Si l’enseignant ne prend pas en compte les mécanismes cognitifs qui soutiennent le développement d’apprentissages durables, il peut passer à côté de sa mission première.
(Photographie : Stanley Bloom)
Comprendre la situation où des contenus ont été enseignés, mais que les élèves n’ont pas appris
D’une certaine manière, un enseignant peut considérer que si le contenu a été enseigné et qu’il a vérifié dans la foulée la compréhension de ses élèves, sa mission est terminée. Si lors de l’évaluation ultérieure les élèves montrent qu’ils n’ont pas appris, il pourrait considérer qu’ils en sont pleinement responsables de leur oubli.
Cependant, il existe une autre façon d’interpréter ce scénario qui révèle un aspect important de l’enseignement et de l’apprentissage, la consolidation :
- L’enseignant a enseigné un contenu à ses élèves.
- Les élèves ont accompli de manière satisfaisante les tâches qui leur étaient assignées.
- Les élèves ont pu démontrer les compétences pertinentes à la fin de l’activité et le lendemain et peut-être même le surlendemain.
- Les élèves n’ont pas été en mesure de reproduire les mêmes preuves d’apprentissage deux semaines plus tard.
Que se passe-t-il alors ? Où se situe le problème ?
Les élèves ont compris, ils ont peut-être établi un apprentissage initial, mais celui-ci n’est pas devenu durable.
L’importance de la définition de l’apprentissage adoptée par l’enseignant
Kirschner et ses collègues (2006) suggèrent que l’apprentissage est « un changement dans la mémoire à long terme ».
Pour comprendre cette expression, il faut saisir que la mémoire à long terme comprend tout ce dont nous nous souvenons à long terme, comme l’apparence de nos proches ou la manière de conduire une voiture. Si nous n’avons pas besoin de réapprendre ou de réétudier certaines connaissances chaque fois que nous devons nous en souvenir, c’est qu’elles sont mémorisées à long terme.
Dès lors, le but de tout enseignement est de modifier le contenu de la mémoire à long terme. Par conséquent, si rien n’a changé dans la mémoire à long terme, rien n’a été appris (Kirschner et ses collègues, 2006).
Par conséquent, si les élèves peuvent faire quelque chose à la fin d’une leçon, mais ne peuvent pas le faire plus tard, aucun apprentissage n’a eu lieu. Ce phénomène complique l’enseignement.
Ce qui rend le processus encore plus difficile est que la plupart des enseignants ne reçoivent que peu ou pas d’informations sur le fonctionnement de la mémoire humaine dans le cadre de leurs programmes de formation initiale.
Or, en tant qu’enseignants, nous sommes principalement actifs dans le domaine de la mémoire. Nous voulons que nos élèves se souviennent de ce que nous leur enseignons.
Par conséquent, une grande partie de ce qui se passe dans les écoles repose sur des modèles d’apprentissage et de mémoire qui, au mieux, ne s’appuient pas sur ce que dit la recherche en sciences cognitives. Dès lors, nous pouvons craindre que la manière dont l’apprentissage se déroule puisse être sur certains aspects en contradiction avec cette recherche.
Dépasser le cadre de conceptions désuètes sur le fonctionnement de la mémoire
Comme le rapporte Dylan Wiliam (2020), les croyances de la plupart des gens sur le fonctionnement de la mémoire sont semblables à la « loi de l’exercice » formulée pour la première fois par Edward Thorndike en 1913.
La loi de l’exercice résume deux autres lois :
- La loi de l’utilisation :
- Si nous utilisons les choses que nous avons apprises, la mémoire se renforce.
- La loi de la désuétude :
- Si nous n’utilisons pas les choses que nous avons apprises, la mémoire s’affaiblit.
- Si nous sommes incapables de nous souvenir de quelque chose que nous savions autrefois, nous supposons que la mémoire a été tellement affaiblie qu’elle a disparu.
Une faille importante de ce modèle est que ce qui a été appris précédemment ne disparait pas, mais devient simplement difficile à retrouver. Par exemple, nous pouvons reconnaitre certains concepts que nous sommes incapables de récupérer. Ils peuvent nous sembler immédiatement familiers. De plus, une fois que nous avons appris et oublié quelque chose, il est plus rapide de le réapprendre, preuve que des traces existaient en mémoire.
Dès lors, il importe de faire une distinction entre le stockage de connaissances et la récupération de connaissances en mémoire à long terme.
La distinction entre le stockage de connaissances et la récupération de connaissances en mémoire à long terme est au centre de la « nouvelle théorie de la désuétude » développée par Robert et Elizabeth Bjork (Bjork et Bjork, 1992).
