Wu et ses collègues (2019) ont examiné l’utilisation des stratégies d’apprentissage en mathématiques chez les élèves d’Asie de l’Est dans les systèmes éducatifs de cette région qui régulièrement sont au sommet des tests PISA.
Autant que leur analyse, c’est le cadre théorique de celle-ci qui est intéressant.
(Photographie : night-for-night)
Les résultats PISA 2012 qui forment la base de l’analyse de Wu et ses collègues (2019) sont analysés sur base sur la taxonomie de Weinstein et Mayer (1986) qui fait notamment la distinction entre trois types de stratégies d’apprentissage des mathématiques qui sont :
- La mémorisation
- L’élaboration
- La métacognition
Théorie de l’apprentissage autorégulé de Zimmerman
La théorie de l’apprentissage autorégulé de Barry Zimmerman est une des théories de l’autorégulation parmi d’autres. Elle fournit un cadre conceptuel pour la manière dont les élèves régulent :
- Leur utilisation de stratégies d’apprentissage
- Leur motivation
- Leur comportement.
Dans le cadre de cette théorie, l’apprentissage autorégulé comporte trois phases :
- La phase de réflexion préalable durant laquelle, en fonction de leur niveau de motivation, les élèves se fixent des objectifs d’apprentissage .
- La phase de contrôle des performances durant laquelle les élèves sélectionnent des stratégies d’apprentissage qui leur semblent appropriées pour la maîtrise de leurs objectifs d’apprentissage.
- La phase d’autoréflexion durant laquelle les élèves évaluent leurs performances en identifiant leurs lacunes en matière d’apprentissage afin d’améliorer leurs performances.
Pendant ces trois phases, les apprenants autorégulés contrôlent, évaluent et ajustent :
- Leurs stratégies d’apprentissage,
- Leur propre niveau de motivation,
- Les objectifs d’apprentissage, afin d’atteindre les performances souhaitées
Dans le cadre de la théorie de l’apprentissage autorégulé, de nombreuses recherches ont visé à définir les différents types de stratégies d’apprentissage et leur efficacité. Elles les ont conceptualisées comme des stratégies cognitives et métacognitives :
- Les stratégies cognitives :
- Elles font référence aux processus mentaux liés à l’acquisition et au stockage de l’information, à l’organisation, au résumé et à la compréhension de l’information en reliant les connaissances nouvelles et antérieures.
- Par exemple, dans un cours de mathématiques, les élèves peuvent mémoriser des formules, résumer un concept mathématique qu’ils ont appris ou relier un concept mathématique à leurs propres expériences et connaissances.
- Dans le cadre des stratégies cognitives, on peut faire la différence entre ce qui tient de la mémorisation et ce qui tient de l’élaboration.
- Les stratégies métacognitives :
- Elles font référence à la surveillance, au contrôle et à la régulation des activités cognitives et du comportement réel.
- La plupart des stratégies métacognitives font appel à trois types de stratégies générales :
- La planification,
- La surveillance
- L’évaluation
- Les stratégies d’apprentissage métacognitif typiques impliquent :
- L’observation et la modification des processus et des résultats d’apprentissage
- La gestion et le contrôle des efforts, de l’environnement d’apprentissage et de la motivation.
Dans l’apprentissage des mathématiques, les élèves ayant une conscience métacognitive peuvent :
- Planifier les étapes nécessaires pour résoudre des tâches mathématiques
- Vérifier leur propre compréhension des concepts appris
- Demander de l’aide
- Évaluer leurs propres stratégies d’apprentissage afin d’améliorer leurs performances.
Le statut ambigu de la apprentissage par cœur
La mémorisation, ou apprentissage, par cœur est un processus cognitif dans lequel l’information est retenue et reproduite mot pour mot. Aucun autre processus mental n’implique nécessairement une transformation de l’information ou la création de liens signifiants. Il n'est pas abolusment nécessaire de comprendre pour apprendre par coeur, même si cela aide grandement.
La mémorisation en tant que stratégie d’apprentissage des élèves est un sujet controversé, parce qu’en tant que telle, elle ne nécessite pas obligatoirement une compréhension approfondie. Elle est associée à une étude superficielle et à une grande difficulté à transférer les contenus, à les mobiliser et à les manipuler en dehors de leur contexte d’étude. L'apprentissage par coeur offre une mémorisation pauvre en indices contextuels ce qui fait que c'est connaissances sont plus difficiles à récupérer en dehors de leur contexte d'origine et plus sensibles à l'oubli.
Toutefois cela ne suffit pas pour rejeter la démarche. D’un point de vue neuroscientifique, la répétition de la pratique permet de renforcer les voies neurales de la mémoire, les synapses, ce qui est nécessaire pour acquérir, accumuler et récupérer des connaissances déclaratives ou procédurales. De même, un surapprentissage génère un bénéfice à court terme.
