(Photographie : Kathya Landeros)
Le flou contre-productif de la différenciation
La différenciation part pourtant d’un constat évident. Dans toute classe, les élèves ont des connaissances préalables non équivalentes et des vitesses d’apprentissage différentes pour certaines matières. L’hétérogénéité est toujours présente, évolutive et dynamique.
Ce que les enseignants attendent de leurs élèves a une influence sur les questions qu’ils leur posent, sur la rétroaction qu’ils leur donnent et sur le contenu enseigné. Ces différents éléments influencent invariablement les résultats de leurs élèves, néanmoins ils se heurtent de nouveau à l’hétérogénéité des classes, à leur taille et à la proportion d’élèves rencontrant des difficultés. Il est difficile d’avoir des attentes aussi élevées pour tous les élèves dans toutes les classes.
Comme l’exprime Daniel Muijs (2023), le concept de différenciation est depuis longtemps régulièrement questionné et remis en question. Différentes alternatives existent et ont émergé face à une différenciation trop hâtive, souvent mal définie et floue. Nous pouvons évoquer les pistes de l’enseignement explicite, de l’évaluation soutien d’apprentissage ou du système de soutien à différents niveaux, toutes largement explorées dans ces pages.
L’idée n’est pas d’exclure toute idée de différenciation. Inévitablement, l’une ou l’autre forme de différenciation est utile si nous ne voulons pas accroitre les écarts. Cependant, le fait de s’investir d’emblée et sans nuances dans la différenciation est un facteur qui accroit potentiellement de manière nette la charge de travail des enseignants.
De plus, certaines formes de différenciation sont susceptibles d’accroitre les inégalités entre les élèves, se fondent parfois sur des neuromythes ou ne sont simplement pas soutenues par des données probantes.
La différenciation s’est retrouvée piégée dans la notion de personnalisation où les enseignants étaient invités à concevoir des tâches différentes pour différents groupes d’élèves. Les conséquences étaient que lorsque ces tâches différenciées étaient mal utilisées, elles conduisaient à des attentes faibles. Les élèves en difficulté se voyant confier un travail plus facile, ce qui les faisait prendre encore plus de retard.
Orienter les élèves, faire des groupes de niveaux ou privilégier des formes de soutien ciblées
Certains systèmes éducatifs, comme l’Allemagne, vont séparer les élèves rapidement, après quatre années d’enseignement primaire. D’autres comme en FW-B, dans le cadre du tronc commun, ne prévoient la séparation qu’après six années de primaires et trois années de secondaire. Il y a là un décalage de cinq années entre les deux optiques.
Comme le rapporte Muijs (2023), il n’existe que peu d’éléments permettant de déterminer si des systèmes éducatifs qui sélectionnent rapidement sont globalement plus performants que les systèmes d’enseignement général qui maintiennent les élèves ensemble. Toutefois, de nombreuses données provenant du monde entier montrent que la séparation des élèves hâtivement selon des filières a tendance à exacerber les inégalités.
Une alternative est de procéder par des groupes de niveaux. La recherche montre également que sur l’enseignement des mathématiques, l’approche conduit à des résultats légèrement meilleurs pour les élèves des niveaux supérieurs et légèrement moins bons pour les élèves des niveaux inférieurs. Ce constat pose problème, car cela accroit les écarts entre les élèves et se fait en défaveur des élèves issus de milieux populaires ou d’origine étrangère.
Une manière d’éviter cet effet négatif est l’adoption d’une plus grande flexibilité des groupes avec un système de soutien à différents niveaux (réponse à l’intervention). La réponse à l’intervention demande une organisation complexe et beaucoup de souplesse de la part des écoles. Cette piste semble actuellement la plus prometteuse.
L’enseignement adaptatif comme alternative à la différenciation
Regrouper les élèves par niveau est problématique. Cependant, les enseignants et les écoles doivent toujours gérer les différences entre les élèves.
Un changement de paradigme serait de considérer comme alternative à la différenciation le concept d’enseigne adaptatif.
L’idée n’est pas de proposer une pratique entièrement nouvelle, mais d’amener à un changement d’accent sur la manière d’appréhender l’enseignement en classe tel qu’il se donne.
