La question de la meilleure façon d’enseigner les sciences (ou plus généralement les STIM — science, technologie, ingénierie et mathématiques) est un débat de longue date.
Le problème dans l’enseignement des sciences est que l’enseignement explicite est de manière générale sous-utilisé. Cela a pour conséquence que de nombreux élèves reçoivent trop peu d’enseignement explicite, avec une baisse inévitable de l’acquisition des connaissances.
(Photographie : woodsandsong)
L’enseignement explicite est essentiel pour les novices. Cependant, il devrait être associé à une importance croissante de la pratique autonome de la résolution de problèmes à mesure que les connaissances des apprenants s’accroissent.
Au fil des années, relayées sur ce blog, un certain nombre de publications ont défendu l’idée que, pour être efficaces, les approches pédagogiques devraient être axées sur l’enseignement explicite plutôt que sur la démarche d’investigation. Dans un article, Sweller et ses collaborateurs (2023) poursuivent le développement de cette idée.
Leur article est une réaction à l’article de de Jong et ses collaborateurs (2023) qui est lui-même une réaction à celui de Zhang et ses collaborateurs (2022).
Une définition pratique de l’enseignement explicite
Sweller et ses collaborateurs (2023) proposent la définition suivante pour l’enseignement explicite :
La caractéristique principale de l’enseignement explicite est que, pour les apprenants novices :
- Dans un premier temps, les concepts sont entièrement expliqués. Les procédures sont entièrement modélisées.
- Ensuite, les apprenants sont invités à appliquer ces concepts ou procédures.
Cette définition de l’enseignement explicite n’exclut pas la possibilité pour les apprenants de réaliser des tâches de résolution de problèmes ouvertes. Cependant, ces tâches font partie d’une séquence d’enseignement explicite. Elles suivront l’explication et la modélisation de l’enseignant.
Cette définition de l’enseignement explicite n’implique pas que les apprenants soient passifs. Elle n’exclut en rien l’utilisation par les enseignants de méthodes actives telles que le fait de poser de nombreuses questions, exiger des réponses de tous les apprenants et guider la pratique des élèves.
Cette définition de l’enseignement explicite est cohérente avec le modèle d’enseignement explicite dérivé des études sur l’efficacité des enseignants (Brophy & Good, 1986 ; Rosenshine, 2012).
L’essor historique de l’apprentissage par la découverte
Selon Sweller et ses collaborateurs (2023), l’histoire de l’apprentissage par la démarche d’investigation est un exemple de la manière dont une science ne devrait pas procéder.
La démarche d’investigation semble trouver ses racines dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau (1762), suivi par Dewey (1938), avant d’être prolongé par Bruner (1961) qui a utilisé le terme « discovery learning ». Progressivement, l’accent moderne mis sur l’apprentissage par la recherche dans l’éducation est devenu dominant.
Comme le met en évidence Kirschner (2000), cette séquence historique a été amplifiée par la panique qui s’est emparée des États-Unis à la suite du lancement du Spoutnik I par l’Union soviétique en 1957. Alimenté par la crainte de perdre la course à l’espace, le domaine de l’enseignement des sciences a appliqué l’épistémologie de la recherche scientifique à la pédagogie de l’éducation des futurs scientifiques (Kirschner, 1992, 2000).
L’erreur fondamentale est qu’il s’agit d’activités intrinsèquement différentes. Hodson (1996) l’a formulé ainsi : un scientifique fait de la science, tandis qu’un étudiant apprend la science.
L’essor de l’apprentissage par investigation semble n’avoir eu aucun lien avec les données. Ce n’est qu’après l’adoption généralisée et la promotion réussie de l’apprentissage par la recherche dans divers systèmes éducatifs que la collecte de données a commencé et que des signes de désenchantement sont apparus.
Lorsque l’apprentissage à la découverte fait face aux données
Il existe un décalage entre la dominance de l’apprentissage par la découverte dans la formation des enseignants et sa non-généralisation effective en classe. Cet écart est interprété comme un manque de soutien des écoles et des enseignants dans la mise en œuvre de l’apprentissage par la démarche d’investigation.
Un autre argument courant est que les enseignants ne possèderaient pas les connaissances et les compétences requises pour dispenser un apprentissage par la démarche d’investigation parfaitement conçu et pour le mettre en œuvre avec fidélité.
En réalité, l’angle mort de l’essor de l’apprentissage par la recherche en tant que méthode d’enseignement est l’inexistence de l’examen des données. Peut-être simplement qu’il n’est pas fonctionnel pour l’apprentissage des sciences.
Un examen de données issues de la recherche est indispensable au développement d’une théorie scientifique. Or jusqu’ici, les données ne soutiennent pas l’utilisation de l’apprentissage par la démarche d’investigation. Dans la logique du développement d’une théorie scientifique, ces données devraient servir à la révision itérative et à l’amélioration de l’apprentissage par la recherche.
