dimanche 31 décembre 2023

Concevoir une pratique autonome structurée en enseignement explicite

Dans certaines matières comme les mathématiques ou les sciences, lors de la pratique autonome, les élèves reçoivent une liste d’exercices à réaliser durant un temps imparti. Le défi pour l’enseignant est que tous ses élèves en tirent un bénéfice équivalent dans le sens de la maitrise des objectifs d’apprentissage.

(Photographie : Kevin Lindridge)





Un enseignement explicite menant à la résolution de problèmes et de tâches complexes


Dans le fonctionnement habituel d’un cours de mathématique portant sur un apprentissage procédural et adoptant un format basique d’enseignement explicite, l’enseignent modèle la résolution d’un exemple. La démonstration des problèmes résolus est une étape incontournable.

Ensuite, l’enseignant demande à ses élèves d’essayer de résoudre un problème connexe. C’est la pratique guidée. Il vérifie leur raisonnement et s’engage dans un dialogue formatif avec eux autour des conceptions erronées qu’il met en évidence dans leur raisonnement. C’est l’approche des paires exemple/problème associant un problème résolu et un problème à résoudre du même type. 

Par la suite, lorsqu’il obtient un bon taux de réussite en pratique guidée (80 %), l’enseignant laisse ses élèves s’engager dans une pratique autonome. Les élèves s’entrainent alors seuls ou en coopération. Ils développent une certaine fluidité et une aisance dans la résolution de tâches. Ils gagnent des automatismes et rencontrent les conditions d’un surapprentissage. Ils développent confiance et compétence, et améliorent leur sentiment d’efficacité personnelle. 

Le cycle peut alors reprendre et permet peu à peu d’évoluer vers des contenus plus complexes. 

C’est le diptyque de l’enseignement explicite :
  • Modelage du problème résolu et pratique guidée du problème à résoudre :
    • L’enseignant montre comment appliquer une méthode puis le fait avec les élèves.
  • Pratique autonome : 
    • Les élèves travaillent de manière indépendante sur des questions qui requièrent cette méthode, gagnant ainsi en confiance et en compétence.
La finalité est d’aboutir à la capacité de résoudre des tâches complexes et des problèmes. Le pli pris est de progresser du simple vers le complexe en tenant compte du fonctionnement cognitif. 

Dès lors, l’objectif est d’optimiser la conception pédagogique liée à la sélection, à la conception et à l’organisation des tâches demandées aux élèves dans le but de faciliter et approfondir leurs apprentissages. 

La tension apparente est que le morcèlement des contenus pourrait rendre délicate leur intégration, pourtant nécessaire aux tâches complexes. Il faut qu’au terme du processus les élèves puissent s’engager dans une forme de découverte guidée sur les contenus qui ont fait l’objet d’un enseignement explicite. 

C’est le principe de la résolution de problèmes. Une fois les bases acquises, les élèves doivent être mis au défi de réaliser quelque chose de plus complexe en transférant ce qu’ils ont appris. Ils doivent pouvoir utiliser le contenu des objectifs d’apprentissage et l’utiliser d’une manière non standard, dans un contexte, dans une question d’examen. Ils doivent pouvoir l’associer à d’autres concepts du domaine de connaissances précédemment appris.



Miser sur une pratique autonome structurée en enseignement explicite comme alternative à la pratique de différenciation


Une classe est par définition hétérogène :
  • Tous les élèves n’ont pas le même bagage de connaissances préalables. 
  • Tous les élèves n’apprennent pas au même rythme.
  • Tous les élèves ne commettent pas les mêmes erreurs.  
  • Tous les élèves ne rencontrent pas les mêmes difficultés au même moment. 
  • Tous les élèves n’apprennent pas ou n’oublient pas les mêmes éléments au même moment.
Face à ces constats, une réponse qui parait claire et évidente est celle de la différenciation ou de plan de travail qui est un dispositif pédagogique permettant d’introduire des temps de travail individualisé dans un cours. L’idée est de soutenir en classe un parcours d’apprentissage individualisé en fonction des tâches.

Or, il est improbable, coûteux et ingérable que de pouvoir aisément individualiser la phase d’enseignement, tout en délivrant le soutien et la rétroaction nécessaires. D’autres approches sont plus appropriées comme le préenseignement, l’évaluation soutien d’apprentissage, une pratique structurée ou un système de soutien à différents niveaux.

Pour ce qui est d’une individualisation, les technologies de l’éducation pourraient nous permettre d’y parvenir par un processus d’apprentissage adaptatif où chaque tâche est profilée pour un élève en fonction de ses performances antérieures. Le premier problème est que, mais cela ne réduit pas le besoin d’un suivi individuel et diminue la fréquence des interactions entre l’enseignant et chaque élève. Le second problème est que ces solutions n’existent pas encore ou ne sont pas facilement accessibles.

