Avoir une gestion de classe exemplaire consiste pour un enseignant à obtenir que l’ensemble des élèves suivent les consignes qu’il leur donne. Toute acceptation du non-respect de cette norme est une pente glissante. Si l’enseignant ne l’obtient pas, son autorité est fissurée. Peu à peu, les failles peuvent fragiliser l’édifice. Elles tendent à s’étendre au fil du temps. Synthèse et réflexions autour d’un article de Dylan Kane (2023) sur cette problématique.
(Photographie : Matthew David Crowther)
Délivrer précisément les consignes
Le premier niveau de conformité concerne le moment où nous donnons des consignes ou des explications aux élèves d’une classe.
Nous devons nous assurer d’avoir la pleine attention des élèves quand nous nous exprimons et nous ne démarrons pas tandis que certains chuchotent ou font autre chose.
Si nous outrepassons l’obtention de cette attention, nous envoyons le message qu’il est possible de bavarder pendant que l’enseignant parle ou qu’il n’est pas indispensable de lui accorder toute l’attention qu’il souhaite.
Peut-être que les chuchotements portaient sur un élément important lié au cours sur une incompréhension ou une interrogation légitime. Cela n’a pas d’importance. Elles ne priment pas sur le vecteur principal du cours. Si l’élève a une question à poser, il doit lever le doigt et patienter.
Même une conversation secondaire importante sur le cours prend la forme d’un chuchotement informel entre deux élèves et s’il est justifiable au bénéfice du doute, le problème se multipliera. Tout ce qui ne suit pas la routine préalablement enseignée explicitement est la porte ouverte à des perturbations croissantes.
L’enseignant doit être vigilant et obtenir rapidement l’attention de ses élèves avant de s’exprimer. Tout retard doit l’amener à entamer le continuum d’interventions. Un rappel rapide de la règle et une rétroaction sur les raisons de respecter les routines peuvent suffire. Ne pas le faire est imprudent.
Pour souligner l’attention et l’écoute active des élèves, il ne faut pas hésiter à interroger aléatoirement un élève pour lui demander de reformuler la consigne ou l’explication qui vient d’être donnée par l’enseignant.
Assurer le bon usage des ardoises effaçables
Les ardoises effaçables sont un atout important pour vérifier la compréhension, offrir rapidement des occasions de pratiques et cibler les difficultés des élèves.
Typiquement, l’idée est de proposer aux élèves une question de réflexion qui demande un traitement de l’information (problème, application, exercice ou justification). Nous leur donnons alors un temps donné pour y répondre (par exemple une ou deux minutes, suivant les situations). Une fois ce temps écoulé, nous leur demandons de nous montrer leurs réponses de manière synchrone suite à un signal convenu de notre part.
La question de la norme liée au respect de la consigne est ici fondamentale. Tous les élèves doivent jouer le jeu. Le risque est que l’un ou l’autre élève ne montre pas son ardoise (qu’il y ait écrit quelque chose ou non) ou montre une ardoise vide. Si nous ne réagissons pas, une brèche s’installe. Si l’enseignant ne répond pas à cette absence de conformité, il envoie comme message aux élèves qu’il la tolère. Par la suite, ces comportements tendent invariablement à se diffuser et deviennent progressivement adoptés par un grand nombre d’élèves, pour certains épisodiquement, pour d’autres systématiquement.
Dès lors, l’usage des ardoises effaçables perd une grande part de son intérêt. L’enseignant n’est plus conscient de la nature des difficultés de certains élèves qui prennent l’habitude de se désengager, ce qui invariablement est une source de distractions et de perturbations mineures potentielles. La vérification de la compréhension ne joue alors plus son rôle.
La première étape impose de s’assurer que les élèves ont bel et bien bénéficié d’un enseignement explicite de l’usage des ardoises effaçables. Celui-ci doit s’accompagner d’une rétroaction spécifique, de renforcement positif et de conséquences formatives en cas de non-respect de la routine.
Dès lors, la non-conformité devient un motif pour enclencher un continuum d’interventions. L’enseignant commence à rappeler la routine aux élèves et l’obligation qu’ils ont de participer à la démarche dans le partage de leurs réponses, le tout sans viser nominativement les élèves concernés. L’enseignant leur rappelle également l’utilité de l’usage des ardoises effaçables et les gains qu’ils en retirent en matière d’apprentissage. Grâce à elles, l’enseignant peut voir qui a compris et qui n’a pas compris, répondre directement aux difficultés individuelles rencontrées et rendre l’enseignement parfaitement adaptatif pour optimiser leur apprentissage en classe.
La démarche devrait permettre de convaincre une majorité d’élèves d’autant plus qu’elle est enclenchée tôt, avant que de mauvaises habitudes de désengagement s’installent.