Tout élément de la mémoire présente deux caractéristiques :
- La force de stockage (la qualité de l’apprentissage) qui s’intéresse à la durabilité des apprentissages.
- La force de récupération (la facilité avec laquelle cet élément peut être récupéré à tout moment) qui s’intéresse à la performance à un moment donné.
L’importance de la pratique de récupération pour favoriser la mémorisation
L’une des hypothèses importantes de la « nouvelle théorie de la désuétude » développée par Robert et Elizabeth Bjork (Bjork et Bjork, 1992) porte sur ses deux forces :
- La force de récupération qui peut augmenter ou diminuer
- La force de stockage qui ne peut qu’augmenter.
Si nous avons déjà appris quelque chose précédemment, la trace est toujours présente. Ce qui peut être difficile, c’est de la retrouver à un moment donné.
La force de stockage augmente à la fois en réétudiant un élément ou en le récupérant avec succès de la mémoire, mais que la récupération a un impact plus important sur la force de stockage que l’étude répétée. De plus lorsque la récupération est difficile, mais est réussie, l’impact sur la force de stockage est plus élevé que lorsque la récupération est facile. Lorsque la récupération devient aisée, la force de stockage cesse d’augmenter.
La récupération améliore davantage l’apprentissage à long terme que l’étude répétée. Lorsque nous parvenons à extraire des éléments de notre mémoire, celle-ci se renforce. C’est ce qu’on appelle en psychologie cognitive « l’effet test ».
L’effet test invalide d’emblée l’argument selon lequel les élèves sont trop testés à l’école. En matière d’apprentissage, cette affirmation est erronée.
Lorsque les élèves sont testés sur quelque chose, ils sont obligés de retrouver des éléments de leur mémoire et cette pratique de récupération renforce en fait la mémoire. En fait, la pratique des tests est l’une des stratégies les plus solidement étayées pour améliorer l’apprentissage dans toute la psychologie (Dunlosky, Rawson, Marsh, Nathan et Willingham, 2013).
Une comparaison entre réétude et pratique de récupération
La pratique de récupération renforce l’apprentissage à long terme davantage que la réétude. Cependant à court terme la réétude est plus efficace, mais génère également une illusion de connaissance. Par contre, la récupération fait prendre conscience des difficultés et de la fragilité de l’apprentissage.
La familiarité accrue induite par la relecture fait croire aux élèves qu’ils apprennent plus avec l’étude qu’avec la récupération, alors qu’en fait ils apprennent moins. La conséquence est que les apprenants vont avoir tendance à exprimer une préférence pour des approches de l’apprentissage qui sont plus efficaces à court terme. Le problème est qu’elles conduisent à un apprentissage moins efficace à long terme (Bjork, 1994).
Les tests pratiques présentent un autre avantage. Lorsque les élèves découvrent qu’une réponse qu’ils pensaient correcte est en fait incorrecte, ils ont tendance à se souvenir de la bonne réponse plus longtemps que s’ils l’avaient simplement devinée. En outre, plus les élèves sont convaincus que leurs réponses sont correctes, plus l’effet d’apprentissage de la correction est important. Cette découverte est assez surprenante, car auparavant, les chercheurs pensaient que lorsque les élèves avaient davantage confiance en leurs réponses, leurs idées étaient plus résistantes au changement, alors que c’est plutôt l’inverse qui semble se produire. Ce phénomène a été baptisé « effet d’hypercorrection », ce qui signifie que les erreurs commises avec une grande confiance sont hypercorrigées (Butterfield et Metcalfe, 2001).
Il y a une des hypothèses importantes de la « nouvelle théorie de la désuétude » développée par Robert et Elizabeth Bjork (Bjork et Bjork, 1992). L’augmentation de la force de stockage produite par le fait de réétudier quelque chose ou de le retrouver avec succès dans la mémoire est plus importante lorsque la force de récupération est faible.
Lorsque des contenus sont moins familiers, les effets d’une nouvelle étude sont plus importants. Lorsque quelque chose est plus difficile à extraire de la mémoire, l’effet d’une extraction réussie de la mémoire sur la rétention à long terme est plus important.
L’étude et la récupération augmentent davantage la force de stockage lorsque la force de récupération est faible.
Il y a une conséquence immédiate de l’idée selon laquelle l’étude et la récupération améliorent davantage la force de stockage lorsque la force de récupération est faible. L’étude d’une matière de manière massée ou bachotage (c’est-à-dire tout étudier juste avant une évaluation durant une seule session de travail) est peu efficace. Il est plus efficace d’étaler la même durée d’étude sur plusieurs sessions, ce qu’on appelle pratique espacée.
