samedi 30 décembre 2023

Lire, étudier, s’évaluer

Se tester entraîne une meilleure rétention à long terme que la relecture répétée d’un contenu précédemment étudié. 

(Photographie : Ana Cuba)




La pratique de récupération espacée ou pratique distribuée est de loin la meilleure approche pour rendre durables en mémoire à long terme des contenus précédemment appris et susceptibles d’être oubliés.

Il est généralement considéré comme un fait établi que la majorité des élèves tendent à relire à plusieurs reprises leur cours plutôt que de se tester lorsqu’ils étudient. Cela met en évidence une contradiction et une source d’inefficacité de l’apprentissage autonome. 

Il a été conclu que l’augmentation du nombre de tests pratiqués de manière autonome par les élèves, au détriment de la relecture, pourrait améliorer leurs résultats.

Toutefois, la pratique de récupération ne semble pour autant pas être la panacée. Elle fonctionne moins bien pour les tâches complexes et les problèmes.



Les objectifs de la relecture


La question de l’optimisation de la stratégie de relecture est un point flou pour l’apprentissage autonome. 

La pratique de la relecture est-elle vraiment aussi courante ? Affaiblit-elle les performances des élèves ? Qu’entend-on par relecture ? Comment est-elle mobilisée ? Quels sont les effets recherchés par les élèves ? 

Christof Kuhbandner et Kathrin J. Emmerdinger (2019) se sont intéressés à la question en réalisant deux expériences auprès d’une centaine d’étudiants allemands en psychologie.

Cet article au sujet de la relecture cherche à répondre à trois questions :
  1. Les élèves ne chercheraient-ils pas une meilleure compréhension de contenus non parfaitement compris plutôt qu’une réelle mémorisation en s’engageant dans la relecture ?
  2. Comment est-ce que la relecture, la réétude et la récupération peuvent-elle s’intégrer dans une planification optimale de l’apprentissage autonome ? 
  3. Les élèves comprennent-ils toute l’importance de la pratique de récupération et ses enjeux pour la qualité de leurs apprentissages ? 
D’après la littérature de recherche, dans la vie réelle, les élèves ne semblent presque jamais se livrer à une relecture isolée comme méthode unique lorsqu’ils étudient.

Sans doute que plutôt que de bannir la relecture, les élèves devraient se tester plus. Mais pour pouvoir se tester, il s’agit d’être en situation pour le faire c’est-à-dire d’avoir déjà étudié et appris une première fois les contenus.

Aucune stratégie d’apprentissage ne peut réellement être exécutée sans une forme de relecture combinée et au moins partielle des notes. C’est d’ailleurs le cas de la pratique de récupération. Après la récupération, l’élève devra vérifier l’exactitude de ses réponses en effectuant une relecture de ses notes et évaluant leur exactitude face aux contenus à apprendre. 

La relecture répond donc à deux cadres :
  1. L’approfondissement de la compréhension des contenus et l’enrichissement de celle-ci, en détails, éléments et liens supplémentaires.
  2. La révision des contenus après une pratique de récupération, pour établir les progrès d’apprentissage et détecter les lacunes par une vérification de la conformité face au support d’origine.
Le danger lié à la relecture vient surtout du fait qu’elle pourrait surtout être utilisée uniquement dans le premier cadre, car celui-ci ne se traduit pas activement par un apprentissage et son entretien. Seul le second cadre permet d’activer l’effet test. 

D’après les recherches faites par Christof Kuhbandner et Kathrin J Emmerdinger (2019), en ce qui concerne le comportement de relecture, celle-ci est principalement effectuée dans le sens d’une relecture de parties qui ne sont pas comprises. Il est moins fréquemment mobilisé dans le sens de relecture répétée de l’ensemble du cours. La faiblesse est donc liée à la manière de déterminer ce qui n’est pas compris. Est-ce purement subjectif ? Est-ce étayé par une pratique de récupération effective préalable ? La seconde option est de loin la plus bénéficiaire pour l’apprentissage, car elle active l’effet test.

 

Un équilibre entre relecture et récupération dans la planification des stratégies d’apprentissage


Dans le cadre de leur recherche, Christof Kuhbandner et Kathrin J Emmerdinger (2019), les participants ont dû choisir dans quatre approches différentes qu’ils utiliseraient lors de leur étude d’un chapitre de livre scolaire. 

Cette étude succédait à une première lecture. Les chercheurs sont partis du principe que cette étape préalable visait la compréhension. 