Dès lors, la démarche sur laquelle se fonde l’apprentissage par la démarche d’investigation n’est pas scientifique. On ne peut pas conseiller l’utilisation d’une méthode d’enseignement basée uniquement sur des données favorables et simplement ignorer, dénigrer ou rejeter un grand nombre de résultats défavorables.
Si les défenseurs de l’apprentissage par la démarche d’investigation appliquaient la méthode scientifique à leur propre approche théorique, ils en démontreraient eux-mêmes l’incohérence. Le devoir de la preuve repose sur eux. C’est à eux de prouver que l’approche de l’apprentissage par la démarche d’investigation est soutenue par un ensemble de données pertinentes.
En réalité, ce n’est pas à ceux qui sont sceptiques à l’égard de l’apprentissage par la démarche d’investigation de prouver qu’elle est inefficace. Il s’agirait d’un sophisme logique.
Le manque de fondation théorique de l’apprentissage par la démarche d’investigation
Les données scientifiques sont généralement associées à une théorie utilisée pour guider l’entreprise de collecte des données. Il s’agit de tester une ou plusieurs hypothèses dans le cadre d’une théorie.
Historiquement, l’apprentissage par la démarche d’investigation était étroitement lié à la théorie du constructivisme. La théorie du constructivisme exprime l’idée que les apprenants doivent apprendre à construire des connaissances en les construisant eux-mêmes. Dès lors, un apprentissage par la méthode d’investigation est nécessaire à ce processus (Richardson, 1997).
Actuellement, la référence au constructivisme est largement abandonnée en tant qu’argument en faveur de telles méthodes d’enseignement spécifiques. Il y a eu un glissement. Par exemple, de Jong et ses collaborateurs (2023) n’utilisent pas non plus le terme à cette fin. Ils ne préconisent pas l’utilisation de l’apprentissage par démarche d’investigation comme moyen d’enseigner aux étudiants comment construire des connaissances ou comment penser. Ils préconisent l’apprentissage par démarche d’investigation pour faciliter l’acquisition des connaissances.
L’abandon du constructivisme a une conséquence. Dès lors, l’apprentissage par la démarche d’investigation ne repose plus sur une théorie discernable, mais sur des bases empiriques disparates.
Cette absence de théorie sous-jacente ne permet pas d’expliquer quels mécanismes cognitifs supportent l’apprentissage par la démarche d’investigation.
Sans théorie pour guider l’apprentissage par la démarche d’investigation, il est difficile de cerner exactement à partir de quel moment et pourquoi il peut devenir plus profitable qu’un enseignement explicite.
Dans une étude historique, Chi, Feltovich et Glaser (1981) ont montré que nous ne pouvons pas considérer que les novices fonctionnent simplement comme de petits experts. Les experts et les novices commencent leurs représentations de problèmes avec des catégorisations spécifiquement différentes.
Dès lors comme les novices et les experts ne disposent pas des mêmes ressources cognitives en matière de schémas fonctionnels, il parait improbable de demander aux premiers d’acquérir des connaissances de la même manière que les seconds. Or, fondamentalement, c’est ce que suggère l’approche de l’apprentissage par la démarche d’investigation !
L’approche de l’apprentissage par la démarche d’investigation ne répond pas à une théorie cognitive. Il ne répond pas non plus à une théorie de la motivation ou à une théorie du développement conceptuel clairement identifiée. Ses mécanismes ne sont pas précisés.
À l’opposé, dans le cadre de l’enseignement explicite, la théorie de la charge cognitive permet d’offrir un cadre de réflexion sur ses mécanismes sous-jacents.
Le cadre de la théorie de la charge cognitive appliquée à l’apprentissage initial
La théorie de la charge cognitive avance qu’il existe deux façons d’obtenir des informations pour lesquelles les humains ont évolué :
- La première consiste à générer et tester des informations de manière aléatoire lors de la résolution de problèmes. C’est le principe du hasard comme fonction de genèse.
- La seconde consiste à obtenir des informations d’autres personnes. C’est le principe de l’emprunt et de la réorganisation.
Ces deux principes, en particulier le second, expliquent en grande partie la prédominance de l’homme en tant qu’espèce de mammifère. Notre capacité à transférer des informations de manière efficace et efficiente entre nous est presque unique et l’énorme quantité d’informations que nous pouvons transmettre entre nous est certainement unique.
Bien entendu, ces informations doivent d’abord être générées. Cette génération nécessite la résolution de problèmes par le biais du principe du hasard comme fonction de genèse.
L’approche de l’apprentissage par la démarche d’investigation se fonde sur le principe de l’aléatoire comme genèse, tandis que l’enseignement explicite utilise le principe de l’emprunt et de la réorganisation.
