vendredi 29 décembre 2023

Les problèmes pernicieux liés à l’amélioration des écoles

L’amélioration de l’école est un problème pernicieux et la compréhension de sa nature peut nous prémunir de réactions irrationnelles. Ces réactions irrationnelles prennent la forme de projets et de changements peu judicieux et improductifs. Synthèse d’une réflexion de Ben White sur cette question (2019).

(Photographie : Nathanael Turner)







La notion de problème pernicieux


Les problèmes pernicieux (wicked problems en anglais) sont des problèmes qui comportent de nombreux facteurs interdépendants, ce qui les rend apparemment impossibles à résoudre. 

Un problème pernicieux un problème difficile ou impossible à résoudre en raison d’exigences incomplètes, contradictoires et changeantes qui sont souvent difficiles à reconnaître. Il s’agit d’un problème qui ne peut être résolu, pour lequel il n’existe pas de solution unique. Le terme pernicieux désigne la résistance à la résolution. En raison de leur complexité, les problèmes pernicieux sont souvent caractérisés par une irresponsabilité organisée.

La notion de problème pernicieux (wicked problem) se rapporte à des questions sociales difficiles, voire impossibles à définir, qui ne peuvent être entièrement résolues et pour lesquelles les solutions ne sont pas claires.

Les exemples incluent les crises financières, les soins de santé, l’inégalité des revenus et l’amélioration de l’enseignement.

Le terme « wicked problem » a été popularisé par Rittel (1973). Il a décrit dix caractéristiques des problèmes pernicieux :
  1. Il n’y a pas de formulation définitive pour un problème pernicieux.
  2. Il n’y a aucun moyen de savoir si une solution est définitive pour régler un problème pernicieux.
  3. Les solutions aux problèmes pernicieux ne sont pas vraies ou fausses. Elles ne peuvent être que bonnes ou mauvaises.
  4. Il n’y a pas de test immédiat d’une solution à un problème pernicieux.
  5. Chaque solution à un problème pernicieux est une « opération unique ». Comme il n’y a pas de possibilité d’apprendre par essai-erreur, chaque tentative compte beaucoup.
  6. Les problèmes pernicieux n’ont pas un nombre déterminé de solutions potentielles.
  7. Chaque problème pernicieux est essentiellement unique.
  8. Chaque problème pernicieux peut être considéré comme le symptôme d’un autre problème.
  9. Il y a toujours plus d’une explication pour un problème pernicieux parce que les explications varient considérablement en fonction de la perspective individuelle.
  10. Les planificateurs/concepteurs n’ont pas le droit de se tromper et doivent être pleinement responsables de leurs actions.



La subjectivité liée aux problèmes pernicieux et à leurs solutions envisagées dans le cadre de l’enseignement


L’amélioration de l’enseignement est un problème pernicieux, car il est impossible de le résoudre entièrement. 

Comme dans d’autres domaines, l’essence du problème et les solutions envisagées peuvent différer d’un observateur à l’autre. Lorsque nous ne sommes pas d’accord sur l’essence du problème, il est peu probable que nous soyons d’accord sur la manière de l’aborder.

Chaque définition concrète d’un problème pernicieux comporte une solution implicite. Des définitions différentes impliqueront des solutions différentes. Le point essentiel est que les acteurs à différents niveaux du système s’en tiennent à des explications cohérentes (mais différentes) du problème. Ces explications contiennent toutes des solutions internes cohérentes (mais différentes). 

Chaque observateur peut penser qu’il expose le problème en termes objectifs. Bannink et Trommel (2019) suggèrent que l’analyse sera liée à ce que cet observateur déciderait subjectivement, consciemment, délibérément, organisationnellement et personnellement. Son analyse est étroitement liée aux spécificités de son propre contexte, de son expérience et de sa compréhension.

Le rôle et l’expérience spécifiques dans le domaine de l’éducation affecteront la manière dont l’observateur comprend et propose d’aborder le problème de l’amélioration de l’école.

Nous devons concevoir que l’amélioration de l’école est un problème pernicieux et que toute solution ne fonctionnera pas aussi bien que nous le souhaiterions.



L’amélioration de l’école comme problème pernicieux


L’amélioration de l’école est un problème pernicieux lorsque : 
  • Le problème (et les solutions plausibles) apparaît différent à différents observateurs.
  • Le problème est impossible à résoudre
  • Le problème est régulièrement redéfini
  • Il est difficile ou inacceptable de se tromper.
Un problème pernicieux est toujours lié à d’autres problèmes et ne sera jamais entièrement résolu par une réussite définitive. Dans le cas de l’éducation, les circonstances familiales sont une composante sur laquelle nous ne pouvons pas avoir d’influence directe.

