mardi 5 décembre 2023

Améliorer l’apprentissage grâce à l’espacement et la pratique de récupération

Développer une maitrise de stratégies cognitives et métacognitives efficaces est essentiel pour soutenir l’apprentissage autonome. Cela implique de connaitre et de mobiliser sur les meilleurs moyens d’apprendre des connaissances et d’être capable de savoir si l’on apprend efficacement. Un programme d’apprentissage efficace exige de savoir quelles stratégies mobiliser et comment les piloter pour atteindre un objectif donné. Synthèse d’une exploration de la problématique (Carpenter et coll., 2022).

(Photographie : Bruno Parmentier)



Importance de la mémorisation et du transfert pour l’apprentissage


Apprendre nécessite d’acquérir des connaissances factuelles et de comprendre comment ces connaissances peuvent être intégrées, utilisées et appliquées dans de nouvelles situations. 

La mémorisation des faits et des concepts de base est nécessaire pour permettre une compréhension plus approfondie de la manière dont ils s’intègrent dans un réseau plus large de connaissances en prenant la forme de schémas. Les schémas permettent un raisonnement et une application plus poussés. 

La mémorisation des faits et des concepts peut être développée dès les premiers stades de l’apprentissage. Cependant, une compréhension approfondie peut être plus lente à se développer. Il existe dès lors différents niveaux de connaissances. Différentes activités d’apprentissage peuvent améliorer certains niveaux et types de connaissances. 

En mesurant l’apprentissage, une distinction est généralement faite entre la rétention des connaissances et le transfert des connaissances.



 

La rétention des connaissances est la capacité à conserver quelque chose en mémoire. On peut retenir le théorème de Pythagore, qui stipule que dans un triangle rectangle, la longueur de l’hypoténuse au carré est égale aux carrés combinés des longueurs des deux autres côtés. 

Le transfert de connaissances fait référence à la capacité de démontrer une compréhension plus large d’un concept. Par exemple, le transfert permet d’utiliser le théorème de Pythahore pour calculer la longueur de l’hypoténuse d’un triangle rectangle dont les longueurs des côtés n’ont pas été rencontrées auparavant (b). 

Le transfert est également nécessaire lorsque les connaissances sont appliquées dans un nouveau contexte qui diffère de la manière dont elles ont été apprises à l’origine. Ainsi, le transfert est également utilisé pour appliquer le théorème afin de calculer la longueur que doit avoir une échelle pour atteindre le deuxième étage d’un bâtiment à partir de 5,8 m de distance (c). 

Les apprenants ne seraient pas capables de trouver l’hypoténuse d’un nouveau triangle rectangle sans se souvenir d’abord du théorème. Cependant, les apprenants pourraient réussir à se souvenir du théorème, mais ne pas reconnaître sa pertinence dans une nouvelle situation. Un transfert réussi dépend d’une mémorisation suffisante des informations ainsi que de la capacité à comprendre la pertinence de ces informations dans une nouvelle situation. 

De cette manière, le transfert démontre un niveau d’apprentissage plus avancé que la rétention. Le transfert peut échouer en raison de déficiences dans la rétention de la mémoire, de la capacité à relier les informations mémorisées à une situation actuelle, ou des deux. La rétention et le transfert sont tous deux importants pour l’apprentissage. 

Dans les contextes scolaires, un grand nombre d’informations factuelles doivent être retenues, comme les théorèmes, les principes, les termes et définitions, les noms scientifiques et le vocabulaire des langues étrangères. Cependant, un objectif important de l’apprentissage est d’utiliser et d’appliquer les connaissances, de sorte que le transfert peut être considéré comme l’objectif ultime. 

Le transfert peut s’effectuer de nombreuses façons, allant de relativement simple à plus complexe :
  • Le transfert simple est parfois appelé transfert « proche » est par exemple l’application d’une formule mathématique à un nouveau problème voisin de ceux déjà effectués (cas b).
  • Le transfert complexe est appelé transfert « lointain » est par exemple, l’application d’une solution ou d’un principe d’une base de connaissances à une autre (cas c).



