vendredi 8 mars 2024

L’enjeu de la qualité du jugement métacognitif pour l’apprentissage

L’efficacité de la métacognition dépend de la prise de conscience de ce que nous connaissons et des actions que nous prenons par la suite.

(Photographie : 1-125sec-f8-10feet)





Les faiblesses de la métacognition


Pouvoir déterminer ce que nous avons déjà appris d’une matière et ce qu’il nous reste encore à apprendre est une compétence essentielle pour étudier efficacement. 

Nous devons passer moins de temps sur ce que nous avons bien appris et réserver ces ressources supplémentaires sur la matière que nous n’avons pas suffisamment apprise. C’est l’enjeu de la métacognition.

Le fait est que nous ne sommes pas toujours les meilleurs juges de ce que nous connaissons déjà et de ce que nous ne connaissons pas encore. Notre capacité à réfléchir sur notre pensée est perturbée par des éléments qui n’ont rien à voir avec notre capacité à récupérer des connaissances en mémoire à long terme.

Des facteurs tels que le nombre de fois que nous avons lu ou vu quelque chose et même le fait d’avoir simplement surligné des informations dans nos notes de cours peuvent altérer notre métacognition. Ce processus se fait souvent à notre désavantage. 



L’importance de la métacognition et son mode de mobilisation


Étant donné que le temps dont nous disposons est limité, un apprentissage autonome efficace impose la capacité de faire des choix opportuns. Nous devons nous assurer que nous employons notre temps à bon escient :
  • Quels contenus nous faut-il étudier plus ?
  • Quels contenus nous faut-il étudier moins ?
  • Quand nous faut-il revoir ce que nous avons précédemment appris ?
  • Quelles sont les stratégies à privilégier ?
  • Comment planifier judicieusement notre temps de travail ?
  • Quels sont les contenus qui nous posent des difficultés ? 
  • Etc.
Lorsque nous posons des choix tandis que nous étudions, nous mobilisons nos capacités de métacognition. La métacognition est la conscience de nos propres processus cognitifs. Plus spécifiquement, dans le contexte de l’étude, la métacognition est la conscience de ce que nous connaissons et de ce que nous ne connaissons pas. 

Nous pouvons décomposer la métacognition en deux composantes que nous pouvons appeler :
  • La surveillance métacognitive (la prise de conscience) : elle représente notre capacité à évaluer nos propres connaissances, en identifiant ce que nous connaissons et ce que nous ne connaissons pas.
  • Le contrôle métacognitif (l’action) : il représente ce que nous faisons de ces informations, nous prenons la décision d’utiliser ou non une stratégie d’apprentissage particulière et nous mettons cette stratégie en pratique. 
La surveillance métacognitive et le contrôle métacognitif fonctionnent de pair. 

Imaginons qu’un élève étudie la veille pour un test de physique. Ce test de physique porte sur trois formules différentes et sur les procédures à la clé, chacune applicable dans des contextes spécifiques. Lorsqu’un élève prend conscience qu’il est moins à l’aise avec deux des trois formules, c’est la surveillance cognitive. Lorsqu’il décide ensuite de revoir spécifiquement ces deux formules et leur application, c’est le contrôle métacognitif. 



La prise en compte l’imperfection de la métacognition


Dans un monde parfait, la métacognition serait précise et permettrait un usage optimal de notre temps limité.

Dans la réalité, nous sommes souvent trop confiants en ce qui concerne nos connaissances et nos compétences. En outre, nous ne sommes pas précis non plus pour juger de la qualité des stratégies d’apprentissage que nous mobilisons. De fait, certaines des stratégies d’étude les plus populaires, que les élèves déclarent utiliser, comme la lecture répétée, ont tendance à augmenter artificiellement notre sentiment de confiance. Elles nous font croire que nous en savons plus que ce que nous savons réellement. 

A contrario, il existe également des stratégies d’étude qui tendent à diminuer notre confiance en nous. Les stratégies d’étude qui sont particulièrement difficiles, mais très efficaces, comme la pratique de la récupération ou la pratique espacée, ont tendance à nous faire perdre confiance en nous lorsque nous les utilisons.

Nous devons prendre en compte le fait que les élèves ont tendance à apprécier les stratégies d’étude qui leur donnent frauduleusement l’impression d’apprendre davantage. Ils déprécient les stratégies qui entrainent des difficultés, mais soutiennent efficacement l’apprentissage.