Néanmoins, ce type de problème est important et mérite d’être abordé. Cependant, il est probable que, dans l’ensemble, l’éducation n’ait pas l’impact que nous souhaitons qu’elle ait. Cependant, elle fait la différence et c’est le principal moyen par lequel nous pouvons tenter de laisser une marque positive. La reconnaissance de la dynamique complexe en jeu peut peut-être nous aider à éviter les attentes irréalistes, et le rejet d’autre part.

L’amélioration des écoles est un problème pernicieux qui implique d’accepter que les solutions parfaites n’existent pas. De même, il ne faut pas s’attendre à ce que les meilleures stratégies, les plus méticuleusement élaborées puissent fonctionner à la perfection.

Le sentiment de « faire de son mieux, mais de ne jamais être assez bon » peut être quelque peu atténué lorsque nous acceptons qu’il n’est pas possible de résoudre entièrement un problème pernicieux. De plus, les progrès ne sont pas linéaires.



Le leurre et le piège des solutions miracles


Face à un problème pernicieux, certaines solutions « parfaites » sont séduisantes, mais inappropriées. Les solutions miracles sont des solutions qui promettent de résoudre proprement les problèmes éducatifs, mais qui n’aboutissent pas.

Bannick et Trommel (2019) affirment que lorsqu’il s’agit de problèmes pernicieux, les solutions parfaites sont inintelligentes, car elles supposent implicitement que le problème lui-même n’est pas pernicieux. En tentant de répondre à un problème pernicieux, les organisations peuvent adopter une solution « parfaite » qui promet plus qu’elle ne peut réellement fournir.

Toutefois, il est compréhensible que des solutions apparemment « parfaites », mais inintelligentes se répandent rapidement chaque fois que le cadre ou la lecture du problème pernicieux changent.

Certaines solutions miracles peuvent ne présenter qu’un intérêt potentiel limité. D’autres peuvent nécessiter des efforts de mise en œuvre à grande échelle, tellement difficiles et lents qu’ils en empêchent l’aboutissement. De plus, il est difficile, voire impossible, d’admettre se tromper publiquement, ce qui amène l’aversion de la perte. Certaines solutions peuvent être intégrées dans le tissu des écoles à tel point qu’il est difficile de remettre en question leur utilité.

Le niveau auquel un acteur travaille tend à influencer sa compréhension d’un problème pernicieux et les solutions qu’il y apporte. Le fait de tolérer l’inadéquation d’une solution ou d’un processus mis en place dans une école dans le but sincère d’améliorer les choses peut avoir un coût personnel important.



Comprendre la complexité du défi de l’amélioration 


Les directions peuvent être confrontées à un défi de taille :
  • D’une part, la mise en œuvre rapide de solutions « parfaites » au problème identifié a peu de chances de réussir.
  • D’autre part, il n’est pas non plus conseillé de continuer sans revoir les pratiques et les stratégies actuelles. Celles-ci peuvent, dans une certaine mesure, avoir été façonnées par une formulation antérieure du problème pernicieux de l’amélioration de l’école.

L’amélioration des écoles est un problème complexe, mais vital. Comprendre la dynamique de l’amélioration des écoles en tant que telle, et la gamme de pressions qu’elle implique probablement peut donner aux chefs d’établissement la meilleure chance d’y répondre intelligemment.

L’amélioration des écoles est-elle un problème complexe, car
  • Nous pouvons ne pas être d’accord sur la nature essentielle du problème. Dès lors, nous pouvons y répondre d’une myriade de façons. Chaque façon implique une solution différente.
  • La plausibilité d’une solution à un problème pernicieux dépend de l’œil de celui qui la regarde. Notre perspective et notre cadre d’actions possibles influenceront probablement la manière dont nous cernons le problème et dont nous identifions ce que nous considérons comme une solution viable.
  • Il est impossible de résoudre entièrement un problème pernicieux. L’amélioration de la scolarisation ne résoudra jamais, en soi, les défis socio-économiques dont elle est souvent chargée. Accepter cette réalité peut conduire au pessimisme ou soulager des angoisses et des attentes inutiles.
  • Les problèmes pernicieux sont souvent recadrés par des changements de politiques scolaires. Lorsque cela se produit, certaines solutions tombent en désuétude et d’autres sont implicitement ou explicitement approuvées.
  • Les solutions parfaites ne fonctionneront pas, mais ne sont (souvent) pas autorisées à échouer. Les problèmes pernicieux ne se prêtent pas à des solutions simples. Les solutions adéquates doivent être perçues comme étant fonctionnelles, ou au moins comme n’échouant pas. Cette dynamique peut décourager les évaluations significatives ou les approches itératives de l’amélioration des écoles.



Relever le défi de l’amélioration


Bannink et Trommel (2019) font les suggestions suivantes en ce qui concerne la résolution des problèmes pernicieux. Les principes qui sous-tendent chacune d’entre elles peuvent très bien s’appliquer à la gestion de l’amélioration en école :


Vivre avec le problème


Les questions centrales derrière les problèmes pernicieux sont une réalité de la vie. Certains problèmes seront toujours présents. Il y aura toujours des difficultés qui y seront associées. 

