mercredi 21 février 2024

Appartenance, gratitude et épanouissement collectif

Les écoles doivent veiller à ce que les activités et le cadre qu’elles proposent procurent aux élèves un sentiment d’appartenance, et entretiennent et développent celui du personnel.

(Photographie : youngsuk suh)



L’importance des groupes sociaux à l’école


Les êtres humains sont profondément sociaux et orientés vers le groupe. Notre bien-être est profondément influencé par le sentiment d’appartenir à des groupes harmonieux et efficaces.

Il importe de mettre en évidence que les groupes d’élèves formant une classe se caractérisent par un objectif commun, une signification et une responsabilité mutuelle. Ce qui favorise les sentiments de connexion et d’appartenance est ancré dans de minuscules moments d’interaction qui sont souvent négligés. 

La responsabilité et l’engagement mutuels sont au cœur de la formation d’un groupe. Donner est aussi important que recevoir. 

En tant qu’espèce animale, nous avons évolué pour nous constituer en groupes sociaux avec une responsabilité mutuelle et un objectif commun.



L’importance du sentiment d’appartenance à un groupe social


Être prêt à soutenir les autres membres du groupe, démontrer sa volonté de promouvoir des objectifs communs, même et surtout lorsque cela implique de petits sacrifices pour le bien commun, est aussi important que de recevoir des autres. L’appartenance ne fonctionne que si chaque élève se sent valorisé et apprécié en tant qu’individu.

Nous avons besoin de sens partagé et d’un esprit de communauté pour créer l’appartenance à un groupe. En retour, ce processus façonne profondément nos motivations et nos désirs.

Ce désir d’appartenance est bien plus ancien que notre espèce elle-même. Par conséquent, nous ne pouvons nous limiter à le voir à travers le prisme de notre individualisme contemporain et de nos caractéristiques humaines modernes.

La constitution de groupes motivés, coopératifs et mutuellement responsables a été tout aussi déterminante dans le développement et le succès de notre espèce et de celles qui l’ont précédé. 

Historiquement, pour un hominidé, être seul c’était être condamné à mourir de faim ou à devenir le repas d’un prédateur. Par contre, faire partie d’un groupe capable de coordination, de loyauté et de coopération, c’était pouvoir être capable de survivre et de prospérer.

Pendant l’écrasante majorité de notre existence, seuls les humains capables de former des groupes productifs et de faciliter leur intégration dans ces groupes ont prospéré. La sélection naturelle nous a modelé en ce sens.

Depuis, l’impératif de la formation d’un groupe reste inscrit en nous. L’évolution a favorisé tous les changements psychologiques qui soutiennent la qualité de la réponse collective du groupe. La sélection naturelle a récompensé les groupes les plus performants en matière de coopération et de réciprocité.

Nous avons évolué pour rechercher constamment des groupes où nous ressentons l’attrait de la responsabilité mutuelle. Nous voulons avoir la preuve que des tâches complexes peuvent être accomplies de manière fiable, que la confiance et la coopération sont comprises. Une fois que nous avons trouvé un tel groupe, nous cherchons continuellement la confirmation que nous sommes des membres en règle ou, au contraire, des signes que nous risquons d’en être exclus. Ce n’est qu’au pluriel que les humains ont été les gagnants de la sélection naturelle.

Même si l’importance du groupe pour notre réussite nous semble aujourd’hui bien moins pertinente, nous sommes toujours câblés pour nous intéresser fortement aux normes du groupe. Nous craignons l’isolement, la séparation et la possibilité d’être mis au ban de la société.

De même, tout au long de l’évolution, nous avons également été en compétition en tant qu’individus au sein des groupes en même temps que nous étions en compétition entre les groupes. Du point de vue de la sélection naturelle, il vaut mieux être un membre de statut moyen d’un groupe très uni, que leader d’un groupe qui n’a pas su s’unir et coopérer.

Actuellement, nous faisons face régulièrement à des sursauts d’individualisme qui peuvent hypothéquer les bienfaits de l’appartenance et de la collectivité.



Bien-être physiologique et appartenance sociale 


L’être humain est naturellement social. Pourtant, le mode de vie moderne des pays industrialisés réduit considérablement la quantité et la qualité des relations sociales. 

L’isolement social est une source de stress et les personnes qui souffrent de solitude et de déconnexion sociale de manière prolongée sont en mauvaise santé physique et mentale. Dans une méta-analyse, Holt-Lunstad et ses collaborateurs (2010) se sont intéressés à la relation entre les liens sociaux et le taux de mortalité. Ils ont mis en évidence que l’absence de liens sociaux équivalait à fumer 15 cigarettes par jour. La qualité et la quantité des relations sociales des individus sont associées non seulement à la santé mentale, mais aussi à la morbidité et à la mortalité.

