L’utilisation de systèmes de récompense est courante dans l’enseignement, en particulier au niveau de l’école primaire. Elle est une des composantes du soutien au comportement positif, une approche de la gestion du comportement à l’échelle d’une école.
(Photographie : Will Govus)
L’économie de jetons est utilisée pour encourager les élèves à adopter des comportements sociaux et scolaires cibles appropriées. Cependant, le consensus sur leur efficacité fait défaut.
Smith et ses collègues (2022) ont proposé une synthèse sur la question dont voici un compte-rendu.
Le concept d’une bonne gestion de classe fondée sur la recherche
Un principe rencontrant un large consensus est qu’une gestion de classe efficace limite les perturbations et favorise l’apprentissage des élèves dans les domaines comportementaux, sociaux et scolaires. Cependant, la gestion de classe peut ne pas être optimale et dans ce cas entrainer des effets négatifs dans les mêmes domaines.
La gestion de classe est considérée comme l’aspect de l’enseignement le plus difficile à maitriser par une majorité d’enseignants (Emmer & Sabornie, 2015).
Toutefois, il est possible pour les enseignants d’améliorer leurs interventions à cet égard en se formant à des pratiques perçues comme efficaces dans le milieu scolaire ou en s’appuyant sur des résultats de recherche.
Malgré cela, les connaissances expérientielles ou les données scientifiques n’offrent pas de solution à toutes les situations qui peuvent survenir en classe, et elles ont très certainement leurs limites.
Toutefois, les données scientifiques accumulées au fil des années finissent par être agrégées et contrastées. Cela permet aux enseignants de sélectionner des pratiques de plus en plus efficaces qui ont réellement le potentiel de soutenir la socialisation et l’apprentissage des élèves. L’enjeu du soutien au comportement positif par exemple est d’apporter une telle synthèse et de la mettre en œuvre à l’échelle d’une école.
L’une des dimensions fondamentales du soutien au comportement positif est la pratique du renforcement et au sein de celle-ci l’introduction d’un système d’économie de jeton.
Émergence et caractéristiques de l’utilisation des systèmes de récompenses intégrés
L’utilisation des récompenses est une pratique bien ancrée dans l’éducation. Les personnes impliquées dans les premières mises en œuvre éducatives ont probablement d’emblée utilisé des récompenses pour stimuler et renforcer certains comportements chez les apprenants.
Cette pratique a pris un essor considérable à partir des années 1960 avec l’émergence du béhaviorisme. Skinner (1969), à l’origine du concept de conditionnement opérant, pensait effectivement que les enseignants avaient intérêt à anticiper et à appliquer rigoureusement des contingences de renforcement pour favoriser chez les élèves l’adoption de certains comportements.
Une autre pratique relativement commune est l’utilisation de récompenses telles que l’attribution de prix et de certificats de mérite, la mise en place de tableaux d’honneur et de systèmes d’émulation.
Le recours à ces contingences de renforcement visant à motiver les élèves à adopter certains comportements cibles est devenu parfois systématique. Leur utilisation se retrouve planifiée avant même que les élèves n’entrent dans la classe en début d’année et avant que leurs capacités et leurs besoins ne soient évalués.
Les contingences de renforcement sont souvent intégrées dans des systèmes complexes et lourds à gérer, comme c’est le cas avec le soutien au comportement positif.
Obstacles potentiels à l’efficacité des systèmes de récompenses
Selon Hine et ses collaborateurs (2018), les économies de jetons sont l’une des interventions les plus largement utilisées pour promouvoir le changement de comportement. Cette procédure a évolué pour être efficace dans de nombreux contextes et pour de nombreux comportements et individus.
Cependant, divers obstacles à sa pertinence peuvent se manifester :
Premièrement, une mise en œuvre occasionnelle de l’économie de jetons pourrait entrainer des incohérences dans les réponses et un scepticisme général à l’égard de la procédure elle-même. De multiples obstacles peuvent entraver l’application pratique de l’économie de jetons. Elle ne s’improvise pas.
Deuxièmement, dans certains contextes, ce type d’approche est susceptible de constituer une distraction pour les élèves et ne pas être justifiée. Une réflexion sur le rapport coût/bénéfice s’impose également.
Troisièmement, un obstacle peut être la croyance que les renforçateurs extrinsèques peuvent avoir un effet néfaste sur la motivation intrinsèque d’un élève à effectuer une tâche une fois que le renforçateur pour cette tâche est retiré.
Dans cette logique, les élèves pourraient en venir à fournir des efforts uniquement s’ils perçoivent une opportunité d’obtenir une récompense. L’économie à jetons serait dans ce cadre vue comme une simple manipulation à effet temporaire. Exposés à un système de récompense, les élèves n’apprendraient pas bien à réguler eux-mêmes leurs comportements.
