vendredi 23 février 2024

Enseignement efficace des tâches complexes et de la résolution de problèmes

Comment la recherche oriente-t-elle l’enseignement pour soutenir la résolution de problèmes et la réalisation de taches complexes.

(Photographie : Jeremy Drape)





Distinguer une approche ascendante ou descendante des apprentissages complexes 


Lorsque nous voulons apprendre quelque chose et que nous sommes seuls, l’approche la plus élémentaire est alors l’essai et l’erreur. C’est l’apprentissage par la découverte qui est une forme descendante, car on part du complexe pour apprendre le complexe.

Lorsque nous avons quelqu’un qui sait ou peut déjà faire la chose en question, l’approche la plus élémentaire est de s’en inspirer. C’est l’apprentissage par l’imitation qui est une approche ascendante, car on part du simple pour se diriger vers le complexe.

L’imitation en tant que pédagogie est ancrée en nous tous. L’imitation fonctionne bien pour des tâches relativement simples. Elle est beaucoup moins efficace lorsque la tâche est plus complexe, qui appartient au domaine des connaissances biologiques secondaires et contient une hiérarchie, ou lorsqu’un aspect de la performance dépendant de la maitrise d’un autre aspect internalisé. 

Par exemple, essayer de copier les mouvements d’un pianiste de concert ne serait pas le moyen le plus efficace ou le plus efficient d’apprendre à jouer du piano. Ce serait l’exemple d’une approche descendante qui part du complexe. 

La plupart des cours de piano impliquent un enseignement explicite de la notation musicale, la pratique de gammes et d’autres exercices et une augmentation progressive de la complexité des pièces à jouer. C’est une approche ascendante qui part du simple vers le complexe. 

Enseigner ou apprendre une tâche complexe en imitant la performance des experts est une approche descendante. Laisser découvrir ou apprendre de manière autonome comme il est de mise ne fonctionne pas très bien si l’enjeu est un apprentissage. 

Cela ne signifie pas que cette voie est impossible, sauf que l’apprentissage autodidacte, même en groupes, n’est en général pas la voie la plus efficace. Apprendre dans un cadre social en bénéficiant d’un retour d’information sur notre pratique est plus efficace.

Mener à bien n’importe quelle tâche complexe nécessite de la décomposer en plusieurs étapes constitutives de taille réduite qui tiennent compte des connaissances préalables et de la charge cognitive résultante. Réaliser chaque étape impose de maitriser les techniques sur lesquelles elles sont fondées, les connaissances factuelles, procédurales et conceptuelles minimales permettant de les piloter de manière autonome. Acquérir des connaissances dans un domaine biologique secondaire impose une approche ascendante.



Échapper à la séduction de l’introduction par des tâches complexes authentiques


La mise en avant d’approche descendante peut séduire parce qu’accomplir une tâche complexe est une finalité en ligne de mire à laquelle un élève peut souhaiter goûter d’emblée. 

Les projets authentiques et réels sont motivants, car ils se basent sur la curiosité et l’intérêt. Mais ils ne sont pas l’unique moteur de la motivation des apprenants et celle-ci, générée de cette manière, peut être fugace et ne pas constituer le moteur le plus utile aux apprentissages.

Pour les enseignants, s’investir dans une démarche de projet dans le domaine où l’on est expert amène à minimiser le besoin d’acquisition de connaissances par les élèves. Ils sont victimes du biais cognitif appelé malédiction de la connaissance. De nombreuses compétences associées à une prestation d’expert sont des compétences cognitives latentes et internalisées : elles ne peuvent être observées directement. 

Le rôle de l’enseignant est, quelle que soit l’approche pédagogique choisie, de tenter de réduire la demande cognitive durant le cours afin que les élèves puissent progresser facilement dans les tâches. Les objectifs d’apprentissage peuvent être centrés sur les étapes et prendre en compte leurs constituants ou être plus globaux et correspondre à un projet. 

Les formes d’enseignement qualifiées d’instructionnisme réduisent la demande cognitive en décomposant les tâches de résolution de problèmes en éléments plus petits et en formant ensuite les élèves à ces éléments à leur tour. 

Par conséquent, il est plus facile et plus simple d’adopter une démarche d’enseignement explicite qu’une pédagogie de projet, car il n’y a pas d’éléments cachés ou susceptibles de l’être.

L’objectif de la réalisation de tâches complexes est d’améliorer la réalisation de tâches complexe. Cela semble évident, mais il n’est pas tout à fait clair que c’est ce qui est toujours voulu dans le cadre de la pédagogie de projet. Régulièrement, ce ne sont pas des apprentissages spécifiques qui sont visés, mais des compétences générales comme apprendre à apprendre, l’esprit critique, la curiosité, la communication, la coopération, la créativité, la démarche scientifique ou la résilience.

L’idée est qu’en confrontant les élèves des tâches difficiles à réaliser, ils pourraient développer leurs capacités à surmonter les difficultés ou apprendre des stratégies et des compétences générales pouvant être appliquées dans toute une série de situations. 

Malheureusement, les visées d’un apprentissage descendant fondé sur des compétences générales ne disposent pas de preuves à l’appui de leur efficacité et de leur vraisemblance. Nous ne pouvons enseigner efficacement des compétences générales, mais uniquement des compétences spécifiques à travers un enseignement ascendant. 



Ne pas confondre épistémologie et apprentissage d’une discipline


Pour enseigner ce qui compte n’est pas tant la manière dont les connaissances sont créées dans une discipline, mais la manière dont celles-ci sont apprises.

