jeudi 28 décembre 2023

Les zones d’ombre du leadership transformationnel

L’amélioration de l’enseignement et de la gestion des écoles est le meilleur moyen de s’assurer que chaque élève reçoive une bonne éducation, avec un accent à mettre pour ceux issus de milieux défavorisés. Quelle est la place d’un leadership transformationnel dans ce contexte ? Tom Rees (2019) s’est penché sur cette question, en voici un retour.

(Photographie : Kate Rentz)





La notion de leadership transformationnel 


Les premières recherches sur le leadership se sont axées sur les caractéristiques du leader telles que le genre, la taille et l’intelligence. Ces recherches n’ont pas apporté beaucoup de réponses ou de pistes. 

Un autre courant de recherche s’est orienté vers la caractérisation du comportement du leader en définissant des styles tels que autocratique, paternaliste, démocratique, collégial ou encore nonchalant.

Un troisième courant a plutôt montré que les éléments d’une situation influencent souvent le style de leadership. Dès lors, il n’y aurait pas de bons ou de mauvais styles de leadership, cette qualification serait surtout fonction de la situation.

Ces trois grands mouvements de la recherche ont contribué à l’émergence de plusieurs courants en joignant certains attributs ou épithètes au substantif leadership : collaboratif, distribué, pédagogique, au féminin, inclusif, participatif, éthique, transactionnel ou transformationnel. Nous allons nous intéresser à cette notion de leadership transformationnel.

Le leadership transformationnel est défini par un soutien à la collaboration et à l’autonomisation des individus au sein d’un groupe pour effectuer des changements. Ces changements ou transformations prennent souvent appui sur des idéaux, ou sur des valeurs morales ou éthiques telles que la liberté, la justice et l’égalité.

Le leadership transformationnel est souvent mis en opposition avec un leadership transactionnel. Le leadership transactionnel est davantage centré sur une transaction, une négociation, un échange de récompenses offertes par le leader aux employés afin que ces derniers demeurent fixés sur les objectifs de l’organisation. 

Contrairement au leadership transformationnel, le leadership transactionnel ne cherche pas à effectuer de grands changements, mais à maintenir le statu quo.

Les leaderships transformationnel et transactionnel ne sont pas mutuellement exclusifs. Ils peuvent se compléter afin d’accroître la motivation des employés à effectuer des changements en vue d’atteindre les objectifs. Ainsi, le leadership transformationnel peut se voir combiner avec d’autres styles de leadership. 

Différentes caractéristiques fondamentales du leadership transformationnel ont été mises en évidence : 
  • Un charisme qui inspire les autres
  • Une capacité à motiver, à s’engager et à engager les autres dans une vision
  • Une stimulation intellectuelle qui facilite l’innovation et la créativité
  • Une considération pour chacun des membres du groupe, notamment en respectant leurs personnalités, leurs idées et leurs besoins.
Un ensemble alternatif de six caractéristiques a également été proposé : 
  • Construire une vision
  • Fournir une stimulation intellectuelle
  • Offrir un soutien individualisé
  • Symboliser les pratiques et les valeurs professionnelles
  • Démontrer des attentes de haute performance
  • Favoriser la participation aux décisions.
Des critiques du leadership transformationnel soulignent que peu d’études scientifiques démontrent sa capacité à accroître l’efficacité et l’efficience d’une organisation. D’autres chercheurs mettent en évidence l’efficacité du leadership transformationnel pour améliorer les résultats scolaires. De même, le leadership transformationnel influencerait positivement la transmission des connaissances au sein de l’organisation et la capacité des membres à innover. D’autres recherches établissent des corrélations entre le leadership transformationnel et plusieurs facteurs en éducation tels que l’efficacité en milieu scolaire, la satisfaction du personnel enseignant et l’apprentissage des élèves.

Le concept de leadership transformationnel a été largement préconisé dans l’éducation. De la même manière, il est parfois affirmé que pour que les écoles s’améliorent, elles doivent changer et que provoquer le changement est un acte/une pratique de leadership.



Les failles du concept de leadership transformationnel 


Le concept de leadership transformationnel a comme défaut d’être descriptif et peu spécifique sur ce qu’une direction doit savoir et être capable de faire.