À l’heure actuelle, comme le rappellent Smith et ses collègues (2022), les résultats des systèmes de récompense ne sont pas totalement élucidés, il est difficile de tirer des conclusions fermes. Cependant, ils sont un élément important et courant des stratégies de gestion de classe et constituent l’un des principaux moyens de réguler divers aspects du fonctionnement de la classe.
Il est important de comprendre le fonctionnement d’un système de récompense pour déterminer dans quel cadre leur utilisation est justifiée.
Caractéristiques générales des systèmes de récompense
Dans le cadre d’un système de renforcement, des élèves reçoivent de leur enseignant un jeton lorsqu’ils adoptent des comportements ciblés qui correspondent effectivement aux attentes de leur enseignant.
La fréquence et la quantité de jetons distribués en fonction du comportement attendu peuvent varier en fonction des exigences de la situation.
Les enseignants peuvent renforcer non seulement les comportements d’un élève individuel, mais aussi ceux d’un groupe d’élèves ou de l’ensemble des élèves.
À terme, les élèves auront l’occasion d’échanger leurs gains contre une récompense significative ou un privilège.
À ce titre, les enseignants doivent préciser les règles et planifier un calendrier pour l’échange. Celui-ci peut être adapté si nécessaire, en fonction des besoins des élèves de la classe et des exigences de certaines situations.
L’hypothèse derrière ce système est que les élèves adopteront plus largement les comportements attendus afin d’accumuler rapidement la quantité de jetons nécessaire pour accéder à une récompense ou un privilège.
La réussite d’un tel système implique :
- L’identification des comportements que les élèves sont censés adopter
- La sélection d’un système de jetons qui sera donné comme renforçateur
- L’offre de divers privilèges et récompenses qui peuvent être échangés contre une quantité déterminée de jetons
- L’élaboration d’une procédure pour ces échanges
Cette stratégie est généralement planifiée de manière à permettre une éventuelle suppression progressive du système.
Dimension probante des systèmes de récompense en contexte scolaire
Maggin et ses collaborateurs (2011) ont réalisé une méta-analyse portant spécifiquement sur les systèmes d’économie de jetons. Ils mentionnent que 70 % des études examinées ne répondaient pas aux critères de qualité scientifique du processus d’examen des recherches du « What Works Clearinghouse ». Ils n’ont pas obtenu de preuves suffisantes et fiables pour affirmer que cette pratique est efficace.
Comme l’avance Smith et ses collaborateurs (2022), si l’utilisation de systèmes d’économie de jetons est très répandue dans l’éducation, l’efficacité de cette pratique fait encore débat. Ils se sont intéressés aux résultats d’études empiriques ultérieurs à la méta-analyse de Maggin et ses collaborateurs (2011). Ils ont identifié six études postérieures.
Dans l’ensemble, les résultats des études examinées suggèrent que les enseignants peuvent tirer certains avantages de l’utilisation de systèmes d’économie de jetons.
Selon ces résultats, ces systèmes ont le potentiel de :
- Dissuader les élèves d’adopter des comportements perturbateurs.
- Soutenir l’engagement des élèves.
- Soutenir l’apprentissage des élèves.
Cependant, encore une fois, ces résultats ne sont pas le fruit d’un processus d’analyse rigoureux. Cependant, ils sont cohérents avec ceux rapportés par Maggin et ses collaborateurs (2011). Ces derniers ont constaté que l’utilisation de systèmes d’économie de jetons était associée à divers facteurs favorables :
- Une réduction des comportements inappropriés en classe
- Une amélioration des relations en classe
- Un plus grand engagement dans les activités
- Une amélioration des performances et de l’estime de soi.
Ces résultats suggèrent que l’utilisation de systèmes d’économie de jetons peut contribuer à diminuer la fréquence des comportements inappropriés et à augmenter la fréquence des comportements appropriés.
Actuellement, la recherche ne permet pas de mesurer clairement les avantages et les inconvénients et ne s’intéresse qu’aux réponses comportementales.
Si les processus psychologiques impliqués dans l’apprentissage étaient également pris en compte, il est raisonnable de penser que des résultats un peu plus nuancés émergeraient. `
Par exemple, Ryan et Deci (2016) ont observé dans leurs propres recherches et remarqué dans des études de réplication que les récompenses matérielles, lorsqu’elles sont données de manière imprévisible, ont peu d’effet sur les processus cognitifs. Cependant, lorsqu’elles sont données de manière prévisible et contrôlée, comme dans le cas d’un système tel que l’économie de jetons, elles ont tendance à avoir un effet négatif. Ils ont un impact négatif sur la motivation intrinsèque des élèves ou sur l’intérêt manifesté.