Si par la suite certains élèves continuent à se désengager, le continuum continue :
- Rappel individuel de la règle
- Proposer un choix entre la conformité et la conséquence formative
- Pose de la conséquence formative et discussion individuelle avec l’enseignant après le cours.
L’idée est d’obtenir la participation des élèves sans devoir aller trop souvent et trop loin dans le continuum d’intervention. Pour cela, un enseignement explicite de la routine, un bon usage des antécédents positifs et une vigilance de tous les instants dans son exécution sont précieux.
Si nous parvenons à obtenir l’attention des élèves et s’ils écoutent les instructions, le rappel de la routine devrait souvent suffire. Patience et vigilance sont les maîtres mots. L’idée est de tendre et de progresser vers les 100 % de conformité et éviter le statu quo ou la dégradation de leur participation.
Couper court à toute confrontation en cas de résistance à l’utilisation des ardoises effaçables
Malgré l’enseignement de la routine et le continuum d’interventions, certains élèves peuvent continuer à refuser d’utiliser ou de montrer leur ardoise effaçable.
À ce stade, l’enjeu est d’éviter d’entrer dans une lutte de pouvoir et de se trouver dans un rapport de forces qui mène à la confrontation.
S’il faut influencer les élèves, nous ne pouvons pas pour autant les contrôler. La coercition ne mène pas à de bons résultats. Même si nous réussissons à faire plier l’élève, nous risquons d’endommager notre relation avec lui, en l’humiliant publiquement.
Si l’élève n’écoute pas, nous aurons diffusé le conflit à l’ensemble de la classe. Le fait d’interpeller publiquement un élève pose également de sérieux problèmes :
- Premièrement, nous allons déranger l’ensemble des élèves.
- Deuxièmement, nous risquons de donner une attention démesurée à un élève qui cherche à se faire remarquer.
- Troisièmement, dans certaines classes, nous ne sommes pas dans la capacité de réagir de même chaque fois qu’un élève se trouve dans une telle situation.
De plus, ce phénomène de coercition et de recherche de contrôle de la part de l’enseignant est une situation d’injustice publique susceptible de monter les élèves contre l’enseignant.
Si nous voulons qu’un élève qui ne participe pas se mette à participer spontanément, cela ne signifie pas qu’il s’agit de l’obtenir sur-le-champ.
L’enjeu est de progresser vers une plus grande participation des élèves, d’aller vers le mieux pas à pas. La meilleure façon d’y parvenir n’est pas d’entrer dans une lutte de pouvoir devant la classe, mais de vérifier individuellement auprès de l’élève ce qui se passe, en privé après la classe.
Peut-être y a-t-il des antécédents qui nous échappent comme un faible sentiment de compétences ou des moqueries qui viennent d’autres élèves lorsque des erreurs sont présentes dans les réponses. Plutôt que de pousser à la confrontation, il est plus utile de trouver un moment pour faire le point.
Cela peut se faire également tandis que la classe est engagée dans une pratique autonome. Dans tous les cas, il faut un suivi pour comprendre ce qui se passe.
Ce suivi individuel et ce développement de la connaissance de l’élève sont une bien meilleure stratégie que la confrontation pour l’amener à changer de comportement. Le message est implicitement clair : « Je me soucie de toi et de ton apprentissage, voyons ce qui se passe et comment je peux t’aider à participer pleinement ».
Toutefois, si le nombre d’élèves qui ne participent pas ou plus est trop important pour les suivre individuellement, une action à l’échelle de la classe s’impose. Arrêter le cours et avoir une conversation plus approfondie s’impose. Nous agissons en répétant ce qui leur est demandé, en enseignant explicitement à nouveau la routine et en expliquant pourquoi c’est utile à leur apprentissage.
Nous avons un pouvoir d’influence et de conviction, nous avons une position d’expertise en ce qui concerne l’apprentissage dans notre matière. Nous pouvons leur communiquer des conseils valides à ce sujet. La plupart de ces situations où les élèves n’embraient pas se produisent parce que les instructions ont été vagues, confuses ou contradictoires. Certaines fois, les élèves ne comprennent pas pourquoi ils sont censés faire quelque chose.
Nous devons nous assurer que les élèves savent ce que nous attendons d’eux et pourquoi cela vaut la peine. Cela ne résoudra pas toutes les situations de non-conformité, mais cela y contribuera positivement et c’est une alternative préventive plus efficace que la confrontation.
Agir stratégiquement en visant des améliorations ciblées
La volonté de définir des normes ambitieuses ne suffit pas au fait qu’elles soient diffusées, comprises, adoptées et appliquées et cela ne doit pas mener au rapport de forces. Elles doivent être introduites stratégiquement dans une logique de progrès.
