jeudi 14 mars 2024

Paramètres de mise en œuvre de la pratique de récupération espacée

Comment distribuer la pratique de récupération espacée ? Quelle est l’importance de la pratique initiale ? Quelle est l’influence du nombre de sessions ? Quelle est la quantité de pratique de récupération nécessaire ?

(Photographie : newmexicophotographer)




L’impact de la pratique de récupération espacée sur les connaissances fondamentales d’une discipline


Hopkins et ses collaborateurs (2016) se sont intéressés à la mémorisation à long terme dans le cadre de disciplines cumulatives liées à l’ingénierie, où la réussite finale dépend de la mémorisation à long terme de connaissances fondamentales. 

Plus particulièrement, ils se sont intéressés à l’impact de la pratique de la récupération espacée sous forme de quiz. Celle-ci consiste à prolonger les occasions de récupérer le contenu du cours au-delà d’une fenêtre temporelle habituellement courte après l’apprentissage initial. 

Ils ont manipulé la pratique de récupération espacée par rapport au bachotage dans un cours de précalcul pour des étudiants en ingénierie. Ils ont par la suite suivi un sous-ensemble d’étudiants qui ont eu un cours de calcul le semestre suivant. Leurs résultats suggèrent que la pratique de récupération espacée peut avoir un impact significatif et durable sur les résultats d’apprentissage. Les résultats montrent que la pratique de récupération espacée pendant le cours de précalcul conduit à de meilleures performances en précalcul, et lors de l’examen final, plusieurs mois plus tard. 

La pratique de récupération espacée a été mise en œuvre dans le cadre de questionnaires hebdomadaires dans le cadre du cours reprenant les objectifs d’apprentissage les plus importants du cours. Dans le groupe témoin, la pratique de récupération des objectifs d’apprentissage s’est faite à la manière d’un bachotage sur la matière récemment vue. Dans le groupe expérimental, la pratique de récupération de la moitié des objectifs d’apprentissage s’est faite à la manière d’un bachotage sur la matière récemment vue et l’autre moitié a été espacée.

La pratique de la récupération espacée pendant le cours de précalcul a permis un meilleur apprentissage que la pratique de la récupération à la manière d’un bachotage. Plus important encore, ces différences se sont maintenues au semestre suivant, lorsque les étudiants ont suivi le cours de calcul.

La pratique de la récupération espacée n’a pas seulement aidé les étudiants à mémoriser le contenu du cours de précalcul. Elle les a plutôt aidés à apprendre et à transférer ce qu’ils ont appris dans les futurs cours de leur programme d’études.

Une expérience similaire a été menée par Lyle et ses collaborateurs (2020). Dans ce cas, les participants n’ont pas été répartis en groupes. Les chercheurs se sont intéressés à programmation des quiz et à ce qui était le plus important pour la rétention à long terme au cours du semestre suivant.

Les sujets ont été répartis en quatre conditions :
  • Quiz simple : les sujets sont traités en classe et trois questions sont posées sur ce sujet spécifique lors du quiz hebdomadaire suivant.
  • Quiz simple et espacé : les trois questions sont réparties sur des quiz hebdomadaires différents.
  • Quiz doublé : dans cette condition, l’interrogation hebdomadaire comportait six questions au lieu de trois, ce qui a permis aux élèves de s’entrainer à récupérer davantage.
  • Quiz doublé et espacé : les six questions du quiz sont réparties par deux sur des quiz hebdomadaires différents.
Tout au long des huit premières semaines de cours, les sujets et non pas les élèves ont été affectés à l’une de ces quatre conditions. 

Les chercheurs ont examiné les résultats de différentes manières et ont mis en évidence les résultats suivants :
  • Les pratiques d’espacement et de récupération apportent chacune un effet positif et leur combinaison augmente l’impact. 
  • La quantité de connaissances retenues durablement a un impact certain à long terme. Les étudiants qui retiennent le plus de connaissances dans le cours d’introduction obtiendront probablement de meilleurs résultats dans le cours du semestre suivant. Les bonnes habitudes d’étude semblent fonctionner comme des intérêts composés avec un impact croissant. 
  • Si la pratique espacée montre un impact certain, le fait d’avoir doublé le nombre de questions de chaque type ne semble pas avoir eu d’impact. Les étudiants n’ont pas obtenu de meilleurs résultats après avoir été interrogés avec trois questions plutôt qu’avec six questions sur ce sujet, si l’on considère leurs performances quatre semaines plus tard.
Les implications sont claires. Il est important d’étaler dans le temps les questions de quiz sur une matière plutôt que de les proposer toutes en même temps lors du quiz qui suit l’enseignement. 

Il est utile de prévoir des sessions d’étude fréquentes, mais il n’est pas nécessaire de doubler le temps que nous passons à récupérer les mêmes contenus. À partir du moment où les contenus ont été récupérés une fois lors de la séance, le bénéfice sera là. Une seconde fois est inutile. 