Un groupe de chercheurs chinois (Xue et coll., 2020) ont reconnu qu’il est probable que les récompenses détournent l’attention vers des cibles externes au lieu des avantages inhérents à la tâche ou à la situation. Il est également possible que les élèves réagissent différemment aux systèmes de récompense. Cela se peut non seulement en fonction de caractéristiques personnelles, notamment leur âge, mais aussi d’autres caractéristiques telles que leurs valeurs, leur milieu culturel ou leurs traits de personnalité.
Ces derniers résultats suggèrent donc que les systèmes d’économie de jetons peuvent avoir des effets plus nuancés que ce que les recherches ont révélé jusqu’à présent.
Plusieurs études ont montré que ces systèmes peuvent améliorer le comportement en classe, mais ces bénéfices ne semblent pas s’étendre à différents aspects du fonctionnement psychologique des élèves. De plus, les effets de ces systèmes peuvent varier en fonction des caractéristiques des élèves, des conditions de mise en œuvre ou d’autres éléments contextuels.
Par conséquent, au vu des preuves équivoques, les effets de ces systèmes ne sont pas encore tout à fait clairs. Le simple fait de soupçonner que leur effet potentiel sur des processus psychologiques tels que la motivation puisse être négatif devrait conduire à une attitude prudente quant à leur utilisation.
Au vu des preuves rapportées, Smith et ses collègues (2022) posent les recommandations suivantes sur les systèmes de récompenses :
Cibler les élèves et les comportements
Les systèmes de récompense ne devraient pas être utilisés automatiquement avec tous les élèves ni pour un large éventail de comportements.
Les systèmes de récompense devraient être utilisés pour augmenter ou modifier les comportements de certains élèves qui pourraient nécessiter une attention ou un soutien particuliers.
Dès lors, il est important d’observer au préalable quels élèves pourraient bénéficier d’un tel système et de ne pas utiliser un système général qui récompense des comportements qui pourraient déjà être présents chez les élèves.
Par exemple, si un élève inattentif donné a du mal à rester assis en classe après la récréation du matin, un système d’économie de jetons pourrait être mis en place pour cet élève spécifique. Ainsi, un jeton est donné à l’élève donné lorsqu’il reste assis en classe après la récréation.
Rendre la démarche explicite auprès des élèves concernés
Si l’on utilise un tel système après avoir essayé d’autres types d’interventions, il faut préciser à l’élève, et idéalement en accord avec lui, quel comportement est encouragé et donc récompensé pendant une période donnée.
Le jeton doit être reçu immédiatement après l’apparition du comportement souhaité. Il est important que les élèves comprennent pourquoi ils sont récompensés et le jeton doit donc les informer de ce qui est attendu dans un certain contexte.
Si nous reprenons l’exemple de l’élève donné, un accord doit être passé avec cet élève avant de lancer le système d’économie de jetons. Ensuite, un jeton doit être remis à l’élève dès qu’il s’assied après la récréation.
Utiliser des récompenses signifiantes et proportionnées
Les récompenses utilisées doivent être proportionnelles au défi et liées au comportement visé pour un élève.
Elles doivent également être personnalisées, attrayantes, adaptées au développement de l’enfant et variées pour maintenir l’intérêt de l’élève.
De plus, il est important de garder à l’esprit qu’une bonne récompense est quelque chose que les élèves « aiment » et non quelque chose qu’ils « veulent ».
Après avoir cumulé un certain nombre de jetons, une récompense doit être donnée. S’il est difficile pour l’élève de s’asseoir, une récompense peut être donnée tous les deux jetons. En revanche, s’il est plus facile pour l’élève de se souvenir de s’asseoir, une récompense peut être donnée tous les cinq jetons. L’élève donné pourrait aimer recevoir un autocollant ou quelque chose à manger par exemple.
Favoriser le passage des récompenses tangibles aux récompenses intangibles
Un système de récompense est une construction complexe. Il doit être individualisé, informatif, contingent, attractif, etc.
Dès lors, il peut être difficile, voire impossible, à gérer avec de nombreux élèves en même temps à l’échelle d’une classe et il pourrait diminuer la motivation intrinsèque.
Pour ce faire, il est suggéré de remplacer progressivement le système de récompense tangible par des récompenses sociales telles que les éloges et les signaux verbaux.
Par exemple, lorsqu’il devient facile pour l’élève donné de se rappeler de s’asseoir, les jetons peuvent être progressivement remplacés par des félicitations.
Soigner l’expression des récompenses intangibles
Les félicitations possèdent des caractéristiques similaires à celles des récompenses. Elles doivent reconnaître les efforts et être individualisées, proportionnelles, contingentes et, surtout, authentiques.