En considérant la piste de l’évaluation soutien d’apprentissage conjuguée à celle de l’enseignement explicite et aux apports de la science de l’apprentissage, nous aboutissons à un enseignement adaptatif :
- Nous vérifions régulièrement ce que les élèves comprennent ou savent par le biais de différentes formes d’évaluation formative en direct. Le retour d’information nous permet de déterminer, ce qu’ils connaissent déjà et sont capables de faire, de même que leurs difficultés.
- Nous envisageons sur un intervalle de temps court quelle doit être la prochaine étape de l’enseignement et de l’apprentissage pour mieux les aider à progresser.
- Nous veillons à ce que les démarches d’enseignement explicite mises en œuvre répondent le mieux possible aux besoins individuels à l’échelle de la classe, sans devoir s’engager dans des démarches de différenciation.
L’enseignement adaptatif part de l’idée qu’un soutien adapté doit être fourni aux enfants et aux élèves pour lesquels des besoins supplémentaires sont identifiés, tout en maintenant les mêmes attentes élevées à leur propos. Pour mieux répondre aux besoins des élèves, les enseignants doivent sélectionner les pratiques pédagogiques les plus efficaces et c’est là que l’enseignement explicite entre en jeu. Pour ces raisons, l’enseignement adaptatif paraît être une avancée positive par rapport à la pédagogie inclusive. Les apports de la science de l’apprentissage à travers notamment le fait d’assurer des opportunités de pratique de récupération distribuée sont eux-mêmes importants pour viser des apprentissages durables.
Là où le modèle de l’enseignement adaptatif et celui de la pédagogie différenciée bifurquent, c’est que l’enseignement adaptatif se joue avec l’ensemble de la classe. À l’opposé, la différenciation se concentre sur les individus et la personnalisation.
Le principe d’un enseignement adaptatif paraît simple, mais sa mise en œuvre n’en reste pas moins un défi face à des groupes d’élèves diversifiés et hétérogènes. Répondre aux besoins singuliers des individus peut créer beaucoup de travail pour des enseignants déjà surchargés. L’enseignement adaptatif veut échapper au travers de la pédagogie différenciée.
Comprendre les défis liés à la mise en œuvre d’un enseignement adaptatif
De la différenciation à l’enseignement adaptatif
Comme l’écrivent Hammond et ses collègues (2023), dans chaque cours, les aptitudes et les connaissances des élèves, associés aux facteurs environnementaux, dictent ce qu’ils apprendront. La conséquence naturel est qu’ils progresseront à des rythmes différents au fil du temps.
Traditionnellement, les enseignants adaptent leur enseignement aux élèves et aux groupes d’élèves afin de s’assurer que chaque élève participe à l’apprentissage à un niveau approprié. C’est le principe de la différenciation. La différenciation est apparue avec l’émergence des modèles d’enseignement moderne à l’ère post-industrielle, en particulier dans les écoles à enseignant unique qui accueillent des élèves de tous âges.
Carol Ann Tomlinson (1999), experte reconnue en matière d’enseignement différencié, a souligné l’importance pour les enseignants de répondre aux besoins individuels des élèves. « Dans les classes différenciées, les enseignants proposent à chaque élève des méthodes spécifiques pour apprendre aussi profondément et rapidement que possible, sans supposer que le parcours d’apprentissage d’un élève est identique à celui d’un autre. »
Sur le plan logistique, cette insistance sur l’individualisation de l’enseignement impose une lourde charge pédagogique aux enseignants. Cette surcharge ne se traduit par nécessairement en impact notable.
L’enseignement adaptatif se propose comme une alternative à la différenciation. Prospero (2022) le décrit de la manière suivante : « L’enseignement adaptatif consiste à enseigner les mêmes objectifs pédagogiques à tous les élèves tout en leur fournissant des supports pour les aider à progresser. Les enseignants adaptatifs ont une compréhension approfondie des besoins de leurs élèves. Ils disposent d’une gamme de stratégies qu’ils peuvent utiliser de différentes manières tout au long d’un même cours, notamment :
- Poser des questions, intervenir de manière ciblée, favoriser des discussions de qualité.
- Des activités d’apprentissage planifiées qui conviennent à l’ensemble de la classe.
- La capacité d’apprendre et de collaborer avec d’autres éducateurs » (Prospero, 2022).