Prendre en compte la récupération distribuée dans une perspective d’évaluation sommative ou formative


Lorsque l’on réalise des quiz composés de contenus espacés, ce qui est équivalent à un dispositif d’évaluation formative, la performance se retrouve réduite de façon notable au moment même. Cette plus faible performance s’accompagne paradoxalement d’un apprentissage plus élevé.

La performance est meilleure dans une situation où toutes les questions correspondent à une matière récente. Cette plus haute performance s’accompagne paradoxalement d’un apprentissage plus réduit. 

Ainsi, l’espacement décroit les performances lors d’évaluations intermédiaires, mais augmente les performances lors d’une évaluation finale. C’est un facteur d’importance. 

Les élèves ne vont pas aimer la pratique de récupération notamment à cause de cette dimension. Dès lors, pour l’enseignant, dans ce type de démarche, il n’y a pas d’intérêt à noter les élèves, car leur performance réduite pourrait les impacter alors qu’ils développent justement des apprentissages plus durables. Éthiquement, nous ne pouvons pas encourager les élèves à adopter un comportement à la maison qui va faire baisser leurs notes en classe.

Les élèves doivent avoir la sécurité psychologique de rencontrer des difficultés tôt, pour mieux réussir plus tard. En d’autres termes, les questionnaires intermédiaires doivent avoir un enjeu faible ou nul afin de réduire l’anxiété liée à des notes initiales qui seront inévitablement plus faibles. Ils doivent être formatifs.



Impact des variantes dans la distribution de l’espacement


D’un point de vue théorique, si l’on considère des programmes d’apprentissage systématiques, trois grandes logiques peuvent présider à la détermination d’intervalles. Les intervalles peuvent augmenter, diminuer ou rester inchangés au fil du temps :
  • Lorsque les intervalles entre deux sessions augmentent au fil du temps, on parle d’un calendrier d’apprentissage en expansion.
  • Lorsque les intervalles entre les sessions diminuent au fil du temps, on parle d’un calendrier d’apprentissage en contraction.
  • Lorsque les intervalles sont de même durée, tout au long de l’apprentissage, il s’agit d’un calendrier d’apprentissage égal.
Si l’on considère les résultats de la recherche, ceux-ci suggèrent que les programmes d’apprentissage en expansion et égaux conduisent souvent à des résultats similaires aux tests. Les programmes d’apprentissage en contractions se révèlent généralement inférieurs aux deux autres.

Dans une étude sur l’espacement, Kuepper-Tetzel et ses collaborateurs (2014) ont montré que 
le temps écoulé entre la dernière session de révision et le test final semble influer sur le calendrier d’apprentissage optimal. Dans leur étude, les participants ont étudié du vocabulaire à l’aide d’un programme d’apprentissage en expansion, en contraction ou égal. Ils ont ensuite été testés sur le vocabulaire lors d’un test final, soit immédiatement, soit 1 jour, soit 7 jours, soit 35 jours plus tard :
  • Pour le test immédiat, le programme d’apprentissage utilisé ne faisait pas de différence. 
  • Pour les tests effectués un jour ou sept jours plus tard, un programme d’apprentissage en contraction a obtenu de meilleurs résultats que les deux autres.
  • Pour le test effectué environ un mois plus tard, les schémas d’apprentissage en expansion et en égalité ont donné de meilleurs résultats que le schéma d’apprentissage en contraction.
Dès lors, si nous voulons maintenir les contenus enseignés précédemment pendant une longue période, nous devrions adopter un programme d’apprentissage en expansion ou en égalité. 

Pour les succès à court terme, les programmes d’apprentissage par contraction peuvent présenter des avantages. Toutefois, des études antérieures n’ont pas démontré les avantages d’un horaire d’apprentissage en contraction. Peut-être que l’effet de la contraction tend à approcher l’effet du bachotage qui reste efficace dans la dernière ligne droite face au test, mais s’étiole rapidement avec le temps.

En conditions réalistes, ces résultats plaident pour une dernière récupération avant le test.



L’impact du niveau de la pratique initiale dans une perspective d’espacement


Toppino et ses collaborateurs (2018) ont exploré la question de l’efficacité des programmes d’espacement en fonction du niveau d’entrainement initial.

Ils ont analysé la situation où le niveau de pratique initial était élevé, c’est-à-dire que les participants ont démontré un bon taux de récupération et ont reçu une rétroaction. Dans ce cas de figure, le programme d’espacement de l’apprentissage utilisé n’avait pas d’importance. Les résultats étaient équivalents qu’il soit en expansion, uniforme ou en contraction. 

Ils ont analysé la situation ou le niveau de pratique initial était faible pendant la première des trois sessions d’entrainement séparées par un ou plusieurs jours. Dans cette situation, une planification en expansion conduit à un meilleur rappel final qu’un horaire uniforme ou en contraction. 

Le niveau de formation initiale est un facteur important pour l’efficacité relative des programmes d’expansion. Lorsque le niveau initial d’apprentissage est faible, la trace mnésique résultante sera faible et sujette à un oubli rapide. Par conséquent, un intervalle d’espacement relativement court, tel que celui fourni par un horaire en expansion, peut être nécessaire pour que la récupération de la phase d’étude soit réussie lors de la prochaine occasion d’étude. Les intervalles d’espacement initiaux plus longs des horaires uniformes et en contraction peuvent être alors trop longs. 