Ce constat ne doit pas nous inciter à cesser de travailler sur le problème, mais peut nous éviter une pression inutile pour le résoudre entièrement. 

Il y aura toujours des élèves relativement défavorisés ou présentant des troubles de l’apprentissage ou du comportement qui, en moyenne, n’auront pas autant de facilité à apprendre que leurs camarades plus favorisés. 

Combler ce type de fossé sera donc un défi permanent, mais qui vaut la peine d’être relevé.

Le fait d’accepter que nous ne puissions pas résoudre totalement le problème peut nous aider à cesser de nous inquiéter inutilement sans nous dissuader d’essayer de faire le meilleur travail possible. 

Une grande partie de ce que nous faisons ne fonctionnera pas aussi bien que nous l’espérons. Toutefois, parallèlement, nous savons que l’enseignement peut faire la différence à certains moments. Nous pouvons maximiser notre impact en faisant constamment de notre mieux et en n’abandonnant pas face aux défis inévitables et à un certain degré d’échec. 


Essai et erreur ou développement itératif


Il n’est pas conseillé de se contenter de mettre en œuvre des schémas directeurs qui, une fois créés, deviennent des structures solides — une solution rigide, parfaite et probablement inappropriée. 

Bannink et Trommel (2019) soutiennent que la mise en œuvre des politiques ne consiste pas à créer un monde meilleur en « résolvant les problèmes » selon des principes utopiques. Elle consiste à « rendre le monde un peu moins horrible en apprenant des erreurs que nous commettons lors d’expériences à petite échelle ».

À l’échelle de l’école, il est parfois souhaitable de se débrouiller, d’ajuster et de peaufiner les nouvelles politiques au fur et à mesure, plutôt que d’admettre un échec ou une faiblesse.

Par exemple, Termeer, Dewulf et Biesbroek (2019) suggèrent que l’identification de petites victoires — des succès réalisables qui indiquent un progrès vers un résultat idéal — peut aider à cet égard.

Le principe de l’essai et de l’erreur à petite échelle semble judicieux dans ce cas, de même que la conscience que rien ne fonctionne partout. 

À l’opposé, lorsque les écoles adoptent une stratégie spécifique qui a « fonctionné » ailleurs, le risque est grand de tomber dans l’approche de la solution miracle.


L’imagination sociologique


Bannink et Trommel (2019) suggèrent que « la gouvernance intelligente exige de la réflexivité, en ce sens qu’elle prend en compte d’autres définitions de problèmes que celles suggérées par la raison administrative. 

Nous pouvons ici remettre en question les “faits du problème” tels qu’ils sont actuellement présentés au niveau des politiques éducatives. Ils ne sont pas faux. Cependant, il s’agit simplement d’une interprétation rationnelle du problème complexe de l’amélioration des écoles qui a le plus de sens à un niveau quelque peu éloigné de l’enseignement quotidien en classe.



Accepter les limites de l’amélioration


Il est probable que, dans l’ensemble, l’éducation n’ait pas l’impact que nous souhaitons qu’elle ait. Cependant, elle fait la différence et nous pouvons tenter d’avoir un impact positif.

Trop de temps et d’énergie mentale sont consacrés à s’inquiéter de résultats qui ne sont pas directement contrôlables ou (plus fréquemment) à travailler avec un sentiment paniqué d’inadéquation personnelle. Ce sentiment d’inadéquation personnelle se fonde sur la croyance erronée qu’il est possible de faire le travail à la perfection.  

Ce type de raisonnement peut à la fois décourager les enseignants efficaces de bien faire et favoriser l’émergence de solutions miracles.

Ce qui importe est de se concentrer sur l’amélioration et l’impact là où nous le pouvons.


Mis à jour le 20/04/2024

Bibliographie


Ben White, The ‘wicked problem’ of school improvement., https://benjamindwhite.wordpress.com/2019/07/25/the-wicked-problem-of-school-improvement/ , 2019

Wikipedia contributors. (2023, December 27). Wicked problem. In Wikipedia, The Free Encyclopedia. Retrieved 05:35, December 29, 2023, from https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Wicked_problem&oldid=1191998903

Rittel, H.W.J., Webber, M.M. Dilemmas in a general theory of planning. Policy Sci 4, 155–169 (1973). https://doi.org/10.1007/BF01405730

Duco Bannink & Willem Trommel (2019) Intelligent modes of imperfect governance, Policy and Society, 38:2, 198-217, DOI: 10.1080/14494035.2019.1572576

Catrien J.A.M Termeer, Art Dewulf & Robbert Biesbroek (2019) A critical assessment of the wicked problem concept: relevance and usefulness for policy science and practice, Policy and Society, 38:2, 167-179, DOI: 10.1080/14494035.2019.1617971

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