dimanche 24 décembre 2023

Déterminants pour un enseignement explicite en sciences

Comme cela a été développé dans un précédent article, l’enseignement des sciences est plus efficace lorsqu’il privilégie un enseignement explicite à l’apprentissage par la démarche d’investigation. En outre, la démarche d’investigation peut, elle-même, bénéficier d’un enseignement explicite en tant que compétence à développer.

(Photographie : Lisa McCarty)



Une perspective instructionniste sur l’enseignement des sciences


La science est la recherche perpétuelle de la compréhension logique et de l’explication rationnelle du monde qui nous entoure. 

Dans une perspective instructionniste, l’enseignement des sciences privilégie l’apprentissage par les élèves d’un éventail de connaissances, de compétences spécifiques, de principes et de règles utiles. Ces contenus ont pour enjeu de leur permettre de réfléchir en s’informant, de faire preuve de curiosité, d’activer leur esprit critique, de collaborer, de se faire un avis et le communiquer. Nous formons les élèves pour les aider à prendre des décisions informées dans des situations où la dimension scientifique intervient. 

Acquérir des connaissances et des compétences en sciences fait progresser notre compréhension du monde qui nous entoure. Que l’on se destine à une carrière scientifique ou que l’on soit simple citoyen, l’impact de la science sur notre vie est important et omniprésent. 



Une complexité des liens entre enseignement et apprentissage en sciences


L’apprentissage en sciences n’est ni rapide ni linéaire. Il est lent et désordonné, avec de multiples temps de révision et de correction de nos conceptions, au fil de modèles successifs rencontrés. 

Mesurer la performance de nos élèves à l’échelle d’une ou de quelques heures de cours ne donne que peu d’information et de certitude sur l’établissement d’un apprentissage à long terme des connaissances évaluées. 

La marche à suivre consiste à miser sur l’acquisition progressive de connaissances soutenue par la pratique de récupération et de l’élaboration. Pour apprendre durablement et en profondeur, un élève doit être confronté à une récupération régulière et un approfondissement progressif des concepts importants à travers le temps. L’apprentissage ne s’évalue réellement qu’après un délai d’un ou plusieurs mois.

Cette marche à suivre est rendue complexe à pratiquer par l’abondance des contenus à voir en sciences qui font que les enseignants doivent passer rapidement d’un sujet à l’autre. Il y a peu de possibilités de revenir sur les idées clés pour les intégrer, car les enseignants n’ont souvent pas d’autre choix que de les traverser à un rythme soutenu. 

Terminer un cours par un bilan en présentant aux élèves ce qu’ils ont appris lors d’un ou de quelques cours en successions a peu de sens. En effet, rien ne s’apprend en une seule fois. Si ces points de matière ne sont pas revisités, mobilisés à nouveau et récupérés plusieurs fois, ils finiront vraisemblablement par être oubliés. 

Dans un enseignement qui voit un point après l’autre sans les revisiter, il y a dès lors une différence fondamentale avec les attentes d’apprentissage. Un décalage de plus en plus important se crée entre ce qui est effectivement enseigné par l’enseignant et ce qui est réellement appris par ses élèves. 

Toutefois, toutes les connaissances en sciences n’ont pas le même degré d’importance. Certains concepts plus centraux sont appelés à être revisités et à s’affiner. Des notions comme l’atome, la môle, les forces, le travail, l’ADN ou la membrane cellulaire en font partie. Une fois introduites, ces notions reviennent épisodiquement, gagnant chaque fois de nouvelles nuances et une intégration à des niveaux de complexité grandissants. 

D’autres notions ne reviennent pas ou ne le font plus qu’épisodiquement. Les activités d’enseignement pourraient dès lors être différenciées et distribuées pour favoriser spécifiquement l’apprentissage des éléments les plus essentiels.

Même si un contenu a été appris en sciences, il devra être récupéré pour être retenu, retravaillé et intégré au fur et à mesure à des structures plus complexes et à de nouveaux contextes.



Les concepts seuils en sciences


Certains apprentissages en sciences sont ce qu’on appelle des concepts seuils. Ils transforment la compréhension dans une partie d’un domaine et deviendront des connaissances préalables pour la poursuite de l’apprentissage. 

Les concepts seuils sont présents dans toutes les disciplines. Individuellement, ils constituent chacun un élément clé de la connaissance qui doit être compris afin de donner un sens à des idées scientifiques plus complexes qui seront enseignées par la suite.

Il n’est pas rare que les élèves aient une connaissance de base (apprentissage superficiel), mais ne soient pas encore en mesure de franchir le seuil. La raison est qu’ils emmènent avec eux des interprétations naïves, primaires, intuitives, imprécises, incomplètes, parfois erronées. 

