notre expérience et nos connaissances nous permettront même de résoudre des problèmes inattendus. Par exemple, une rue peut se retrouver temporairement barrée et nous nous engageons alors sans grandes difficultés dans un détour. Il se peut également que d’une fois à l’autre nous adoptions des variantes du trajet.

À certains moments, nous pouvons affirmer que nous savons faire quelque chose aisément. Dans ce cas, nous faisons référence, consciemment ou non, à un amalgame entre théorie et pratique qui prend la forme d’une expertise dans le domaine considéré. Notre connaissance réalisable et vérifiable dans le monde réel prend la forme d’un modèle mental. 

L’expertise repose sur la présence de connaissances dans la mémoire à long terme et sur l’automatisation des processus associés. Acquérir des connaissances en mémoire à long terme dans un domaine va soulager la mémoire de travail en ce qui concerne l’acquisition de nouvelles connaissances dans ce même domaine. 



L’utilité des modèles mentaux pour l’enseignant


« Comment réagir lorsque… ? » et « Que suis-je censé faire pour… ? » sont deux exemples de questions courantes qu’un nouvel enseignant peut adresser à un mentor ou à un collègue expérimenté.

Lorsqu’il débute dans une école, il est compréhensible qu’il y ait une myriade de situations où les réponses ne sont pas claires pour lui

Mais un nouvel enseignant ne peut pas poser immédiatement une infinité de questions à un enseignant expert ni développer lui-même toutes les solutions au fur et à mesure que les problématiques apparaissent. Ce manque de connaissances appropriées et d’automatisation sera la raison de débuts parfois hésitants.

Même lorsque le nouvel enseignant reçoit des réponses à certaines de ces questions, les appliquer peut s’avérer plus difficile qu’il n’y paraît. Il va se confronter entre l’écart entre savoir et faire. Cela signifie qu’un nouvel enseignant peut théoriquement comprendre comment il devrait agir, mais que les contraintes de la charge cognitive qui s’imposent à lui rendent l’exercice difficile et sensible à l’échec.

Ce qui manque au nouvel enseignant lorsqu’il se pose des questions fondamentales, comme « Que dois-je faire… ? » est simple. Il ne dispose pas encore des modèles mentaux correspondants, nécessaires à la pratique de la classe. 

Les modèles mentaux sont des représentations internes de la réalité extérieure que les individus utilisent pour interagir avec le monde qui les entoure (Jones et coll., 2011). Les modèles mentaux contiennent des connaissances organisées pour guider la décision et l’action dans un contexte spécialisé (Mcrea, 2017).

Nous pouvons avoir un modèle mental déficient dans un domaine, lorsque certaines connaissances nous manquent, sont mal organisées, ou lorsque nos habitudes automatisées ne sont pas excellentes.

Si nous n’avons pas une pratique large et approfondie dans un domaine, notre modèle mental correspondant sera construit à partir de l’observation des autres et sur l’apport de conseils ou de lectures. Il sera probablement lacunaire et contiendra quelques conceptions erronées.



La construction de modèles mentaux experts pour l’enseignant


En tant que nouvel enseignant, que nous le voulions ou non, nous construisons des modèles mentaux de nos pratiques pédagogiques. Nous nous créons des modèles mentaux sur la manière de faire entrer les élèves dans la classe, de donner des consignes, pour poser des questions aux élèves ou d’intervenir en cas de perturbation en classe.

Nous utilisons des modèles mentaux préconstruits par anticipation ou en cours de construction au fur et à mesure de nos expériences. Ils nous permettent de comprendre, planifier et agir dans des situations qui deviendront naturellement de plus en plus familières au fil du temps. Ces modèles agissent sur base de connaissances intégrée que nous avons parallèlement stockée dans notre mémoire à long terme. 

Les nouveaux enseignants éprouvent des difficultés parce qu’ils sont confrontés à une foule de situations inhabituelles et qu’ils n’ont que peu ou pas de modèles mentaux auxquels se référer. 

Au fur et à mesure que s’enrichit leur expérience en classe, leur connaissance de la pratique et de la théorie s’amalgament. Ils développent des modèles mentaux qui sont le type de structuration de connaissances qui est le type le plus utile qu’un enseignant puisse avoir.

Nous pouvons accélérer et améliorer la construction de nos modèles mentaux en empruntant des modèles extérieurs ou des stratégies et en les intégrant et en nous les appropriant dans le cadre d’une pratique délibérée en classe.

Nous pouvons enrichir nos modèles mentaux par la lecture des livres ou d’articles, ou en écoutant une description qu’en fait un expert. Toutefois, ces connaissances ne matérialiseront leur valeur ajoutée que lorsque nous les introduirons délibérément et avec succès dans notre pratique en classe.

