Qu’est-ce que l’enseignement explicite et qu’est-ce que ça n’est pas ? Un compte-rendu d’une conférence remarquable de Maryse Bianco (2023).
(Photographie : Adam Golfer)
Enseignement explicite et enseigner plus explicitement
L’enseignement explicite est une expression qui est devenue omniprésente dans le champ de l’éducation.
Il existe des appellations différentes en fonction du lieu et de la sensibilité de chacun.
On parle d’enseignement direct, d’enseignement direct et explicite, d’enseignement explicite.
En France, un courant isolé s’est mis à parler d’enseignement plus explicite (enseigner plus explicitement). L’expression ayant tendance à disparaître pour s’appeler enseignement explicite également.
Ces différentes appellations marquent une opposition entre un enseignement explicite proprement dit, tel qu’il est défini par la recherche en éducation et un enseignement plus socioconstructiviste. Ce dernier a été une conception majoritaire dans le champ de l’éducation depuis plusieurs décennies.
Maryse Bianco associe les termes explicite et direct, en avançant que les deux termes sont relativement synonymes.
Enseignement explicite ou direct
Pour définir l’enseignement explicite oui direct, Maryse Bianco se réfère à une publication de Barak Rosenshine (Five meanings of direct instruction, 2008). Barak Rosenshine a été un des grands promoteurs et diffuseurs de ce qu’est l’enseignement direct ou explicite.
Dans ce texte, Barak Rosenshine assimile les concepts d’enseignement direct et explicite. Il leur en donne cinq significations.
Deux significations sont générales ou floues avec des connotations négatives. Ces deux significations relèvent de l’appréciation ou de la conviction :
- Un enseignement dirigé par l’enseignant sans considération de qualité.
- Un enseignement frontal connoté négativement (l’enseignant délivre un savoir, les élèves sont des réceptacles passifs)
Les trois significations sont par contre convergentes et positives. Elles sont issues des recherches sur l’efficacité de l’enseignement et sont fondées sur des données probantes. Elles permettent de définir les gestes pédagogiques de l’enseignement explicite.
Ces trois significations proviennent de champs de recherches définis et distincts, mais se rejoignent sur une description relativement homogène de ce qu’est l’enseignement explicite :
- Les procédures d’enseignement utilisées par les enseignants qui font le plus progresser leurs élèves (recherches sur l’effet maitre durant les années 1970/1980). Les chercheurs ont mis en relation des progrès des élèves entre le début et la fin de l’année scolaire et les pratiques pédagogiques dominantes observées dans les classes par les enseignants efficaces. Cela a permis de définir le modèle de l’enseignement explicite et direct.
- Les procédures d’enseignement de stratégies cognitives. Ce sont des recherches plus expérimentales qui ont cherché à établir comment on pouvait enseigner des stratégies cognitives aux élèves de manière efficace en classe. Elles ont par exemple exploré le domaine de la compréhension de textes. Des recherches ont eu lieu sur l’enseignement explicite de stratégies de compréhension. Elles ont mis en évidence l’efficacité de l’enseignement réciproque par exemple. Elles se sont inspirées des résultats de la recherche sur l’effet maitre.
- Les procédures d’enseignement utilisées dans des programmes de recherche très structurés comme le programme DISTAR (Direct Instruction Systems in Arithmetic and Reading).
Le cadre de recherche sur l’effet maitre portait sur des domaines d’enseignement définis. C’était l’arithmétique ou l’apprentissage de la lecture dans sa dimension décodage, ce qui correspond à des algorithmes. Les chercheurs ont procédé par observations de classe.
Le cadre de la recherche sur les stratégies cognitives portant sur des domaines d’enseignement flous et complexes comme la compréhension ou la production écrite, ce qui ne correspond pas à des algorithmes. Les chercheurs ont procédé par expérimentation en mettant en place des dispositifs pédagogiques s’inspirant des recherches sur l’effet maitre.
Les gestes de l’enseignement direct ou explicite
Les gestes de l’enseignement explicite tels que décrits dans le cadre des recherches sur l’effet maitre et dans celui portant sur les stratégies cognitives se rejoignent sur les questions des pratiques pédagogiques. Ils décrivent des comportements pédagogiques qui sont ceux de l’enseignement explicite.
Dans le cadre de l’enseignement explicite, l’enseignant réduit la difficulté de la tâche durant la pratique initiale, pour cela :
- Il présente l’objectif d’apprentissage, ce qui rend l’enseignement centré sur le contenu.
