samedi 9 décembre 2023

Comment s’établissent les connaissances en psychologie

Par quel processus des modèles, des théories et des principes s’élaborent-ils en psychologie et établissent-ils leur validité ?

(Photographie : Garrett Grove)




Aboutir à une hypothèse par observation


Dans un premier temps, les chercheurs élaborent des hypothèses théoriques en se basant sur l’observation du comportement ou en réfléchissant au départ de théories existantes en psychologie.

L’observation du comportement présente deux défis majeurs :
  • Premièrement, il est difficile de maintenir le degré nécessaire de détachement scientifique. Nous sommes tous victimes de multiples biais cognitifs.
  • Deuxièmement, chez l’homme, le développement et le comportement ne se produisent pas simplement. L’enfant se développe par le biais d’un processus de maturation, d’expériences accumulées, d’apprentissage ou de décisions indépendantes, qui s’influencent souvent de manière cumulative.
Par conséquent, il est très difficile de savoir s’il est possible de généraliser ce que nous avons observé. Ces hypothèses doivent être vérifiées empiriquement. 



Évaluer une hypothèse sur le comportement


Le chercheur doit déterminer comment et dans quelle mesure l’hypothèse peut être étudiée au mieux sur la base d’une collecte de données.

Les chercheurs doivent mobiliser des méthodes d’investigation dans le but de dépasser la simple identification de corrélations et établir des relations de causalité.

La corrélation et la causalité sont des réalités différentes. Souvent, l’un des plus grands défis de la recherche sera d’essayer de démontrer une relation de cause à effet. Il est généralement beaucoup plus facile d’identifier une corrélation.

L’établissement de la causalité se fait par des expériences rigoureusement conçues et l’utilisation d’outils fiables.

L’un des principaux objectifs de la recherche est d’éliminer l’influence d’éventuels facteurs de distorsion en les isolant et en les contrôlant. Les chercheurs tentent de contrôler autant que possible les autres influences qui pourraient avoir un effet sur ce qu’ils essaient de mesurer. 

Si un facteur perturbateur n’est pas identifié et neutralisé, il est probable que les conclusions tirées par l’expérience seront faussées.



L’usage de groupes expérimentaux et contrôles 


De nombreuses études de recherche en psychologie travaillent avec différents groupes de sujets, afin que chaque groupe expérimental puisse être comparé à un groupe de contrôle. 

Différentes conditions doivent être respectées pour que nous puissions être certains que d’autres éléments ne jouent pas un rôle influent. 

Différentes mesures permettent de contrer cette possibilité. 

Premièrement, la répartition des sujets entre deux ou plusieurs groupes sur une base aléatoire permet d’éviter d’avoir des différences systématiques entre les groupes, sauf pour la variable manipulée que nous voulons tester et mesurer. 

Dès lors s’il apparait une différence entre les résultats des groupes, cette différence doit être attribuable à la variable expérimentale (manipulée). C’est la technique des essais contrôlés randomisés. Cependant, cette approche n’est pas toujours possible concrètement ou souhaitable éthiquement.

Un autre facteur utile est que les sujets testés ne savent pas s’ils appartiennent au groupe expérimental ou au groupe de contrôle. Cette connaissance pourrait devenir une variable de distorsion à part entière. Si une personne sait dans quel groupe elle est, cela peut avoir un effet sur son comportement. 

De même, il est également habituel de ne même pas informer les responsables de l’essai de l’appartenance à tel ou tel groupe, à moins que cela ne soit absolument nécessaire pour le bon déroulement de l’expérience.



L’usage d’outils de mesure valides et fiables


Au-delà de la constitution de groupes de comparaison, l’utilisation d’outils fiables et validés de mesure est nécessaire pour pouvoir établir s’il existe ou non de véritables différences entre les résultats des différentes conditions. 

Nous effectuons une mesure au début et à la fin de l’expérience (ce que l’on appelle le pré-test et le post-test). Nous enregistrons les résultats et nous comparons ensuite les différences. 

La démarche n’est pas toujours évidente. Les échelles et les outils nécessaires pour mesurer l’effet d’une approche doivent souvent être conçus spécialement. 

Un grand nombre d’outils de ce type destinés à la recherche en psychologie ont été développés. Parfois, ces outils ne sont rien de plus que des listes de questions. Parfois, il s’agit de listes de critères d’observation, qui permettent aux chercheurs de suivre attentivement différents aspects du comportement des sujets étudiés. 

Les outils par lesquels les mesures sont réalisées lors d’expériences doivent être valides et fiables : 
  • Un test est valide dans la mesure où il mesure ce que nous voulons mesurer.
  • Un test est fiable lorsqu’il donne les mêmes résultats quand il est répété.
La fiabilité est une condition nécessaire à la validité, mais elle n’est pas suffisante en soi. 