Les quatre approches étaient : 
  1. Effectuer une relecture répétée de l’ensemble du chapitre ou de certaines parties de celui-ci sans utiliser d’autres stratégies d’étude.
  2. Étudier à nouveau l’ensemble des chapitres ou certaines parties de celui-ci en utilisant ses stratégies d’étude habituelles. 
  3. Essayer de se rappeler des éléments du chapitre en se testant sans les revoir par la suite.
 
  4. Essayer de se souvenir des éléments du chapitre en se testant et revoir les éléments par la suite.
Là où l’étude devient particulièrement intéressante, c’est que le questionnaire sur la méthode privilégiée a été classé en trois parties. Chacune correspondait à une des trois étapes du processus d’apprentissage. Il s’agissait de voir comment l’approche variait entre le début, le milieu et à la fin du processus d’apprentissage. 

Au début du processus d’apprentissage :
  • La stratégie choisie le plus souvent a été de réétudier le chapitre en utilisant ses stratégies d’apprentissage habituelles. 
  • La relecture a été plus souvent choisie comme stratégie d’étude privilégiée que la récupération avec ou sans révision. Cependant, étant donné que la mémoire du contenu d’un chapitre à étudier est plutôt faible après avoir lu le chapitre une seule fois, un tel schéma semble plutôt fonctionnel et logique.
  • Il est apparu que même au début du processus d’apprentissage, la plupart des étudiants ne semblent pas se contenter de relire le support d’apprentissage de manière répétée.
Le pourcentage d’étudiants qui ont préféré relire ou réétudier a diminué par la suite, au fur et à mesure que progresse le processus d’apprentissage. Le pourcentage d’étudiants qui ont préféré se tester a augmenté pour devenir largement majoritaire. Se tester et vérifier est devenu la stratégie d’étude préférentielle aux stades ultérieurs de l’apprentissage. 

Le fait de se tester, ce qui correspond à la pratique de récupération, parait par conséquent être une partie essentielle de l’apprentissage dans la vie réelle. La relecture ne serait préférée qu’au début du processus d’apprentissage. 

Au début du processus, les étudiants étaient beaucoup plus nombreux à préférer la relecture à l’étude. À la fin du processus, la quasi-totalité des élèves sont passés aux tests à.

Par conséquent, le fait que des élèves font un usage trop prononcé de la relecture peut s’expliquer par un retard de planification. En se mettant au travail trop tard, la relecture occupe un plus grand pourcentage du temps. Il peut également s’expliquer également par une inefficacité de leurs stratégies d’études, ce qui a pour conséquence qu’il leur faut plus de temps pour être apte à se tester.

La sous-utilisation de la pratique de récupération peut s’expliquer par un problème d’organisation et de planification. Les élèves peuvent ne pas consacrer suffisamment de temps et le distribuer adéquatement pour que la pratique de récupération puisse être utilisée à son plein potentiel. 



La sous-estimation de l’effet de test


À quel comportement d’étude concret correspond la relecture ? 

La relecture peut être une simple lecture répétée ou une lecture ciblée de certains contenus non compris et repérés préalablement. D’après Christof Kuhbandner et Kathrin J Emmerdinger (2019), c’est la seconde option qui domine, ce qui semble correspondre à un usage raisonné. 

D’après eux, seule une minorité d’étudiants procède à une relecture répétée pendant leurs études, alors que la majorité procède à de la récupération associée avec une lecture ciblée. 

D’après Christof Kuhbandner et Kathrin J Emmerdinger (2019), beaucoup d’étudiants se testent en réalité, même si très peu l’identifient comme étant une stratégie d’apprentissage. 

La confusion semble en lien avec le fait que de nombreuses taxonomies traditionnelles des stratégies d’apprentissage, les tests ne sont pas classés comme une stratégie d’étude cognitive. Ils sont décrits comme une stratégie métacognitive, c’est-à-dire une stratégie de suivi.

Dès lors, le test n’est parfois pas mentionné, car il n’est pas considéré comme étant une stratégie d’étude.  

Avec le problème de planification inappropriée, le fait que la pratique de récupération ne soit pas toujours spécifiquement identifiée comme étant une stratégie cognitive explique également le fait qu’elle ne soit pas mise en avant comme telle. 

