jeudi 7 décembre 2023

Influence de la structure et des interactions lors de la prise de décision des enseignants en conseil de classe

Janneke et ses collègues (2022) se sont intéressés à la prise de décision faite par les enseignants lors de conseils de classe aux Pays-Bas.

(Photographie : nonohanao)



Des doutes des enseignants sur l’objectivité des processus en conseil de classe


Lors de ces conseils de classe des décisions quant au futur scolaire des élèves sont prises en matière d’orientation, de filière, de profil d’études ou plus largement de réussite complète ou partielle ou d’échec. Des décisions complexes sont prises dont les conséquences sont importantes et les problématiques du décrochage scolaire, de la sous-performance ou du retard scolaire viennent s’immiscer. Tout cela exige de la délibération et une démarche de prise de décision.

Une étude fondée sur des entretiens (Sleenhof et coll., 2019) a mis en évidence que les enseignants se demandent souvent si les élèves se trouvant dans une situation similaire se voient offrir les mêmes chances. 

Les enseignants font l’expérience que leurs décisions de groupe sur la certification des élèves sont souvent non structurées et variables d’un élève ou d’une classe à l’autre. 

Le manque d’objectivité semble se refléter au niveau :
  • De la variété dans l’organisation des conseils de classe et des procédures menant à une décision.
  • De la variété dans les interactions et dans la nature des discussions en groupe lors des conseils de classe. 



Des critères visant l’objectivité lors des conseils de classe


Afin d’améliorer l’objectivité et la qualité des décisions d’allocation, il est important de remplir les conditions suivantes :
  • Le processus de prise de décision est acceptable, transparent et équitable. 
  • Les décisions sont explicitement étayées de manière à les rendre acceptables pour les élèves concernés.
  • Les procédures sont claires, transparentes et compréhensibles.
  • Les décisions sont prises de manière cohérente afin qu’elles soient équitables et que les élèves bénéficient de chances égales.

Les chefs d’établissement et les enseignants ressentent le besoin d’accroître la normalisation des décisions d’attribution afin d’obtenir une comparabilité entre les élèves, afin de renforcer par-là l’objectivité de ces décisions.

La littérature de recherche est peu développée sur la façon dont des décisions objectives peuvent être prises en conseil de classe. Différentes études ont montré que les décisions prises peuvent être incohérentes et que les attentes des enseignants sont biaisées, selon le moment et le contexte. Ces constats sont similaires dans différents pays. Ils montrent l’existence de difficultés liées à la prise de décisions basée sur des notes, liées aux questions d’égalité et d’objectivité ou à des conflits liés aux valeurs et aux croyances des intervenants.

L’identification des difficultés liées aux décisions est claire, mais il n’y a pas de recommandations claires et concrètes sur la manière dont elles devraient être prises.



Le cas des élèves en zone grise


Pour une majorité d’élèves, la situation est claire, la réussite est au rendez-vous ou la situation d’échec est sans équivoque. La question se pose par contre pour les élèves qui ont une situation intermédiaire ambigüe. 

Lors des conseils de classe de fin d’année scolaire, ces élèves monopolisent les débats. Lors de ces réunions, les enseignants discutent surtout des élèves qui ne remplissent pas les conditions formelles pour passer à l’année suivante, qui présentent des résultats qui peuvent suggérer la possibilité d’un redoublement de l’année scolaire. Certains de ces élèves peuvent également évoluer dans un contexte personnel difficile qui demande une certaine prise en compte.

Le devenir de ces élèves en zone grise peut varier d’une école à une autre ou même d’une classe à une autre au sein d’une même école. Or ces décisions collectives prises par des équipes éducatives sont à forts enjeux pour ces élèves, car elles peuvent se révéler décisives pour leur avenir. De plus, certaines décisions en conseil de classe peuvent être contestées par un recours des parents. 

Janneke et ses collègues (2022) ont cherché à décrire, caractériser et illustrer des procédures de fonctionnement dans différentes écoles aux Pays-Bas et les types d’interaction des discussions de groupe pendant ces réunions. 


Le concept de prise de décision en groupe lors des conseils de classe


Par définition, lors d’un conseil de classe, les enseignants prennent une décision commune en concertation. Cette prise de décision en groupe correspond à un processus de collaboration entre enseignants. 

Les décisions de groupe impliquent généralement un groupe de deux individus ou plus qui doivent choisir collectivement une option parmi un ensemble de deux ou plusieurs alternatives. L’option sélectionnée est celle qui semble satisfaire au mieux les objectifs du groupe, et aucun individu n’a de droit de veto. 