La pratique de récupération et l'espacement, deux stratégies de fond pour un apprentissage efficace


Plus de 100 ans de recherches scientifiques sur la psychologie de l’apprentissage ont été consacrés à ces questions. Ces recherches ont révélé certaines techniques directes qui améliorent l’apprentissage. En particulier, l’espacement des opportunités d’apprentissage dans le temps et l’incorporation d’une récupération active de la matière sont tous deux efficaces pour stimuler l’apprentissage dans divers domaines. 

Cependant, ces techniques sont sous-utilisées par les apprenants, en partie à cause de fausses croyances sur l’apprentissage et de la nature contre-intuitive de ces techniques. 

L’espacement peut être vu comme une façon de structurer ou de programmer les activités d’apprentissage dans le temps. Il s’agit de déterminer quand il est le plus opportun de s’engager dans l’apprentissage.

La pratique de récupération est une activité d’apprentissage qui peut être incorporée dans un plan structuré plus large. Il s’agit d’apprendre efficacement. 



Répartir l’apprentissage dans le temps


Pour construire des connaissances durables, les apprenants doivent étudier et utiliser de manière répétée les informations qu’ils essaient d’apprendre. 

Qu’il s’agisse d’apprendre les définitions de termes scientifiques, les règles de grammaire ou l’utilisation d’un programme informatique, les apprenants doivent revenir sur le sujet plusieurs fois afin d’acquérir des compétences. 

Le moment de la pratique influence grandement le succès de l’apprentissage, même pour une même quantité globale de pratique. Les occasions de pratiquer répétées et espacées dans le temps sont plus efficaces que le même nombre d’occasions de pratiquer rapprochées dans le temps. C’est l’effet d’espacement ou effet de la pratique distribuée.

Les effets de l’espacement concernent à la fois la rétention et le transfert des connaissances. Ils ont été explorés dans des études en laboratoire et en milieu scolaire. L’espacement profite à l’apprentissage dans tous les domaines et à tous les niveaux d’éducation. L’espacement permet aux élèves de mieux mémoriser les formules pertinentes pour les problèmes, et d’utiliser les bonnes stratégies pour les résoudre. 

Selon les théories de l’effet d’espacement, le temps supplémentaire entre les sessions d’apprentissage pourrait favoriser l’apprentissage en offrant une pause mentale qui encourage une attention plus efficace. L’espacement des sessions d’étude crée également des expériences d’apprentissage distinctes avec des caractéristiques contextuelles uniques (telles que l’environnement d’apprentissage ou l’état interne subjectif de l’apprenant) qui peuvent servir d’indices de mémorisation. 

Les sessions d’étude espacées augmentent le besoin des apprenants de récupérer les informations des sessions précédentes, ce qui engage les avantages de la pratique de récupération.

Enfin, les processus de consolidation neuronale dépendant du temps peuvent également contribuer à l’effet d’espacement. 

Ces explications théoriques ne s’excluent pas mutuellement et les processus proposés peuvent fonctionner simultanément. 

L’espacement profite à la fois à la rétention et au transfert de la mémoire. Par exemple, la pratique espacée des définitions de nouveaux mots de vocabulaire favorise la rétention ultérieure des significations. La pratique espacée permet également de renforcer la compétence en matière de transfert proche et lointain.

Bien que l’espacement soit bénéfique pour toute une série d’activités d’apprentissage, il n’existe pas de calendrier d’espacement idéal universel. Des calendriers d’espacement plus longs peuvent être bénéfiques lorsque l’information est déjà bien apprise et doit être retenue pendant un long délai. Cependant, les horaires d’espacement plus longs peuvent être moins efficaces lorsque l’information n’est pas encore bien apprise, probablement parce que les apprenants oublient l’information d’une session à l’autre. Puisque l’espacement augmente le risque d’oubli entre les sessions d’apprentissage, les activités d’apprentissage espacées devraient fournir une pratique suffisante des contenus pour permettre de réapprendre toute information oubliée.

Les programmes d’espacement efficaces impliquent généralement une pratique suffisante du contenu d’apprentissage pendant les sessions d’apprentissage et suffisamment de temps entre les sessions pour que l’information soit encore familière, sans être fraîche à l’esprit. 

Cette situation crée le besoin de récupérer l’expérience d’apprentissage précédente au cours de chaque session de pratique, engageant ainsi les effets bénéfiques de la récupération.

Des études menées en classe ont permis d’observer les avantages de l’engagement d’activités d’apprentissage (par exemple, s’exercer à rappeler ou à appliquer les informations apprises) espacées de 1 à 7 jours. 