La tendance actuelle à l’enseignement adaptatif vient du PISA (2019), qui a réagi aux données générées par l’analyse des résultats du PISA 2018. L’analyse du PISA (2019) a révélé que les élèves décrivaient certaines des caractéristiques de l’enseignement adaptatif comme suit :
- L’enseignant adapte le cours aux besoins et aux connaissances de [ma] classe.
- L’enseignant apporte une aide individuelle lorsqu’un élève a des difficultés à comprendre un sujet ou une tâche
- L’enseignant modifie la structure du cours sur un sujet que la plupart des élèves trouvent difficile à comprendre.
Avec l’apprentissage adaptatif, les enseignants utilisent leurs connaissances et leurs compétences actuelles sur les élèves pour déterminer l’enseignement « sur le moment » qui rapproche l’élève de l’acquisition des objectifs d’apprentissage poursuivis.
Mettre en évidence l’enseignement adaptatif
L’expertise en matière d’évaluation s’acquiert grâce à une pratique éclairée et aux commentaires d’experts.
Des enseignants, regardant une vidéo d’un enseignant en train d’enseigner, verront chacun des choses différentes. Il faut souvent des praticiens experts (des connaisseurs en matière d’éducation) pour repérer les actions discrètes qui constituent des pratiques d’enseignement adaptatif.
Il s’agit également d’échapper à la malédiction de la connaissance concernant l’enseignement adaptatif car celui-ci n'existe pas par défaut :
- Premièrement, l’enseignement adaptatif n’est pas l’apanage de certains enseignants :
- Chaque adulte présent en classe avec les élèves a un rôle à jouer dans l’enseignement adaptatif.
- L’enseignement adaptatif est par conséquent central dans le cas d’un co-enseignement.
- Deuxièmement, la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage adaptatifs commence par les relations entre l’enseignant et l’élève, et par les connaissances.
- L’enseignement adaptatif n’est pas une dimension que les enseignants peuvent ignorer mais qu'ils peuvent développer intentionnellement.
- Troisièmement, comme le met en évidence Julie Wharton (2023) : « Certains diront que l’enseignement adaptatif est identique à la différenciation, mais il existe une différence cruciale : l’enseignement adaptatif commence avec l’ensemble de la classe, tandis que la différenciation se concentre sur les individus. »
L’essence de l’enseignement adaptatif réside dans les microajustements que les bons enseignants peuvent effectuer à la volée : « Une fois le cours commencé, l’adaptation instantanée est essentielle pour maximiser l’apprentissage. Les enseignants qui connaissent bien leur classe repèrent rapidement les baisses de concentration, ou remarquent lorsque les élèves semblent incertains. Une évaluation formative rapide et continue et une bonne communication avec les autres adultes présents dans la salle permettent d’apporter de petits ajustements à la tâche, permettant ainsi à l’élève de réussir. Par exemple, un enseignant peut poser des questions pour activer les connaissances préalables ou laisser aux enfants le temps de discuter et de résoudre des problèmes. Il peut décider de susciter la réponse d’un élève d’une manière différente s’il constate que celui-ci a du mal à communiquer ses idées. » (Wharton, 2023)
La profondeur de ces microajustements aux leçons et aux interactions peut ne pas être reconnue par de nombreux observateurs externes qui ne connaissent pas l’histoire ou le contexte de chaque relation.
Les différences entre la différenciation et l’enseignement adaptatif sont claires, mais elles ne sont souvent pas faciles à discerner pour les observateurs externes.
Par exemple, l’enseignant qui pratique l’enseignement adaptatif peut passer devant un élève et jeter un coup d’œil rapide à son travail. Pour l’observateur occasionnel, cela semble être une simple marque d’attention envers l’élève en difficulté. Cependant, le langage corporel et le léger hochement de tête sont reconnus par l’élève comme une reconnaissance de sa réussite dans l’assimilation du concept.
Comprendre l’enseignement adaptatif et ses enjeux
Nous pouvons savoir quand un cours a bien fonctionné, nous pouvons également reconnaître un excellent enseignement lorsque nous le voyons. C’est un moment wow. Il s’agit d’une combinaison d’algorithmes complexes qui intègrent de nombreuses variables actives.
La question à se poser est comment ces variables sont-elles manipulées et utilisées pour créer ces moments wow ?