De fait, certains élèves vont dire qu’ils n’aiment pas utiliser la pratique de récupération parce qu’ils ont l’impression de ne pas apprendre autant qu’en relisant leur cours. Dès lors, ils pensent que la pratique de récupération ne fonctionne pas pour eux. Souvent, ils vont dire qu’ils préfèrent continuer à utiliser ce qui a toujours fonctionné pour eux dans le passé. 

Les stratégies qui paraissent faciles pendant l’apprentissage autonome nous donnent souvent trop confiance en nos connaissances. La conséquence est qu’au moment de l’évaluation, nous aurons plus de mal à répondre aux questions que nous le pensions et ne serons pas aussi performants que nous l’espérons. 

À l’opposé, lorsque nous utilisons des stratégies d’apprentissage efficaces, celles-ci peuvent nous sembler difficiles pendant l’étude. Cependant, cet effort supplémentaire peut nous permettre de répondre à davantage de questions et d’obtenir de meilleurs résultats lors de l’évaluation. Nous allons avoir une meilleure performance que nous le pensons et cette performance dépassera celle atteinte par la mobilisation de stratégies moins performantes.
 
En fait, il est important d’utiliser la conscience et l’action métacognitives pendant les études. Cependant, pour que nos prévisions et vos décisions soient les plus efficaces possibles, il est essentiel d’utiliser des stratégies d’apprentissage (cognitives et métacognitives) efficaces. Le fait d’être mis au défi pendant l’apprentissage autonome est une bonne chose, car cela signifie souvent que nous apprenons davantage et que nous ne sommes pas victimes d’un excès de confiance.



L’effet trompeur de stratégies d’apprentissages populaires pour la métacognition


Le surlignage est une stratégie d’étude très courante. Malheureusement, il peut être l’une des stratégies les moins efficaces pour l’apprentissage.

De nombreux facteurs peuvent influer sur l’efficacité du surlignage en tant que stratégie d’apprentissage : 
  • La fréquence d’utilisation : s’il est utilisé trop souvent au détriment de la pratique de récupération par exemple, il se traduit en une perte d’opportunités d’apprentissage.
  • La difficulté du texte : si le texte est bien structuré ou simple, il est inutile tandis que pour un contenu complexe ou mal structuré il peut avoir une valeur ajoutée de structuration des connaissances à apprendre.
  • Le fait d’avoir été formé à l’utilisation d’une stratégie de surlignage spécifique et à sa mobilisation à bon escient.
Il y a peu de preuves de l’utilité du surlignage au-delà d’une manœuvre de repérage de l’information à apprendre ensuite. Pourtant de nombreux étudiants et élèves déclarent l’utiliser.

L’une des raisons avancées est que le surlignage affecte frauduleusement notre conscience métacognitive par le biais de la facilité de lecture ou de traitement. Cela signifie que lorsque des contenus deviennent plus faciles à lire, nous avons tendance à penser qu’ils deviennent également plus mémorables. Ce n’est pas le cas.

Le surlignage peut nous rendre trop confiants parce qu’il fait ressortir les mots ou les phrases surlignés et les rend plus faciles à lire. Mais lire un mot ou une phrase est une tâche très différente de celle qui consiste à se souvenir de ces informations et à les appliquer lors d’une évaluation.

Bon nombre des stratégies d’étude inefficaces, mais populaires, tendent à gonfler nos prévisions d’apprentissage. La lecture répétée nous rendra souvent trop confiants, probablement parce que lire les mêmes contenus encore et encore les rend plus faciles à lire. Les mêmes mots répétés nous deviennent de plus en plus familiers, ce qui nous fait penser que nous sommes occupés à les apprendre efficacement. C’est probablement la raison pour laquelle la lecture répétée est l’une des stratégies d’étude les plus fréquemment signalées par les étudiants. Mais malheureusement, la lecture répétée n’a pas tendance à augmenter notre capacité à mémoriser et à récupérer efficacement les informations ultérieurement. 

La raison de cet effet trompeur est que lorsque nous faisons des prédictions sur l’avenir, nous avons tendance à supposer qu’il sera très semblable au présent. En révisant une liste de termes pour une évaluation, nous pouvons penser : « Je reconnais tous ces termes, je me sens en confiance, je suis raisonnablement persuadé que je me souviendrai de la plupart d’entre eux lors de l’évaluation ». Parce que les termes sont plus faciles à reconnaître à ce moment-là, nous sommes amenés à penser qu’ils seront plus faciles à récupérer à l’avenir. Or, les deux démarches sont très différentes.

