jeudi 4 janvier 2024

Du paradigme de la différenciation à celui de l’enseignement adaptatif

Face aux limites et faiblesses liées à la mise en œuvre de la pédagogie différenciée, l’enseignement adaptatif se propose comme un modèle alternatif associant différentes approches fondées sur des données probantes.

(Photographie : Kathya Landeros)





Le flou contre-productif de la différenciation


La différenciation part pourtant d’un constat évident. Dans toute classe, les élèves ont des connaissances préalables non équivalentes et des vitesses d’apprentissage différentes pour certaines matières. L’hétérogénéité est toujours présente, évolutive et dynamique.

Ce que les enseignants attendent de leurs élèves a une influence sur les questions qu’ils leur posent, sur la rétroaction qu’ils leur donnent et sur le contenu enseigné. Ces différents éléments influencent invariablement les résultats de leurs élèves, néanmoins ils se heurtent de nouveau à l’hétérogénéité des classes, à leur taille et à la proportion d’élèves rencontrant des difficultés. Il est difficile d’avoir des attentes aussi élevées pour tous les élèves dans toutes les classes.

Comme l’exprime Daniel Muijs (2023), le concept de différenciation est depuis longtemps régulièrement questionné et remis en question. Différentes alternatives existent et ont émergé face à une différenciation trop hâtive, souvent mal définie et floue. Nous pouvons évoquer les pistes de l’enseignement explicite, de l’évaluation soutien d’apprentissage ou du système de soutien à différents niveaux, toutes largement explorées dans ces pages.

L’idée n’est pas d’exclure toute idée de différenciation. Inévitablement, l’une ou l’autre forme de différenciation est utile si nous ne voulons pas accroitre les écarts. Cependant, le fait de s’investir d’emblée et sans nuances dans la différenciation est un facteur qui accroit potentiellement de manière nette la charge de travail des enseignants. 

De plus, certaines formes de différenciation sont susceptibles d’accroitre les inégalités entre les élèves, se fondent parfois sur des neuromythes ou ne sont simplement pas soutenues par des données probantes.

La différenciation s’est retrouvée piégée dans la notion de personnalisation où les enseignants étaient invités à concevoir des tâches différentes pour différents groupes d’élèves. Les conséquences étaient que lorsque ces tâches différenciées étaient mal utilisées, elles conduisaient à des attentes faibles. Les élèves en difficulté se voyant confier un travail plus facile, ce qui les faisait prendre encore plus de retard.



Orienter les élèves, faire des groupes de niveaux ou privilégier des formes de soutien ciblées


Certains systèmes éducatifs, comme l’Allemagne, vont séparer les élèves rapidement, après quatre années d’enseignement primaire. D’autres comme en FW-B, dans le cadre du tronc commun, ne prévoient la séparation qu’après six années de primaires et trois années de secondaire. Il y a là un décalage de cinq années entre les deux optiques. 

Comme le rapporte Muijs (2023), il n’existe que peu d’éléments permettant de déterminer si des systèmes éducatifs qui sélectionnent rapidement sont globalement plus performants que les systèmes d’enseignement général qui maintiennent les élèves ensemble. Toutefois, de nombreuses données provenant du monde entier montrent que la séparation des élèves hâtivement selon des filières a tendance à exacerber les inégalités.

Une alternative est de procéder par des groupes de niveaux. La recherche montre également que sur l’enseignement des mathématiques, l’approche conduit à des résultats légèrement meilleurs pour les élèves des niveaux supérieurs et légèrement moins bons pour les élèves des niveaux inférieurs. Ce constat pose problème, car cela accroit les écarts entre les élèves et se fait en défaveur des élèves issus de milieux populaires ou d’origine étrangère.

Une manière d’éviter cet effet négatif est l’adoption d’une plus grande flexibilité des groupes avec un système de soutien à différents niveaux (réponse à l’intervention). La réponse à l’intervention demande une organisation complexe et beaucoup de souplesse de la part des écoles. Cette piste semble actuellement la plus prometteuse.



La piste de l’enseignement adaptatif comme alternative à la différenciation


Regrouper les élèves par niveau est problématique. Cependant, les enseignants et les écoles doivent toujours gérer les différences entre les élèves. 

Un changement de paradigme serait de considérer comme alternative à la différenciation le concept d’enseigne adaptatif. 

L’idée n’est pas de proposer une pratique entièrement nouvelle, mais d’amener à un changement d’accent sur la manière d’appréhender l’enseignement en classe tel qu’il se donne. 

En considérant la piste de l’évaluation soutien d’apprentissage, nous aboutissons à un enseignement adaptatif :
  • Nous partons de l’évaluation de ce que les élèves connaissent déjà et sont capables de faire. 
  • Nous examinons ce qu’ils doivent savoir.
  • Dans la mesure du possible, nous veillons à ce que l’enseignement réponde à ces besoins individuels.
L’enseignement adaptatif part de l’idée qu’un soutien adapté doit être fourni aux enfants et aux élèves pour lesquels des besoins supplémentaires sont identifiés. Pour mieux répondre aux besoins des élèves, les enseignants doivent sélectionner les pratiques pédagogiques les plus efficaces et c’est là que l’enseignement explicite entre en jeu. Pour ces raisons, l’enseignement adaptatif paraît est une avancée positive par rapport à la pédagogie inclusive. 