C’est le pari de l’enseignement adaptatif. L’enseignement adaptatif est étroitement centré sur l’acte d’enseigner. Il repose sur une compréhension approfondie du niveau d’apprentissage de chaque élève, une compréhension sensible du langage corporel et des réactions des élèves. L’enseignement adaptatif consiste à maintenir les mêmes objectifs pédagogiques pour tous les élèves tout en leur fournissant les supports nécessaires.
Les enseignants qui travaillent dans le cadre du paradigme adaptatif connaissent leur public. Ils sont suffisamment perspicaces pour bien gérer la charge cognitive des élèves dans l’élaboration des leçons à mesure qu’ils progressent dans la séquence d’apprentissage.
Le fait d’aligner nos pratiques pédagogiques sur les attentes clés de l’enseignement adaptatif assure que les enseignants développent les compétences raffinées qui accompagnent un enseignement expert. Cela ne se fait pas spontanément.
Comme l’exprime Daniel Muijs (2023), si nous examinons la recherche sur l’enseignement adaptatif, deux conclusions s’imposent :
- La majorité des études portant sur l’enseignement adaptatif montrent qu’il a un impact positif modeste sur le niveau des élèves, quel que soit leur niveau antérieur.
- Les recherches montrent également qu’il est difficile de réussir l’enseignement adaptatif. Il s’agit d’une approche particulièrement complexe qui nécessite un bon développement professionnel et un bon soutien pour l’enseignant, ainsi qu’une bonne dose d’expérience et d’expertise en matière d’enseignement.
Deux constats s’imposent pour la mise de l’enseignement adaptatif en œuvre en école :
- Il convient de s’assurer qu’il ne sera pas imposé aux enseignants sans le soutien expert et le développement professionnel nécessaires.
- Il ne faut pas supposer que l’enseignement adaptatif est une chose sur laquelle nous devons mettre l’accent pour les enseignants novices. Pour eux, la classe est un endroit suffisamment complexe sans les exigences supplémentaires des approches adaptatives.
Dès lors, il apparait que l’enseignement adaptatif se conçoit à l’échelle d’une école avec des enseignants déjà expérimentés prêts à relever le défi.
Définir un cadre pour l’enseignement adaptatif
L’enseignement adaptatif s’impose comme une notion clé si l’on réfléchit aux dimensions de l’efficacité et de l’équité de l’enseignement.
Il s’inscrit dans une perspective sur les pratiques enseignantes qui vise à concilier des attentes élevées, l’hétérogénéité des classes et des pratiques d’enseignement efficace (enseignement explicite, évaluation formative ou apports de la science de l’apprentissage).
Si les intentions ne sont pas neuves, il se distingue toutefois par une attention portée à une dimension evidence-based. Elle s’illustre par une volonté d’éviter des mutations létales, c’est-à-dire des détournements conceptuels qui pourraient le confondre avec des pratiques antérieures liées à la pédagogie différenciée. L’enseignement adaptatif a besoin de reposer sur un cadre conceptuel robuste, comme l’exprime Alex Quigley (2023).
La notion d’expertise adaptative
La notion d’expertise adaptative a été introduite par Hatano & Inagaki (1986), deux psychologues japonais, dans le contexte de l’apprentissage et du développement cognitif.
Ils ont montré que l’expertise s’étend au-delà de la performance efficiente. Ils se sont attachés aux dimensions de compréhension et d’adaptation de l’expertise.
Ils ont distingué deux types d’expertise :
- L’expertise routinière
- Elle se caractérise par la capacité à exécuter rapidement et efficacement des tâches connues grâce à une automatisation poussée. Elle repose sur la répétition, l’application de procédures éprouvées et l’accumulation de connaissances procédurales.
- Ce type d’expertise est robuste dans des contextes stables, mais montre ses limites lorsque des situations nouvelles ou imprévues apparaissent.
- L’expertise adaptative
- Elle va au-delà de l’automatisation. Elle implique la capacité à innover, transférer et réorganiser ses connaissances pour répondre à des problèmes nouveaux ou non familiers.
- L’expert adaptatif ne se contente pas d’appliquer des routines. Il comprend les principes sous-jacents, sait remettre en question ses stratégies, et peut ajuster sa pensée pour explorer de nouvelles solutions face à des situations nouvelles et complexes.