La conclusion est claire, la différenciation telle qu’elle est souvent promue est impraticable. Dans une perspective d’enseignement explicite, l’erreur à ne pas commettre est de différencier trop tôt en classe. La principale manière de l’éviter est de miser sur la pratique guidée et autonome en classe. Les élèves ont besoin d’une pratique autonome structurée durant laquelle ils peuvent avancer ensemble vers l’objectif final, mais chacun à son propre rythme. 

Il nous reste à développer ce que nous entendons par pratique autonome structurée. N’importe quelle collection ou quel regroupement d’exercices sur une matière donnée ne constitue pas automatiquement une pratique autonome structurée !

L’idée clé est que la pratique autonome structurée va rendre les élèves capables de s’engager dans la découverte guidée de problèmes. Plutôt que d’être différenciée en fonction des élèves, elle se veut adaptative.



Gérer la pratique autonome structurée du point de vue de l’enseignement


Du point de vue de l’enseignant, une pratique autonome structurée serait constituée d’un ensemble d’exercices variés, qui stimulent la réflexion et l’apprentissage des élèves. La succession des exercices formerait un passage obligé pour les élèves. 

Chaque élève devrait répondre à chaque question avant de passer à autre chose. Une telle progressivité est imaginable et est un objet de conception pédagogique. Il est possible d’imaginer un cheminement dans l’apprentissage du simple vers le complexe.

Cependant, il est complexe d’y parvenir avec une classe de 20 à 30 élèves qui travaillent parallèlement dans une classe durant un laps de temps délimité, le même pour tous. Certaines répondront rapidement à toutes les questions, d’autres seulement à certaines. Avant la fin du temps imparti, certains élèves auront tout terminé et risquent de s’ennuyer, d’autres seront empêtrés dans la première moitié des exercices et ne toucheront pas aux formats les plus complexes. 

Dès qu’un certain nombre d’élèves a terminé, nous pourrions décider que tout le monde est prêt à passer à l’étape suivante exactement au même moment. Mais comme les élèves ont naturellement besoin de temps différent pour saisir une idée, le compromis serait bancal. Une telle pratique autonome aurait pour effet d’accroitre au fil du temps les différences entre élèves et aurait des conséquences négatives sur le sentiment d’efficacité personnelle des élèves plus lents ou qui rencontrent plus de difficultés.

Nous pourrions adopter le concept d’un plan de travail différencié en proposant plusieurs feuilles de pratique en fonction du niveau des élèves. Nous conjuguerions difficulté et nombre de questions pour que cela leur prenne un temps similaire en fonction du niveau actuel de chaque élève. La démarche nous demanderait beaucoup de temps. Elle serait imparfaite et probablement injuste, car il y a toujours un risque de sous-estimer ou de surestimer un élève qui n’aura dès lors pas accès à la feuille d’un bon niveau.

Dans l’optique d’une pratique autonome structurée, tous les élèves obtiennent la même feuille de travail et tous les élèves doivent s’engager et travailler sérieusement durant le temps imparti. 

Cependant, les exercices sont structurés différemment :
  • Un certain nombre d’exercices sont obligatoires pour tout le monde et l’enseignant s’assure que leur réalisation permet de soutenir l’apprentissage et de rencontrer les objectifs d’apprentissages.
  • Un certain nombre d’exercices sont facultatifs et offrent une pratique supplémentaire de même niveau.
  • Un certain nombre d’exercices sont facultatifs et offrent un dépassement.

Les questions obligatoires forment l’architecture minimale de la pratique structurée. Les autres questions sont équivalentes ou de dépassement et sont disponibles pour les élèves qui ont terminé les questions sélectionnées. 

Dans une perspective d’apprentissage durable, il est important de laisser suffisamment de temps à une pratique autonome structurée et de la distribuer pour permettre un apprentissage progressif. De même, une certaine dose d’entremêlement lorsqu’il est pertinent est utile.

L’enseignant circule lors de la pratique autonome pour vérifier le travail des élèves et leur engagement. De procédures de vérification de la compréhension durant le modelage et la pratique guidée, des quiz en entrée de cours et une évaluation formative occasionnelle contribuent à donner un retour d’information riche à l’enseignant. Celui-ci lui permet de piloter le contenu de la pratique autonome structurée. 

