samedi 27 janvier 2024

Associer engagement authentique et enseignement explicite des comportements attendus

Tout le monde est allé à l’école durant de longues années et a connu un grand nombre d’enseignants. Certains enseignants ont été appréciés et d’autres moins. Dans ce parcours, tout le monde s’est construit des théories naïves sur ce qu’était un bon enseignant.

(Photographie : Marina Fomina)





Cependant, cette expérience d’élève ne nous donne qu’une compréhension superficielle. La majorité des personnes qui parlent d’enseignement dans des contextes sociaux n’ont qu’une connaissance très limitée de ce que fait réellement un enseignant efficace, de l’explicite comme de l’implicite. 

Parallèlement, du côté de la recherche, l’idée d’un enseignement explicite du comportement fait son chemin comme pratique efficace de prévention universelle en gestion de classe

Le fait de privilégier des pratiques pédagogiques efficaces qui fonctionnent de manière similaire pour tous les élèves s’impose à la fois pour leurs apprentissages et leur comportement. La nuance est qu’elles se déterminent et se conçoivent à des degrés d’intensité variables en fonction du contexte.



La responsabilité de l’enseignant selon le paradigme de l’enseignement explicite des comportements


En classe, un enseignant s’engage dans un ensemble d’actions ou de comportements nécessaire et utile à l'exercice de sa fonctions. Ceux-ci sont importants comme moyen d’atteindre les finalité d'un apprentissage pour ses élèves.

Cependant, l'enseignement ne se déroule pas dans le vide et l'obtention des résultats dépend également pour une large part de l'engagement et du comportement de ses élèves. Certaines actions de l'enseigneant vont par conséquent avoir comme finalité directe que ses élèves se comportent bien.

L'enseignant peut utiliser la contrainte, en menaçant ses élèves de sanctions. Il peut également essayer la séduction en rendant son cours intéressant et attrayant pour ses élèves. Les deux approches ont des limites très claires. 

Une meilleure piste est d'influencer le comportement des élèves par une voie pédagogique. Dans la perspective de l’enseignement explicite des comportements, l’enseignant enseignant à ses élèves les comportements attendus comme s'il s'agissait d'un matière scolaire. Il explique les règles et les routines, les justifie, fait pratiquer ses élèves, leur fournit une rétroaction et délivre un renforcement positif tandis qu'ils progressent dans la maîtrise des attentes comportementales. Ces comportements ont pour enjeu d'optimiser la coopération en classe et d'installer une culture de l'apprentissage qui reflète les valeurs de l'école.

Dans cette perspective, le comportement des élèves et de l'enseignant en classe deviennent l'aboutissement de stratégies spécifiques entreprises par l’enseignant et en phase avec un programme défini à l'avance.

Pour tout comportement donné d’un élève, bon ou mauvais, il existe des comportements de l’enseignant (ou leur absence) qui en sont au moins en partie responsables de la manifestation actuelle et future.

L’enseignant a un impact sur la probabilité et la sélection de comportements en classe par ses élèves. Il a par conséquent une responsabilité concernant les comportements de ses élèves. Toutefois, il ne faut pas confondre responsabilité et faute. Les mauvais comportements des élèves ne sont pas la faute de l’enseignant.

Cette responsabilité pour les enseignants implique qu’ils doivent adapter leur enseignement en réponse aux mauvais comportements d’élèves.

Si l’enseignant permet à l’élève d’échouer, on peut dire à un moment donné d’une certaine manière que l’enseignant a fui sa responsabilité. L’enseignant qui n’adapte pas son enseignement en fonction du comportement de l’élève est dans une situation similaire.

Si le comportement de l’enseignant ne change pas lorsque l’élève n’exprime pas le comportement attendu et enseigné, la probabilité que l’élève exprime soudainement le bon comportement n’est pas favorable.

Pour ces raisons, l'enseignement explicite du comportement s'accompagne de démarches et de stratégies pour soutenir l'apprentissage des élèves et d'un continuum d'interventions graduelles à mettre en oeuvre lorsque les attentes ne sont pas respectées. 

Si l'enseignement explicite clarifie les attentes pour les élèves, il doit le faire également pour l'enseignant. Une formation doit soutenir chez lui le développement de modèles mentaux qui lui permettent d'agir à bon escient en fonction des situations en appliquant des processus prédéfinis et en mobilisant des stratégies adéquates.  



Rôle des enseignants dans les interventions face aux perturbations


Dans un contexte scolaire, nous avons tendance à attendre de tous les élèves qu’ils aient au moins un certain respect pour l’autorité des adultes. Nous souhaitons qu’ils puissent se conformer à des directives simples lorsqu’on leur demande de le faire.