L’objectif de leur méta-analyse a été de déterminer dans quelle mesure les relations sociales influencent le risque de mortalité. L’objectif était d’établir quels aspects des relations sociales sont les plus prédictifs et quels facteurs peuvent modérer le risque.

Ils ont mis en évidence une probabilité de survie accrue de 50 % pour les participants ayant des relations sociales plus fortes. Ce résultat est resté constant, quels que soient l’âge, le sexe, l’état de santé initial, la cause du décès et la période de suivi. L’influence des relations sociales sur le risque de décès est comparable à des facteurs de risque de mortalité bien établis tels que le tabagisme et la consommation d’alcool. Il dépasse l’influence d’autres facteurs de risque tels que l’inactivité physique et l’obésité. 

Steve Cole (2012) a mis en évidence que le système immunitaire des personnes socialement isolées était moins robuste et moins apte à lutter efficacement contre les agents pathogènes. De vastes altérations de l’expression des gènes humains se manifestent dans différents environnements sociaux. Certains gènes sont sensibles à la régulation sociale. Les facteurs sociaux peuvent jouer un rôle important dans la régulation de l’activité du génome humain. L’ADN code le potentiel du comportement cellulaire. Cependant, ce potentiel ne se réalise que si le gène est exprimé, c’est-à-dire si son ADN est transcrit en ARNm. S’ils ne sont pas exprimés sous forme d’ARNm, les gènes de l’ADN n’ont aucun effet sur la santé ou les phénotypes comportementaux.

Le monde social extérieur à l’individu peut influencer de manière significative son profil d’expression génique. Le génome humain semble avoir évolué vers des « programmes sociaux » spécifiques pour adapter la physiologie moléculaire aux schémas changeants de menaces et d’opportunités ancestralement associés à l’évolution des conditions sociales. Dans le contexte du système immunitaire, cette programmation favorise aujourd’hui de nombreuses maladies qui dominent la santé publique. 

La régulation sociale de l’expression des gènes humains implique que de nombreux aspects de la santé individuelle apparaissent comme des propriétés d’un système interconnecté d’êtres humains. Certains des gènes d’une personne fonctionnent différemment en fonction de la présence d’autres personnes et de leurs implications (subjectivement perçues) pour les résultats de sa propre condition physique, tels que la survie et la reproduction. 



Bien-être psychologique et émotionnel, et mécanismes d’appartenance sociale 


La frustration ou la colère sont souvent un autre exemple de notre esprit de groupe. Les humains sont rapidement irrités par les resquilleurs. Ceux-ci enfreignent le code du mutualisme, ne respectent pas les normes ou cherchent à profiter des avantages de l’appartenance à un groupe ou de leur position sans apporter leur contribution (Von Hippel, 2018).

Lorsque nous sentons que le mutualisme s’effondre, notre instinct nous dit que le groupe risque de se désagréger. C’est l’une des plus grandes menaces que nous puissions imaginer.

Nous nous sentons beaucoup plus en sécurité lorsque nous recevons constamment des signaux de réciprocité et d’appartenance lorsque nous en envoyons, par exemple en faisant preuve de générosité. S’engager dans des actes de générosité ou bénévolement, est caractéristique de groupes très unis, et s’accompagne presque toujours de sentiments de satisfaction et de bonheur.

Nous sommes heureux et nous nous sentons en sécurité lorsque nous reconfirmons notre propre lien avec le groupe. Le bien-être psychologique et émotionnel qui accompagne ces comportements est profondément encodé dans l’ADN de notre espèce.

Selon Daniel Coyle (2018), l’appartenance, se construit principalement à travers de petits moments et des gestes apparemment insignifiants. La cohésion et la confiance naissent lorsque les membres d’un groupe envoient et reçoivent de petits signaux d’appartenance qui se produisent fréquemment. L’accumulation de ces signaux est presque certainement plus influente que les grandes déclarations d’appartenance ou les gestes spectaculaires.

Nos cerveaux sociaux s’activent lorsque nous recevons une accumulation régulière de signaux presque invisibles : nous sommes proches, nous sommes en sécurité, nous partageons un avenir. Toutefois, il ne s’agit pas d’un phénomène ponctuel. L’appartenance est une flamme qui a besoin d’être continuellement alimentée par des signaux de connexion.

Sourire et établir un contact visuel sont parmi les indices d’appartenance les plus importants. 
Ils sont également révélateurs de la nature des indices d’appartenance en général. Ils ont tendance à être subtils et même fugaces, de sorte qu’ils sont facilement négligés.