En effet, à moins que l’évaluation nous permette de revoir la liste des termes pour vérifier s’ils nous sont familiers, la comparaison n’est pas adéquate. 



L’effet trompeur aversif de la pratique de récupération pour la métacognition


Dans cette étude menée auprès d’étudiants de l’enseignement supérieur, Karpicke et Blunt (2011) ont constaté que l’adoption de la pratique de récupération a entrainé un certain manque de confiance en soi. Cette stratégie demande un engagement cognitif important qui se révèle très efficace au niveau de l’apprentissage :
  • Dans la condition de lecture répétée, les étudiants ont lu et relu un passage du texte quatre fois au total. 
  • Dans la condition de pratique de récupération, les étudiants ont lu le passage de texte, puis se sont exercés à la récupération. Ils ont mis le passage de côté et ont essayé d’écrire tout ce qu’ils pouvaient se rappeler de mémoire. Ils ont ensuite relu le passage du texte et se sont exercés à la récupération une seconde fois.
Après avoir appris le texte en le lisant plusieurs fois ou en s’exerçant à le retrouver, les étudiants participant à l’expérience ont fait des prédictions sur leurs résultats à un test une semaine plus tard. Une semaine plus tard, ils ont passé le test. 

Lorsque les étudiants de l’expérience ont fait des prédictions, ceux de la condition « lecture répétée » pensaient qu’ils obtiendraient de meilleurs résultats que ceux qu’ils ont obtenus au test une semaine après l’apprentissage. 

En revanche, les élèves ayant participé à l’exercice de récupération ont obtenu de meilleurs résultats au test une semaine après l’apprentissage qu’ils ne l’avaient prédit au départ. Dans l’ensemble, la pratique de la récupération a permis d’obtenir de meilleurs résultats aux tests que la lecture répétée.

Bon nombre des stratégies efficaces fondées tendent à réduire nos prévisions concernant notre capacité d’apprentissage sur le moment. La pratique de récupération nous fait perdre un peu de confiance en nous, mais à bon escient. C’est une stratégie d’apprentissage difficile, mais très efficace. 

Un de ses grands avantages est qu’elle nous met dans les mêmes conditions que celles que nous rencontrerons lors de l’évaluation.



Améliorer la métacognition pour améliorer l’apprentissage


Le fait de porter des jugements métacognitifs précis et fiables permet à l’apprenant d’allouer son temps d’étude aux sujets qui nécessitent un approfondissement. Cela lui évite de perdre du temps sur des sujets déjà maîtrisés ou d’arrêter prématurément d’étudier.

Cependant simplement s’arrêter d’étudier des élèves lorsque l’on pense les avoir maîtrisés peut être risqué. 

Si les jugements métacognitifs étaient parfaits, des corrélations élevées et positives seraient constatées. Plus la prédiction de l’apprenant concernant sa compréhension et sa performance future au test est élevée, plus sa performance réelle au test est élevée. Une corrélation parfaite aurait une valeur de 1. Dans un tel scénario, la prédiction d’un étudiant et sa performance au test correspondraient parfaitement. Cependant, la recherche a montré que les étudiants sont généralement assez peu capables de juger ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas. 

Maki (1998) a réalisé une synthèse de différentes études. Il a constaté que la précision métacognitive n’était que de 0,27, ce qui correspond à une association assez faible. Dès lors, il n’est pas raisonnable de se baser sur elle pour nos décisions de pilotage de notre temps d’étude. Nous sommes souvent trop confiants et cela peut se traduire par des résultats d’évaluation souvent étonnamment bas.

Pour améliorer notre jugement métacognitif, différentes bonnes habitudes peuvent être prises : 

Premièrement, nous devons nous assurer de bien comprendre les contenus à apprendre. Il est important de trouver des moyens de traiter les contenus plus en profondeur et de manière plus élaborée. 

Anderson et Thiede (2008) ont demandé à des participants (78 étudiants à l’université) de lire des passages de texte :
  • Deux groupes ont ensuite rédigé un résumé. Ce résumé a été fait soit immédiatement après la lecture pour un premier groupe, soit après un certain temps pour le deuxième groupe. 
  • Un groupe témoin n’a pas rédigé de résumé du tout.
Anderson et Thiede (2008) ont constaté que les jugements métacognitifs des participants sur leur compréhension étaient plus précis (supérieurs à 0,60) s’ils avaient rédigé le résumé après un délai plutôt qu’immédiatement (0,30).

