jeudi 25 avril 2024

Clarifier ce que les élèves doivent apprendre pour mieux enseigner

Pour s’engager, comprendre et apprendre efficacement, les élèves ont besoin d’avoir leur attention guidée progressivement vers les bonnes ressources et les bons objectifs. Cette démarche est le fruit d’un travail de conception pour l’enseignant.

(Photographie : Dolphin Rocket)




L’organisateur graphique comme instrument de planification


Il est nécessaire de spécifier exactement ce que nous voulons que les élèves apprennent au cours de chaque unité, en matière de connaissances et de compétences. Ces éléments peuvent être déclinés au fil d’une succession d’objectifs d’apprentissage. Ils peuvent également être rassemblés et intégrés dans le cadre d’un organisateur graphique.

Un organisateur graphique de connaissances peut rassembler tout ce que les élèves doivent savoir pour comprendre les idées sous-jacentes et développer une vue d’ensemble d’une unité de matière. Il reprend, en associant le verbal et le visuel, les éléments clés. Il exclut tout ce qui n’était pas concret et essentiel. Les organisateurs graphiques sont spécifiques et se conçoivent en fonction des matières. 

Un organisateur graphique résume l’unité de manière compréhensible. À ce titre, il aide l’enseignant à planifier des leçons plus ciblées. L’enseignant commence par choisir un segment approprié de l’organisateur graphique qu’il va enseigner et revient sur les idées clés précédemment introduites, au fil des leçons.

La spécification des termes clés par l’organisateur graphique permet de les introduire de manière stratégique et de vérifier leur compréhension par les élèves tout au long de l’unité. Ils repassent régulièrement dans notre champ de vision et le leur.

Les organisateurs graphiques peuvent nous aider pour la conception des quiz, des devoirs, des évaluations formatives et des évaluations diagnostiques.

Toutefois, même si un organisateur graphique nous aide à planifier, il ne nous prépare pas à enseigner ou à établir des liens entre les idées. Ils constituent un outil, mais de nombreuses décisions restent à l’initiative de l’enseignant en ce qui concerne l’enseignement et sa flexibilité en fonction de l’apprentissage des élèves.



L’importance de l’expertise dans le contenu pédagogique


Une planification efficace des éléments clés de l’enseignement nous amène à nous appuyer sur notre expertise du contenu pédagogique.

Cette expertise repose à la fois sur la connaissance du contenu et sur la connaissance de la manière de soutenir son apprentissage auprès des élèves.

Elle se manifeste dans le mélange du contenu et de la pédagogie. Elle se retrouve dans une compréhension de la façon dont des sujets, des problèmes ou des questions particuliers sont organisés, représentés et adaptés aux divers intérêts et capacités des apprenants, et présentés pour l’enseignement (Shulman, 1987). 

Ball, Thames et Phelps (2008) ont proposé une extension de cette définition qui offre un cadre utile pour la planification : 
  1. La connaissance du contenu et de l’enseignement (créer une banque d’option sur les représentations)
  2. La connaissance du contenu et des élèves
  3. L'horizon de connaissance



Créer une banque d’option sur les représentations à utiliser dans l’enseignement


Un enseignant doit déterminer les exemples avec lesquels il va commencer le modelage et ceux qu’il va utiliser pour approfondir le contenu avec les élèves. 

Les enseignants évaluent les avantages et les inconvénients pédagogiques des différentes représentations utilisées pour enseigner une idée spécifique. Ils sont amenés à identifier ce que les différentes méthodes et procédures permettent ou ne permettent pas sur le plan pédagogique. 

Nous choisissons des représentations et des explications qui aident les élèves à se rapprocher progressivement de la compréhension de la véritable complexité d’une idée. L’enjeu est de ménager la charge cognitive et de prendre en considération les connaissances préalables.

Cela implique la sélection et le choix de représentations : 
  • D’images
  • De diagrammes et de cartes conceptuelles. 
  • De graphiques
  • D’exemples
  • De productions exemplaires
  • De structures narratives
  • D’expériences
  • D’analogies
Le choix de ses représentations ne se fait pas à l’échelle du cours, mais à l’échelle de l’unité de matière. Cela facilite la collaboration entre enseignants et la cohérence d’ensemble. Cela permet de constituer une banque d’options complète avant même de commencer à enseigner l’unité.

Cette collaboration et la constitution d’une telle ressource, permettent le partage d’expertise et de mieux peser les avantages et les inconvénients de chaque représentation en fonction du contexte.

Basiquement, si les élèves ont besoin d’être exposés de façon répétée aux idées clés, cela ne veut pas dire qu’il faut les répéter, car cela sera source d’ennui, de démotivation et ne permettra pas un approfondissement.

En même temps, l’esprit des élèves a besoin de temps pour traiter les nouvelles informations. Ils doivent par conséquent avoir la possibilité d’aborder la matière de différentes manières (Nuthall, 2007).
 