L’expertise ne se résume pas à faire bien et vite ce qu’on sait déjà faire. Un expert adaptatif ne se contente pas de reproduire des solutions efficaces, il comprend profondément les principes sous-jacents et peut les reconfigurer selon les besoins du contexte. Il s’ajuste intelligemment à des situations nouvelles.
Le développement d’une expertise adaptative implique :
- Une exposition à la variabilité
- Elle se traduit par le fait de rencontrer des situations qui ne sont pas identiques, qui exigent de penser et non seulement de répéter.
- Un accent sur la compréhension conceptuelle
- Il s’agit de le ne pas seulement viser la performance, mais la maîtrise.
- Dans l’expertise routinière, la réussite repose surtout sur la mémoire procédurale. Dans l’expertise adaptative, l’individu développe une flexibilité cognitive, nourrie par une compréhension plus profonde des concepts et de leurs interrelations.
- Une valorisation de la curiosité et du questionnement :
- Il s’agit de stimuler la motivation intrinsèque, par une recherche de la compréhension plutôt que de simplement viser la performance immédiate.
- L’expert adaptatif entretient une curiosité intellectuelle et un désir de comprendre le « pourquoi » et le « comment » des choses. Cela contraste avec l’expert routinier, dont l’objectif est souvent de produire des réponses correctes rapidement, sans interroger les principes sous-jacents.
- Des interactions sociales riches :
- Elles consistent à apprendre dans des contextes où l’on doit expliquer, discuter, confronter des points de vue.
Dès lors, l’expertise adaptative ne se développe pas spontanément : elle nécessite des cultures d’apprentissage qui valorisent la réflexion et non seulement l’efficacité.
Appliquée au domaine de l’enseignement, cette distinction suggère que les enseignants experts ne se limitent pas à la reproduction de routines pédagogiques efficaces. Ils sont capables d’ajuster leurs pratiques en fonction de la variabilité des situations d’apprentissage, en interprétant les signaux des élèves et en mobilisant leurs expériences antérieures pour construire des réponses appropriées. L’enseignement adaptatif trouve ainsi ses fondements dans une de l’expertise professionnelle, où la flexibilité est indissociable de la compétence.
Enseigner de manière adaptative
Lynn Corno (2008) propose une conceptualisation opérationnelle de l’enseignement adaptatif. Enseigner de manière adaptative consiste à répondre en temps réel aux différences individuelles et aux évolutions du processus d’apprentissage.
Elle a exploré ce que font les enseignants pour répondre aux différences des élèves en matière d’apprentissage :
- Les enseignants répondent aux besoins des élèves au fur et à mesure qu’ils progressent dans les tâches d’apprentissage.
- Les enseignants interprètent les signaux des élèves (réponses, erreurs, attitudes, engagement) pour diagnostiquer leurs besoins en direct.
- Les enseignants consacrent une attention soutenue à la régulation du niveau de difficulté, de manière à maintenir le plus grand nombre d’élèves dans un engagement génératif.
- Les enseignants mobilisent leur expérience professionnelle pour ajuster les tâches et les supports de manière productive et pour former des groupes d’apprentissage flexibles.
Cette approche met en lumière la dimension située et contingente de l’expertise enseignante. L’adaptation ne se réduit pas à une planification différenciée a priori, mais repose sur une interaction dynamique entre les intentions pédagogiques et les réactions effectives des apprenants.
Corno (2008) introduit l’idée selon laquelle l’efficacité de l’enseignement repose sur la capacité à réguler les apprentissages dans le flux même de l’action.
Développer des compétences liées à l’enseignement adaptatif
La conception dynamique de l’enseignement adaptatif rejoint les conceptions de Darling-Hammond et Bransford (2005) sur la formation des enseignants.
La compétence professionnelle repose sur la capacité à relier les connaissances théoriques, les connaissances issues de la recherche et l’expérience pratique dans des contextes variés.
L’enseignant efficace est celui qui parvient à ajuster ses décisions pédagogiques en fonction des besoins observés, tout en maintenant la cohérence des objectifs d’apprentissage.
Dans ce cadre, l’enseignement adaptatif apparaît comme une compétence intégrée, combinant connaissances déclaratives (sur les contenus et les processus cognitifs), connaissances procédurales (méthodes d’enseignement) et connaissances conditionnelles (capacité à choisir la stratégie appropriée à une situation donnée).
