Comment aborder le modelage des concepts, modèles et analogies en enseignement explicite en mobilisant des organisateurs graphiques ? Un ensemble de pistes inspirées par Pritesh Raichura (2019, 2020).
(Photography : dpcphotography)
Rendre visible la structure implicite des définitions
A priori, la définition d’un concept, illustrée par un paragraphe à travers une série de mots, peut sembler être un élément peu évident à traiter selon les principes du double codage. L’idée est de la transformer sous une forme associant le verbal et le visuel.
Une définition de référence d’un concept clé dans une discipline semblera toujours simple et limpide pour un enseignant, expert dans sa discipline, car il en a manipulé le sens un grand nombre de fois.
Pourtant, une définition de référence peut être susceptible de désarçonner de prime abord un grand nombre d’élèves. Son sens global et profond peut encore leur échapper.
L’idée est de traiter une définition d’un concept dans la logique du double codage afin de la rendre plus compréhensible et plus mémorable pour des élèves.
Face aux organisateurs graphiques et aux cartes conceptuelles, les définitions peuvent sembler un élément peu évident à coder au niveau visuel et verbal. Il faut sortir de l’idée de la définition comme suite précise de mots.
Le manque de compréhension des élèves et la surcharge cognitive engendrée peuvent les amener à opter pour une mémorisation par cœur, mot pour mot. Ils peuvent recopier sans réfléchir la définition pour l’apprendre sans arriver à la comprendre.
Cependant, révéler la structure d’une définition peut être utile pour rendre la définition, mais aussi sa signification plus mémorable.
Prenons l’exemple de définitions textuelles :
- Un acide est une molécule ou un ion, qui possède la capacité de libérer un proton.
- Une base est une molécule ou un ion, capables de capter un proton.
- En écologie, une communauté est un ensemble d’organismes appartenant à des populations d’espèces différentes constituant un réseau de relations.
Une manière très simple de procéder est de structurer les définitions :
Un acide est :
- Une molécule ou un ion
- Capable de libérer un proton.
Une base est :
- Une molécule ou un ion
- Capable de capter un proton.
Une communauté (écologie) :
- Une communauté est un ensemble d’organismes
- Ces organismes appartiennent à des populations d’espèces différentes
- Ces espèces différentes constituant un réseau de relations.
Le fait de structurer une définition va lui permettre d’être plus simple :
- À comprendre en épurant des mots inutiles
- À traiter en mémoire de travail
- À mémoriser en lui conférant un caractère visuel.
Mobilisation en classe de la structure visible des définitions
Une règle à respecter concernant l’introduction de concepts abstraits est que des exemples concrets et des contre-exemples précèdent toujours l’introduction de la définition.
Une fois cela fait, la définition est introduite sous forme de structure visible résumée, élément après élément pour soutenir l’explication.
Nous pouvons ensuite masquer une partie de la définition structurée et demander aux élèves de récupérer ce qui manque. En posant ces questions, nous rendons la structure de la définition explicite pour les élèves.
La structure de la définition aide les élèves à mémoriser, car elle leur permet de se souvenir de sa construction et du nombre d’éléments qu’elle contient.
Sans cette structure, les élèves sont plus susceptibles d’oublier l’un ou l’autre élément ou de les mélanger. C’est la force du double codage : il donne aux élèves une structure sur laquelle ils peuvent accrocher leurs connaissances, en plus des connaissances elles-mêmes.
Grâce au double codage, les élèves peuvent mieux maîtriser les définitions, plus rapidement et plus durablement sans devoir passer par une étude par cœur qui n’apporte pas de sens en elle-même. Progressivement, ils se créent une image mentale de la structure de la définition, de son sens et de son contenu.
Toutes les définitions et toutes les règles n’ont pas besoin d’une structure visible, seuls les éléments complexes composés de plusieurs éléments avec des liens entre eux vont en bénéficier.
La clé d’un bon organisateur graphique de connaissances consiste à trouver un équilibre entre les parties d’une définition que nous pouvons coder et les définitions que les élèves peuvent apprendre sans lui. Il n’est pas nécessaire de tout coder.
