Voici une synthèse d’un article de Lebeau et Bouffard (2023) sur les relations entre la perception de compétence, la motivation et le rendement scolaires.
(Photographie : Pavel Tereshkovets)
L'évolution de la motivation dans la charnière primaire/secondaire
Une perception positive de sa compétence et une motivation à apprendre sont jugées comme deux ressources internes personnelles indispensables à la poursuite et à la réalisation d’objectifs personnels et professionnels tout au long de sa vie.
Il est reconnu que la transition du primaire au secondaire est souvent accompagnée d’incertitudes envers les futures exigences du nouveau milieu scolaire. Ces incertitudes peuvent ébranler les perceptions de compétence, les ressources motivationnelles et le rendement des élèves.
Chez les élèves, la perception positive de sa compétence et la motivation tendent à décliner à travers le temps. Généralement très positive chez les jeunes enfants, la perception de compétence s’estompe avec le temps. Ces déclins sont particulièrement saillants lors de l’importante transition du primaire au secondaire, où une diminution du rendement scolaire est aussi souvent observée. Cette transition peut avoir des répercussions marquées sur le reste du cheminement scolaire et sur le bien-être des élèves.
Les risques d’une perception négative de compétence
Selon Gresham et ses collègues (2000), le lien entre la perception de compétence et l’adaptation scolaire, sous l’angle de la motivation et du rendement, n’est pas qu’une simple relation linéaire.
Il pourrait mieux s’expliquer par la présence de biais d’autoévaluation de compétence. Ce biais d’autoévaluation de sa compétence se manifeste quand l’autoévaluation diverge de la compétence mesurée à l’aide d’un critère externe. Ce critère externe est par exemple, le jugement de l’enseignant ou une mesure standardisée d’habiletés intellectuelles.
Les études sur les biais d’autoévaluation de sa compétence dans le domaine scolaire ont montré qu’en dépit de capacités intellectuelles semblables, ou même meilleures que leurs camarades, les élèves mésestimant leur compétence présentaient une faible motivation. En conséquence, ils s’engageaient peu dans les activités d’apprentissage, abandonnaient dès la survenue d’un obstacle et avaient un rendement nettement inférieur à leurs capacités objectives.
Avoir une perception négative de sa compétence comporte ainsi un risque clair pour le devenir scolaire (abandon scolaire), personnel (faible bien-être, symptômes dépressifs) et social (difficultés d’intégration sociale, manque d’opportunité d’emploi) de ces élèves.
Développement de la perception de compétence
Il est utile de disposer d’une définition pour la perception de compétence (Harter, 1982 & 1986). Elle est la représentation cognitive du niveau d’habileté ou de compétence qu’une personne se reconnaît à l’égard d’une tâche, d’une situation ou d’un domaine particulier, comme le domaine scolaire.
La perception de compétence scolaire est très apparentée conceptuellement à la notion de concept de soi scolaire qui correspond à un jugement évaluatif de la compétence cognitive de l’élève, appliquée au travail scolaire.
Le concept de perception de compétence est également semblable au sentiment d’efficacité personnelle (auto-efficacité).
Les perceptions de compétence tiennent une place importante dans le développement humain. Selon Bandura (1986), elles influencent le fonctionnement des processus cognitifs, affectifs, motivationnels et comportementaux de la personne et, en bout de piste, ce qu’elle parvient à faire dans la vie.
Ces perceptions ne sont pas innées. Elles se développent à partir de l’interprétation que donne une personne de ses expériences dans son environnement physique et social.
Les réussites et les échecs jalonnant les apprentissages, dont une personne s’attribue la responsabilité, sont déterminants :
- Bien réussir ses tâches et s’en attribuer le mérite contribue à développer une perception de compétence positive.
- L’échec, dont on se tient responsable, a l’effet inverse.
- La comparaison de ses résultats avec des pairs jugés de même capacité que soi, mais réussissant mieux ou moins bien, renseigne aussi la personne sur sa compétence à faire de même.
- Les rétroactions verbales, sous forme de jugements positifs ou négatifs proférés par des personnes significatives et perçues comme expertes, sont un autre canal d’informations alimentant la perception de compétence. À l’école, les rétroactions des enseignants jouent à cet égard un rôle important. Les attentes implicites ou explicites des adultes, parents et enseignants, qui signalent à l’élève leur confiance (ou non) dans ses capacités à réussir, agissent également sur ses perceptions de compétence.