Les deux facteurs s’influencent mutuellement négativement par ailleurs. Le fait de pouvoir se tester n’est pas conçu comme étant une stratégie d’apprentissage désirable d’un point de vue cognitif : 
  • Dès lors, les élèves ont tendance à penser qu’il est optimal d’avoir appris la matière pour le moment de l’évaluation ou de l’examen. Ainsi nombre d’élèves vont considérer qu’apprendre c’est lire (compréhension et encodage) et étudier (mémorisation et stockage). 
  • Ils peuvent considérer qu’il n’est pas nécessaire de se tester (récupération et consolidation), car c’est tout au plus un processus de vérification (autorégulation et métacognition) qui ne contribue pas, en tant que tel, à l’apprentissage. 
Ainsi, il se peut que les étudiants mentionnent rarement le terme « test » lorsqu’on leur pose une question ouverte de rapport libre sur les stratégies d’étude utilisées. Ils peuvent l’avoir fait parce qu’ils peuvent interpréter leurs réponses en fonction de ces taxonomies. En fait, lorsqu’on leur demande pourquoi ils utilisent la stratégie d’étude récupération pendant leurs études, la majorité des étudiants considèrent les tests comme une stratégie de surveillance métacognitive plutôt que comme une stratégie d’étude cognitive.

Selon les conclusions de Christof Kuhbandner et Kathrin J Emmerdinger (2019), seule une minorité d’étudiants relit les textes de manière répétée, alors que les tests sont un comportement d’étude relativement courant. 

La relecture et l’évaluation sont des comportements d’étude relativement courants des étudiants dans l’apprentissage de la vie réelle. Si les élèves préfèrent relire, souvent ils relisent les notes prises précédemment lors de la lecture ou d’une relecture, ou les passages mis en évidence. 

Le comportement d’étude typique des étudiants est caractérisé par la combinaison et l’utilisation de plusieurs stratégies d’étude. Celles-ci varient en fonction de la progression des apprentissages, ce qui indique que les tests et la relecture ne sont presque jamais utilisés isolément.



Miser sur la planification et l’espacement pour intégrer la récupération


Il semble que l’appel à une augmentation des tests dans les établissements d’enseignement pour améliorer les résultats en mobilisant l’effet test soit une simplification excessive

En effet, les tests font déjà partie intégrante de l’apprentissage dans la vie réelle. S’il est utile d’informer sur le rôle de la pratique de récupération en tant que pratique cognitive, c’est plus au niveau de la planification et de l’espacement que les enjeux se trouvent.

Les élèves se testent davantage à des stades ultérieurs du processus d’apprentissage. Le test est moins optimal lorsque seuls quelques contenus du test sont actuellement récupérables, car ce sont principalement les contenus récupérés avec succès qui peuvent bénéficier du test.

Le test au début du processus d’apprentissage peut cependant être bénéfique malgré un faible succès de récupération. C’est le cas lorsque le test initial est suivi de possibilités d’études supplémentaires. Celles-ci peuvent être utilisées pour combler les lacunes en matière de connaissances révélées par le test. Le retour d’information peut être exploité lors de périodes d’études ultérieures au cours desquelles le support d’apprentissage ou d’autres sources d’aide sont disponibles. 

Il faut bien réaliser que l’effet test ne porte que sur les contenus récupérés. Le retour d’information qu’une évaluation va manifester sur des parties de matière non connues va devoir activer d’autres stratégies cognitives d’étude et parmi celles-ci la relecture obligatoirement pour pouvoir les compenser.

Ainsi, lorsque l’on parle des avantages de la pratique de récupération, au-delà de l’effet test, il s’agit également tout de la considérer comme étant une évaluation formative. Le retour d’information va décrire les prochaines étapes nécessaires à l’apprentissage alors que ce processus est déjà entamé.

D’un point de vue théorique, un test isolé est plus efficace qu’une relecture isolée, car différentes activités mentales influencent de manière différenciée la mémoire ultérieure. 

D’un point de vue pratique, appliqué à l’apprentissage d’un élève en situation scolaire, l’étude optimale comprend la combinaison de différentes stratégies d’étude. Celles-ci varient au fil des objectifs, des contenus, du temps disponible et de la progression. La pratique de récupération intervient surtout dans une perspective de consolidation en activant les connaissances en mémoire à long terme. Elle intervient après la phase d’encodage et de stockage des contenus qui nécessite souvent de consulter des supports d’apprentissage externes.  


Mis à jour le 21/04/2024

Bibliographie


Christof Kuhbandner & Kathrin J. Emmerdinger (2019) Do students really prefer repeated rereading over testing when studying textbooks? A reexamination, Memory, 27:7, 952–961, DOI: 10.1080/09658211.2019.1610177 

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