Cette méthode ne fonctionne que si la définition est un terme générique ou si elle comporte des éléments constitutifs clairs.
Rendre visible la structure implicite de concepts complexes
Certains concepts sont plus complexes et accompagnés de définitions sensiblement plus longues.
Pour l’enseignant, expert dans son domaine, un concept complexe apparait toujours comme parfaitement structuré dans le cas d’une définition de référence. Le concept complexe est considéré comme un tout, comme un chunk unique mobilisable en mémoire de travail.
L’enseignant n’a pas besoin de réfléchir à un cadre structurel pour organiser les différents éléments constitutifs du concept complexe. Pour lui, c’est un tout. Ce ne sera pas le cas des élèves.
Un bon exercice pour décomposer un concept complexe est d’en faire une carte conceptuelle qui permet d’en décomposer les éléments et de mettre en évidence les liens qui les réunissent. Cela permet de prendre conscience qu’un concept que nous voyons en tant qu’expert comme un élément singulier ne l’est pas en réalité.
La carte conceptuelle sera mieux comprise et mieux apprise par les élèves qu’une description textuelle.
Les liens qui unissent les éléments par de flèches amènent les élèves à réfléchir au sens des relations.
Mobilisation en classe de la structure visible des concepts complexes
Les cartes conceptuelles résumant les concepts complexes deviennent plus opportunes au fur et à mesure que l’on s’approche de la fin d’une unité. Ils permettent de faire des liens entre les différents sujets abordés.
Les parties peuvent être affichées une à une avant une présentation d’ensemble pour garder l’attention des élèves. La signification des liens est mise en évidence dans le modelage. Une fois que chaque idée constitutive a été explicitée et que la compréhension des élèves a été vérifiée, on peut passer à l’affichage de la carte conceptuelle dans son ensemble.
Lorsque l’ensemble du visuel est affiché, les élèves peuvent toujours garder un œil sur les parties précédemment expliquées. Cela signifie que les élèves n’ont pas à conserver trop d’informations dans leur mémoire de travail à un moment donné. Ils peuvent concentrer leur attention sur un élément d’information donné, tout en étant capables de voir de manière périphérique comment cet élément d’information s’intègre dans le reste du schéma.
Il ne suffit pas que les élèves maîtrisent les éléments constitutifs d’une idée complexe après une série de leçons. Ils doivent apprécier la situation dans son ensemble et voir comment tout ce qui a été appris jusqu’à présent s’imbrique.
Pour entrainer les élèves, nous pouvons leur demander le sens des liens, des flèches entre les éléments. Ils élaborent des phrases par écrit pour l’expliciter. Nous pouvons également, plus tard, quand l’apprentissage est un peu plus poussé, les amener à récupérer le contenu des cartes conceptuelles de mémoire.
Rendre visible la structure implicite des modèles d’éléments réels
Par exemple, dans un cours de sciences, beaucoup d’éléments du monde réel sont représentés et légendés. Les diagrammes sont des moyens performants de représenter des objets de la vie réelle sous une forme simplifiée.
Le principal avantage de l’enseignant à concevoir ses propres diagrammes est qu’il peut choisir les caractéristiques les plus saillantes qu’il veut que ses élèves retiennent et écarter les détails qui ne sont pas importants.
Lorsque l’enseignant conçoit un schéma et le dessine lui-même, il choisit les caractéristiques sur lesquelles ses élèves se concentrent. Il va également aller droit au but, car un de ses objectifs va être également d’enseigner à ses élèves comment dessiner ce diagramme.
De plus, le fait de développer ses propres diagrammes est pratique pour dessiner les étapes d’une procédure pratique ou développer une logique dans une représentation.
Mobilisation en classe de la structure implicite des modèles d’éléments réels
Idéalement, le modelage de ce type d’élément se réalise sur une ardoise effaçable sous le visualiseur, étape par étape.
Nous représentons un élément sur lequel nous voulons que les élèves se concentrent et nous donnons aux élèves 15 secondes pour le copier sur leur propre ardoise.
Nous ajoutons ensuite la partie suivante du diagramme et demandons aux élèves de copier.