De même, de nombreux élèves ont une compréhension de base de la disposition des particules dans les solides, les liquides et les gaz. Toutefois, ils ont encore des idées fausses importantes, comme celle de croire qu’il existe des écarts entre les particules dans un liquide. Par conséquent, ils peuvent être capables de répondre correctement à des questions de surface, tout en ayant une compréhension très limitée de la théorie des particules. La même chose peut avoir lieu en physique avec une compréhension inadéquate de la notion d’énergie ou en biologie avec les notions d’osmose, de diffusion ou de transport cellulaire. Un autre exemple de concept seuil est celui de la structure atomique, sans laquelle les notions de liaisons ioniques et covalentes parfaites ou polarisées ne peuvent être comprises. Un dernier exemple est la différence entre le fait de connaitre la définition de la mole et pouvoir mobiliser ce concept dans les différents contextes où il intervient.

Les enseignants en sciences doivent employer des moyens efficaces pour s’assurer que les connaissances de leurs élèves sont suffisamment intégrées avant de passer à un niveau de complexité accrue. 



De l’apprentissage de surface à l’apprentissage en profondeur en sciences


L’apprentissage de surface se réfère à la mémorisation des connaissances factuelles essentielles sur un sujet.

L’apprentissage profond se rapporte à la manière dont nous sommes capables de relier, d’étendre, de réutiliser et de transférer ces mêmes connaissances. Il n’y a pas de compétences sans des connaissances sous-jacentes.

Par exemple :
  • Dans un premier temps, nous nous assurons que les élèves comprennent la nature des particules pour les solides, les liquides et les gaz (apprentissage de surface).
  • Dans un second temps, nous les amenons à utiliser ces connaissances pour expliquer des processus tels que la fusion, l’évaporation, la condensation et la convection (apprentissage en profondeur). 
  • Une fois que les élèves connaissent l’ultrastructure cellulaire (apprentissage de surface), cela ouvre les portes à l’expression des protéines, à la réponse immunitaire ou à l’influx nerveux (apprentissage en profondeur).  
  • Avant que les élèves puissent comprendre l’idée de liaison ionique ou de liaison covalente (apprentissage en profondeur), ils doivent avoir une bonne compréhension de la structure atomique (apprentissage de surface). Cependant, de simples descriptions des liaisons ioniques ou covalentes peuvent également être considérées comme un apprentissage de surface. Le simple fait de parler de « mise en commun ou de transfert d’électrons » ne démontre pas vraiment un apprentissage profond. L’apprentissage en profondeur implique la compréhension de la rupture et de la création de liens, ainsi que des changements d’énergie impliqués.
Les enseignants efficaces doivent être capables de juger du temps à passer sur l’apprentissage de surface avant de mettre la classe au défi de passer à un apprentissage en profondeur. L’apprentissage de surface des connaissances essentiel est une voie nécessaire pour accéder à un apprentissage en profondeur.

Il ne sert à rien d’introduire l’apprentissage profond trop tôt, c’est-à-dire demander aux élèves de résoudre des problèmes ou de s’investir dans des tâches complexes. Pour en être capables, ils doivent avoir précédemment acquis l’apprentissage de surface, c’est-à-dire les concepts, les principes et les règles qui devront être mobilisés.

Le risque est réel de viser un apprentissage en profondeur sans que les élèves aient intégré l’apprentissage en surface, ce qui entraînera inévitablement des malentendus, des conceptions erronées, de la confusion et de la frustration.

En tant qu’enseignants en sciences, nous devons nous assurer que les élèves ont bien compris l’apprentissage en surface avant d’aller en profondeur. Il est également fondamental de savoir clairement ce que nous attendons d’eux en matière d’apprentissage en profondeur. 



Des compétences générales à développer spécifiquement dans le contexte de l’enseignement des sciences


Il ne s’agit pas seulement d’enseigner des sciences aux élèves, nous devons enseigner explicitement un certain nombre d’autres compétences interdisciplinaires. 

Par exemple :
  1. Apprendre à structurer les idées scientifiques et leurs développements dans un langage rigoureux et exact. 
  2. Apprendre à manipuler des formules scientifiques, à analyser et interpréter des données et à effectuer des calculs mathématiques complexes avec rigueur.
  3. Apprendre à décoder et retirer les idées essentielles de documents scientifiques pour produire une synthèse. 
Cela impose d’être en phase avec nos collègues d’autres disciplines dans lesquelles ces compétences sont également enseignées.



Mettre les élèves au défi face aux objectifs d’apprentissage 


Le défi est une opérationnalisation de l’objectif d’apprentissage. Soit il correspond pleinement à ce qui est enseigné, soit l’enseignement y mène en ligne droite. L’objectif d’apprentissage agit comme une force motrice de l’enseignement explicite. 

Nous devons donner à nos élèves des tâches d’un niveau de difficulté adéquat et communiquer des attentes élevées quant à leurs capacités d’apprentissage. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons les faire aller au-delà de ce qu’ils savent et peuvent déjà faire. 

Nous amenons nos élèves à réfléchir profondément et à s’engager face à un défi d’une manière qui mènera à un apprentissage.