De plus, elles ne doivent pas être utilisées pour comparer les enfants aux autres, mais peuvent être utilisées pour comparer les élèves à leurs performances antérieures si l’objectif est de souligner une augmentation de l’effort.
Par exemple, un enseignant pourrait dire à l’élève donné : « Tu te souviens, il était très difficile pour toi de t’asseoir au début de l’année scolaire, et maintenant tu t’assieds sans même y penser. Bon travail ! »
Les questions sont également un excellent moyen de fournir des récompenses sociales au lieu de récompenses tangibles ou de jetons. Par exemple, il est possible de demander : « Comment as-tu pu te préparer si vite ? » au lieu de dire : « Wow, bon travail, tu es prêt. » Elles facilitent la conversation, augmentant ainsi la qualité de la relation enseignant-élève, et apportent une attention positive aux élèves.
Les récompenses sous forme d’activités ou de privilèges peuvent également remplacer les récompenses tangibles. Là encore, elles doivent être associées à des efforts et être individualisées, proportionnelles, contingentes, adaptées au développement et intéressantes.
Ne pas reprendre des jetons une fois donnés
Bien qu’il soit possible de récupérer des jetons lorsqu’un élève se comporte mal, l’utilisation d’un système d’économie de jetons comme renforcement doit être privilégiée. Elle perd de son efficacité lors de son utilisation comme système punitif ou combiné (c’est-à-dire, punition et renforcement).
Les punitions peuvent provoquer des émotions négatives chez les élèves et diminuer leur motivation, leur engagement et finalement leurs performances.
Il est également possible d’ignorer intentionnellement certains comportements, ce qui constitue une forme légère de punition (c’est-à-dire en supprimant l’attention positive). En n’accordant pas d’attention (positive ou négative) aux formes mineures de mauvais comportement et en félicitant les comportements souhaités, l’occurrence des comportements indésirables devrait diminuer avec le temps tout en maintenant intactes les ressources motivationnelles.
Les raisons d’opter pour un système de récompenses
Lorsque nous choisissons d’opter pour un système de récompenses, il est important de se référer aux données et aux connaissances scientifiques pour faire un usage approprié de ces systèmes.
Ces systèmes ne devraient être utilisés que lorsque d’autres méthodes d’intervention ont échoué. De plus, ils devraient être remplacés par des interventions moins intensives (et potentiellement néfastes pour la motivation de l’élève), telles que les félicitations et les questions, dès que l’on constate une amélioration du comportement des élèves.
De même, il est important que les enseignants qui adoptent un système de récompense le fassent avec des directives claires, fondées sur des données scientifiques, pour une utilisation efficace et non nuisible.
De plus actuellement, il reste des zones d’ombre autour des systèmes de récompense. Les études menées jusqu’à présent n’ont pas permis d’évaluer avec précision leurs effets sur les différentes facettes de l’expérience d’apprentissage des élèves. De nouvelles études doivent être menées pour déterminer si ces pratiques ont le potentiel d’aider les élèves à adopter et à maintenir des comportements sociaux et scolaires appropriés.
Mis à jour le 08/04/2024
Bibliographie
Smith, Jonathan & Guimond, Fanny-Alexandra & St-Amand, Jérôme & Olivier, Elizabeth & Chouinard, Roch. (2022). « Keep calm and earn more points » : What research says about token economy systems. Theory Into Practice. 10.1080/00405841.2022.2107808.
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Skinner, B. F. (1969). La révolution scientifique de l’enseignement (5th ed.). Pierre Mardaga.
Hine, J. F., Ardoin, S. P., & Call, N. A. (2018). Token economies: Using basic experimental research to guide practical applications. Journal of Contemporary Psychoterapy, 48(3), 145–154. https://doi. org/10.1007/s10879-017-9376-5
Maggin, D. M., Chafouleas, S. M., Goddard, K. M., & Johnson, A. H. (2011). A systematic evaluation of token economies as a classroom management tool for students with challenging behavior. Journal of School Psychology, 49(5), 529–554. https://doi.org/10.1016/j.jsp.2011.05.001
Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2016). Facilitating and hindering motivation, learning, and well-being in schools: Research and observations from self-determination theory. In K. R. Wentzel & D. B. Miele (Eds.), Handbook of motivation at school (2nd ed., pp. 96–119). Routledge.
Xue, Y., Gu, C., Wu, J., Dai, D. Y., Mu, X., & Zhou, Z. (2020). The effects of extrinsic motivation on scientific and artistic creativity among middle school students. The Journal of Creative Behavior, 54 (1), 37–50. https://doi.org/10.1002/jocb.239
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