Là où le modèle de l’enseignement adaptatif et celui de la pédagogie différenciée bifurquent, c’est que l’enseignement adaptatif se joue avec l’ensemble de la classe. À l’opposé, la différenciation se concentre sur les individus et la personnalisation.

Le principe d’un enseignement adaptatif parfait simple, mais sa mise en œuvre n’en reste pas moins un défi face à des groupes d’élèves diversifiés. Répondre aux besoins des individus peut créer beaucoup de travail pour des enseignants déjà surchargés. L’enseignement adaptatif doit échapper aux travers de la pédagogie différenciée.



Données probantes et mise en œuvre de l’enseignement adaptatif


Comme l’exprime Daniel Muijs (2023), si nous examinons la recherche sur l’enseignement adaptatif, deux conclusions s’imposent : 
  • La majorité des études portant sur l’enseignement adaptatif montrent qu’il a un impact positif modeste sur le niveau des élèves, quel que soit leur niveau antérieur. 
  • Les recherches montrent également qu’il est difficile de réussir l’enseignement adaptatif. Il s’agit d’une approche particulièrement complexe qui nécessite un bon développement professionnel et un bon soutien pour l’enseignant, ainsi qu’une bonne dose d’expérience et d’expertise en matière d’enseignement.
Deux constats s’imposent pour la mise de l’enseignement adaptatif en œuvre en école : 
  • Il convient de s’assurer qu’il ne sera pas imposé aux enseignants sans le soutien expert et le développement professionnel nécessaires. 
  • Il ne faut pas supposer que l’enseignement adaptatif est une chose sur laquelle nous devons mettre l’accent pour les enseignants novices. Pour eux, la classe est un endroit suffisamment complexe sans les exigences supplémentaires des approches adaptatives.
Dès lors, il apparait que l’enseignement adaptatif se conçoit à l’échelle d’une école avec des enseignants déjà expérimentés prêts à relever le défi.



Définir un cadre pour l’enseignement adaptatif


Comme l’exprime Alex Quigley (2023), l’enseignement adaptatif a besoin d’une définition précise qui le protège de mutations létales. 

L’enseignement adaptatif a été défini (Early Career Framework, 2021). Il est l’opportunité pour tous les élèves de connaître le succès, en adaptant les cours, tout en maintenant des attentes élevées pour tous, afin que tous les élèves aient l’opportunité de répondre aux attentes. 

Ce concept trouve ses racines dans la notion d’expertise adaptative définie par Hatano et Inagaki (1986). Ils ont distingué les enseignants experts qui démontraient dans leur pratique en classe une expertise routinière en apportant des changements adaptatifs en fonction de l’apprentissage variable de leurs élèves.

La notion d’enseignement adaptatif a également été explorée par Darling-Hammond et Bransford (2005).

Corno (2008) a écrit un article sur l’enseignement adaptatif en explorant ce que font les enseignants pour répondre aux différences des élèves en matière d’apprentissage. En enseignant de manière adaptative :
  • Les enseignants répondent aux besoins des élèves au fur et à mesure qu’ils progressent dans les tâches d’apprentissage.
  • Les enseignants interprètent les signaux des élèves pour diagnostiquer leurs besoins en direct. Pour y arriver, ils s’appuient sur leurs expériences antérieures avec des apprenants similaires pour y répondre de manière productive. 
  • Les enseignants utilisent leur expérience pour former des groupes flexibles d’apprentissage. 
L’enseignement adaptatif est à la fois conceptuel et pratique. Il exige de l’enseignant une réponse rapide aux variations de performance et d’apprentissage des élèves. Les enseignants adaptatifs créent une zone symbolique au centre du terrain d’enseignement, un espace pour l’enseignement le plus facile. Ils s’efforcent de maintenir le plus grand nombre d’élèves dans cette zone centrale. L’enjeu est de tirer parti des compétences de l’ensemble de la classe, d’inciter les élèves à partager leurs expériences et de développer leurs aptitudes. 

L’enseignement adaptatif offre un cadre conceptuel pour des pratiques existantes qui délivre une réactivité face à la progression de l’apprentissage des élèves, mais étaient auparavant difficiles à expliquer : 
  • Regroupements flexibles
  • Réapprentissage d’un contenu pour un élève en difficulté
  • Co-enseignement
Un élément intéressant est que ce concept d’enseignement adaptatif présente des recouvrements avec le concept d’évaluation soutien d’apprentissage, d’évaluation formative, d’enseignement explicite et d’enseignement réactif.


Mis à jour le 26/04/2024

Bibliographie 


Daniel Muijs, Is it time to ditch differentiation? https://www.tes.com/magazine/teaching-learning/general/adaptive-teaching-ditch-differentiation-teachers, 2023

Alex Quigley , Differentiation is dead, long live adaptive teaching, 2023, https://www.tes.com/magazine/teaching-learning/general/adaptive-teaching-vs-differentiation-inclusive-teaching

Early Career Framework — ECF, 2021, https://www.gov.uk/government/publications/early-career-framework

Hatano, G., & Inagaki, K. (1986). Two courses of expertise. In H. W. Stevenson, H. Azuma, & K. Hakuta (Eds.), Child development and education in Japan (pp. 262–272). W H Freeman/Times Books/ Henry Holt & Co.

Darling-Hammond, L., & Bransford, J. (Eds.). (2005). Preparing teachers for a changing world: What teachers should learn and be able to do. Jossey-Bass.

LYN CORNO (2008) On Teaching Adaptively, Educational Psychologist, 43:3, 161–173, DOI: 10.1080/00461520802178466

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