Tous ces facteurs impliqués dans la formation de la perception de compétence aident à comprendre pourquoi elle n’est pas le reflet exact des capacités réelles de la personne.
Selon Bandura (1993), se percevoir comme compétent permet, entre autres, de se motiver à agir pour atteindre des objectifs et de persévérer devant les obstacles. Les résultats d’études empiriques vont dans ce sens. Une perception de compétence faible, qu’elle soit justifiée ou non, est liée à une motivation également faible et à un rendement scolaire inférieur aux capacités réelles de l’élève. Le phénomène inverse se vérifie dans le cas d’une perception de compétence élevée.
Motivation à apprendre et perception de compétence
Les définitions de la motivation à apprendre sont multiples. Cependant, elles partagent toutes l’idée qu’elle représente la raison principale incitant l’individu à s’engager dans une activité d’apprentissage et à y persévérer même lorsque des obstacles surgissent.
Dans le cadre de leur théorie attentes-valeur (expectancy-value theory), Eccles et Wigfield (2002) soutiennent que la motivation résulte de la conjugaison de deux conditions :
- Les attentes de la personne quant à sa capacité à réussir une tâche
- La valeur qu’elle accorde à cette tâche.
Dans cette théorie, les attentes de succès réfèrent au jugement de l’élève d’avoir les habiletés nécessaires pour réussir une tâche. C’est ce jugement de la réussite anticipée jointe à la valeur affective assignée à la tâche qui déterminerait la motivation de la personne à s’y engager.
Dans leur théorie de l’autodétermination, Deci et Ryan (2002, 2008, 2012) distinguent la motivation selon sa nature intrinsèque ou extrinsèque :
- Elle est dite « intrinsèque » lorsqu’elle se fonde sur le plaisir et l’intérêt de l’individu envers l’activité.
- Elle est dite « extrinsèque » lorsqu’elle vise à éviter une punition, à obtenir une récompense ou à répondre à la pression sociale.
- Ces auteurs proposent que la position de la motivation, sur un continuum d’extrinsèque à intrinsèque, fluctue selon le degré d’autonomie de l’individu et de son besoin de compétence.
De son côté, Gottfried et ses collègues (2017) voient la motivation scolaire comme une orientation générale vers l’apprentissage scolaire. Elle représente une disposition intrinsèque caractérisée par la curiosité, la persévérance devant les difficultés, la recherche de défis et une orientation vers la maîtrise. Cette définition traduit l’idée que lorsqu’un élève porte un intérêt certain à l’activité, son engagement cognitif et sa persévérance sont maintenus même lorsqu’il n’y a pas de récompense à la clé. Elle voit la motivation à apprendre comme un état psychologique. Cet état se caractérise par une disposition de l’élève à s’engager dans les actions requises pour s’approprier un contenu d’apprentissage donné et à faire les efforts nécessaires pour y parvenir.
Cette conceptualisation est utile en référence à l’apprentissage en général autant qu’à celui de matières scolaires particulières. Elle s’applique également à tous les âges.
Dans les modèles théoriques de Bandura (1986) et de Harter (1978), la personne est vue comme étant motivée par un besoin fondamental de se sentir compétente dans la maîtrise de son environnement. Une perception de compétence positive suscite la disposition de la personne à s’engager activement dans une tâche, alors qu’une perception de compétence faible suscite un engagement superficiel et l’abandon dès la première difficulté. Cette disposition s’incarne dans des comportements d’attention à la tâche, d’efforts et de persévérance devant les difficultés, de même que des affects positifs envers la tâche. Selon cette perspective, la perception de compétence et la motivation sont clairement deux concepts distincts pouvant aussi être opérationnalisés de manière empirique. C’est cette conception de la motivation que privilégient Lebeau et Bouffard (2023).
Les théories contemporaines de la motivation reconnaissent que le désir de connaître et d’apprendre est l’apanage de tous. Cependant, la perception de compétence, sans être un facteur exclusif, tient un rôle central dans la motivation de l’élève et dans son rendement.