Ce sont des signes authentiques. Dire « merci » et s’engager dans des formes rituelles de civilité, comme tenir la porte, laisser passer quelqu’un en premier, serrer la main, en sont d’autres exemples. 

Le fait de tenir la porte ou de laisser passer quelqu’un en premier lorsque nous entrons quelque part ne présente que peu d’avantages pratiques, voire aucun. Comme la plupart des actes de courtoisie, il s’agit en fait d’un signal : « Je fais attention à vous ». Il réaffirme le sentiment d’appartenance. Les remerciements ne sont pas seulement des expressions de gratitude. Il s’agit d’indices d’appartenance cruciaux qui génèrent un sentiment contagieux de sécurité, de connexion et de motivation.



Réciprocité diffuse et réciprocité spécifique


Lorsque nous répondons à un signal d’appartenance non seulement en renvoyant un signal à la personne qui l’a envoyé, nous envoyons également des signaux supplémentaires à d’autres personnes. Il s’agit d’un exemple de réciprocité diffuse.

La réciprocité spécifique est l’idée que si je t’aide, tu m’aideras dans une mesure à peu près équivalente. C’est souvent la première étape d’un échange commercial ou politique, mais elle tend à n’engendrer que des niveaux limités de confiance et de connexion.

La réciprocité diffuse (ou généralisée), en revanche, est l’idée que si j’aide quelqu’un au sein d’un groupe auquel j’appartiens, quelqu’un d’autre dans le groupe m’aidera probablement à l’avenir.

La réciprocité diffuse fait référence à des situations dans lesquelles l’équivalence est moins strictement définie et où les partenaires d’un échange peuvent être considérés comme un groupe.

Dans le contexte de la réciprocité diffuse, les normes sont importantes. Lorsque nous participons à la réciprocité diffuse ou lorsque nous en prenons l’initiative, nous nous efforçons de montrer que nous ne comptons pas les points et que nous n’exigeons pas une valeur égale dans chaque transaction. Nous essayons de montrer que nous pensons que nous faisons partie d’un groupe et que nous récoltons ce que nous semons.

De fait, dans de nombreuses cultures et contextes, rien n’est plus insultant que d’insister pour payer ce qui a été donné. C’est répondre à une offre de bienvenue ou d’aide, de réciprocité diffuse, par un signal de réciprocité spécifique. Cela suggère une « transaction » plutôt qu’une « connexion » et dévalorise le geste de l’autre personne.

L’aspect le plus intéressant des signaux de gratitude et d’appartenance est peut-être le fait que le véritable bénéficiaire est l’expéditeur. Si nous sommes heureux d’être généreux et accueillants, c’est en partie parce que cela nous donne l’impression d’être de bons membres de la communauté et, peut-être, d’en être des membres plus sûrs. 



Le prisme grossissant de la gratitude


Shawn Achor (2010) explique qu’exprimer régulièrement sa gratitude a pour effet d’attirer l’attention et ceux qui en sont témoins (par exemple des élèves dans un contexte de classe) sur ses causes profondes. Si nous le faisons régulièrement, il en résulte une trace rémanente qui fonctionne comme un prisme grossissant. Nous avons plus de chances de voir les évènements à la source de cette sensation de gratitude. 

Nous nous attendons à penser à des exemples de manifestations pour lesquelles nous sommes reconnaissants et à les partager. Nous commençons à les chercher, à scruter le monde à la recherche d’exemples de bonnes choses à apprécier. C’est ainsi que nous en remarquons davantage.

Le fait que ce que nous regardons modifie si profondément notre perception du monde n’est qu’une des raisons pour lesquelles les yeux sont, peut-être, l’outil le plus important pour établir l’appartenance. 

Le caractère public de notre regard permet la coopération et la coordination. Nous pouvons surveiller le regard des autres comme les autres peuvent surveiller le nôtre avec une précision considérable. Il suffit d’orienter notre regard dans une direction pour que d’autres personnes qui nous voient fassent de même. 

Plus important encore, les regards que s’échangent les membres d’un groupe permettent à chacun de savoir s’il est respecté, considéré et en sécurité ou s’il est méprisé, marginalisé ou ignoré. Des contacts visuels affirmatifs forment de solides signaux d’appartenance. À l’inverse, l’absence de contact visuel vers un membre d’un groupe peut suggérer que son inclusion est menacée. Lorsque nous nous exprimons en public, sans un regard de confirmation, nous sombrons vite dans l’anxiété. Nous percevons un signal inquiétant de non-appartenance.