Dans tous les cas, le pilotage doit se concevoir dans un temps long, car le passage de la performance à l’apprentissage durable rencontre les turbulences parfois aléatoires de l’oubli. Tous les élèves bénéficient d’un retour périodique sur les différents types d’exercices à maitriser. Le caractère aléatoire et progressif de l’apprentissage fait qu’il n’est pas utile d’individualiser ou de différencier trop vite.

Dans le cadre de l’enseignement en classe, l’idée est de confronter autant que possible tous les élèves aux mêmes contenus, pour développer leur compréhension et approfondir leurs connaissances.



Gérer la pratique autonome structurée du point de vue de l’apprentissage 


Une dimension importante de la pratique structurée est de transférer une partie de la responsabilité et de sa gestion aux élèves.

La pratique structurée serait organisée en différentes étapes. 

Par exemple, les élèves font les trois premières questions de l’étape 1 puis passent à l’étape suivante s’ils se sentent en confiance. Dans le cas contraire, ils font un ou plusieurs exercices supplémentaires de l’étape 1 ou peuvent y revenir à la fin s’il leur reste du temps après avoir fait tous les exercices obligatoires des différentes étapes. Les élèves peuvent également faire les exercices de dépassement si tous les exercices supplémentaires ont été faits.

Le risque de la démarche est qu’il repose sur la capacité des élèves à piloter la pratique autonome. Leurs jugements peuvent être fragiles et ils peuvent être ignorants de leurs propres lacunes.

Plus nous travaillons et plus nous apprenons, plus nous prenons conscience de la complexité d’une idée, et notre perception de notre propre compréhension correspond davantage à notre compréhension réelle. 

C’est également la raison pour laquelle le fait de demander aux élèves s’ils comprennent ou ne comprennent pas est vain. Au mieux, nous mesurons leur confiance. Il est beaucoup plus utile de poser une question diagnostique au moment opportun pour évaluer la compréhension.

De plus, il est probable que certaines élèves détourneront le système et abandonneront certaines questions pour éviter les difficultés ou avancer plus vite. D’autres élèves continueront à faire plus d’exercices de chaque type que nécessaire et n’avanceront pas suffisamment en conséquence. 

Clark (2009) a mis en évidence que les élèves choisissent souvent ce qu’ils veulent et non ce dont ils ont besoin. Le contrôle et la vigilance de l’enseignant durant la pratique autonome structurée sont cruciaux et doivent s’inscrire dans une perspective d’évaluation formative.

Avancer trop vite dans le cours et faire passer un élève à un niveau supérieur avant que des bases solides ne soient en place risque de tout faire s’écrouler par la suite. 

Si les connaissances de base ne sont pas sûres, tenter de résoudre des problèmes complexes pourrait être une expérience infructueuse et frustrante pour l’élève, car il a trop d’éléments à traiter. Il est difficile de remédier à la perte de confiance qui en résulte.

Ralentir un élève en lui faisant approfondir certains éléments non maitrisés entraine également des écarts. L’effet d’inversion de l’expertise nous indique que le fait de ne pas faire passer un élève à un défi plus important lorsqu’il est prêt risque de faire stagner son développement. Cela peut diminuer leur confiance en eux. 

La différenciation est un champ de mines d’autant plus que dans un contexte de classe elle se fonde sur des décisions et des preuves fragiles.



Le risque de surcharge cognitive dans une pratique autonome structurée trop variée


L’enjeu de la pratique autonome distribuée est d’assurer l’établissement d’un apprentissage durable et approfondi. Le caractère aléatoire du fonctionnement de la mémoire fait que les élèves auront dans l’ensemble des apprentissages différents tandis que nous tendons vers une maitrise d’ensemble.

L’enseignant est un expert dans la matière qu’il enseigne. Il est tenté lors de la pratique autonome de confronter ses élèves à une grande variété d’exercices. C’est d’autant le cas que l’accent est mis sur le développement de la capacité de transfert des élèves.

Cependant, dans une perspective de charge cognitive, la démarche est dangereuse. Lorsque d’un exercice à l’autre nous modifions de nombreux paramètres et éléments lors d’une phase d’apprentissage, en réalité nous empêchons les élèves de pleinement les saisir.

Lorsque la charge cognitive intrinsèque et extrinsèque devient trop importante, même si les élèves arrivent à résoudre des problèmes, ils ne sont plus en mesure d’en apprendre quelque chose. Il devient difficile de saisir pour les élèves ce qu’ils doivent faire. Nous manquons dès lors notre objectif d’approfondir leurs connaissances.

Dans ces conditions, ils vont répondre à ces questions en ne pensant qu’à la méthode qui vient de leur être enseignée. Ils ne remarqueront pas l’effet d’un changement de paramètre isolé. Ils n’auront pas de réflexion ou de recul pour analyser les nuances et n’en retiendront rien.