- Il segmente la tâche complexe en sous-composants, ce qui fait que l’enseignement procède du simple vers le complexe.
L’enseignant étaye et guide l’élève dans sa pratique. Dans ce but :
- Il modèle l’utilisation de la stratégie ou procédure (modelage ou démonstration).
- Il verbalise la sélection d’une stratégie (haut-parleur sur la pensée).
- Il anticipe les erreurs des élèves et il s’assure de leur compréhension.
- Il cherche à obtenir des réponses de tous les élèves.
- Il propose une pratique guidée.
- Il combine progressivement les composants dans le tout (tâche complexe)
L’enseignant fournit une rétroaction de soutien, pour cela :
- Il corrige systématiquement les erreurs.
- Il fournit des listes de contrôle.
- Il propose des modèles de résolution.
- Il utilise des stratégies de correction des erreurs adaptées à la tâche.
L’enseignant donne des opportunités de pratique autonome intensive :
- Les élèves sont des occasions d’entrainement (récupération) et de réinvestissement des connaissances (élaboration, transfert).
- Cette pratique intensive assure l’intégration durable des nouvelles connaissances.
- Un enseignement systématique, qui va du guidage très fort de l’enseignant vers l’autonomie de l’élève
- Un enseignement très actif pour les élèves, qui répond à des objectifs précis et s’accompagne d’une supervision du processus d’apprentissage (l’enseignant fonctionne comme un chef d’orchestre).
- Un enseignement qui accompagne pas à pas, avec une réduction initiale de la complexité pour progresser du simple au complexe. Il y a une intégration progressive des habiletés composant une tâche complexe.
- Un enseignement très structuré, qui fait une part belle au soutien de l’élève avec les dimensions du modelage de la procédure. Celui-ci comprend la verbalisation des raisonnements par l’enseignant, le guidage de la pratique initiale, une rétroaction informative et l’offre de repères (indices, aide-mémoire, listes de contrôle…).
L’ensemble de ces gestes pédagogiques nous dessine une grille qui nous permet d’élaborer des outils pédagogiques et analyser ceux existant dans le monde de l’éducation.
L’enseignement plus explicite n’est pas un enseignement explicite
En prenant l’exemple de l’enseignement de la compréhension, Maryse Bianco (2023) montre que l’enseignement plus explicite (enseigner plus explicitement) de la compréhension s’éloigne de nombreuses caractéristiques qui décrivent l’enseignement explicite même si certaines sont conservées.
Le modelage et la progression du simple vers le complexe ne sont souvent pas présents. La pratique guidée est souvent réduite à un simple accompagnement de l’enseignant dans la résolution collective d’une tâche complexe. L’enseignant n’est pas acteur de l’apprentissage des élèves, mais facilitateur.
De plus, ces approches liées à un enseignement explicite n’apportent pas de preuves de leur efficacité au contraire d’un enseignement explicite.
Selon Maryse Bianco (2023), l’enseignement plus explicite n’est pas un enseignement explicite, mais une démarche socioconstructiviste rebaptisée.
À part intégrer des objectifs ou mettre l’accent sur une démarche réflexive, ils ne répondent à aucun autre des principes de l’enseignement explicite.
Par contre, le concept d’un enseignement plus explicite répond à de nombreux principes socioconstructivistes :
- L’entrée se fait par une situation complexe.
- L’élève fait la découverte d’une stratégie ou d’un ensemble de stratégies.
- L’enseignant accompagne plutôt qu’il dirige.
- L’institutionnalisation se fait après-coup et porte sur un ensemble potentiellement flou de connaissances.
- La pratique intensive n’est pas l’enjeu de la démarche pédagogique et n’est pas une dimension fondamentale.
L’enseignement direct et explicite n’est pas issu du champ du cognitivisme
L’origine de l’enseignement direct et explicite n’appartient pas au champ du cognitivisme.
À l’origine, l’enseignement direct et explicite est athéorique. Il est issu de l’observation des pratiques des enseignants et de l’évaluation de leurs effets sur les apprentissages des élèves. Le cognitivisme n’a pas inspiré l’enseignement direct et explicite.
La conviction qu’une évaluation des effets des pratiques pédagogiques sur les apprentissages est nécessaire a guidé le développement de l’enseignement direct et explicite
« on ne juge pas du caractère progressiste d’une mesure éducative […] par le discours qui l’a mis en place, mais par les effets qu’elle produit ultimement sur la réussite des élèves (Péladeau, Forget & Gagné ; 2010, p.62) ».