Il est intéressant de noter que le groupe de contrôle qui n’avait pas rédigé de résumé du tout ne présentait pas de différence significative par rapport au groupe qui avait rédigé le résumé immédiatement. 

Leurs données suggèrent que les participants fondent leurs jugements métacognitifs davantage sur les éléments essentiels des textes lorsqu’ils rédigent des résumés après un délai. Au contraire, ils fondent leurs jugements davantage sur des détails superficiels lorsqu’ils rédigent des résumés immédiatement après la lecture. 

Le fait de se concentrer sur les informations pertinentes pour le modèle de situation d’un texte (l’essentiel du texte) a produit des niveaux plus élevés de précision de la métacognition.

Par conséquent, il est utile de laisser passer un certain temps après un apprentissage pour poser un jugement métacognitif. Le faire trop tôt va fausser sa justesse.

Deuxièmement, nous ne devons plus tomber dans le piège des stratégies liées à la relecture qui nous font confondre reconnaissance et connaissance. 

Nous devons pour cela exercer notre métacognition sans avoir notre cours sous les yeux. Dès lors, le simple fait d’attendre quelques minutes après avoir étudié et de fermer notre cours pour faire nos prédictions permettra à la familiarité de s’estomper un peu et à la qualité de la métacognition d’augmenter.

Troisièmement, nous serons bénéficiaires en privilégiant des stratégies incluant des difficultés désirables, qui semblent moins efficaces à la métacognition, mais sont plus efficaces au niveau de l’apprentissage. L’idée est d’éviter d’utiliser des stratégies qui rendent trop confiants (comme la lecture répétée ou le surlignage). L’enjeu est d’utiliser plutôt des stratégies dont il a été démontré qu’elles conduisent à une conscience métacognitive plus précise (comme la pratique de la récupération ou l’espacement). 

Dunlosky et ses collaborateurs (2005) ont montré que la pratique de récupération pouvait améliorer de manière significative la précision métacognitive :
  • Dans leur étude, un groupe devait essayer de retrouver la réponse à des questions spécifiques avant de faire une prédiction sur leur capacité à répondre à cette question spécifique lors d’un test ultérieur.
  • L’autre groupe n’était pas explicitement invité à s’entrainer à la récupération avant de donner son jugement. 
  • Le simple fait de demander aux participants d’extraire des détails de leur mémoire a amélioré leur précision métacognitive, qui est passée de 0,57 (groupe sans récupération) à 0,73 (groupe avec récupération).
Quatrièmement, il est fondamental d’obtenir un retour d’information. Le retour d’information est essentiel à l’obtention d’une métacognition très précise. 

Rawson et Dunlosky (2007) ont montré que les avantages métacognitifs de la pratique de la récupération peuvent être renforcés si un retour d’information correctif est fourni aux élèves après leur tentative de récupération. Le fait de donner aux étudiants la bonne réponse après leur tentative de récupération a augmenté leur précision métacognitive à un niveau de 0,92, très proche d’une prédiction parfaite de leurs performances futures aux tests.


Mis à jour le 20/03/2024

Bibliographie


Megan Sumeracki, Cynthia Nebel, Carolina Kuepper-Tetzel, Althea Need Kaminske, Ace That Test, A Student’s Guide to Learning Better, Routledge, 2023

Karpicke, J. D., & Blunt, J. R. (2011). Retrieval practice produces more learning than elaborative studying with concept mapping. Science, 331(6018), 772–775. https://doi.org/10.1126/science.1199327 

Maki, R. H. (1998). Test predictions over text material. In D. J. Hacker, J. Dunlosky, & A. C. Graesser (Eds.), Metacognition in educational theory and practice (p. 117–144). New York: Routledge.

Anderson, M. C. et Thiede, K. W. (2008). Why do delayed summaries improve metacomprehension accuracy? Acta psychologica, 128, 110-118.

Dunlosky, J., Rawson, K. A., & Middleton, E. L. (2005). What constrains the accuracy of metacomprehension judgments? Testing the transfer-appropriate-monitoring and accessibility hypotheses. Journal of Memory and Language, 52, 551–565.

Rawson, K. A. et Dunlosky, J. (2007). Improving students’ self-evaluation of learning for key concepts in textbook materials. European Journal of Cognitive Psychology, 19, 559–579.

Carolina Kuepper-Tetzel, 2017, How To Improve Your Metacognition and Why It Matters, https://www.learningscientists.org/blog/2017/3/30-1

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