Lorsqu’un scientifique se lance dans une recherche, il s’agit bien d’une démarche de projet, car il se lance en partie dans l’inconnu. Cependant, il dispose déjà de connaissances théoriques approfondies dans son domaine. De plus, avant de se lancer dans sa recherche, il va se lancer dans un examen rigoureux de toute la littérature pertinente publiée dans ce domaine pour parfaire ses connaissances. En outre, il maitrisera les techniques nécessaires à ses recherches ou fera appel à ceux qui disposent de ces compétences. Même si elle ne connaît pas à l’avance les résultats de ses recherches, il est capable d’envisager la plupart des hypothèses plausibles et concurrentes. Un élève qui se lance dans un projet appartenant à un domaine nouveau pour lui ne dispose d’aucune de ces compétences préalables. 

Dès lors plutôt que de lancer les élèves dans la réalisation d’un projet, il peut être judicieux de leur enseigner plutôt un ensemble de connaissances pertinentes dans le domaine considéré. Nous nous assurons de leur acquisition à long terme par des approches dont nous disposons de preuves de l’efficacité. La manière d’apprendre ou d’être enseigné dans un domaine est très différente de la manière de créer des connaissances dans un domaine.



Enseigner la résolution de problèmes en sciences


L’approche traditionnelle de l’enseignement de la résolution de problèmes scientifiques consiste à faire travailler les élèves individuellement sur un grand nombre de problèmes. Cette approche est depuis longtemps dépassée.

Ruurd Taconis et ses collègues (2001) ont analysé la recherche sur l’efficacité de l’enseignement de la résolution de problèmes en sciences. Ils sont arrivés à trois conclusions.

Premièrement, les stratégies efficaces d’enseignement de la résolution de problèmes scientifiques portent toutes sur le développement de connaissances larges et approfondies dans les domaines considérés. Les approches efficaces accordent toutes de l’attention à la structure et à la fonction (les schémas) de la base de connaissances.

À l’opposé, l’attention portée au développement de stratégies générales de résolution de problèmes par la pratique de la résolution de problèmes est peu efficace. Le fait de se concentrer uniquement sur les connaissances stratégiques (c’est-à-dire les heuristiques générales de résolution de problèmes) s’est avéré avoir un effet négatif. 

Deuxièmement, en ce qui concerne les conditions d’apprentissage, deux éléments se détachent. C’est le fait de fournir aux apprenants des lignes directrices et des critères qu’ils peuvent utiliser pour évaluer leur propre processus de résolution de problèmes et leurs produits. C’est également l’importance de leur fournir un retour d’information immédiat. Ces éléments se sont avérés être une condition préalable importante pour l’acquisition de compétences en matière de résolution de problèmes. 

Bien que les informations données en retour ou les directives se concentrent sur le processus et le produit externe de la tâche d’intervention, il s’avère qu’elles ont un effet positif sur le résultat de l’apprentissage. 

Troisièmement, le travail en groupe a un effet négatif significatif. Le travail en groupe n’a pas eu d’effets positifs s’il n’a pas été combiné à d’autres variables, telles que les lignes directrices, un matériel bien choisi et le retour d’information. Faire travailler les élèves en petits groupes n’améliore pas l’enseignement de la résolution de problèmes si le travail en groupe n’est pas associé à d’autres mesures qui se sont révélées efficaces. C’est par exemple l’attention portée à la construction de schémas, les directives externes et le retour d’information immédiat. 

En conclusion, les activités cognitives impliquées dans les interventions réussies ne doivent pas nécessairement coïncider avec celles de l’objectif de la tâche de résolution de problèmes scientifiques.

L’étude de problèmes résolus ou la cartographie conceptuelle peuvent également contribuer à la maitrise de la résolution de problèmes scientifiques. 

L’aspect important de ces activités est qu’elles stimulent le développement de la base de connaissances et des capacités de réflexion. 

Les activités cognitives conduisant à l’enrichissement de la base de connaissances sont d’une grande importance. La pratique pure des compétences de résolution de problèmes ne semble efficace que lorsque le fonctionnement des connaissances dans le processus devient clair et que l’interaction entre les activités cognitives et les connaissances est illustrée. 

Le principal outil pour faciliter l’apprentissage de la résolution de tâches complexes est le développement d’une large base de connaissances organisées dans le domaine considéré. Ces connaissances forment des chunks qui sont des modèles, des conceptualisations, des procédures, des groupements de connaissances, qui forment des outils directement utilisables dans le cadre des tâches complexes.

La manière la plus efficace de contribuer à leur création est de s’engager dans un enseignement explicite de ces connaissances en ménageant la charge cognitive des élèves. 

Lorsque ces connaissances sont disponibles dans notre mémoire à long terme, des éléments très complexes, reconnus et identifiés, peuvent ainsi être élaborés et manipulés dans la mémoire de travail. C’est une caractéristique de l’expertise au sein d’une discipline. 

La pédagogie de projet est ainsi fondamentalement en contradiction avec notre architecture cognitive, que l’on considère la mémoire de travail ou la mémoire à long terme. Dès qu’il s’agit de nouveaux apprentissages, nous avons besoin d’une approche progressive de l’apprentissage, qui va du simple vers le complexe, plutôt que d’une approche qui surcharge la mémoire de travail dès le départ. 



Bibliographie


Greg Ashman, Ouroboros [2016]

Taconis, R., Ferguson‐Hessler, M. G., & Broekkamp, H. (2001). Teaching science problem solving: An overview of experimental work. Journal of Research in Science Teaching, 38(4), 442–468. 

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