Implications de la pratique de récupération pour l’enseignement
En ce qui concerne la mémoire, comme dans de nombreux domaines de l’expérience humaine, beaucoup de nos intuitions sur les types de pratiques les plus efficaces sont erronées. Cela peut mener à une utilisation inefficace du temps limité dont nous disposons pour enseigner à nos élèves, qui est utilisé de manière inefficace et inefficiente.
1) L’importance des tests
Nous connaissons l’efficacité des tests pour soutenir l’apprentissage depuis plus de cent ans. De plus, des tests réguliers semblent réduire l’anxiété face aux tests (Agarwal, D’Antonio, Roediger, McDermott et McDaniel, 2014).
Une idée claire est que les élèves ne tirent aucun avantage supplémentaire des tests de pratique lorsque l’enseignant enregistre une note dans un carnet de notes. Les avantages proviennent de la pratique de récupération, lorsque les élèves font le test, et de l’hypercorrection, lorsque les élèves découvrent qu’une réponse qu’ils pensaient correcte est en fait incorrecte. La meilleure personne pour évaluer la qualité d’un test d’entraînement est donc celle qui vient de le passer. C’est pourquoi les élèves sont susceptibles de bénéficier considérablement d’une utilisation accrue de tests « sans enjeux ». Les élèves effectuent des tests dans des conditions de test. Ils reçoivent ensuite le correctif et la clé de notation, afin de pouvoir noter leur propre test. Ils n’ont pas à dire à l’enseignant comment ils se sont comportés, à moins qu’ils ne le souhaitent.
2) L’importance d’une pratique distribuée
Les enseignants croient que leurs élèves préfèrent passer beaucoup de temps sur un seul sujet et n’aiment pas le changement. La conséquence très directe de l’application de cette croyance est qu’ils retiendront probablement moins bien ce qui leur est enseigné, car des opportunités de pratique de distribution seront manquées.
Basiquement, la recherche sur la pratique distribuée montre que deux sessions d’une heure séparées par un intervalle suffisamment long pour que les élèves commencent à oublier ce qu’ils ont appris lors de la première session sont rentables. Cela se traduira par un meilleur apprentissage à long terme qu’une session de deux heures.
La difficulté de l’application de ce principe vient de la variabilité. Différents types de contenus enseignés peuvent être oubliés à des rythmes différents suivant les élèves. Dès lors, un jugement éclairé de l’enseignant fondé sur sa propre expertise et une vérification de la compréhension sera essentiel pour mettre ces idées en pratique.
Il est important que les enseignants soient conscients de l’impact positif des tests dans le cadre d’une pratique distribuée en classe. Ils doivent également être bien conscients que la qualité de mise en œuvre d’une telle pratique nécessitera l’exercice d’un jugement professionnel adéquat.
La mise en œuvre de ces dimensions peut être progressive. Les enseignants peuvent commencer par répartir et assurer une pratique de récupération distribuée pour une part de leur matière seulement.
Les enseignants peuvent alors vérifier l’impact d’une telle démarche sur l’apprentissage de leurs élèves.
De même, un enseignant peut commencer à mobiliser des tests formatifs « sans enjeux » ou des quiz pour l’enseignement d’une partie de leur matière, les autres sujets étant enseignés de manière traditionnelle.
Lorsque les élèves passent un test ou un examen de fin de trimestre ou de fin d’année, il sera possible de voir si les élèves obtiennent de meilleures notes sur les sujets enseignés de cette façon.
La difficulté liée à l’identification d’un bon enseignement par l’observation
L’idée que l’apprentissage est un changement dans la mémoire à long terme remet également en question l’idée de rechercher et de mesurer des progrès à l’échelle d’une leçon.
Dès lors, l’identification d’un bon enseignement est extraordinairement difficile parce qu’elle nécessite de prédire dans quelle mesure ce qui se passe actuellement dans une leçon sera mémorisé dans deux ou trois semaines.
Paradoxalement, la force de stockage augmente davantage lorsque la force de récupération est faible. Les apprenants ont besoin de « difficultés désirables » dans l’apprentissage (Bjork, 1994). Il s’agit de situations où la récupération est plus difficile et, par conséquent, susceptible d’avoir un impact plus important sur l’apprentissage à long terme.