La démarche est légitime, car c’est une condition nécessaire pour pouvoir remplir nos missions d’enseignement.

Toutefois, cette situation n’est pas obtenue d’emblée. C’est pour cette raison qu’ont été développées un ensemble de démarches proactives et préventives pour installer et maintenir un cadre d’engagement dans les apprentissages, et de coopération.

Toutefois, des élèves, pour différentes raisons, vont malgré tout ne pas complètement rentrer dans le cadre et être à l’origine de perturbations mineures ou majeures.

Comme pour les dimensions préventives et proactives, la gestion des interventions face aux perturbations du comportement d’élèves nécessite l’acquisition de modèles et de pratiques de la part des enseignants.

Le développement des compétences associées en gestion de classe est à ce titre utile, car toutes les réactions spontanées de l’enseignant inexpérimenté ne sont pas opportunes :
  • Le risque lié à une réaction virulente directe : 
    • L’indiscipline exprimée avec désinvolture par un élève, avec un sentiment d’impunité, peut naturellement susciter un sentiment de colère, l’envie de réagir de manière forte pour un enseignant. Il se sent mis en difficulté face au reste de la classe. 
    • Le problème sera que de manière générale, ce type d’élève ne va pas réagir favorablement à des instructions plus fortes, à des postures menaçantes ou à une approche plus musclée. Au contraire, il peut rechercher la confrontation.
  • Le risque d’un usage direct de sanctions :
    • Il peut y avoir une tendance naturelle pour un usage direct de sanctions qui feraient regretter directement à l’élève son comportement et auraient une haute valeur dissuasive.
    • Dans un sens, ces démarches sont préférables à la résignation et à l’impuissance apprise pour l’enseignant. Tolérer, ignorer et laisser passer n’est pas une solution à long terme, car c’est un appel à la normalisation des comportements perturbateurs.
    • En réalité, il y a rarement des solutions rapides et simples qui se révèlent efficaces dans chacun des contextes. Donner une sanction ou une punition n’apprend pas nécessairement à l’élève quel est le comportement attendu et n’alimente pas non plus forcément une remise en question. Elles risquent d’être en outre contreproductives et de rendre l’enseignant et le contexte de la classe encore plus aversifs pour les élèves concernés.
  • Le risque du chacun pour soi :
    • Certains enseignants peuvent faire le pari d’une autorité naturelle, d’un non verbal qui dissuade les élèves. D’autres enseignants peuvent en arriver à tolérer un certain niveau de perturbation en classe comme une forme de compromis. Dans ce type de contexte, la cohérence et la cohésion ne sont pas de mise. Certains enseignants et plus spécifiquement les novices vont rencontrer des difficultés dans ce type de contexte.
    • Les réponses aux perturbations sont plus efficaces lorsqu’elles sont pensées de manière globale et sont envisagées à l’échelle d’une école. Elles doivent tenir compte de l’environnement, des relations, de l’instruction, des conséquences, des valeurs communes et de la patience. S’ils étaient faciles à résoudre, nous ne serions pas confrontés à autant de ces problèmes. Un meilleur succès vient de la cohésion et de la cohérence face aux attentes comportementales exprimées par l’ensemble de l’équipe pédagogique.
Il est tout à fait improbable de pouvoir éviter complètement les mauvais comportements des élèves. Cependant, le développement d’une approche globale de la gestion des classes avec un enseignement explicite des comportements offre la plus grande probabilité de s’en approcher avec succès. 

L’enseignement ne se limite pas à la transmission d’un contenu pédagogique ou à l’établissement de conséquences en cas d’infraction au niveau du comportement :
  • Il est plus large que l’établissement de règles de classe et leur application. 
  • Il est plus large que la manière dont nous répondons aux élèves ayant les comportements les plus difficiles ou que le développement de relations positives avec les élèves.
Un enseignement efficace est tout cela, mais il est encore plus important parce qu’il implique l’utilisation réfléchie d’un système commun et cohérent qui intègre tout le monde. Nous avons un rôle d’éducateur à jouer.

Le verbe enseigner fait référence à ce que font les enseignants pour maximiser la probabilité de réussite des élèves. Il y a une différence entre énoncer quelque chose comme une règle aux élèves et à la leur enseigner. Le simple fait de dire à un élève ce qu’il doit faire n’offre pas une probabilité aussi élevée que l’enseignement. La réussite est plus probable lorsque l’enseignement est explicite et que l’enseignant veille à la qualité de la relation.



