lundi 8 janvier 2024

Qu’est-ce qu’apprendre ? Une approche historique

Synthèse de l’évolution sur les conceptions de l’apprentissage en psychologie, d’après Bourgeois & Chapelle (2011).

(Photographie : Dan Wood)



La naissance de la psychologie scientifique moderne 


La naissance de la psychologie scientifique moderne peut être située à Leipzig, en 1879. Wilhem Wundt y ouvre le premier laboratoire de psychologie expérimentale au monde. L’idée est d’isoler la psychologie de la philosophie et en faire une science à part entière. Son objet est l’étude de la conscience et elle procède par la méthode expérimentale.

L’approche de Wundt est structuraliste. La conscience humaine est vue comme une somme de composants élémentaires : les sensations et les perceptions. Elle est approchable par l’introspection.

Au même moment, d’autres chercheurs émergent dans la direction d’une psychologie scientifique : Herman Ebbinghaus en Allemagne ou William James aux États-Unis. C’est ensuite l’effervescence, de nouveaux laboratoires et des revues scientifiques se créent.

Trois conceptions de l’apprentissage s’affrontent dès le départ. 



Le fonctionnalisme


Aux États-Unis, William James, G. Stanley Hall et John Dewey rejettent le modèle structuraliste de Wundt.

Dans leur vision, la psychologie est une science expérimentale qui étudie la conscience humaine à partir de l’expérience subjective.

La conscience humaine est vue comme un tout :
  • Irréductible à la somme de ses parties
  • Organisée autour de fonctions et d’activités, que le sujet exerce en interaction avec son environnement, dans un contexte donné.
  • Finalisé par une recherche constante et dynamique d’adaptation à l’environnement. 
L’apprentissage est un processus de transformation comprenant nécessairement deux niveaux : 
  • Celui de l’action, c’est-à-dire des actes concrets que l’on pose et qui ont des conséquences observables à la fois sur le sujet et son environnement. ? Il s’agit de faire, d’expérimenter ou de mettre en pratique.
  • Celui de la réflexion, c’est-à-dire de l’activité de pensée exercée par le sujet sur son action, elle est qualifiée d’enquête. Il s’agit de comprendre, de raisonner ou de prédire.
Il ne peut y avoir d’apprentissage sans, à la fois, l’action et la réflexion sur l’action. C’est le « learning by doing » de Dewey. Il y a couplage de l’action et de la pensée réflexive.

L’apprentissage, pour être efficace, doit être perçu par l’apprenant comme une activité fonctionnelle qui a du sens et est utile pour lui.

Cette conception de l’apprentissage a inspiré directement les pédagogies actives.



Le béhaviorisme


Aux États-Unis, à la même époque que le fonctionnalisme, se développe le béhaviorisme :

Le béhaviorisme se définit comme une branche des sciences naturelles. Il se donne comme seul objet légitime l’étude du comportement observable. 

Le béhaviorisme s’oppose au fonctionnalisme et au structuralisme en ce qu’il considère que le seul objet légitime de la psychologie scientifique est l’étude du comportement observable et non la conscience subjective. 

Contrairement au fonctionnalisme, selon le béhaviorisme :
  • L’apprentissage est un processus de modification du comportement observable. 
  • L’apprentissage est déterminé exclusivement par l’environnement, sans une quelconque intervention de l’activité mentale du sujet.

Le béhaviorisme partage avec le structuralisme, s’opposant en cela au fonctionnalisme, l’idée qu’un apprentissage complexe peut se décomposer en apprentissages élémentaires.

La conception béhavioriste de l’apprentissage a largement dominé la scène de la psychologie de l’éducation dès l’entre-deux-guerres jusque dans les années 1970. 

Les travaux de B. F. Skinner ont notamment connu un retentissement particulièrement important dans le champ éducatif.

L’évolution de ce courant a abouti à la « pédagogie par objectifs » ou la « pédagogie de maîtrise », qui ont connu un franc succès dans les années 1970 et 1980. 



La psychologie de la forme, théorie de la gestalt 


Ce courant a été développé en Allemagne vers les années 1910 par Max Wertheimer, Kurt Koffka et Wolfgang Köhler.

Ces chercheurs s’emploient à démontrer que, contrairement à la thèse béhavioriste, le comportement humain n’est pas conditionné de façon « mécanique », par l’environnement. Ils montrent qu’un même stimulus peut susciter des réponses différentes d’un individu à l’autre, tout simplement parce que ce stimulus est représenté mentalement et interprété de façon différente par ces individus.