Les modèles mentaux d’un enseignant émergent avec le temps, que nous en soyons conscients ou non. Le niveau de qualité des modèles mentaux peut cependant varier.

Notre objectif est de veiller à ce que des modèles efficaces émergent : 
  • Un bon point de départ est l’investissement dans la connaissance de stratégies efficaces ou de modèles théoriques fondées sur des données probantes. Un lien clair doit exister avec la pratique en classe dans notre type de contexte. 
  • Par la suite, nous devons veiller à développer et consolider ces modèles mentaux en intégrant les connaissances dans la mémoire à long terme et en automatisant les processus. 
La construction de modèles mentaux de l’enseignant est ainsi à double entrée :
  • Nous obtenons des connaissances de référence sur les enjeux des processus qui se déroulent dans le cadre de l’enseignement. 
  • Nous les associons à notre connaissance croissante de la pratique dans la classe.
  • Un coach ou un mentor peuvent nous aider à mener ce processus au départ, en nous donnant régulièrement des conseils et une rétroaction sur notre pratique en classe.
  • Le développement professionnel peut nous aider à développer nos connaissances et à nous fournir des pistes.



L’importance cruciale des modèles mentaux pour l’enseignant


La pratique de l’enseignement ne devrait pas se faire et s’élaborer indépendamment de l’éclairage de connaissances validées par la recherche. 

Il existe toutefois une tension entre théorie et pratique. Les nouveaux enseignants veulent des stratégies pratiques. D’autres enseignants peuvent avoir été sensibilisés à des approches pédagogiques ou à des idéologies en décalage avec une éducation fondée sur des données probantes.

Une éducation fondée sur des données probantes permet de réduire cette tension par sa cohérence, car des modèles psychologiques sous-tendent les stratégies recommandées et expliquent leur efficacité. Elle apporte du sens et éclaire la pratique.

La recherche est elle-même en tension, car non seulement les modèles psychologiques sont des simplifications de la réalité complexe, mais les connaissances elles-mêmes sont affinées et parfois modifiées au fil de découvertes.

L’efficacité apparait grâce aux modèles mentaux lorsqu’ils nous font percevoir la pertinence d’une pratique, des moyens d’action sur une situation ou l’évidence de la manifestation d’un concept en contexte. De plus, la synergie issue de la complémentarité de différentes stratégies efficaces utilisées à bon escient est l’élément qui fera la différence.

Nous souhaitons que notre compréhension change, progresse, se développe, s’améliore et s’étende au fil du temps. Cela n’est possible que dans la rencontre réflexive entre pratique délibérée et apports théoriques fondés sur des données probantes. Nos modèles mentaux relient les points de la théorie à l’expérience de la pratique. La création d’un modèle mental consiste à tester et à appliquer la théorie. Nous créons ainsi nos propres repères.



La résolution progressive de problèmes pour la pratique de l’enseignement


Plus nous enseignons, plus nous développons des automatismes, plus cela devient facile. Cependant, à un moment donné, nous atteindrons un plateau où les progrès se ralentissent, voire stagnent.

À ce moment-là, nous avons développé une certaine expérience. Toutefois, l’expertise se trouve plus loin encore et demande de poursuivre nos progrès. Ce n’est pas simple et pour le faire nous allons faire face à de nouveaux problèmes, moins faciles à résoudre.

L’expertise n’est pas un état que l’on atteint puis où l’on s’arrête. L’expertise doit être maintenue, ce qui suppose une pratique délibérée continue. 

Lorsque nous atteignons le stade de l’expérience, nous émergeons dans un espace où une grande part des actions de base liées à l’enseignement deviennent aisément gérables. Bien que libérateur au début, ce plateau devient un sillon dont il est difficile de s’échapper, les habitudes s’installent. Elles ne sont pas forcément toutes optimales et se révèlent résistantes au changement par la suite.

Avec l’automaticité, des ressources sont libérées et peuvent être réinvesties. Comment l’écrivent Beriter et Scardamalia (1993), pour que les enseignants progressent, les ressources acquises doivent être réutilisées pour résoudre des problèmes nouveaux et plus difficiles. Le réinvestissement doit devenir une attitude et une perspective.

Ce dépassement de soi propose deux voies opposées disponibles grâce à notre capacité mentale accrue :
  • La réduction des problèmes.
  • La résolution progressive des problèmes.
Obtenir de l’expérience dans un domaine lié à l’enseignement, c’est souvent essentiellement réduire les problèmes. C’est se contenter de la situation dans laquelle l’enseignement est devenu un peu plus facile. Pour le nouvel enseignant, il peut s’agir de la planification, de la gestion du comportement, de la rétroaction ou de tout autre problème rencontré jusqu’à présent. Le problème de la réduction des problèmes est la tendance à se reposer dans cet état. Nous cessons de progresser et de nous améliorer.