À la fin du processus, les élèves savent exactement comment nous attendons d’eux qu’ils présentent le diagramme. Nous leur laissons alors le temps de recopier le schéma dans leurs notes de cours, tout en vérifiant rapidement leurs ardoises effaçables.
De cette manière, nous leur donnons l’occasion de s’entrainer. Ils savent également que lors du prochain cours, en entrée, il leur sera demandé de dessiner et légender la même représentation dans le cadre d’un quiz d’entrée.
En standardisant le format de cette manière, l’enseignant gagne le moyen de vérifier la compréhension et l’apprentissage de ses élèves très rapidement.
Sachant qu’ils seront évalués sur la question, les élèves pourront s’exercer de mémoire à la maison. En apprenant un diagramme, ils disposent d’une structure sur laquelle ils peuvent accrocher de nombreuses autres connaissances. Ils acquièrent également des connaissances qui ne nécessitent pas de longues explications.
L’enseignant posera également des questions autour du diagramme afin de rendre les connaissances flexibles et d’amener les élèves à appliquer leurs connaissances. Avec une structure visible, l’enseignant donne à ses élèves un moyen efficace d’organiser leurs connaissances.
Rendre visible la structure implicite des analogies pour des modèles
Les analogies peuvent fournir d’excellents modèles pour des explications claires lorsqu’ils sont utilisés judicieusement. Leur représentation graphique peut s’avérer très utile pour expliquer les différentes parties de l’analogie et la manière dont elles s’articulent avec les connaissances qu’elles représentent.
En sciences, beaucoup de phénomènes ne sont pas visibles ou se passent à des échelles difficiles à saisir. Des modèles analogues vont agir comme des lentilles à travers lesquelles les élèves peuvent apprécier la même idée sous différentes perspectives.
Par exemple, en chimie, les idées oscillent constamment entre :
- Les images de phénomènes visibles du monde réel
- Les représentations des molécules ou d’ions sous forme d’atomes et de liaisons
- Les formules chimiques
Chacun de ces éléments est une manière différente de représenter la même chose. Ils sont équivalents à des lentilles macroscopiques, microscopiques et symboliques à travers lesquelles le monde peut être décrit, ce qui correspond communément au triangle de Johnstone.
Il est important de permettre aux élèves de visualiser ces trois niveaux.
Un autre type d’analogie utile est d’aider les élèves à se familiariser avec une nouvelle idée en la comparant à quelque chose de plus familier. Par exemple, pour faire comprendre la loi des facteurs limitants, l’analogie avec la fabrication de pâtisseries est utile, car c’est l’ingrédient qui viendra à manquer en premier qui déterminera la production totale possible. Cela permet notamment de comprendre pourquoi la quantité de lumière disponible peut être un facteur limitant pour la photosynthèse.
D’autres modèles rendent une idée abstraite plus concrète. Par exemple, les réserves d’énergie en physique peuvent être représentées comme des volumes d’énergie. Sans ce modèle concret, il est très difficile d’imaginer quelque chose d’aussi abstrait que l’énergie.
L’analogie électro-hydraulique permet aux élèves de mieux appréhender des phénomènes électriques comme l’intensité, la résistance ou la tension.
Mobilisation en classe de la structure implicite des analogies pour des modèles
L’enseignement explicite des modèles consiste à expliquer clairement ce que le modèle représente, étape par étape, et à préciser quelles parties sont transférées à la réalité et lesquelles ne le sont pas.
Le visualiseur ou le tableau blanc interactif peuvent être utilisés pour montrer le diagramme et pointer les différentes parties du modèle pour poser des questions au fur et à mesure que vous expliquez.
L’enseignant intègre de la vérification de la compréhension tout au long du processus. Il fait continuellement référence à l’exemple concret et le relie explicitement au modèle.
Le langage est essentiel pour que les élèves puissent s’y référer chaque fois qu’ils utilisent un modèle ou une analogie. Le plus grand risque est que les élèves appliquent mal le langage de l’analogie elle-même à l’idée qu’elle représente.
Les analogies et les modèles présentent également un autre écueil : certains aspects de l’analogie ne s’appliquent pas au concept que nous essayons de transmettre. Ces limites doivent elles-mêmes être rendues explicites au moment opportun dans les explications.