Une banque d’options permet d’enseigner des concepts avec la représentation qui semble la plus susceptible d’aider les élèves d’après notre expertise et notre connaissance du contexte. Elle nous propose également des alternatives si les élèves ont des difficultés. E

Il nous permet d’établir un lien entre les représentations concrètes et abstraites et aide les élèves à transférer leur apprentissage d’un contexte à l’autre par le biais d’un effacement du caractère concret. Nous introduisons une idée à l’aide de représentations concrètes, puis passons à une abstraction croissante (Pashler et col., 2007).

Par exemple, nous commençons par des photos d’un processus en sciences, puis nous passons progressivement à des diagrammes et à une carte conceptuelle. 



Prise en compte des conceptions erronées, des difficultés de compréhension et des erreurs typiques


Comme l’écrivent Ball et ses collègues (2008), les enseignants doivent anticiper ce que les élèves sont susceptibles de penser et ce qu’ils trouveront déroutant. La connaissance des conceptions et des idées fausses les plus courantes chez les élèves est essentielle à ces tâches. 

Avec l’expérience de l’enseignement, nous développons un sixième sens pour détecter les idées fausses des élèves et celles qu’ils développent au cours d’une unité. Les idées fausses sont des croyances qui vont à l’encontre de ce qui doit être appris, plutôt que des erreurs ou des lacunes en matière de connaissances (Chi, 2008).

Beaucoup de ces conceptions erronées sont liées aux connaissances biologiques primaires dans les champs de la biologie, de la physique ou de la psychologie. 

Par exemple :
  • Nous avons tendance à penser que les objets coulent parce qu’ils sont lourds, et non parce qu’ils sont denses. Beaucoup de confusions existent également sur la circulation du sang, sur celle du courant électrique, sur les mouvements des astres ou la taille comparée des atomes et des cellules.
  • Nous avons tendance à surgénéraliser certaines règles d’orthographe ou en mathématiques, et à les utiliser dans des contextes ou des cadres qui ne s’y prêtent pas. 
  • Nous avons tendance à adopter des vues simplifiées de concepts substantiels.
  • Nous avons des réactions de bon sens face à la nature contre-intuitive de certaines connaissances scolaires.
Les idées fausses reposent souvent des déductions logiques des élèves, ou parfois sur des simplifications pratiques des enseignants ou des parents. Elles ont été apprises et mémorisées et ne peuvent être oubliées complètement. Elles peuvent entraver l’apprentissage. Elles doivent être prises en compte dans une démarche d’enseignement.

La plupart des idées fausses sont spécifiques aux matières et aux sujets. Elles sont probables et il est possible de les anticiper avant d’enseigner un cours pour la première fois. En sciences et en mathématiques, il existe de vastes collections d’idées fausses référencées.

Même dans les matières où il n’existe pas de collections organisées, les enseignants peuvent s’appuyer sur leur expérience et celle de leurs collègues. 

Nous pouvons dès lors nous préparer des réponses aux idées fausses, ce qui représente souvent une tâche de longue haleine :
  • Les individus changent leurs croyances conceptuelles à contrecœur, voire pas du tout, même lorsqu’ils rencontrent des informations contradictoires (Posner et coll., 1982). 
  • Les concepts existants semblent « protégés » contre les nouvelles expériences (Nuthall, 2007). 
  • Les gens peuvent maintenir indéfiniment des idées fausses, au lieu de les supprimer (Potvin, Sauriol et Riopel, 2015). 
En recueillant les idées fausses dans le cadre d’une évaluation diagnostique, nous devenons plus attentifs et mieux préparés à les contrer.


 

L’horizon de connaissances


Selon Ball et ses collègues (2008), l’horizon de connaissances est une conscience de la façon dont les sujets d’une discipline (par exemple les mathématiques) sont liés entre eux dans l’ensemble du programme d’études. 

Les enseignants de première année, par exemple, peuvent avoir besoin de savoir comment les mathématiques qu’ils enseignent sont liées aux mathématiques que les élèves apprendront en troisième année. De cette manière, ils peuvent établir les bases mathématiques de ce qui viendra plus tard. Cela inclut également la vision utile pour voir les liens avec des idées mathématiques beaucoup plus tardives.

Ce que nous enseignons maintenant dans notre matière à nos élèves est en lien avec ce qu’ils apprendront par la suite. 

Par conséquent, il est toujours important de faire le lien entre l’apprentissage actuel et le reste du programme scolaire. Nous devons nous assurer que les élèves réactivent leurs connaissances préalables et les relient au sujet actuel. Nous devons également préfigurer les liens futurs en leur annonçant les développements futurs. Nous présentons les nouvelles connaissances dans un contexte d’application large, ce qui facilitera les prédictions pour les élèves. Ces liens aident les élèves à renforcer et à réorganiser leurs connaissances existantes, ainsi qu’à les compléter. 

Nous souhaitons que les élèves transfèrent l’apprentissage existant dans de nouveaux contextes. Des indices explicites tels que ces liens que nous les aidons à développer peuvent les aider à le faire. Des connexions avec les connaissances préalables et les connaissances à venir peuvent aider les élèves à répondre de manière plus sophistiquée. La planification des liens augmente les chances que les élèves les manifestent dans leurs productions.

De même, il est utile de baliser les liens entre les matières scolaires. Notamment, des liens concrets sont nécessaires entre les sciences et les mathématiques pour l’utilisation des graphiques ou de concepts. 