Récupérer des informations en mémoire


Une conception erronée est de penser que la récupération des connaissances stockées à long terme dans la conscience se fait une fois l’apprentissage terminé, afin de vérifier que l'on se souvient bien de ce qui a été appris précédemment. 

En réalité, la récupération fait partie intégrante du processus d’apprentissage. Il est recommandé et profitable de s’engager délibérément dans la récupération de connaissances tout en apprenant de nouvelles informations.

L’implication est claire pour l’apprentissage. Par exemple, plutôt que de lire plusieurs fois le chapitre d’un manuel ou ses notes de cours, un élève commence par les lire de manière attentive pour en établir une compréhension profonde. Ensuite, il les met sur le côté, on essaie de se rappeler leur contenu de mémoire puis il vérifie ses réponses. Le bénéfice sera plus important en matière d’apprentissage. 

La pratique de la récupération peut prendre de nombreuses formes, notamment la réalisation de tests pratiques, l’utilisation de flashcards ou le fait de prendre une feuille et de noter les informations mémorisées. 

Comparée aux stratégies d’étude qui n’impliquent pas le rappel d’informations, la pratique de récupération génère généralement une mémorisation plus durable et plus accessible. Cette constatation est appelée effet test. La pratique de la récupération est bénéfique pour l’apprentissage tout au long de la vie.

Les possibilités de rétroaction augmentent généralement l’efficacité de la pratique de récupération. L’amélioration est probablement due aux cas où les apprenants ont des difficultés à récupérer des informations précises ou complètes. Le retour d’information peut être crucial pour aider à corriger les inexactitudes et à combler les lacunes dans les connaissances. 

Les avantages de la pratique de la récupération ont été démontrés par comparaison avec des stratégies relativement passives telles que la réétude, la relecture ou la copie d’informations. Ils l’ont été également par rapport à des stratégies d’apprentissage actives telles que la prise de notes et la réalisation de cartes conceptuelles ou mentales. 

La combinaison de la pratique de la récupération avec des activités d’apprentissage qui exigent la génération de nouveaux contenus, comme la réflexion sur des exemples, peut produire des avantages d’apprentissage encore plus grands que la simple récupération. 



Différentes explications théoriques sur la pratique de récupération


Les apprenants pourraient se souvenir des aspects contextuels de l’information à apprendre pendant la pratique de récupération, cela l’aiderait à améliorer l’accessibilité ultérieure ce ces connaissances.

Le processus de récupération pourrait impliquer le rappel non seulement de l’information correcte, mais aussi d’autres informations. Ce sont par exemple, les connaissances ou les pensées antérieures de l’apprenant. Elles peuvent servir d’indices mémoriels pour l’information apprise lors d’un test ultérieur. 

L’acte de récupération pourrait également créer un nouveau souvenir pour l’expérience de récupération. Celui-ci est distinct du souvenir de la rencontre initiale de l’information. Il pourrait augmenter le nombre de voies neuronales qui peuvent être utilisées pour accéder à l’information correcte. 

La pratique de récupération pourrait indirectement bénéficier à l’apprentissage en révélant ce que les apprenants savent et ne savent pas, et donc les aider à utiliser efficacement la rétroaction. 

Ces théories ne s’excluent pas mutuellement. Plus d’un de ces processus est susceptible d’opérer dans une situation d’apprentissage donnée. 



Pratique de récupération et transfert


La pratique de la récupération est bénéfique pour la rétention et le transfert des connaissances mémorisées lorsqu’elles doivent être utilisées de manière similaire à la façon dont elles ont été apprises (quasi transfert). Cependant, les résultats sont mitigés dans les situations de transfert lointain. 

Dans le domaine de la résolution de problèmes procéduraux, les apprenants novices acquièrent et appliquent généralement mieux les solutions à de nouveaux problèmes s’ils étudient des exemples entièrement résolus sans s’engager dans aucune récupération. 

Cette approche est opposée à l’utilisation de la pratique de récupération en essayant de résoudre les problèmes par eux-mêmes. Il y a un impact positif lorsque les apprenants s’exercent à récupérer de manière répétée le même scénario de problème et les étapes nécessaires pour le résoudre avec succès. La mémoire des procédures de solution et la capacité à résoudre des problèmes similaires s’en retrouvent améliorées.