Lorsqu’il y a trop de choses qui changent d’une question à l’autre, les élèves ne savent plus sur quoi concentrer leur attention limitée.



L’importance d’une variation limitée dans la pratique autonome structurée


Pour cette raison d’un exercice à l’autre, il vaut mieux garder autant de choses constantes que possible et changer une variable. Ensuite, lorsque le résultat change ou ne change pas, l’élève fait le lien avec ce changement de variable unique. Son attention est concentrée sur cet élément spécifique, au lieu d’être dispersée.

C’est le cœur de la théorie de la variation. Comme l’énoncent Lo, Chik et Pang (2006), lorsque certains aspects d’un phénomène varient alors que ses autres aspects sont maintenus constants, ces aspects qui varient sont discernés. La variation ne devient signifiante qu’au sein de l’invariance.

Lors de la planification et de la conception d’une pratique autonome structurée, des modèles de variation pertinents doivent être mis en œuvre. L’enseignant fait varier certains aspects critiques tout en gardant d’autres aspects de l’objet d’apprentissage invariants afin d’aider les élèves à discerner ces aspects. 

Cette démarche se traduit en un gain significatif dans les résultats d’apprentissage des élèves en ce qui concerne l’objet d’apprentissage visé. 

En choisissant soigneusement les questions et leur ordre, et en les combinant avec un certain type de comportement, nous pouvons attirer l’attention de nos élèves sur une caractéristique critique à la fois. Cela leur permet de mieux apprécier l’effet des variations de cette caractéristique critique, ce qui peut les amener à mieux comprendre le concept qu’ils étudient. 



Activer le pouvoir de la prédiction dans le cadre de la pratique autonome structurée


Pour comprendre l’importance d’une variation limitée pour l’apprentissage, il faut considérer le rôle de la prédiction comme paramètre d’un apprentissage génératif.

Soumettre à des élèves une série de problèmes trop diversifiés dans le cadre d’une pratique autonome ne leur permet pas de faire des prédictions.

Un enseignant grâce à son expertise dans la matière enseignée peut faire une prédiction sur la réponse à la lecture d’un énoncé. Il peut avoir une idée probable de l’ordre de grandeur de la réponse. 

Un élève novice, confronté pour la première fois à ce type de questions, n’aura probablement aucune idée de l’ordre de grandeur de la réponse, car trop d’éléments changent.

Par conséquent, les élèves ne feront pas de prédiction. Ils se contenteront de ce que ce type de séquences de problèmes demande : trouver la réponse à la question 1, faire le vide, trouver la réponse à la question 2, faire le vide, etc. 

Si les élèves pensent que les exercices et les problèmes sont aléatoires et tous uniques, ils n’auront pas l’occasion de faire des prédictions, de déterminer la réponse et d’en varier la conformation. Dès lors, ils ne peuvent pas renforcer la confiance qui découle de la perception de l’impact des variations. Leur apprentissage à travers la pertinence de leurs perceptions n’aura pas lieu.

Si la prédiction d’un élève concernant la réponse s’avère correcte lorsqu’il la vérifie, il bénéficie alors d’un bon regain de confiance. Il peut prédire quelque chose sur la réponse. C’est le signe qu’une compréhension approfondie s’installe et que des liens commencent à être établis. C’est positif pour son sentiment d’efficacité personnel.

Un corolaire intéressant de la prédiction exacte apparait lorsqu’un élève est suffisamment convaincu de la validité de sa réponse, mais que celle-ci se révèle erronée. Cette situation est susceptible d’activer l’effet d’hypercorrection.

L’effet d’hypercorrection se produit lorsque des élèves ont donné avec confiance une réponse à une question qu’ils pensaient correcte. Ils découvrent ensuite que leur réponse est en fait erronée. Le sentiment de surprise les incite à mieux corriger le problème initial. De plus, ils sont plus susceptibles de se souvenir de la correction à l’avenir, ce qui améliore l’apprentissage à long terme de l’idée ou du concept.


Mis à jour le 22/04/2024

Bibliographie


Craig Barton, Reflect, Expect, Check, Explain, John Catt, 2020

Lo, M. L., Chik, P. M. P. et Pang, M. F. (2006) 'Patterns of variation in teaching the colour of light to primary 3 students', Instructional Science 34 (1) pp. 1-19.

Clark, Richard. (2009). Antagonism Between Achievement and Enjoyment in ATI Studies. Educational Psychologist. 17. 92–101. 10.1080/00461528209529247.

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