La relation entre ces variables serait surtout réciproque : les élèves ayant une perception élevée de leur compétence aborderaient les tâches avec confiance et motivation, et leur réussite qui s’ensuivrait contribuerait à renforcer leur perception de compétence initiale.
Toutefois, plusieurs théories avancent que la perception de compétence tient un rôle central dans la motivation et le rendement scolaires, la direction de leurs relations ne fait pas consensus.
Les résultats de l’étude longitudinale de Lebeau et Bouffard (2023) sur la perception de compétence dans la transition primaire/secondaire
L’étude longitudinale de Lebeau et Bouffard (2023) couvre la transition primaire-secondaire. Sur une période de cinq ans allant de la 5e année du primaire jusqu’à la 3e année du secondaire, 830 élèves (dont l’âge moyen au départ était de 11, 7 ans) ont répondu à un questionnaire. Celui-ci portait sur leur perception de compétence et leur motivation. De leur côté, leurs enseignants ont rapporté le rendement des élèves.
L’objectif de l’étude a été d’examiner la direction des relations entre la perception
de compétence, la motivation et le rendement scolaires.
Les résultats de l’étude longitudinale de Lebeau et Bouffard (2023) mettent l’accent sur l’importance du développement d’une perception de compétence positive dans le fonctionnement scolaire.
La perception de compétence, la motivation et le rendement mesurés à un temps donné sont positivement liés à leur valeur à un temps ultérieur. Il existe de même une continuité dans les caractéristiques des élèves.
La perception de compétence, la motivation et le rendement diminuent entre le primaire et le secondaire :
- Les élèves qui avaient des scores élevés de perception de compétence et de motivation, et un bon rendement au primaire continuent de faire de même une fois au secondaire.
- Le lien entre la perception de compétence mesurée en 6e année et celle mesurée en 1re secondaire est moins élevé qu’il ne l’est entre d’autres temps de mesure. C’est la même chose pour le rendement. L’expérience de la transition au secondaire et les défis adaptatifs qu’elle implique s’accompagnent d’une remise en question de sa compétence et de changements dans le rendement. Si l’impact de la transition est réel, il est faible et de courte durée.
L’étude montre des relations réciproques entre perception de compétence, motivation et rendement :
- La perception de compétence et le rendement scolaires sont bien en relation réciproque tout au long de l’étude.
- La perception de compétence et la motivation ne le sont qu’aux deux premières années de l’étude. Si la perception de compétence continue de prédire systématiquement la motivation aux trois années du secondaire, l’inverse n’est pas observé. La motivation ne prédit jamais le rendement, et ce dernier ne la prédit que faiblement de la 5e à la 6e année du primaire, puis de la 1re à la 2e année du secondaire.
Ceci laisse supposer que le sentiment de compétence stimule la motivation de l’élève, mais que le fait d’être motivé ne génère pas nécessairement un meilleur sentiment de compétence.
Un élément à prendre en considération est qu’au secondaire, la diversité et la complexité des matières scolaires sont plus marquées. Dès lors, on peut se demander si le caractère général de la motivation présente encore un sens.
Le constat des relations réciproques entre la perception de compétence et le rendement scolaires tout au long de l’étude soutient la pertinence du modèle de réciprocité de Bandura en lien avec le sentiment d’efficacité personnelle (1986). Il concorde avec les résultats d’études antérieures.
Implications de la perception de compétence pour l’enseignement
Le résultat essentiel de l’étude de Lebeau et Bouffard (2023) est que la perception de compétence prédit systématiquement la motivation, mais pas l’inverse. De plus, il existe aussi peu de liens entre la motivation et le rendement.
Cette étude réaffirme le rôle central de la perception de compétence dans le fonctionnement scolaire des élèves, où elle prédit chaque année la motivation et le rendement à l’année subséquente. Sur le plan pratique, elle donne à penser qu’une perception de compétence positive est une ressource motivationnelle interne qu’il importe de cultiver chez les élèves.
Dès lors, il serait approprié de sensibiliser les enseignants à l’importance de la perception de compétence positive. Le fait d’entretenir une perception de compétence faible, qu’elle soit justifiée ou non, est un facteur de risque dans l’adaptation scolaire et psychologique des élèves.