C’est l’enseignant qui guide l’interprétation du modèle. Il ne faut pas demander aux élèves de deviner comment ils pensent que les différentes parties d’un modèle sont liées au phénomène réel. Cela nuirait à la clarté de notre explication et est susceptible d’apporter de la confusion. Il suffit de le leur dire explicitement. De plus, la démarche a toutes les chances de favoriser les élèves plus avancés dans la classe, c’est-à-dire ceux qui ont déjà beaucoup de connaissances de base et ont reçu l’explication préalablement.
Pièges et dévoiements du double codage
Des mutations létales sont possibles dans les usages du double codage :
Des diagrammes et des représentations visuelles esthétiquement attrayantes ne se traduisent pas nécessairement par un meilleur apprentissage. Si les enseignants prennent le temps d’ajouter de nombreux diagrammes et éléments visuels à leurs ressources en pensant à tort que cela apporte une valeur ajoutée à l’apprentissage, alors le principe du double codage est dévoyé.
Toute représentation graphique qui n’est pas assez précise pour représenter exactement, aussi sûrement et plus clairement que verbalement des contenus à apprendre ne présente aucun avantage.
Toute représentation graphique qui apporte une dimension abstraite supplémentaire doit être proscrite, car le double codage doit rendre l’abstrait concret et non l’inverse.
Nous pouvons citer quelques-unes de ces erreurs typiques :
- Des icônes pour représenter les titres
- Des images ou représentations décoratives dont l’interprétation peut être multiple
- Un diagramme qui représente un seul concept abstrait de façon métaphorique
- Des représentations visuelles trouvées sur le web ou dans des manuels, qui ne correspondent pas parfaitement aux informations à faire passer et présentent une large variété entre eux
L’intérêt du double codage est de rendre une idée plus simple à suivre, et non plus esthétique ou compliquée. Toute surcharge éloigne des principes du double codage et risque de perdre ses avantages. Le principal avantage du double codage est de faciliter la compréhension et l’apprentissage, pas d’améliorer l’esthétique.
Si des éléments sont triviaux ou ne sont pas importants à apprendre, le double codage est inutile en ce qui les concerne.
Si le double codage ajoute une dimension humoristique ou des références sans lien direct avec l’apprentissage alors ces apports sont inutiles.
Les éléments graphiques que les élèves doivent retenir doivent être en lien direct avec les apprentissages. S’ils ne sont que périphériques, ils peuvent simplement être fournis par défaut et les élèves n’ont qu’à les compléter.
Le double codage doit être pensé pour présenter des informations utiles mieux que ne le ferait un support textuel.
Voici une liste de vérification pour l’inclusion d’éléments visuels répondant au double codage :
- Ce diagramme rend-il explicite aux élèves une structure d’organisation implicite ?
- Ce diagramme rend-il exactement le contenu que je veux enseigner plus mémorable ?
- Ce diagramme permet-il de créer facilement une image mentale ?
Si la réponse est non, alors la tentative de double codage n’est sans doute pas justifiée et il vaudrait mieux s’en passer.
Si la réponse est chaque fois oui, les diagrammes peuvent rendre les explications beaucoup plus claires et mémorables pour les élèves.
Mis à jour le 25/06/2024
Bibliographie
Pritesh Raichura, 2019, Clear Teacher Explanations 2b: dual coding – definitions & complex ideas, https://bunsenblue.wordpress.com/2019/12/11/clear-teacher-explanations-2b-dual-coding-definitions-complex-ideas/
Pritesh Raichura, 2020, Clear Teacher Explanations 2d: Faithful Diagrams,
https://bunsenblue.wordpress.com/2020/04/19/clear-teacher-explanations-2d-faithful-diagrams/
Pritesh Raichura, 2020, Clear Teacher Explanations: 2e — Visual Models, https://bunsenblue.wordpress.com/2020/04/20/clear-teacher-explanations-2e-visual-models/
Pritesh Raichura, 2020, Clear Teacher Explanations 2f: Dual Coding Mistakes, https://bunsenblue.wordpress.com/2020/04/21/clear-teacher-explanations-2f-dual-coding-mistakes/
0 comments:
Enregistrer un commentaire