En un sens, derrière chaque apprentissage se cache de la mémorisation. Le réel problème ne se pose que lorsqu’un élève se contente de mémoriser et ne poursuit pas plus loin son processus d’apprentissage. Il lui faut continuer à créer du sens grâce à la mobilisation de ces connaissances dans des contextes multiples et variés.
Mémoriser des règles ou des savoirs en mathématiques pour le plaisir de les mémoriser n’a pas de sens. Par contre, si cela sert de point d’ancrage pour des traitements plus profonds, l’intérêt est bien réel.
Disposer de connaissances factuelles en mémoire à long terme ne peut qu’être bénéfique au raisonnement et n’accapare pas les ressources précieuses de la mémoire de travail. Dès lors l'apprentissage par coeur est utile quand il est utilisé à bon escien au sein d'une panoplie de stratégies d'apprentissage autonome.
Stratégies de mémorisation et résultats en mathématiques
La littérature de recherche montre que les élèves peuvent bénéficier de la mémorisation de connaissances factuelles au stade initial de l’apprentissage des mathématiques.
Par contre, l’utilisation exclusive de la mémorisation ne conduit pas au développement de la capacité de résolution de problèmes complexes ou de compétences de raisonnement mathématique d’ordre supérieur.
Selon Dent et Koenka (2016), les élèves peuvent utiliser une variété de stratégies d’apprentissage qui ne font qu’encourager la mémorisation par cœur. Cela peut être leur principale approche des tâches scolaires. Bien que cela puisse suffire pour certaines tâches, les élèves ont souvent besoin d’intégrer et d’appliquer les concepts qu’ils ont appris. Pour ce type de travail scolaire, la mémorisation ne suffit pas. Par conséquent, une approche de l’apprentissage caractérisée par des stratégies de traitement superficielles peut en nuire à la réussite, surtout si la plupart des tâches exigent une compréhension conceptuelle plutôt qu’un simple rappel.
En conclusion, il est peu probable que les élèves les plus performants s’appuient uniquement sur les compétences de mémorisation comme stratégie d’apprentissage des mathématiques.
Stratégies d’élaboration et résultats en mathématiques
L’élaboration correspond aux processus mentaux et aux actions liés à l’utilisation conjointe et à la combinaison de plusieurs éléments d’information, de manière à créer des interprétations significatives.
Il s’agit par exemple :
- De relier des connaissances nouvelles et antérieures
- D’interpréter des phénomènes de la vie réelle
- De manipuler, de questionner, d’argumenter au sein de tâches d’apprentissage
- De résumer, en justifiant et en formulant des conclusions.
L’élaboration comme stratégie d’apprentissage est souvent reconnue comme un moyen de faciliter un haut niveau d’engagement cognitif pour un apprentissage en profondeur.
Des études ont cherché à savoir si les stratégies d’élaboration auraient réellement un effet positif sur l’apprentissage des élèves, notamment en mathématiques. Les chercheurs en ont conclu que l’utilisation de l’élaboration dans les tâches d’apprentissage est précieuse. Elle renforce l’engagement dans l’apprentissage profond, la résolution de problèmes complexes, ainsi que la mémoire à long terme et la récupération efficace des informations.
Une étude longitudinale impliquant six vagues de données annuelles collectées auprès d’élèves durant cinq années consécutives (11,7 ans d’âge moyen au départ) a été réalisée par Murayama et ses collègues (2013). Elle a mis en évidence que la progression des résultats en mathématiques était prédite par la motivation et les stratégies d’élaboration des élèves. Dans le cadre de cette recherche, si le niveau initial de réussite était fortement lié à l’intelligence, celle-ci n’avait aucun rapport avec la croissance des résultats au fil des ans. À l’opposé, la motivation et les stratégies d’apprentissage étaient des facteurs prédictifs de progression.
Une méta-analyse de Donker et ses collègues (2014) a également présenté un solide soutien empirique à l’utilisation par les élèves de stratégies d’élaboration dans la réussite en mathématiques. Ils ont constaté que les stratégies d’élaboration en mathématiques amélioraient les performances des élèves sensiblement plus que les autres facteurs.
Cependant, l’analyse des données PISA n’a pas mis de manière aussi claire et évidence la relation entre l’élaboration et les performances en mathématiques dans les différents systèmes éducatifs. Il y a sans doute une question de mise en œuvre pédagogique de l’élaboration au sein de l’enseignement des mathématiques qui fait que peut-être son potentiel n’est pas toujours complètement exprimé.
Stratégies métacognitives et résultats en mathématiques
Les stratégies métacognitives sont utilisées lorsque les élèves observent, surveillent, planifient et ajustent leurs propres processus cognitifs afin de maximiser leur apprentissage.
Les élèves qui s’investissent dans des processus métacognitifs ont une bonne compréhension de leurs propres forces et faiblesses. Ils évaluent les stratégies appropriées pour améliorer leurs performances et tentent de modifier un modèle de comportement qui peut être propice à l’apprentissage.
La plupart des études empiriques ont démontré que les stratégies métacognitives sont efficaces pour aider les élèves à obtenir des performances élevées en mathématiques.
