mercredi 17 avril 2024

Développement de l’expertise des enseignants

Le développement de l’expérience et de l’expérience des enseignants s’accompagne de l’accumulation de vastes quantités de connaissances pertinentes liées à leur profession parallèlement au développement d’automatismes. Ce processus leur permet de mieux gérer la complexité de l’environnement d’une classe. 

(Photographie : Matthew Grantanson)




L’importance de l’acquisition de connaissances dans le développement de l’expertise des enseignants


L’expertise des enseignants est fondée sur les principes suivants : 
  • L’expertise nécessite de vastes réseaux de connaissances interconnectées qui comprennent : 
    • Des savoirs : des concepts et des idées substantiels
    • Un savoir-faire : des processus et des compétences
  • Des novices, les nouveaux enseignants, doivent dès lors se concentrer sur l’acquisition de connaissances et l’automatisation de processus afin de développer rapidement leurs compétences.
  • Ce développement de larges quantités de connaissances et l’automatisation de processus qui l’accompagne vont permettre de réduire la charge cognitive exercée sur leurs capacités mentales.
  • La réduction de charge cognitive imposée à leurs capacités mentales rend disponibles des ressources qui peuvent être réinvesties pour résoudre de nouveaux problèmes ou pour s’attaquer à des versions plus complexes de problèmes existants.
De manière basique, l’expertise en enseignement est l’application et l’utilisation créative de connaissances pour résoudre des problèmes complexes. 

La connaissance est le moteur de notre cheminement vers l’expertise. Il convient de s’investir dans son acquisition dans le but de devenir des enseignants plus efficaces et améliorer la capacité à relever de nouveaux défis.



Nature et complexité des connaissances expertes en enseignement pour les nouveaux enseignants


Les enseignants font appel à diverses connaissances au cours d’une journée typique de cours, concernant leurs élèves, leur matière, leur école, le système scolaire, l’enseignement ou la gestion de classe.

Ils ont acquis ces connaissances par leur formation initiale ou continue ou par des expériences personnelles. Chaque enseignant part d’un point de départ différent. Ils enseignent des matières différentes, à des élèves d’âges et de profils différents, dans des écoles différentes ayant leur propre culture et leurs spécificités.

Différents types de connaissances se disputent l’attention des enseignants en vue de les aider à résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. 

Certains éléments sont généraux. Les enseignants efficaces ont une meilleure expertise. Ils connaissent leur matière et leurs classes. Ils savent ce que leurs élèves savent et ne savent pas, ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire, car ils mobilisent des stratégies pour le déterminer. 

En fonction du retour d’information obtenu, ils savent quelles stratégies pédagogiques déployer à quel moment pour obtenir un effet maximal. Comme pour toute connaissance procédurale, lorsqu’on les interroge sur le sujet, ils ne seront peut-être pas en mesure d’exprimer clairement ce qu’ils savent et ce qu’ils font. La raison est que cela se fonde sur un savoir-faire et des automatismes procéduraux. Ils souffrent également de la malédiction de la connaissance et s’ils sont efficaces pour enseigner à leurs élèves, ils ne sont pas forcément capables d’y former leurs nouveaux collègues.

Il est souvent plus difficile d’aider quelqu’un d’autre à comprendre quelque chose lorsqu’on a un niveau élevé de connaissance dans ce domaine.

Les nouveaux enseignants ont besoin que les connaissances implicites des enseignants efficaces soient rendues explicites s’ils veulent progresser rapidement au début de leur carrière. 



Comprendre la nature de l’expertise en enseignement et les exigences de son développement


L’apprentissage par essai et erreur est frustrant et inefficace. On ne peut pas réellement espérer qu’un nouvel enseignant s’améliore s’il rencontre des difficultés en tirant les conclusions et en explorant des pistes possibles simplement en réfléchissant seul à ce qui se passe dans sa classe. 

Pour qu’un enseignant devienne efficace et développe une réelle expertise, trois éléments sont nécessaires : 
  1. La combinaison de vastes réseaux de connaissances pertinentes et de processus automatisés.
  2. Le développement de connaissances qui vont permettre à l’enseignant de simplifier son environnement de travail. Cette simplification concerne la préparation des cours, la gestion de la classe et de l’enseignement et le suivi de ces processus. Cette simplification diminue la charge cognitive, ce qui libère des ressources et permet de développer une plus grande aisance, vigilante et réactivité. 
  3. L’usage de la pratique délibérée afin d’automatiser les processus, de rendre les connaissances flexibles et de réduire les contraintes sur la mémoire de travail.



L’importance de la combinaison des connaissances et de l’automatisation des processus pour le développement de l’expertise des enseignants


L’idée que l’expertise est basée sur la connaissance est née de deux pistes de recherche menées au milieu du vingtième siècle sur les maîtres d’échecs. 