Un premier aspect dans ce cadre est que les enseignants individuels peuvent avoir du mal à analyser et à interpréter les données (Vanlommel, Van Gasse, Vanhoof, & Van Petegem, 2017) :
  • La collaboration et les discussions de groupe sont considérées comme un élément clé du travail des enseignants. 
  • Les discussions et la collaboration sont utiles pour parvenir à une compréhension commune des arguments qui seront utilisés pour décider des options alternatives dans une situation de prise de décision (Van Gasse, Vanlommel, Vanhoof, & Van Petegem, 2016).

Un deuxième aspect de la prise de décision en groupe concerne l’atteinte d’une opinion partagée par des participants ayant des points de vue et des rôles différents :
  • Les discussions de groupe permettent d’augmenter le nombre de perspectives prises en compte par les autres participants et de créer une image complète de l’élève (Brodbeck, Kerschreiter, Mojzisch, Frey et Schulz-Hardt, 2002). 
  • Dans les situations de prise de décision, les enseignants ont tendance à confirmer avec le groupe au lieu de trouver des alliés pour chercher la confirmation de leurs propres opinions (Van Gasse, Vanlommel, Vanhoof, & Van Petegem, 2017).

Un troisième aspect concernant la prise de décision en groupe concerne la contribution substantielle des participants :
  • Les membres du groupe utilisent à la fois l’intuition et la pensée rationnelle pour étayer leurs arguments (Kahneman, 2003). 
  • Rationnellement, les enseignants peuvent traiter l’information de manière active et systématique (par exemple, en utilisant des résultats de tests ou des rapports).
  • Intuitivement, ils peuvent se fier à leurs expériences antérieures, à leur intuition et à leurs observations au cours de leurs pratiques quotidiennes. 
  • L’intuition et la pensée rationnelle s’entremêlent et rendent les processus décisionnels et l’argumentation variables, en fonction de la formation du groupe et des apports des différents participants (Schildkamp & Ehren, 2013).

Il apparait que la prise d’une bonne décision en conseil de classe est complexe et très variable. Cela rend difficile pour les enseignants de parvenir à une décision acceptable, transparente et juste concernant chaque élève. 



L’importance de la structure dans la prise de décision objective


Les participants sont généralement plus susceptibles de parvenir à un consensus et de prendre des décisions plus objectives lors de discussions de groupe structurées plutôt que non structurées.

Un premier élément de structure est le déroulement d’une discussion en une série d’étapes. Ces étapes peuvent correspondre à l’ouverture de la réunion, à l’énoncé des arguments et à l’écoute des réactions des uns et des autres.

Un deuxième élément de structure concerne le contenu de la discussion et les informations qui sont partagées :
  • Le fait de structurer et de partager les informations pertinentes permet de prendre de meilleures décisions. 
  • Lorsqu’ils prennent une décision, les groupes ont tendance à utiliser des informations qui sont connues de la plupart des membres du groupe. 
  • Le groupe bénéficierait d’un accès aux informations uniques connues d’un seul ou de quelques membres, car cela renforce les connaissances du groupe et peut contribuer à améliorer l’objectivité de la décision.
  • Le partage d’informations est un élément essentiel de la prise de décision en groupe. Lorsque les discussions de groupe sont fortement structurées par des procédures qui guident la contribution de chaque participant à la discussion, le partage d’informations peut être encouragé et des décisions plus étayées sont prises.

Un troisième élément concerne le respect de procédures et de règlements explicites lors de la prise de décision :
  • Une équipe peut utiliser différentes procédures pour sélectionner collectivement une décision. 
  • Par exemple, les enseignants peuvent prendre une décision en votant, en utilisant des tours en série pour exprimer des opinions ou en ayant une discussion ouverte.

Un quatrième élément est le rôle de l’animateur de la discussion :
  • Les styles de leadership peuvent avoir un impact important sur le déroulement d’une réunion de groupe en matière d’influence et d’amélioration de la structure d’une réunion. Les animateurs de discussion peuvent utiliser différentes stratégies pour structurer une réunion. 
  • Les bons leaders combinent des stratégies transformationnelles et relationnelles pour améliorer la participation et les relations collégiales positives. Ils sont capables d’éviter les conflits potentiels et de conduire l’équipe à une décision collective.
  • Les groupes d’enseignants en situation de discussion ressentent un inconfort et une participation limitée lorsque leur discussion est à peine structurée. Lorsque les animateurs de discussion fournissent une structure et donnent aux participants la possibilité de discuter activement des questions, la prise de décision est vécue comme démocratique et les participants sont engagés dans le processus.