Tout comme les fonctionnalistes et contrairement aux béhavioristes, les gestaltistes insistent sur le rôle central de l’activité mentale du sujet dans l’apprentissage et, plus généralement, dans ses interactions avec l’environnement. 

Cette conception préfigure les modèles cognitivistes et constructivistes de l’apprentissage qui domineront très largement la scène de la psychologie de l’éducation dès la fin des années 1970 jusqu’à nos jours. 

Elle influencera également les pratiques éducatives en attirant l’attention sur l’importance de l’activité réflexive de l’apprenant. C’est la source du fameux « mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine ».



L’émergence des sciences cognitives 


Dès les années 1950, le développement phénoménal des sciences cognitives a contribué à un spectaculaire regain d’intérêt en psychologie pour l’activité cognitive du sujet dans ses interactions avec son environnement. 

Les sciences cognitives ont fourni les bases à la fois théoriques et méthodologiques permettant l’émergence et la dominance de la psychologie cognitive dans le domaine de l’apprentissage.

Les théories du traitement de l’information tentent de rendre compte des processus par lesquels un individu confronté à une situation donnée reçoit, sélectionne et organise l’information, comment il la stocke en mémoire, la récupère et la communique. 

Ces théories ne constituent pas un courant unifié, mais un faisceau de théories multiples qui se focalisent au contraire sur des aspects spécifiques de l’apprentissage. 

Des théories distinctes traitant des différents processus relevant du traitement de l’information tels que la perception, l’attention, la mémoire, la charge cognitive, la métacognition, la compréhension, le raisonnement, le jugement, etc. 

Elles se distinguent également quant au type de situations auquel se rapporte le traitement de l’information : acquisition de connaissances procédurales, de connaissances déclaratives, résolution de problèmes, traitement de l’information verbale, de l’information imagée, etc. 

L’influence des théories du traitement de l’information sur la psychologie de l’éducation d’aujourd’hui est importante. 

L’apprenant est vu comme un processeur d’information, qui reçoit et sélectionne l’information, l’organise, la mémorise, la récupère et la communique. L’enjeu est de faciliter pour les apprenants les opérations de traitement de l’information souhaitées en fonction de l’apprentissage visé. 

Dès les années 1960, divers auteurs ont proposé des modèles pédagogiques et approches encore vivaces et signifiants aujourd’hui :
  • Bruner : l’apprentissage par la découverte
  • Ausubel : les organisateurs graphiques
  • Piaget : la notion de schéma.



La théorie sociale cognitive (Bandura)


Dans les années 1960, alors que la révolution cognitive s’amorce, un autre mouvement souligne l’importance centrale de la dimension sociale de l’apprentissage. 

L’une des théories de ce mouvement est la théorie sociale cognitive proposée dans les années 1960 par Albert Bandura. Il souligne l’importance de l’observation d’autrui dans l’apprentissage. 

Elle permet de dépasser le cadre du béhaviorisme. Il est vrai qu’on peut apprendre un comportement donné lorsque celui-ci est renforcé par l’octroi d’une récompense ou la suspension d’une punition. Cependant, il n’est pas nécessaire que le sujet fasse lui-même personnellement l’expérience de ce renforcement. 

Le seul fait de l’observer chez autrui peut suffire à produire le même effet d’apprentissage chez le sujet. L’autre peut donc jouer un rôle important dans l’apprentissage, par le biais de l’observation et de l’imitation. 

L’impact de cette théorie dans le champ éducatif a confirmé l’approche de pédagogies qui soulignent les vertus de l’exemple, de l’observation et de l’imitation de modèles pour l’apprentissage. 

Bandura accorde, dans sa théorie, une importance fondamentale dans l’apprentissage aux interactions cognitives et sociales du sujet avec son environnement.

Dans cette dimension, l’apprentissage et la motivation à apprendre, ne peuvent se comprendre qu’en prenant en considération les interactions entre trois données :
  • La personne et ses représentations cognitives (sentiment d’efficacité personnelle)
  • Son comportement (ce qu’elle fait réellement)
  • Son environnement, en particulier social. 


Mis à jour le 28/04/2024

Bibliographie


Etienne Bourgeois et Gaëtane Chapelle, sous la direction de, Apprendre et faire apprendre, 2011, PUF

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