Le leadership transformationnel met l’accent sur le fait que le changement est le moteur de la réussite. L’objectif principal de la direction est de créer une vision, de motiver les gens par le biais des relations et de l’influence en vue du changement. Est-ce vraiment la meilleure façon de diriger une école ?

Dans quelle mesure est-ce que le portrait d’une direction faisant preuve de leadership transformationnel n’est-il pas fantasmé ? Il est difficile de réunir toutes les qualités associées au leadership transformationnel en une seule personne : dynamique, innovant, fort, enthousiaste, inspirant, motivant, enthousiaste, sensible, imaginatif, chaleureux et charismatique, visionnaire, déterminé, doté d’excellentes compétences interpersonnelles, adepte d’une approche centrée sur l’élève, etc. 

Le problème est qu’il n’est pas certain que certaines de ces caractéristiques soient nécessairement les plus utiles et favorables pour un bon gestionnaire d’école. Ce ne sont pas nécessairement de mauvaises choses, mais ce ne sont pas des indicateurs utiles d’un leadership efficace.

Ce portrait en trompe-l’œil donne également l’impression que nous ne savons pas vraiment ce qu’est la substance de la direction d’une école.

De quelles connaissances et compétences spécifiques, les chefs d’établissement ont-ils besoin pour prendre des décisions éclairées et judicieuses ? 

Le langage du leadership transformationnel peut être risqué, imprécis et dans une certaine mesure contre-productif.

De plus, cette notion de leadership transformationnel décrit le chef d’établissement comme presque surhumain, héroïque, toujours prêt à des efforts supplémentaires. Ce portrait est également la porte ouverte à l’épuisement professionnel.



Axer la notion de leadership efficace sur des compétences spécifiques, utiles face des difficultés persistantes


La notion de leader transformationnel suggère toutefois qu’il s’agit d’autre chose que le fait d’être en classe. Dans un sens, pour endosser un rôle de direction, il s’agit de laisser de côté l’activité d’enseignement.

Cependant, comme Goodall et ses collaborateurs (2016) le mettent en évidence, il semble que les dirigeants les plus performants sont ceux qui pourraient encore faire le travail de leurs subordonnés directs s’ils devaient le faire. Ce sont les experts techniques qui font les grands dirigeants, et non ceux qui ne sont pas en phase avec le cœur de métier de l’organisation.

L’idée de compétences génériques « transformationnelles » néglige le défi du transfert et suppose que les pratiques ou les personnes peuvent être facilement parachutées dans d’autres contextes et environnements. 

Or, les solutions mises en œuvre dans une école sont rarement reprises et simplement reproduites dans un autre contexte. Les réponses à des problèmes complexes peuvent dépendre fortement du sujet, de la phase et du contexte.

La notion de leadership transformationnel pose le problème à l’envers. Plutôt que de mettre en exergue des qualités emblématiques, il est plus utile de réfléchir davantage aux problèmes spécifiques et persistants auxquels les chefs d’établissement sont confrontés. Il est utile de mettre en évidence la manière dont ils peuvent s’y prendre pour les résoudre efficacement. 

Il importe de mettre l’accent sur les connaissances spécifiques au domaine dont les chefs d’établissement ont besoin pour pouvoir prendre des décisions et résoudre des problèmes à partir d’une position d’expertise.


Mis à jour le 19/04/2024

Bibliographie


Tom Rees, Helping leaders to keep getting better, 2019, https://www.ambition.org.uk/blog/helping-leaders-keep-getting-better/

Labelle, J. & Jacquin, P. (2018). Leadership transformationnel des directions d’école et communauté d’apprentissage professionnelle : une analyse. Éducation et francophonie, 46 (1), 179 – 206. https://doi.org/10.7202/1047142ar 

Goodall, A. Artz, B, Oswald, A., (2016) If your boss could do your job you’re more likely to be happy at work. Harvard Business Review. Available online: https://hbr.org/2016/12/if-your-boss-could-do-your-job-youre-more-likely-to-be-happy-at-work

Jen Barker and Tom Rees, Persistent problems: Finding the purpose for expert school leadership, 2019, https://www.ambition.org.uk/blog/persistent-problems-expert-school-leadership/

0 comments:

Enregistrer un commentaire