Cela signifie que des cours qui semblent très efficaces peuvent être inefficaces et que des cours qui donnent du fil à retordre aux élèves peuvent les amener à se souvenir davantage. Comme le dit Daniel Willingham (2009), « la mémoire est le résidu de la pensée ».
Une recherche de Strong, Gargani et Hacifazlioglu (2011) illustre nettement cette difficulté :
- Les chercheurs ont constitué un groupe de 165 chefs d’établissement expérimentés et leur ont fait visionner individuellement les vidéos de huit enseignants.
- Quatre enseignants avaient été particulièrement efficaces au cours des trois dernières années (leurs élèves ayant réalisé des progrès nettement supérieurs à la moyenne). Quatre autres avaient été moins efficaces au cours de la même période (leurs élèves ayant réalisé des progrès nettement inférieurs à la moyenne au cours de chacune des trois dernières années).
- Après avoir visionné les vidéos, les responsables ont été invités à déterminer quels enseignants appartenaient au groupe le plus efficace et lesquels appartenaient au groupe le moins efficace.
- Le nombre moyen de réponses correctes pour les 165 responsables était de 3,85/8. En d’autres termes, ils auraient obtenu de meilleurs résultats en jouant à pile ou face.
L’observation de l’enseignement n’est pas un moyen particulièrement efficace de déterminer si les élèves apprennent et, le cas échéant, ce qu’ils apprennent.
Mesurer les apprentissages et leur progression de manière synoptique
L’observation de l’enseignement en temps réel n’est pas un moyen particulièrement efficace de déterminer si les élèves apprennent et, le cas échéant, ce qu’ils apprennent.
Dès lors, une évaluation périodique est non seulement souhaitable, mais aussi absolument essentielle.
De plus, nous devons éviter la création d’une culture « d’apprentissage et d’oubli ». À l’intérieur de celle-ci, les élèves ne sont testés que sur ce qu’ils ont appris au cours des deux ou trois semaines précédentes, l’évaluation doit être synoptique.
Le contexte d’une évaluation synoptique est qu’elle devrait tester, même un test de fin d’unité, la rétention par les élèves du contenu des unités précédentes, et peut-être même des années précédentes.
Les résultats de telles évaluations permettront aux élèves de s’exercer à la récupération, mais ils fourniront également des informations précieuses sur la qualité de l’enseignement :
- Elles permettent de savoir si les élèves apprennent réellement ce qui leur est enseigné.
- Les résultats des élèves à ces évaluations de révision fournissent des preuves précieuses de l’adéquation entre ce qui est enseigné aux élèves et ce qui est évalué.
De mauvais résultats à un test ne signifient pas nécessairement que les élèves n’apprennent rien, mais plutôt que ce qu’ils apprennent n’est pas pris en compte par ce test particulier.
Mis à jour le 23/06/2024
Bibliographie
Wiliam, D, Learning and memory, The ResearchED Guide to Leadership: An Evidence-informed Guide for Teachers, John Catt, 2020
Agarwal, P. K., D’Antonio, L., Roediger III, H. L., McDermott, K. B. and McDaniel, M. A. (2014) ‘Classroom-based programs of retrieval practice reduce middle school and high school students’ test anxiety’, Journal of Applied Research in Memory and Cognition 3 (3) pp. 131-139.
Bjork, R. A. (1994) ‘Memory and metamemory considerations in the training of human beings’ in Metcalfe, J. and Shimamura, A. P. (eds) Metacognition: Knowing about knowing. Cambridge, MA : MIT Press, pp. 188-205.
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Butterfield, B. and Metcalfe, J. (2001) ‘Errors committed with high confidence are hypercorrected’, Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition 27 (6) pp. 1491-1494.
Dunlosky, J., Rawson, K. A., Marsh, E. J., Nathan, M. J. and Willingham, D. T. (2013) ‘Improving students’ learning with effective learning techniques: Promising directions from cognitive and educational psychology’, Psychological Science in the Public Interest 14 (1) pp. 4-58.
Kirschner, P. A., Sweller, J. and Clark, R. E. (2006) ‘Why minimal guidance during instruction does not work: An analysis of the failure of constructivist, problem-based, experiential, and inquiry-based teaching’, Educational Psychologist 41 (2) pp. 75-86.
Strong, M., Gargani, J. and Hacifazlioglu, O. Z. (2011) ‘Do we know a successful teacher when we see one? Experiments in the identification of effective teachers’, Journal of Teacher Education 62 (4) pp. 367-382.
Willingham, D. T. (2009) Why don’t students like school: A cognitive scientist answers questions about how the mind works and what it means for your classroom. San Francisco : Jossey-Bass.
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