Dignath et Buëttner (2008) ont réalisé une méta-analyse sur les études d’intervention visant divers résultats d’apprentissage des élèves du primaire et du secondaire. Ces interventions portaient sur les mathématiques, la lecture, l’écriture, d’autres matières, l’utilisation de stratégies et la motivation. Ils ont montré des tailles d’effet modérément fortes des stratégies métacognitives pour les niveaux primaire et secondaire. L’étude a également fait état d’une relation plus forte entre les stratégies métacognitives et les mathématiques qu’avec les autres matières.
Une étude de cas a été basée sur des élèves de 11 ans en Allemagne (Perels, Dignath, & Schmitz, 2009). Les chercheurs ont conclu que l’intervention en classe pour améliorer les performances des élèves en mathématiques était efficace lorsque les élèves étaient exposés à un enseignement explicite sur l’application des stratégies métacognitives. Les enjeux visés dans le programme de formation à l’autorégulation étaient la fixation d’objectifs, la gestion des distractions, l’automotivation, la planification et la concentration.
Lorsque les données PISA sont examinées au niveau du système éducatif, comme pour l’élaboration, la relation positive attendue n’a pas été observée de manière cohérente dans les différents systèmes éducatifs. De nouveau, on peut poser la question des stratégies pédagogiques utilisées pour mettre en scène les dimensions métacognitives auprès des élèves.
Cas de l’apprentissage des mathématiques en Asie de l’Est
Wu et ses collègues (2019) ont dont étudié le lien entre les performances remarquables de ces pays et les stratégies mises en avant dans l’étude PISA 2012.
En général, les élèves d’Asie de l’Est semblent combiner la mémorisation avec des stratégies métacognitives dans l’apprentissage des mathématiques. Ils adoptent également différents mélanges de stratégies de mémorisation et de métacognition.
Quatre classes de types de stratégies d’apprentissage ont été mises en évidence :
- Mémorisation avec stratégies métacognitives : 17,49 %
- Stratégies métacognitives avec mémorisation : 50,70 %
- Élaboration uniquement : 10,33 %
- Stratégies métacognitives avec élaboration : 16,47 %
Les élèves qui ont utilisé plus de stratégies métacognitives et moins de mémorisation ont en général des performances en mathématiques plus élevées que ceux qui ont utilisé plus de mémorisation et moins de stratégies métacognitives.
Les élèves qui ont déclaré utiliser des stratégies métacognitives avec mémorisation ou élaboration ont obtenu de meilleurs résultats en mathématiques.
La plupart des élèves d’Asie de l’Est ont déclaré avoir utilisé plusieurs stratégies d’apprentissage pour apprendre les mathématiques. Les processus cognitifs employés par les élèves d’origine d’Asie de l’Est sont plus complexes et plus nuancés que la perception précédente selon laquelle ils s’appuyaient fortement sur la mémorisation. Il semble donc que le rôle des stratégies métacognitives soit important pour les résultats de ces élèves en mathématiques.
Wu et ses collègues (2019) concluent de leur analyse que l’utilisation combinée des stratégies métacognitives et de l’élaboration est la stratégie d’apprentissage la plus efficace pour les performances en mathématiques. Elle est suivie par l’utilisation combinée des stratégies métacognitives et de la mémorisation.
Mis à jour le 14/04/2024
Bibliographie
Yi-Jhen Wu, Claus H. Carstensen & Jihyun Lee (2020) A new perspective on memorization practices among East Asian students based on PISA 2012, Educational Psychology, 40:5, 643–662, DOI: 10.1080/01443410.2019.1648766
Weinstein, C. E., & Mayer, R. E. (1986). The teaching of learning strategies. In M. Wittrock (Ed.), Handbook of research on teaching (pp. 315–327). New York: Macmillan.
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Dent, A. L., & Koenka, A. C. (2016). The relation between self-regulated learning and academic achievement across childhood and adolescence: A meta-analysis. Educational Psychology Review, 28(3), 425–474.
Murayama, K., Pekrun, R., Lichtenfeld, S., & Vom Hofe, R. (2013). Predicting long-term growth in students’ mathematics achievement: The unique contributions of motivation and cognitive strategies. Child Development, 84(4), 1475–1490.
Donker, A. S., de Boer, H., Kostons, D., Van Ewijk, C. D., & van der Werf, M. P. (2014). Effectiveness of learning strategy instruction on academic performance: A meta-analysis. Educational Research Review, 11, 1–26. doi:10.1016/j.edurev.2013.11.002
Dignath, C., & Buëttner, G. (2008). Components of fostering self-regulated learning among students. A meta-analysis on intervention studies at primary and secondary school level. Metacognition and Learning, 3(3), 231–264. doi:10.1007/s11409-008-9029-x
Perels, F., Dignath, C., & Schmitz, B. (2009). Is it possible to improve mathematical achievement by means of self-regulation strategies? Evaluation of an intervention in regular math classes. European Journal of Psychology of Education, 24(1), 17.
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