Il s’agit de choisir ses combats et de se donner des priorités plutôt que de courir plusieurs lièvres à la fois. Il faut y aller progressivement en insistant sur un premier élément d’importance et en n’élargissant qu’à un élément supplémentaire que lorsque les précédents sont obtenus et maintenus. La cohérence prime. Il ne s’agit pas d’insister sur un aspect pendant un temps puis de le laisser tomber ensuite en insistant sur un autre. Il n’est pas possible pour une classe normale d’une école normale de tout faire chaque fois.
Il importe dès lors de choisir les éléments qui nous tiennent vraiment à cœur et susceptibles d’avoir un impact très concret. Il faut faire comprendre aux élèves que la conformité à ces éléments est très importante. Ce sont généralement ceux qui concernent tous les élèves de manière régulière.
C’est par exemple le fait d’insister pour que tous les élèves soient attentifs et silencieux lorsque l’enseignant donne des consignes ou enseigne en classe entière. C’est la participation au Cold Call ou aux ardoises effaçables dans le cadre de la vérification de la compréhension.
Il faut sélectionner les moments où la conformité de tout est particulièrement importante, car l’impact sur l’apprentissage est élevé.
Insister sur la pleine attention des élèves lorsque des instructions sont données est utile, car sinon des élèves sinon par la suite des élèves seront désengagés et bavarderont, car ils ne savent pas ce qu’ils doivent faire.
Insister sur la pleine participation lors de l’usage des ardoises effaçables est utile. Si ce n’est pas le cas, l’enjeu principal de la démarche qui est d’échantillonner les réponses à l’échelle de la classe est raté. Les élèves qui ont des difficultés sont les plus susceptibles de ne pas participer. Cependant, c’est leur implication qui est un facteur d’efficacité de la démarche.
Il faut être stratégique, car tout suivi en cas de non-conformité ajoute de la distraction au cours. L’investissement doit être rentable à moyen terme et mener à une meilleure implication des élèves. À ce titre, devoir faire trop d’interventions risque de faire dérailler le processus.
C’est pour cette raison que la démarche devient plus efficace quand les normes les plus importantes sont systémiques à l’échelle de l’école et qu’elles sont adoptées par tous les enseignants. Si tous les enseignants d’un élève ont des attentes similaires, il devient plus facile pour chacun d’entre eux d’insister pour qu’il en soit de même. Si un seul enseignant a une attente que ses collègues n’ont pas, la bataille risque d’être rude.
Pour cette raison, il est important de communiquer à un nouvel enseignant ou lors d’un remplacement quelles sont les normes habituelles attendues par les enseignants dans l’école. Sachant cela, il est plus facile de s’intégrer et de comprendre ce qu’il doit attendre de ses élèves.
Appliquer le principe des normes à l’apprentissage
Tous les enseignants veulent que leurs élèves apprennent les contenus enseignés et réussissent leurs évaluations.
Dès lors, lorsqu’un élève a du mal à apprendre quelque chose, naturellement nous voulons l’aider. Cependant lorsqu’un élève est en décalage net avec les autres au niveau de l’apprentissage, comme pour un élève qui est en déphasage au niveau du comportement, ce n’est pas sans risques. Il existe un risque de distraction pour les autres, et pour lui, de confrontation et de mise en évidence publique de ses difficultés.
Il vaut mieux essayer d’éviter d’aider un élève confus devant toute la classe d’autant plus lorsqu’il est le seul à éprouver de telles difficultés. S’engager dans une longue conversation devant tout le monde peut être embarrassant et convaincre les autres élèves qu’il ne vaut pas la peine de parler quand on est confus. Souvent dans ces cas-là, une explication de deux minutes ne suffira pas.
Il ne fait pas non plus se contenter de dire que c’est normal d’être confus, que ça arrive et passer à autre chose, car le message est également néfaste pour la culture de la classe.
Il est beaucoup plus facile de postposer l’opération. Pour comprendre où un élève est confus, rien de tel que de discuter de seul à seul avec lui des problèmes de compréhension qu’il rencontre. S’ils sont plusieurs à éprouver la même confusion, il est utile de les rassembler tandis que le reste de la classe est occupé à autre chose. Le bon moment est par conséquent la pratique autonome en enseignement explicite.
Si un grand nombre d’élèves sont confus, il est temps de prendre du recul. Il vaut mieux enseigner à nouveau directement ou passer à autre chose avant d’y revenir au prochain cours pour avoir eu le temps de préparer des activités pertinentes. L’idée est qu’il n’est pas nécessaire de résoudre tous les problèmes dans l’instant, mais qu’il faut choisir le moment le plus opportun pour le faire. De plus, il est important que les élèves sachent qu’un tel suivi sera mis en œuvre lorsqu’ils rencontrent de telles situations. L’enseignant montre qu’il se soucie de chacun d’eux individuellement et qu’il peut assumer lorsque son enseignement n’a pas mené à une compréhension et amorcé des apprentissages.
Mis à jour le 14/02/2024
Bibliographie
Dylan Kane, 100 Percent, https://fivetwelvethirteen.substack.com/p/100-percent
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