La pratique de la récupération n’améliore pas automatiquement la capacité à remarquer la pertinence d’une information et à décider de l’appliquer dans une nouvelle situation. Cependant, elle peut contribuer au transfert en améliorant la mémoire de l’information qui est finalement nécessaire au transfert.



La méthode du réapprentissage successif


La pratique de l’espacement et la pratique de récupération peuvent être combinées pour améliorer l’apprentissage de manière plus efficace que l’une ou l’autre stratégie seule. 

La récupération répétée d’informations sur des intervalles de temps espacés produit des avantages durables et à long terme pour l’apprentissage, par rapport à la simple révision des informations sur les mêmes intervalles de temps. 

La récupération des informations sur des intervalles plus longs est également plus efficace que la récupération après des intervalles plus courts. 

Les pouvoirs combinés de la récupération et de l’espacement forment la méthode du réapprentissage successif.

Le réapprentissage successif est de plus en plus reconnu comme une stratégie d’apprentissage simple et efficace, en particulier pour renforcer la rétention des matériaux factuels (par exemple, les termes de vocabulaire et les définitions). Le réapprentissage successif implique une session initiale au cours de laquelle les apprenants essaient de récupérer les informations qu’ils sont en train d’apprendre et reçoivent ensuite un retour pour vérifier leur exactitude. Ils répètent la pratique de récupération jusqu’à ce qu’ils soient capables de se souvenir de toutes les informations selon un critère prédéterminé (par exemple, 100 % correct). 

Cette session initiale est suivie de sessions supplémentaires de réapprentissage consistant à récupérer l’information, puis à recevoir une rétroaction jusqu’à ce que l’information puisse être rappelée selon le même critère. L’apprentissage à long terme est plus efficace lorsque les sessions de réapprentissage sont espacées dans le temps. 

Les avantages du réapprentissage successif (par rapport à la même quantité d’apprentissages en une seule session) pourraient se réduire à l’apprentissage de compétences telles que l’application de procédures mathématiques. Cependant, la technique semble assez efficace pour améliorer la rétention en mémoire d’informations factuelles assez simples. 



L’importance de la qualité de l’apprentissage initial dans le cadre du réapprentissage successif


Le pouvoir du réapprentissage successif peut être renforcé par un entraînement supplémentaire à la récupération lors de la première session. 

Dans une étude (Rawson & Dunlosky, 2011), des étudiants de premier cycle se sont exercés à rappeler des termes et des définitions d’introduction à la psychologie. Ces tentatives étaient suivies d’une rétroaction jusqu’à ce qu’ils se souviennent correctement de chacun d’eux, une ou trois fois. Ensuite, ils ont participé à trois autres sessions de réapprentissage au cours desquelles ils se sont souvenus correctement de chaque terme une fois.

Bien qu’il ait été plus difficile et plus long de rappeler chaque terme correctement trois fois lors de la première session, ce travail supplémentaire a porté ses fruits. Les informations qui avaient été rappelées correctement trois fois lors de la première session étaient plus faciles à rappeler lors de toutes les sessions de réapprentissage suivantes. Elles étaient également plus susceptibles d’être exactes dès la première tentative que les informations qui n’avaient été rappelées qu’une seule fois. 

Plus précisément, les éléments qui ont fait l’objet d’une pratique de récupération précoce supplémentaire ont été rappelés du premier coup environ 15 % plus facilement 2 jours plus tard lors de la première session de réapprentissage (d = 0,63). L’avantage de la pratique de récupération précoce supplémentaire a persisté lors des deux sessions de réapprentissage suivantes, 8 et 10 jours plus tard. 

Le réapprentissage successif combine les avantages de l’espacement et de la récupération et renforce la rétention de la mémoire pour les informations factuelles.


Mis à jour le 02/04/2024

Bibliographie


Carpenter, S.K., Pan, S.C. & Butler, A. C. The science of effective learning with spacing and retrieval practice. Nat Rev Psychol 1, 496–511 (2022). https://doi.org/10.1038/s44159-022-00089-1

Rawson, Katherine & Dunlosky, John. (2011). Optimizing Schedules of Retrieval Practice for Durable and Efficient Learning: How Much Is Enough?. Journal of experimental psychology. General. 140. 283–302. 10.1037/a0023956.

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