En 1973, Chase et Simon ont mis en évidence que les maîtres d’échecs étaient capables de reconstituer de mémoire des échiquiers de milieu de partie en un temps remarquablement court.

Lorsque nous plaçons un échiquier de milieu de partie devant eux pendant un moment, présentant un type de partie classique ou une position typique, ils n’auront aucun mal à reconstituer l’échiquier à partir de leur mémoire. 

Toutefois, ce résultat ne peut pas être attribué à une capacité de mémoire qui serait généralement supérieure chez les maîtres d’échecs. En effet, ils sont incapables de reproduire la même prouesse à partir de pièces placées au hasard sur l’échiquier.

Les maîtres d’échecs ne présentent pas de supériorité cognitive générale. En fait, ils disposent avant tout des connaissances spécifiques nécessaires pour résoudre un problème lié aux échecs. Leur mémoire à long terme a consolidé de nombreuses positions de jeu tirées de leur propre expérience et de parties classiques. 

De telles situations en lien avec l’expertise ont été reproduites dans le domaine sportif ou musical. Les experts sportifs évaluent plus précisément et plus rapidement un match. Les experts musicaux se souviennent mieux des mélodies que les non-experts.

Certes, l’enseignement n’est pas une partie d’échecs et les élèves ne réagissent pas de manière prévisible, mais au fil du temps l’enseignant accumule une foule d’expériences et de connaissances à exploiter. Certains processus permettent une exécution quasi automatique qui libère des ressources cognitives pour faire face à tout ce qui reste de l’ordre de l’imprévu au sein d’une classe.

Les enseignants experts et novices ont fait l’objet de comparaisons et d’études approfondies (Hogan et coll., 2003). Dans certaines, les enseignants experts et les novices sont amenés à regarder des vidéos ou à lire des descriptions de leçons enseignées par d’autres. Dans d’autres, ils débriefent à propos de leçons qu’ils ont eux-mêmes enseignées.

Des tendances se dégagent : 
  • Les enseignants experts ont tendance à voir l’ensemble du tableau : 
    • Ils remarquent ce qui se passe dans la classe et sont conscients d’évènements et de ressentis qui échappent souvent aux novices. 
    • Après un bref aperçu d’une leçon, les enseignants experts sont mieux à même de diagnostiquer les problèmes qu’elle pose. 
  • Les enseignants novices ont tendance à voir certains éléments sans toujours voir l’ensemble du tableau :
    • Ils ont besoin de plus de temps et portent des jugements moins détaillés après avoir eu le même aperçu.
La conclusion est claire. Comme les maîtres d’échecs, les enseignants experts disposent d’un grand nombre de situations expérimentées dans lesquelles ils peuvent puiser à la fois pour stimuler et informer leur compréhension et leur action.



Différences entre enseignants experts et novices du point de vue du fonctionnement cognitif


Nous pouvons également mieux comprendre les différences entre enseignants experts et enseignants novices dans la mesure où ils vont mobiliser leurs ressources cognitives. 

La mémoire de travail représente notre pensée consciente et elle est limitée à trois ou quatre nouvelles informations ou chunks, que l’on soit enseignant novice ou expert.

Un enseignant novice aura du mal à gérer sa classe et à expliquer en même temps un concept difficile. Sa mémoire de travail aura du mal à conserver et à manipuler la complexité de ces deux éléments à la fois.

Un enseignant expert y arrivera sans grande difficulté malgré le fait que sa mémoire de travail ne dispose pas de capacités excédentaires.

L’explication de cette divergence se trouve dans la mémoire à long terme. La mémoire à long terme contient toutes nos connaissances et ne connait pas de limites en temps et en quantité d’information de la mémoire de travail.

L’enseignant expert dispose d’une quantité de connaissances impressionnante sur sa matière, sur ses élèves et sur les stratégies qu’il met en œuvre pendant ses cours. Ces connaissances peuvent s’étendre et changer. Elles lui sont directement disponibles sans ponctionner sur les ressources de la mémoire de travail. Il va pouvoir enseigner le contenu complexe de manière efficace, tout en gérant la classe de manière préventive et proactive sans sentir de surcharge mentale.

L’expertise se développe au fur et à mesure que les connaissances pertinentes s’inscrivent, s’organisent et se structurent dans la mémoire à long terme. Ces connaissances contournent les limites de la mémoire de travail parce qu’elles peuvent être rappelées sous forme de chunks de taille assez importante. Pour l’expert, ces connaissances ne sont pas un ensemble d’éléments différents et isolés. Elles sont reliées entre elles et structurées au sein de schémas. Sur un sujet, elles peuvent former un ensemble cohérent et rapidement disponible.