À l’opposé se retrouve la démarche de la résolution de problèmes. Si l’automatisation est un ingrédient clé pour atteindre l’expertise, avant d’en être satisfaits, nous devons nous assurer que nous ne nous sommes pas contentés de réduire les problèmes.

La résolution progressive de problèmes commence par l’utilisation de capacités mentales nouvelles et supplémentaires pour prêter attention « à d’autres aspects du problème qui devaient auparavant être ignorés ».

L’enseignement n’a pas de plafond limitant. Nous ne faisons qu’éplucher les couches de complexité au fur et à mesure. Chaque progrès en matière de conception de cours ou de développement de routines libère des ressources pour de nouveaux progrès.

Selon le concept d’investissement de Bereiter et Scardamalia (1993), la résolution progressive de problèmes consiste à réinvestir des ressources mentales :
  • Dans de nouveaux problèmes sur lesquels nous n’avons pas encore travaillé.
  • Dans des versions plus complexes de problèmes sur lesquels nous avons déjà travaillé.



S’engager dans une résolution progressive de problèmes pour la pratique de l’enseignement


La résolution progressive de problèmes ne peut fonctionner que si nous sommes en mesure d’identifier et de travailler sur un petit nombre de problèmes à la fois. Parfois, les étapes pour y arriver sont évidentes. D’autres fois, elles sont loin de l’être. 

La démarche s’amorce du moins au début, avec l’aide des personnes susceptibles de nous aider : des coachs, des mentors, des collègues ou des formateurs experts. 
  • Certains problèmes ont des solutions claires :
    • Cependant, connaitre la solution peut ne pas suffire. 
      • Quelle que soit la réponse, elle doit être intégrée et devenir automatique. 
      • Le fossé entre le fait de savoir et celui de faire est comblé par l’automatisation et l’intégration de solutions dont nous découvrons et expérimentons la réalité. 
    • De nombreux enseignants savent qu’ils doivent changer quelque chose dans leur pratique, mais peinent à y arriver.
      • Les habitudes ancrées, parfois même chez les nouveaux enseignants qui ont été longtemps élèves et observateurs, peuvent rendre le changement difficile.
  • Certains problèmes n’ont pas de solution claire :
    • Parfois, certains problèmes n’ont pas de solutions évidentes, ou nous ne nous sentons pas capables de les mettre en œuvre actuellement.
    • En début de carrière, il est normal de ne pas être capable de résoudre immédiatement toutes les situations délicates en classe. 
    • Si nous disposons d’aide (coach, formateur, collègues experts), nous pouvons être soutenus dans le développement de la compréhension des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Cette aide peut nous fournir l’étayage dont nous avons besoin pour comprendre et mettre en œuvre les solutions.
Il existe donc une tension entre :
  • L’autonomie d’un nouvel enseignant qui consacre du temps à résoudre des problèmes dont les solutions ne sont pas claires
  • Le guidage qu’il reçoit de ses mentors et formateurs.
Les nouveaux enseignants ne devraient pas consacrer plus de temps à la recherche et à la résolution de nouveaux problèmes. Les problèmes majeurs auxquels ils sont confrontés sont ceux qu’ils doivent chercher à résoudre en premier lieu. 

L’accompagnement d’un nouvel enseignant doit être conçu pour aider à trouver des mesures concrètes qui lui permettront de s’améliorer en résolvant ses difficultés immédiates. Le coaching peut apporter des solutions nouvelles à des problèmes dont l’enseignant débutant n’a parfois pas conscience. Il s’accompagne d’un retour d’information auquel il est possible de réagir au fur et à mesure, sans que cela limite l’autonomie et la prise d’initiative.

Le suivi et la résolution progressive des problèmes rencontrés peuvent donner le sentiment de progresser et de contrôler son développement professionnel.


Mis à jour le 11/07/2/2024

Bibliographie


Peter Foster, what do new teachers need to know ?, David Fulton, 2023

Jones, N.A., Ross, H., Lynam, T., Perez, P., and Leitch, A. (2011). Mental models: An interdisciplinary synthesis of theory and methods. Ecology and Society, 16(1), 46.

Mcrea, P. (2017). What do expert teachers need to know? Ambition Institute. www.ambition.org.uk/blog/what-do-expert-teachers-need-to-know/

Bereiter, C., and Scardamalia, M. (1993). Surpassing Ourselves. Open Court Publishing.

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