La répétition des idées clés les renforce pour les élèves et développe leur compréhension des concepts de fond. La planification des liens permet aux enseignants de les mettre en évidence. Cette approche demande aux élèves d’établir des liens sur la base de leurs connaissances. Planifier l’utilisation des connaissances de l’horizon permet d’introduire des connexions et aide les élèves à organiser et à renforcer leurs connaissances. 



Associer les différentes composantes de la planification


Une fois les différents éléments de la planification des apprentissages définis, il nous reste à les associer sous forme de plans d’unité. 

Ceux-ci doivent nous permettre de mettre en séquence les connaissances spécifiées dans l’organisateur graphique et les connaissances du contenu pédagogique qui ont été recueillies. Ce plan d’unité intègre également les représentations, les concepts seuils et les conceptions erronées.

Ce plan d’unité gagne également à intégrer certains éléments de la conception pédagogique tels que les objectifs pédagogiques ou les intentions d’apprentissage. 

Ce plan d’unité peut établir le séquencement des idées clés à inclure dans les leçons. Il doit permettre également de prévoir de revenir sur les idées clés tout au long de l’année. Cela a lieu par l’utilisation de tests formatifs à la fois pour vérifier si les élèves ont retenu ces idées. L’idée est également d’améliorer la rétention de ces idées par les élèves par la pratique de récupération (Pashler et coll., 2007). 



Développer son expertise et l’expertise collective à travers des outils de planification


Toutes ces démarches liées à la planification ne sont pas nouvelles en soi. Elles sont l’apanage des enseignants experts qui s’appuient sur des modèles mentaux de ce qui doit être enseigné, plutôt que de rédiger des plans de cours. Cela leur permet de renverser leur planification pour la faire coller aux besoins. Ils ont intériorisé ce type de planification d’unité et peuvent improviser sur cette base, en s’appuyant spontanément sur leur connaissance des représentations et des idées fausses des élèves (Livingston et Borko, 1989). 

Pour de nombreux enseignants débutants ou expérimentés, mais qui ne correspondent pas à la définition de l’expertise, ces outils de planification permettent de développer explicitement par une pratique délibérée leurs compétences. Par cela, ils peuvent œuvrer à développer leur propre expertise.

Pour les enseignants qui débutent dans un cours, le fait d’identifier les connaissances et le contenu pédagogique nécessaires leur évite de le faire une leçon à la fois, et les laisse bien mieux préparés. Les novices planifient minutieusement, car ils sont encore en train de créer un modèle mental de ce qui doit être enseigné (Livingston et Borko, 1989). Cette approche peut aider les enseignants à construire plus rapidement des modèles mentaux de ce qui doit être enseigné. 

Ce qui est vrai à l’échelle d’un enseignant l’est tout autant à l’échelle d’une équipe disciplinaire. Les enseignants d’une même discipline au sein d’un établissement scolaire peuvent utiliser cette approche pour codifier et combiner l’expertise de chacun des enseignants en une force collective.

Les plans de cours comme les slides d’une présentation ne sont pas aisément transférables. Par contre, les représentations, les organisateurs graphiques et les connaissances sur les conceptions erronées peuvent être utilisés partout, adaptés aux contextes, aux besoins et aux préférences des enseignants.

L’élaboration de plans d’unité en collaboration peut aider les enseignants à partager leurs connaissances plus efficacement.



Bibliographie 


Harry Fletcher-Wood, Responsive Teaching, Routledge, 2018

Ball, D., Thames, M., et Phelps, G. (2008). Content knowledge for teaching : What makes it special ? Journal of Teacher Education, 59(5), pp. 389-407. 

Shulman, L. (1987). Knowledge and teaching: Foundations of the new reform. Harvard Educational Review , 57(1), pp. 1–23.

Nuthall, G. (2007). The hidden lives of learners . Wellington, NZ: New Zealand Council for Educational Research.

Pashler, H., Bain, P., Bottge, B., Graesser, A., Koedinger, K., McDaniel, M. and Metcalfe, J. (2007). Organizing instruction and study to improve student earning (NCER 2007–2004). Washington, DC : National Center for Education Research, Institute of Education Sciences, U.S. Department of Education.

Chi, M. T. H. (2008). Three types of conceptual change: Belief revision, mental model transformation and categorical shift. In Vosniadou, S. (ed.), Handbook of research on conceptual change . Hillsdale, NJ: Erlbaum, pp. 61–82.

Posner, G., Strike, K., Hewson, P. and Gertzog, W. (1982). Accommodation of a scientific conception: Toward a theory of conceptual change. Science Education, 66(2), pp. 211–227.

Potvin, P., Sauriol, .. and Riopel, M. (2015). Experimental evidence of the superiority of the prevalence model of conceptual change over the classical models and repetition. Journal of Research in Science Teaching , 52(8), pp. 1082–1108.

Livingston, C. and Borko, H. (1989). Expert-novice differences in teaching: A cognitive analysis and implications for teacher education. Journal of Teacher Education , 37, pp. 36–42.

0 comments:

Enregistrer un commentaire