Caractéristiques d’un enseignant efficace en gestion de classe


Un enseignement efficace implique des actions facilitées par l’enseignant qui maximisent la probabilité de réussite de l’élève.

Les comportements et actions d’un enseignant efficace concernent globalement trois niveaux : 
  • Le comportement pédagogique
    • Un enseignement explicite et adaptatif
    • Des attentes élevées et un soutien adéquat
    • De multiples opportunités pour les élèves de s’engager dans un traitement cognitif
    • Une vérification fréquence de la compréhension qui soutient l’engagement et l’attention des élèves
  • L’organisation de l’environnement
    • L’aménagement de l’espace physique
    • La disponibilité du matériel nécessaire
    • Le développement de routines et de procédures
    • Une cohérence dans le maintien du cadre au fil du temps et pour tous les élèves
  • Les relations entre enseignant et élèves
    • Une communication positive fréquente avec chaque élève
    • Une manifestation d’un véritable intérêt pour les élèves, pour leur ressenti et leur motivation
    • Une attention aux difficultés de chacun, sans baisser le niveau d’exigence.
Ces comportements sont objectivables. Nombre d’entre eux peuvent être décrits et pratiqués. Les enseignants peuvent y être formés. Il a été démontré de manière empirique qu’ils augmentent globalement la probabilité de réussite des élèves (Hattie, 2009).

Les enseignants peuvent acquérir de la patience, du discernement et du tact en pratiquant des méthodes d’enseignement efficaces. En revanche, il est très peu probable que le simple fait d’avoir de la patience, d’avoir du discernement ou du tact permette de maîtriser des comportements d’enseignement efficaces. 

L’enseignement possède une base scientifique, mais n’est pas purement une science. C’est à la fois une science descriptible sous forme de techniques et de modèles. C’est également un art, car la personnalité, les attitudes et le tact développé par un enseignant ont une réelle valeur ajoutée. L’expertise d’un enseignant se développe à travers l’expérience d’un enseignement efficace.



Créer un environnement d’apprentissage


L’enseignement est plus que la simple transmission d’une instruction ou l’établissement d’une relation. Les enseignants efficaces créent des environnements d’apprentissage. 

Tout le monde ne considère pas la construction de l’environnement d’apprentissage comme faisant partie dans toutes ses dimensions du rôle de l’enseignant. Toutefois, ces considérations environnementales ne se font pas au détriment de l’acte d’enseigner. Au contraire, elles sont coordonnées avec l’enseignement et permettent d’en renforcer les effets sur l’apprentissage des élèves.

L’organisation de l’environnement comprend :
  • L’aménagement de l’espace physique
  • La disponibilité du matériel nécessaire
  • Le développement de routines et de procédures
  • Une cohérence dans le maintien du cadre au fil du temps et pour tous les élèves
Une composante parfois négligée d’un enseignement efficace est la capacité de l’enseignant à considérer et à manipuler le cadre de l’environnement de manière réfléchie afin d’augmenter les chances de réussite de ses élèves.

Les enseignants efficaces prennent en compte un large éventail de questions environnementales et procèdent quotidiennement à des ajustements réfléchis, même s’ils sont souvent mineurs.

Les enseignants ont un certain contrôle (au moins partiel) dans l’environnement sur :
  • La disposition du mobilier d’une manière stratégique plutôt que de la laisser telle quelle ou au bon vouloir des élèves
  • Le fait que les places des élèves soient assignées ou aléatoires plutôt que libres
  • Le contenu de l’enseignement, la pédagogie, l’ordre et la sélection des activités d’apprentissage
  • Les routines utilisées et le moment où elles le sont
  • La maximisation du temps d’apprentissage et la cohérence avec laquelle il est utilisé
  • Le langage utilisé pour communiquer avec les élèves dans une perspective d’attentes élevées
  • L’utilisation d’incitations et d’indices à des moments et dans des contextes cruciaux. 
Les enseignants efficaces maîtrisent la prédiction et la prévention dans l’environnement sur la base de leurs expériences et de leurs connaissances. En d’autres termes, les enseignants efficaces développent un talent pour observer les modèles de comportement des élèves et formuler des hypothèses complexes sur les conditions les plus propices à la réussite et à l’échec. 

Les dispositions environnementales contrôlées par l’enseignant peuvent contribuer à la réussite des élèves même si elles ne sont pas le seul facteur. L’enseignant endosse dès lors une responsabilité au sujet des dispositions environnementales qu’il influence, conçoit et met en œuvre en classe.