Cette sensibilisation des enseignants n’est pas à prendre à la légère. Des enseignants de 5e année du primaire ont participé à une étude de Lévesque-Guillemette et ses collègues (2015). Le tiers des enseignants et près de la moitié de ceux ayant moins de 10 années d’expérience jugeaient qu’il était préférable qu’un élève sous-évalue sa compétence plutôt qu’il la surévalue. Suivant cela, on peut penser qu’un enseignant estimant qu’une vision optimiste de sa propre compétence nuit à l’élève pourrait adopter envers ce dernier des tactiques pour réduire sa perception de compétence.
Il semble ainsi essentiel que les enseignants saisissent l’importance de la perception de compétence pour agir sur la motivation des élèves. Ils doivent être informés des sources d’information qu’utilisent les élèves dans la formation de leur perception de compétence. Ces sources d’information pourront alors constituer des leviers d’action qu’ils pourront utiliser en classe pour favoriser une perception de compétence positive chez leurs élèves.
Par exemple, savoir que les expériences de réussite de l’élève et l’attribution de ces réussites à ses efforts sont efficaces pour soutenir ou renforcer sa perception de compétence est utile. Cela pourra amener un enseignant à prendre des moyens pour aider l’élève à vivre des succès en soulignant ensuite le rôle de ses efforts.
Mis à jour le 15/04/2024
Bibliographie
Lebeau, R., & Bouffard, T. (2023). Étude longitudinale des relations entre la perception de compétence, la motivation et le rendement scolaires. Canadian Journal of Education/Revue canadienne de l’éducation, 45 (4), 987–1027. https://doi.org/10.53967/cje-rce.5281
Gresham, F. M., MacMillan, D. L., Beebe-Frankenberger, M. E. et Bocian, K. M. (2000). Treatment integrity in learning disabilities intervention research: Do we really know how treatments are implemented? Learning Disabilities Research and Practice, 15(4), 198–205. https://doi.org/10.1207/SLDRP1504_4
Harter, S. (1982). The Perceived Competence Scale for Children. Child development, 53(1), 87–97. https://doi.org/10.2307/1129640
Harter, S. (1986). Processes underlying the construction, maintenance and enhancement of the self-concept in children. Dans J. Suls et A. G. Greenwald (dir.), Psychological perspectives on the self (volume 3, p. 136–182). Lawrence Erlbaum.
Bandura, A. (1986). Social foundations of thought and action: A social cognitive theory. Prentice-Hall.
Bandura, A. (1993). Perceived self-efficacy in cognitive development and functioning. Educational Psychologist, 28(2), 117–148. https://doi.org/10.1207/ s15326985ep2802_3
Eccles, J. S. et Wigfield, A. (2002). Motivational beliefs, values, and goals. Annual Review of Psychology, 53(1), 109–132. https://doi.org/10.1146/annurev. psych.53.100901.135153
Deci, E. L. et Ryan, R. M. (2008). Self-determination theory: A macrotheory of human motivation, development, and health. Canadian Psychology, 49(3), 182–185. https://doi.org/10.1037/a0012801
Deci, E. L. et Ryan, R. M. (2012). Self-determination theory. Dans P. A. M. Van Lange, A. W. Kruglanski et E. T. Higgins (dir.), Handbook of theories of social psychology (p. 416–437). SAGE Publications.
Deci, E. L. et Ryan, R. M. (dir.). (2002). Handbook of self-determination research. University Rochester Press.
Gottfried, A. E., Nylund-Gibson, K., Gottfried, A. W., Diane Morovati, D. et Gonzalez, A. M. (2017). Trajectories from academic intrinsic motivation to need for cognition and educational attainment. The Journal of Educational Research, 110(6), 642–652. https://doi.org/10.1080/00220671.2016.1171199
Harter, S. (1978). Effectance motivation reconsidered. Toward a developmental model. Human Development, 21(1), 34–64. https://doi.org/10.1159/000271574
Lévesque-Guillemette, R., Bouffard, T. et Vezeau, C. (2015). Les liens entre le jugement de l’enseignant sur les biais d’autoévaluation de compétence de l’élève et la qualité de leur relation. Revue des sciences de l’éducation, 41(2), 179–197. https://doi.org/10.7202/1034032ar
0 comments:
Enregistrer un commentaire