« … La première constatation qui s’impose après trente ans d’intervalle, et qui est surprenante, est l’ignorance dans laquelle nous sommes restés quant aux résultats des techniques éducatives. […] on ne saurait rien dire de fondé quant à leur rendement effectif […], sans une étude systématique disposant de tous les moyens si riches de contrôle qu’ont élaborés la statistique moderne et les diverses recherches psychosociologiques. » (Piaget, 1969, pp 13 & 34 ″ Psychologie et pédagogie »)
Piaget mettait en garde contre la transposition directe de savoirs théoriques dans le champ de l’éducation sans chercher à évaluer les effets sur l’apprentissage des élèves.
Le cognitivisme n’a pas inspiré l’enseignement direct et explicite. Cependant, l’intuition des enseignants efficace a rencontré l’évolution des connaissances sur la cognition.
Ce sont par exemple les rôles de la mémoire de travail de la mémoire à long terme, la différence entre novice et expert concernant l’apprentissage
L’opposition entre constructivisme et cognitivisme
Le cognitivisme et le constructivisme sont-ils des cadres théoriques totalement inconciliables ?
En réalité, le cognitivisme et le constructivisme sont deux projets scientifiques qui ont des parentés épistémologiques importantes. Ce sont deux projets mentalistes. Ils ont pour objet de faire des hypothèses sur l’architecture cognitive, sur sa construction et son fonctionnement.
« … si je me sens épistémologiste dans l’âme, je n’ai d’intérêt que pour certains chapitres (tous cognitifs) de la psychologie. » (in Piaget, Mounoud & Bronckart, 1987, préface, p. VII)
Ces deux cadres théoriques s’opposent au comportementalisme/béhaviorisme.
Le cognitivisme et le constructivisme partagent un ensemble de présupposés et de notions théoriques pour rendre compte de l’apprentissage.
« Tout comportement cognitif a un ensemble de caractéristiques et de propriétés […] interdépendantes. Les procédures et les structures en sont un exemple typique. […]. Procédures et structures forment ainsi un couple d’entités distinctes, mais complémentaires, correspondant à la distinction entre savoir et savoir-faire […] Cette distinction correspondrait au “déclaratif” opposé au “procédural” dans le vocabulaire de l’intelligence artificielle (Inhelder, 1987 ; pp. 671-673). »
Adapter la pédagogie aux besoins des élèves
La recherche a mis en évidence un ensemble de principes pour caractériser les dispositifs pédagogiques et les utiliser en connaissance de cause.
Les deux types de dispositifs pédagogiques (explicite et constructiviste) peuvent avoir leur intérêt dans une classe.
L’enseignement explicite mène au développement de l’autonomie dans les apprentissages. Il devrait y avoir un va-et-vient entre des exercices ciblés et des activités intégratives.
Cette complémentarité des activités est à penser dans un dosage en fonction des besoins des élèves. Les élèves les plus novices dans un domaine et ceux qui sont le plus en difficulté ont besoin de plus de guidage et de soutien pour réaliser les apprentissages. Il faut également tenir compte du fait que le temps scolaire est limité.
Parfois, il faut postposer la confrontation à l’activité complexe pour mieux y rentrer par la suite une fois que les connaissances ont été installées par un enseignement explicite. C’est la voie vers une meilleure équité dans l’enseignement et pour les progrès des élèves.
Mis à jour le 02/05/2024
Bibliographie
Maryse Bianco, Qu’est-ce que l’enseignement explicite ? 5e Workshop Pégase « L’enseignement explicite : des données de la recherche à la formation des enseignants », 2023, https://www.polepilote-pegase.fr/ressources/workshop/video-5e-workshop-de-pegase-lenseignement-explicite-des-donnees-de-la-recherche-a-la-formation-des-enseignants/
Barak Rosenshine, Five Meanings of Direct Instruction, Center of Innovation & Improvement (2008)
Péladeau (N.), Forget (J.) et Gagné (F.), « Le rôle du transfert des apprentissages dans l’acquisition des habiletés simples et complexes », In M. Crahay et M. Dutrevis, Psychologie des apprentissages scolaires, De Boeck, Bruxelles, 2010, p. 47-63.
Piaget, Psychologie et Pédagogie, Paris, Denoël, 1969
Jean Piaget ; Pierre Mounoud ; Jean-Maul Bronckart ; Psychologie, Gallimard, 1987.
Bärbel Inhelder, Piaget today, 1987, Erlbaum
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