Compte tenu de la récupération réussie de la phase d’étude permise par un horaire élargi, la trace initialement faible peut être suffisamment renforcée pour combler les intervalles d’espacement plus longs et plus bénéfiques à venir. En revanche, lorsque les participants s’engagent initialement dans un entrainement intensif, la représentation mémorielle qui en résulte peut être suffisamment forte pour survivre à l’intervalle d’espacement initial, quel que soit l’horaire utilisé. Cela minimiserait les différences de performance entre les programmes, en partie grâce à la pratique standard utilisée dans le cadre de l’expérience. Au cours de celle-ci, les programmes ont été mis sur un pied d’égalité en ce qui concerne la durée totale de l’intervalle entre les séances d’entrainement.

Ces conclusions laissent penser que les programmes d’expansion sont plus avantageux de manière générale que les autres programmes et devraient par conséquent être privilégiés. 

Si nous voulons mettre l’accent sur le développement d’apprentissage durable plutôt que sur les gains à court terme, la recherche encouragerait l’utilisation d’un calendrier d’apprentissage en expansion. Ce constat est d’autant plus vrai que les apprenants n’ont pas atteint un niveau initial élevé de compréhension du sujet, ce qui peut être souvent le cas.

De plus, d’un point de vue pratique, la mise en œuvre d’un calendrier d’apprentissage en expansion semble plus réalisable que d’essayer de s’en tenir à des intervalles égaux entre les sessions d’étude. La clé d’une mise en œuvre réussie de la pratique espacée est de s’assurer de revoir les anciennes matières avant qu’elles ne soient oubliées. Ainsi, laisser trop de temps entre les sessions d’étude peut conduire à trop d’oublis, ce qui serait préjudiciable à l’apprentissage dans son ensemble.

Une planification d’apprentissage en expansion est un moyen efficace de contrer ce phénomène en augmentant progressivement les intervalles entre les sessions de révision.

Cela implique également de s’investir dans une pratique de récupération et non de relire ses notes.  



La pratique espacée pour l’apprentissage des compétences


Baddeley et Longman (1978) ont formé quatre groupes de facteurs à la frappe de codes alphanumériques à l’aide d’un clavier de machine à écrire classique pendant 60 heures. 

La formation était basée sur des sessions d’une ou deux heures, organisées une ou deux fois par jour. Au total, les quatre groupes ont consacré le même temps à l’apprentissage de la nouvelle compétence. Cependant, le groupe qui a le plus étalé cette formation a mis le moins d’heures à devenir compétent et a été plus rapide à utiliser le système une fois qu’il l’a appris.

La rétention a été testée après un, trois ou neuf mois après l’entrainement, et a indiqué une perte de vitesse d’environ 30 %. Là encore, c’est le groupe formé à raison de deux séances quotidiennes de deux heures qui a obtenu les résultats les plus médiocres.  

Il apparait que la pratique espacée est la stratégie la plus économique pour l’apprentissage de nouvelles compétences. La raison pour laquelle les gens ne l’utilisent-ils pas plus est qu’elle est plus difficile. 



Bibliographie


Megan Sumeracki, Spaced Retrieval Practice Benefits Long-Term Learning and Transfer, 2022, https://www.learningscientists.org/blog/2022/8/18-1

Hopkins, R. F., Lyle, K. B., Hieb, J. L., & Ralston, P. A. S. (2016). Spaced retrieval practice increases college students’ short- and long-term retention of mathematics knowledge. Educational Psychology Review, 28(4), 853–873.

Lyle, K. B., Bego, C. R., Hopkins, R. F., Hieb, J. L., & Ralston, P. A. (2020). How the amount and spacing of retrieval practice affect the short-and long-term retention of mathematics knowledge. Educational Psychology Review, 32(1), 277–295.

Carolina Kuepper-Tetzel, Optimizing Your Learning Schedule, 2018, https://www.learningscientists.org/blog/2018/7/5-1

Kuepper-Tetzel, C. E., Kapler, I. V., & Wiseheart, M. (2014). Contracting, equal, and expanding learning schedules: The optimal distribution of learning sessions depends on retention interval. Memory & Cognition, 42, 729–741.

Toppino, T.C., Phelan, HA. & Gerbier, E. Level of initial training moderates the effects of distributing practice over multiple days with expanding, contracting, and uniform schedules: Evidence for study-phase retrieval. Mem Cogn 46, 969–978 (2018). https://doi.org/10.3758/s13421-018-0815-7

Cindy Nebel, Spaced Practice for Skill Learning, 2018, https://www.learningscientists.org/blog/2018/11/15-1

Baddeley, A.D., & Longman, D.J.A. (1978). The influence of length and frequency of training session on the rate of learning to type. Ergonomics, 21, 627–635.

Cindy Nebel, Spacing Retrieval is More Important than Extra Retrieval, 2022, https://www.learningscientists.org/blog/2022/9/7-1

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