Ce type d’échange est également essentiel en classe dans les temps d’interaction pour faire des erreurs faites par les élèves des opportunités d’apprentissage. Le soutien et l’acceptation des erreurs sont un signe d’appartenance pour une culture de l’apprentissage. Lorsque les élèves se sentent en sécurité et soutenus les uns par les autres, leur niveau de confiance est profond.

De même, en classe, l’absence de contact visuel ou de mauvais types de contact, sont le signe que quelque chose ne va pas, même si la classe est censée fonctionner comme un groupe. Lorsque quelque chose ne va pas dans les informations que nous recevons du regard de nos pairs, nous nous sentons gênés et anxieux. Quand ce type d’atmosphère existe, les élèves peuvent préférer cacher leurs erreurs et masquer leurs difficultés, malgré un coût postérieur parfois conséquent.

Dans de trop nombreuses classes, les élèves parlent souvent sans que personne parmi leurs pairs ne montre qu’ils les ont entendus ou qu’ils se soucient d’eux. Ils rencontrent des difficultés et personne ne leur apporte son soutien. Ils peuvent chercher à établir des liens et personne ne leur manifeste une volonté similaire. Cet effet peut être particulièrement désastreux pour les élèves les plus solitaires et les plus déconnectés. 



Des signaux d’appartenance comme moteur pour un comportement d’apprentissage productif et positif


Lorsque dans des interactions publiques en lien avec l’apprentissage, les élèves perçoivent des signaux d’appartenance et de soutien, un climat d’efficacité et de productivité envahit la classe. 

Les élèves n’ont pas seulement l’impression de faire partie d’un groupe. Ils ont l’impression de faire partie d’un groupe qui réussit, qui va de l’avant et qui accomplit des choses, qui est susceptible de prospérer.

Le sentiment d’appartenance est particulièrement fort lorsqu’il est associé à un sentiment de progrès dynamique soutenu. Cela nous permet de nous rapprocher de l’état de flow. Le flow est un état mental optimal atteint par un individu lorsqu’il est complètement plongé dans une activité et se sent pleinement en phase avec celle-ci. Cet état permet une meilleure concentration, un plein engagement et fournit en retour un sentiment de satisfaction dans l’accomplissement au moment présent. Cet état se manifeste en classe lorsque les élèves perdent la notion du temps tellement ils sont investis dans le cours et sont surpris de la fin de celui-ci.

Les groupes au sein desquels nous parvenons à l’état de flow ne sont pas seulement les plus productifs, mais aussi ceux au sein desquels nous sommes sont les plus susceptibles de ressentir un sentiment d’appartenance. En fin de compte, nous sommes plus heureux lorsque nous appartenons à des groupes qui nous rappellent qu’ils sont productifs et efficaces. Le bonheur inclut souvent le plaisir, mais il se compose également d’engagement.

Une manière de comprendre cette dimension est de la mettre en relation avec le fait que le sentiment d’identité déclaré de tant d’élèves provient d’activités extrascolaires telles que la musique, le théâtre et le sport. Ces activités sont plus susceptibles d’impliquer un état d’engagement dynamique soutenu pour les participants. Un cours de mathématiques est beaucoup plus susceptible d’être sujet à des perturbations constantes de faible niveau dans le contexte de nombreuses écoles. Ces distractions agissent comme des ruptures dans le flux du mouvement vers l’avant, dans le flow. Dans de telles circonstances, il est difficile, voire impossible, de maintenir l’élan et le sentiment d’un engagement total.

Nous devons nous assurer que les activités en classe sont bien conçues et bien enseignées afin de maximiser l’appartenance, l’engagement et la connexion.



Bibliographie


Doug Lemov, Hilary Lewis, Darryl Williams, Denarius Frazier, Reconnect: Building School Culture for Meaning, Purpose, and Belonging, Josey-Bass, 2022.

Holt-Lunstad J, Smith TB, Layton JB. Social relationships and mortality risk: a meta-analytic review. PLoS Med. 2010 Jul 27;7(7):e1000316. doi: 10.1371/journal.pmed.1000316. PMID: 20668659; PMCID: PMC2910600.

Cole, S. W. (2012). Social regulation of gene expression in the immune system. In S. C. Segerstrom (Ed.), The Oxford handbook of psychoneuroimmunology (pp. 254–273). Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780195394399.013.0014

William von Hippel, The Social Leap, 2018, Harper

Daniel Coyle, The Culture Code: The Secrets of Highly Successful Groups, 2018, Random House

Shawn Achor, The Happiness Advantage, 2010, Crown Currency

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