L’expertise de l’enseignant se développe au fur et à mesure qu’il acquiert un haut degré d’automaticité qu’il obtient par une pratique délibérée. Lorsque les processus deviennent automatiques, intégrés dans la mémoire à long terme, ils cessent de ponctionner les ressources limitées de la mémoire de travail. Un enseignant expert a automatisé un processus pour faire entrer les élèves dans la classe, pour commencer une activité et recevoir les devoirs. Un novice peut trouver cette combinaison de processus insurmontable et être incapable d’exercer sa vigilance sur une casse tout en enseignant un concept complexe.



La nature de l’expertise des enseignants


En tant que processus complexe, l’enseignement à une classe complète d’élèves nécessite un engagement important de la mémoire de travail et une attention de tous les instants.

Les enseignants doivent réfléchir à la meilleure façon de se préparer, de s’organiser et de conserver leurs connaissances, et de développer leur compréhension et leurs compétences.

Les exigences cognitives de l’enseignement sont des exigences de connaissance et d’automatisation. Comme les élèves, les enseignants ont besoin de connaissances. La mémoire de travail est limitée. La surcharge de la mémoire de travail ralentit l’apprentissage. Les connaissances stockées dans la mémoire à long terme permettent de surmonter ces problèmes.

Développer son expertise en enseignement consiste essentiellement à automatiser plus. Nous ne devenons pas plus créatifs, nous n’avons pas plus d’esprit critique, nous ne sommes pas plus aptes à la résolution de problèmes complexes. Nous avons simplement développé plus de compétences sur ces sujets. Le développement des connaissances nous permet de surmonter les limites de la mémoire de travail.

L’expertise est difficile à percevoir chez les autres parce qu’elle semble sans effort et, parfois, assez simple. Tout le monde sait ce que c’est que d’être dans une classe et il est donc difficile de reconnaître la somme de compétences et de connaissances que demande un enseignement efficace. 

Comme l’a décrit Lee Shulman (1987), un enseignant sait quelque chose que d’autres, vraisemblablement les élèves, ne comprennent pas. L’enseignant peut transformer la compréhension, les compétences ou les attitudes ou valeurs souhaitées en représentations et actions pédagogiques.

L’enseignant efficace ne se contente pas de savoir ce que les élèves doivent savoir ou doivent être capables de faire. L’enseignant efficace utilise ces connaissances pour façonner son interaction avec ses élèves d’une telle manière que ceux qui ne comprennent pas parviennent finalement à comprendre avec son soutien. Il fait preuve de vigilance et de discernement sur ces problématiques.



L’importance de la pratique délibérée dans la construction de l’expertise des enseignants


Pour développer son expertise, l’enseignant doit passer par une pratique délibérée. La pratique délibérée est la seule qui peut réduire les contraintes de la mémoire de travail en rendant les processus automatiques.

Dans des situations de classe similaire, un enseignant novice et un enseignant expert ne vont pas ressentir la même charge cognitive. 

L’enseignant expert a automatisé les différents processus et peut les adapter en fonction des paramètres qu’il observe et du résultat qu’il anticipe.

Le novice n’a pas encore automatisé les différents processus et rencontre des difficultés pour les adapter en fonction du contexte, car il a du mal à en anticiper l’impact. Pour les nouveaux enseignants, le sentiment d’être débordé est courant. Il survient lorsque les demandes de traitement dépassent les ressources disponibles.

L’automatisation d’un processus prend du temps. Il faut pour cela s’engager dans une pratique délibérée et ajuster en fonction de la situation et du contexte, de préférence après avoir reçu un retour d’information. L’automatisation consiste à créer des habitudes positives et des routines utiles. 

La rétroaction dans le cadre d’un coaching pédagogique et un développement professionnel fondé sur des données probantes sont utiles. Sans cela, nous risquons également d’adopter de mauvaises habitudes et des routines inefficaces qui rendent notre travail en classe plus difficile ou moins efficace. 

Dès lors, ce parcours de pratique délibéré et d’affinement se déroule le mieux dans le cadre de relations de soutien. Dans ces relations, quelqu’un, souvent un coach pédagogique, peut observer les pratiques actuelles d’un enseignant. Il apprend à connaitre les bonnes et mauvaises habitudes. Il peut aider à déterminer les meilleures étapes à suivre lorsqu’il s’agit de rompre avec les mauvaises habitudes et d’en créer de bonnes.



Bibliographie


Peter Foster, what do new teachers need to know ?, David Fulton, 2023

Chase, W.G., and Simon, H.A. (1973). Perception in chess. Cognitive Psychology, 4(1), 55–81.

Hogan, T., Rabinowitz, M., and Crave, J. (2003). Problem representation in teaching: Inferences from research of expert and novice teachers. Educational Psychologist, 38(4),235–247.

Shulman, L. (1987). Knowledge and teaching: The foundations of new reform. Harvard Educational Review, 57(1), 1–23.

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