L’influence de la nature des interactions lors des conseils de classe


Les déclarations positives ou négatives exprimées par les membres du groupe influencent les décisions prises de plusieurs manières :
  • Les groupes qui présentent une interaction fonctionnelle, en exprimant des déclarations proactives et constructives (par exemple, qu’une idée suggérée semble valable), sont significativement plus satisfaits de la réunion et de ses résultats.
  • Les groupes présentant une interaction dysfonctionnelle (par exemple, en cas de déclarations procédurales négatives ou de plaintes) présentent des relations négatives, des conflits, une démotivation des membres du groupe et une insatisfaction quant aux résultats d’une réunion.

Le rôle et la personnalité des différents membres de l’équipe peuvent également influencer l’interaction de l’équipe :
  • Les équipes s’écartent souvent de la prise d’une décision objective, car les membres du groupe utilisent la discussion pour renforcer leurs idées individuelles préalables à la discussion, passant ainsi outre celles des autres. 
  • Les membres du groupe peuvent être dominants ou avoir un statut élevé en raison de leur ancienneté, de leur expérience ou de leur confiance et en raison du rôle qu’ils jouent dans une réunion :
    • Lorsque l’enseignant joue un rôle de mentor (Pays-Bas), de professeur principal (France) ou de titulaire (Belgique) auprès de l’élève, il a tendance à avoir plus de poids.
    • De même, la matière enseignée joue un rôle. Par exemple, l’influence de l’enseignant de mathématiques peut être plus importante que celle d’un cours optionnel d’art. 
    • Certains enseignants peuvent adapter activement leurs opinions aux connaissances des autres et aux participants dominants, en raison du désir de s’intégrer ou de la conviction que les autres possèdent de meilleures connaissances. 
    • Les arguments peuvent donc être décisifs dans une discussion, et persuader les autres, non seulement en raison d’une bonne justification, mais aussi en raison de la personne qui présente l’argument.
    • De même, des groupes d’enseignants ont souvent tendance à effleurer la surface lors d’une discussion, en évitant les conflits, plutôt que de s’engager dans des discussions fondées et critiques. Dans le contexte des discussions d’enseignants en conseil de classe, le conflit est souvent accompagné de réactions et de sentiments négatifs et tend par conséquent à être évité.

L’animateur de la discussion joue un rôle dans le renforcement de l’interaction entre les enseignants. Le nombre et la longueur des énoncés dans une discussion dépendent de la forme de la discussion adoptée. La manière dont l’animateur va gérer, distribuer la parole ou aller susciter les contributions de tous les enseignants est important. L’important est que tous les enseignants disposent de suffisamment d’espace pour exprimer des idées contrastées. Les enseignants ne doivent pas se sentir limités dans le partage de leurs idées. 


Mis à jour le 03/04/2024

Bibliographie


Janneke P. W. Sleenhof, Marieke C. G. Thurlings, Maaike Koopman & Douwe Beijaard (2022) The role of structure and interaction in teachers’ decision making during allocation meetings, Teaching Education, 33:3, 332–354, DOI: 10.1080/10476210.2021.1909557

Sleenhof, J. P., Koopman, M., Thurlings, M. C., & Beijaard, D. (2019). An exploratory study into teachers’ beliefs and experiences about allocating students. Teaching and Teacher Education,80, 94–105. 

Vanlommel, K., Van Gasse, R., Vanhoof, J., & Van Petegem, P. (2017). Teachers’ decision making: Data based or intuition driven? International Journal of Educational Research, 83, 75–83. 

Brodbeck, F. C., Kerschreiter, R., Mojzisch, A., Frey, D., & Schulz-Hardt, S. (2002). The dissemination of critical, unshared information in decision making groups: The effects of pre-discussion dissent. European Journal of Social Psychology, 32(1), 35–56. 

Van Gasse, R., Vanlommel, K., Vanhoof, J., & Van Petegem, P. (2016). Teacher collaboration on the use of pupil learning outcome data: A rich environment for professional learning? Teaching and Teacher Education, 60, 387–397. 

Van Gasse, R., Vanlommel, K., Vanhoof, J., & Van Petegem, P. (2017). Individual, co-operative and collaborative data use: A conceptual and empirical exploration. British Educational Research Journal, 43(3), 608–626. 

Kahneman, D. (2003). A perspective on judgement and choice: Mapping bounded rationality. American Psychologist, 58(9), 697.

Schildkamp, K., & Ehren, M. (2013). From “intuition”—to “data”-based decision making in dutch secondary schools? In K. Schildkamp, M. K. Lai., & L. Earl (Eds.), Data-based decision making in education: Challenges and opportunities (pp. 49–67). Dordrecht: Springer Netherlands. doi:10.1007/978-94-007-4816-3_4 

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