La quantité d’informations que nous pouvons acquérir auprès d’autres personnes en utilisant le principe d’emprunt et de réorganisation éclipse l’information que nous pouvons générer nous-mêmes. Cette dernière approche mobilise le principe du hasard comme fonction de genèse.
Nous pouvons obtenir des informations d’autrui en plus grande quantité et en une fraction du temps qu’il faut pour les générer nous-mêmes.
On peut s’attendre à ce que le fait de montrer aux élèves comment résoudre des problèmes (c’est-à-dire par le biais d’un enseignement explicite) soit supérieur au fait de leur demander de trouver eux-mêmes les solutions (c’est-à-dire par le biais de l’apprentissage par la recherche).
L’effet du problème résolu démontre les avantages de l’étude d’exemples résolus plutôt que de la résolution de problèmes. Il a été reproduit à maintes reprises par de nombreux chercheurs du monde entier au moyen d’expériences contrôlées et entièrement randomisées. Ashman, Kalyuga et Sweller (2020) ont clairement démontré les avantages qu’il y a à fournir aux apprenants un enseignement explicite avant la résolution de problèmes lorsqu’il s’agit d’informations complexes.
L’effet d’inversion de l’expertise et les limites d’un enseignement explicite
Une fois qu’un élève a appris à résoudre un problème, il a deux objectifs. Il doit à la fois se tester pour s’assurer qu’il a réellement appris à résoudre le problème et s’entraîner à le résoudre pour garantir l’automaticité.
En d’autres termes, au lieu de réétudier les mêmes informations obtenues auprès d’autres personnes, les élèves doivent ensuite résoudre eux-mêmes les problèmes pertinents. Sinon l’effet d’inversion de l’expertise se manifeste et la progression dans l’apprentissage stagne.
L’enseignement explicite exige que les novices reçoivent des explications complètes sur les nouveaux concepts et des modèles résolus pour les nouvelles procédures. Une fois qu’ils ne sont plus novices, des activités similaires à celles utilisées dans les épisodes d’apprentissage par la démarche d’investigation deviennent plus appropriées, comme le montre l’effet d’inversion de l’expertise.
Cette séquence de transfert progressif du contrôle de l’enseignant à l’élève fait partie de la conception de l’enseignement explicite.
Les informations à forte interactivité se composent de nombreux éléments d’information liés et interdépendants. Elles nécessitent que les apprenants prennent en compte tous les éléments pertinents simultanément afin de les traiter.
L’interactivité des éléments est élevée lorsque les apprenants novices sont confrontés à des tâches complexes telles que l’apprentissage de la rédaction d’un essai ou la manipulation d’équations mathématiques.
Cette interactivité des éléments diminue avec l’augmentation de l’expertise des apprenants.
Dans d’autres situations, l’interactivité des éléments est naturellement faible parce que plusieurs éléments n’interagissent pas. C’est par exemple le cas dans l’apprentissage de la traduction de mots individuels dans une deuxième langue ou lors de l’apprentissage des symboles du tableau périodique en chimie.
Les informations à forte interactivité des éléments nécessitent un enseignement explicite avant la pratique de la résolution de problèmes (Ashman et coll., 2020). Cependant, à mesure que l’interactivité des éléments s’amenuise, l’avantage de l’enseignement explicite diminue également. Il peut éventuellement s’inverser et être désavantageux. C’est ce qu’on appelle l’effet d’inversion de l’expertise (Chen, Kalyuga, & Sweller, 2017).
Cette explication indique :
- Pourquoi l’enseignement explicite est essentiel pour l’acquisition des connaissances.
- Quand différentes stratégies pédagogiques doivent être utilisées ou combinées, lorsque le contenu ou l’expertise des apprenants change.
Ces recommandations se fondent sur les prédictions pertinentes de la théorie de la charge cognitive et sur la vaste base empirique associée à cette théorie. La théorie de la charge cognitive fournit une théorie globale qui peut être utilisée à la fois pour générer des données et pour les organiser.
Le principe d’emprunt et de réorganisation est l’un des fleurons de l’évolution humaine. Il représente notre capacité à communiquer rapidement de grandes quantités d’informations.
La théorie de la charge cognitive s’intéresse à la manière d’organiser l’enseignement pour tirer le meilleur parti de ce principe. Il s’agit d’une compétence primaire universellement utilisée par tous les humains.
Mis à jour le 11/04/2024
Bibliographie
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Zhang, L., Kirschner, P. A., Cobern, W. W., & Sweller, J. (2022). There is an evidence crisis in science educational policy. Educational Psychology Review, 34, 1157–1176. https://doi.org/10.1007/s10648-021-09646-1
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Chi, M. T. H., Feltovich, P. J., & Glaser, R. (1981). Categorization and representation of physics problems by experts and novices. Cognitive Science, 5(2), 121-152. https://doi.org/10.1207/s15516709cog0502_2
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