L’enseignement adaptatif répond à la dimension professionnelle, cognitive et éthique de l’acte d’enseigner :
- La dimension professionnelle repose sur le jugement professionnel
- La cognitive repose sur la compréhension des mécanismes d’apprentissage
- La dimension éthique vise la réussite de tous les élèves sans abaisser les exigences.
De la différenciation à l’enseignement adaptatif
Dans le contexte britannique, l’Early Career Framework (2021) a institutionnalisé une conception de l’enseignement adaptatif. Il est défini comme la capacité à permettre la réussite de tous les élèves en adaptant les cours, tout en maintenant des attentes élevées pour chacun.
Cette approche marque une rupture avec la différenciation telle qu’elle a souvent été interprétée dans les années 2000, c’est-à-dire comme une individualisation excessive des apprentissages. Comme le rappelle Daniel Muijs (2023), une telle différenciation « micro-personnalisée » est à la fois irréaliste et contre-productive : elle fragmente la classe et réduit la cohérence de l’enseignement. C’est dans cette perspective que Alex Quigley (2023) avance : « Differentiation is dead, long live adaptive teaching ».
L’enseignement adaptatif ne consiste pas à concevoir autant de parcours qu’il y a d’élèves, mais à ajuster les modalités pédagogiques en fonction de la progression collective et individuelle. Il repose sur un pilotage fin de la classe, nourri par une évaluation formative continue, des ajustements progressifs, des regroupements flexibles et un haut degré de guidage.
L’enseignement adaptatif est à la fois conceptuel et pratique. Il exige de l’enseignant une réponse rapide aux variations de performance et d’apprentissage des élèves. Les enseignants adaptatifs créent une zone symbolique au centre du terrain d’enseignement, un espace pour l’enseignement le plus facile. Ils s’efforcent de maintenir le plus grand nombre d’élèves dans cette zone centrale. L’enjeu est de tirer parti des compétences de l’ensemble de la classe, d’inciter les élèves à partager leurs expériences et de développer leurs aptitudes.
L’enseignement adaptatif offre un cadre conceptuel pour des pratiques existantes qui délivrent une réactivité face à la progression de l’apprentissage des élèves, mais étaient auparavant difficiles à expliquer :
- Regroupements flexibles
- Réapprentissage d’un contenu pour un élève en difficulté
- Co-enseignement
Mis à jour le 04/10/2025
Bibliographie
Daniel Muijs, Is it time to ditch differentiation? https://www.tes.com/magazine/teaching-learning/general/adaptive-teaching-ditch-differentiation-teachers, 2023
Alex Quigley , Differentiation is dead, long live adaptive teaching, 2023, https://www.tes.com/magazine/teaching-learning/general/adaptive-teaching-vs-differentiation-inclusive-teaching
Early Career Framework — ECF, 2021, https://www.gov.uk/government/publications/early-career-framework
Hatano, G., & Inagaki, K. (1986). Two courses of expertise. In H. W. Stevenson, H. Azuma, & K. Hakuta (Eds.), Child development and education in Japan (pp. 262–272). W H Freeman/Times Books/ Henry Holt & Co.
Darling-Hammond, L., & Bransford, J. (Eds.). (2005). Preparing teachers for a changing world: What teachers should learn and be able to do. Jossey-Bass.
LYN CORNO (2008) On Teaching Adaptively, Educational Psychologist, 43:3, 161–173, DOI: 10.1080/00461520802178466
Lorraine Hammond, Ray Boys, Neil MacNeill, Adaptive Teaching: Finessing Great Teaching Practices, 2023 https://www.educationtoday.com.au/news-detail/Adaptive-Teaching-5939#
Boyd, R., Harris, M., & MacNeill, N. (2022). The curse of knowledge: Do you know what I know? Education Today. https://www.educationtoday.com.au/news-detail/The-Curse-of-Knowledge-5523
PISA (2019). PISA 2018 results: What school life means for students’ lives. Paris : PISA. https://www.oecd.org/publications/pisa-2018-results-volume-iii-acd78851-en.htm
Prospero (2022, November 9). Differentiation v. adaptive teaching. https://www.prosperoteaching.com/blog/2022/11/differentiation-vs-adaptive-teaching
Tomlinson, C.A. (1999). The differentiated classroom: Responding to the needs of all learners. ASCD.
Wharton, J. (2023, March 3). How to get adaptive teaching right. Times Education Supplement.

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