Les relations entre enseignant et élèves


Un enseignement efficace peut être décliné sous formes de pratiques et de modèles. Derrière celles-ci se trouvent des connaissances et de compétences qui peuvent être enseignées, modélisées, pratiquées délibérément, maîtrisées et pour une part automatisées.

En parallèle, il existe des comportements qu'adoptent les enseignants qui sont plus intangibles et correspondent à des connaissances et compétences biologiques primaires qu'il est plus complexe d'enseigner car elles correspondent plutôt à un apprentissage naturel ou adaptatif. Ce sont toutes les interactions sociales qui forment la base des relations entre un enseignant et ses élèves.

Il est difficile de décrire objectivement le comportement associé à un enseignement efficace même si les pratiques et les modèles peuvent le guider. En effet, même si on peut transmettre des techniques d’enseignement efficaces, on ne peut pas aussi aisément enseigner aux gens comment se comporter avec les autres. 

La personnalité, le comportement, les expériences préalables et la manière dont l’enseignant interagit avec ses élèves influent sur leur probabilité de réussite de l’enseignement, de la pratique ou de la stratégie adoptée. Cependant, il est difficile de définir le comportement d’un enseignant efficace, car sa personnalité, le contexte, le profil des élèves et la culture des écoles interfèrent également. Tout au plus pouvons nous mettre en évidence quelques facteurs.



L’importance d’associer des pratiques efficaces et un engagement authentique


Au-delà de la mobilisation de pratiques efficaces, ce qui contribue au succès d’un enseignant, c’est la manière dont il se concentre sur le bien-être des élèves tout en développant des attentes élevées à leur égard. L’enseignant leur fait comprendre qu’il a leur intérêt à cœur. La relation que les enseignants établissent avec les élèves peut avoir un impact sur la qualité de l’enseignement. 

Certaines recherches suggèrent que les élèves sont capables de discerner les adultes qui s’intéressent vraiment à eux de ceux qui sourient, mais ne sont pas authentiques. Cette authenticité semble indépendante de l’attitude réelle de l’enseignant. Il s’agit d’une capacité à démontrer une relation bienveillante crédible avec les élèves.

La capacité à faire croire aux élèves que l’on se soucie sincèrement d’eux est parfois décrite par ce que l’on appelle le sourire de Duchenne. Au milieu des années 1800, un anatomiste français, Duchenne de Boulogne, a réussi à isoler les différents ensembles de muscles associés aux sourires spontanés authentiques. Cet ensemble est différent de celui mobilisé pour les sourires non authentiques ou feints. 

D’autres recherches ont démontré que les individus peuvent distinguer les sourires authentiques des sourires non authentiques et qu’ils ont une attitude plus positive à l’égard de ceux qui ont un sourire authentique. En outre, la recherche a montré que les interactions positives et les émotions positives associées à ces interactions ont un effet positif significatif sur l’enthousiasme et l’apprentissage des élèves. 

Les implications pour l’enseignement sont énormes. Si les élèves peuvent détecter les enseignants qui tentent faussement de faire comprendre qu’ils se soucient d’eux, ils risquent de développer très tôt des attitudes négatives qui empêchent l’établissement d’une relation de confiance. 

Toutefois, il n’existe actuellement aucune méthode reconnue permettant d’évaluer de manière fiable la disposition, la personnalité ou la capacité à sourire d’un enseignant en tant que facteur prédictif de sa réussite dans l’enseignement. Il nous reste donc un ensemble de comportements de l’enseignant qui semblent être associés à des relations solides entre l’enseignant et l’élève et à la réussite de ce dernier.

Les relations positives se définissent en grande partie par le nombre d’interactions positives entre l’élève et l’enseignant. Cependant, certains élèves mettent les enseignants plus au défi que d’autres. Certains élèves peuvent adopter des comportements qui rendent les relations positives difficiles. Malgré tout, l’enseignant doit jouer le rôle d’agent de changement. Le changement de comportement de l’adulte doit précéder le changement de comportement de l’élève. 

Comme l’a écrit Pianta (1996), l’asymétrie des systèmes de relations enfant-adulte fait peser sur l’adulte une responsabilité disproportionnée quant à la qualité de la relation.


Mis à jour le 07/05/2024

Bibliographie


Scott, Terrance M. Teaching Behavior: Managing Classrooms Through Effective Instruction. Thousand Oaks, CA: Corwin, 2017. https://doi.org/10.4135/9781506337883.

Hattie, J. A. C. (2009). Visible Learning: une synthèse de plus de 800 méta-analyses relatives à la réussite. New York, NY : Routledge

Pianta, R. C. (1996). High-risk children in schools: Constructing sustaining relationships. New York, NY : Routledge.

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