À première vue, cela semble être une mission impossible quand le nombre d’élèves présents dans une classe va de la vingtaine à la trentaine :
  • Ils ont tous des connaissances préalables pour une part naïves. 
  • Ils ont des niveaux de compréhension différents.
  • Ils ont des intérêts et des niveaux de curiosité différents. 
Un enseignement explicite est la meilleure réponse à cette hétérogénéité d’entrée. Ce sera à l’enseignant de montrer les phénomènes, de les modeler et de synthétiser toutes ces informations et d’apporter l’étayage aux élèves tout en maintenant les élèves intellectuellement stimulés.

Il s’agit de rester dans une situation d’enseignement qui exige que les élèves réfléchissent suffisamment pour soutenir leur apprentissage en cours. Toutefois, elle ne les place pas dans une situation de surcharge cognitive, sans que ce qui leur est demandé soit trop facile. Cela nous demande de connaitre nos élèves et de vérifier régulièrement leur compréhension pour adapter l’enseignement en fonction du retour d’information. 

En étant un peu plus exigeants au cours que nous le serons lors des évaluations, nous leur permettons d’accéder à une compréhension plus large. Lorsqu’ils seront évalués sur le contenu des programmes, cela leur semblera dès lors plus facile. 



Mobiliser l’ancrage pour communiquer des attentes élevées


L’ancrage est un moyen d’exprimer et de mettre en place des attentes élevées. Il s’agit d’être exigeant d’emblée et d’imposer un niveau de référence élevé dès le début du cours, ce qui servira d’ancre par la suite. L’ancrage intervient au niveau de la rigueur, de la structure, du bon usage du langage et du respect des échéances.

Les élèves doivent concevoir la matière comme stimulante et invitante à une réflexion en profondeur. Mettre en œuvre la notion de défi dès le départ et la maintenir va donner aux élèves la perception qu’un engagement constant est nécessaire à la réussite et doit être fourni.

Premièrement, nous devons donner aux élèves des occasions de penser dès le début du cours. Notamment :
  • En instaurant un quiz d’entrée qui va stimuler leur réflexion à travers une pratique de récupération distribuée.  
  • En activant les connaissances préalables et préconceptions. En sciences, nous pouvons démarrer les nouveaux thèmes à partir de photos ou de vidéos courtes illustrant des phénomènes. 
Deuxièmement, nous sélectionnons et posons des questions qui imposent une réflexion de fond et de l’élaboration afin de développer un apprentissage en profondeur là où il faut que nos élèves établissent des liens entre leurs idées :
  • Il s’agit de rendre ces questions distinctives, que les élèves repèrent d’emblée qu’elles nécessitent plus qu’une simple récupération de connaissances ou une application basique. 
  • Ce sont des questions que nous devons avoir planifiées et auxquelles les élèves répondent par écrit afin de les engager. Pour ce faire, nous pouvons mobiliser des ardoises effaçables ou un visualiseur.
  • Les questions d’élaboration diffèrent des questions verbales qui sont posées tout le temps en cours, sur le vif, en fonction de la progression du cours. Ces dernières ne nécessitent pas d’être planifiées, car elles portent sur ce qui vient d’être enseigné et sont structurées en fonction de l’évolution de l’apprentissage et de la compréhension des élèves.
En ajoutant cette dimension de profondeur avec des questions réfléchies, planifiées et qui demandent un développement personnel, structuré et par écrit, et l’exigence d’une réflexion approfondie et d’une élaboration, cela devrait faciliter l’apprentissage. 

Il est important de rendre ces questions explicites pour un certain nombre de raisons. En reconnaissant leur difficulté, nous envoyons aux élèves le message qu’elles doivent être prises en compte sérieusement et qu’elles indiquent un niveau de connaissance à atteindre. 

En tant qu’enseignant, le fait de nous concentrer sur ces questions exigeantes dans notre planification nous fera réfléchir :
  • Sur l’importance de l’acquisition des connaissances de base par nos élèves.
  • Sur leur capacité à les mobiliser, les intégrer et les relier entre elles dans des contextes plus ambitieux. 
La réussite de ces questions stimulantes renforcera la motivation intrinsèque et l’engagement des élèves. Les élèves ne sont pas motivés par nos explications et nos injonctions. Les élèves sont motivés lorsqu’ils s’engagent dans des activités exigeantes et y rencontrent le succès. L’enseignant doit donc les mettre en scène. 

Troisièmement, nous montrons des exemples de réussites et de travaux remarquables, propres et structurés des années précédentes, dès le début de l’année. Ceux-ci permettent aux élèves de mieux comprendre les objectifs d’apprentissage et les critères de réussite qui leur sont reliés. Voir des travaux d’autres élèves a plus de poids que s’il s’agit d’une modélisation de l’enseignant.


Mis à jour le 16/04/2024

Bibliographie


Shaun Allison, Making Every Science Lesson Count, 2017, Crown House

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