La piste des études de cas et des enquêtes ponctuelles, longitudinales et transversales


Il n’est pas possible de tout étudier par le biais d’expériences. Par exemple, il n’est pas éthiquement recevable qu’une expérience ait des conséquences négatives pour les sujets concernés. 

De fait, certaines hypothèses ne peuvent être testées par l’expérience et peuvent être étudiées par un processus d’observation naturaliste. Le comportement est observé dans des situations du monde réel.

Les chercheurs peuvent utiliser des calendriers d’observation (avec des points à surveiller), des sources de données existantes (comme des données officielles), des enregistrements, des entretiens et des listes de questions. Ces éléments peuvent être utilisés pour mener des enquêtes ponctuelles.

L’échantillon de l’enquête devra être suffisamment important pour être représentatif de la population totale. La liste des questions devra être à la fois valide et fiable. 

Souvent, avec une enquête de ce type, il ne sera possible que de supposer (plutôt que de prouver) une relation de cause à effet. Cependant, une corrélation peut être établie. 

Une approche par enquête peut être utile pour étayer des conclusions générales, mais ne peut pas nous aider à analyser en profondeur les mécanismes en action.

Une manière d’approcher cette profondeur est de recourir à des études de cas, dans lesquelles un ou plusieurs sujets sont suivis et étudiés en détail. Les résultats de ces études sont pertinents et font souvent beaucoup plus qu’effleurer la surface, mais sont moins aptes à la généralisation que les résultats d’enquêtes.

Les enquêtes peuvent mener à l’étude d’évolutions, de développement et de comparaisons par la recherche longitudinale et transversale : 
  • Dans le cadre d’une recherche longitudinale, les mêmes enfants sont suivis et interrogés régulièrement sur une longue période, de sorte que les évolutions de leur état peuvent être enregistrées et analysées. L’avantage est que ces évolutions deviennent visibles, mais l’inconvénient est le temps que cela prend. La plupart des études longitudinales durent des années, voire des décennies.
  • Dans le cadre d’une étude transversale, il s’agit d’interroger des enfants et des jeunes de différents groupes d’âge, au même moment, puis de comparer les résultats des groupes. Ce type de recherche est plus court et moins coûteux que l’enquête longitudinale, mais les facteurs de distorsion potentiels peuvent jouer un rôle beaucoup plus important. En effet, les personnes plus âgées peuvent avoir été affectées par des expériences que les plus jeunes interrogés n’ont pas vécues ou pas au même âge de leur vie.

Il n’existe pas de méthode de recherche unique offrant la meilleure solution dans toutes les situations pour établir des connaissances en psychologie. Les résultats de la collecte de données sont analysés statistiquement pour aboutir à des conclusions.

Lorsque les chercheurs publient leurs résultats, ils expliquent toujours les choix méthodologiques qu’ils ont faits et pourquoi ils les ont faits. Les résultats finaux sont publiés après un contrôle indépendant et anonyme (peer review) par d’autres scientifiques et éventuellement après une répétition de la recherche concernée (replication).


Un exemple d’enquête longitudinale sur les réseaux sociaux


De nombreuses études ont établi un lien entre le temps passé à utiliser les médias sociaux et les problèmes de santé mentale, tels que la dépression et l’anxiété. 

Ces études sont des enquêtes transversales et ne permettent pas d’examiner les changements individuels au fil du temps. 

Coyne et ses collègues (2020) ont réalisé une étude longitudinale de huit ans qui examine l’association entre le temps passé à utiliser les médias sociaux et la dépression et l’anxiété au niveau intra-individuel. Les participants comprenaient 500 adolescents qui ont rempli des questionnaires une fois par an entre l’âge de 13 et 20 ans. 

Les résultats ont révélé que l’augmentation du temps passé sur les médias sociaux n’est pas associée à une augmentation des problèmes de santé mentale au cours du développement lorsqu’ils sont examinés au niveau individuel. 



Les apports des neurosciences à la recherche en psychologie


Le développement des neurosciences est récent si on le compare aux apports de la psychologie cognitive. Cependant, les apports des neurosciences gagnent progressivement en influence, et amènent à adapter, confirmer ou affiner des conceptions antérieures sur le fonctionnement du cerveau. 

Ces dernières années, les développements de la recherche en neurosciences ont commencé à jouer un rôle de plus en plus important dans divers domaines de la psychologie. Leur attrait pour le public des parents et des enseignants est manifeste.

Souvent, les résultats de ces recherches viennent confirmer ce qui a déjà été établi par d’autres méthodes de recherche. Ainsi, la recherche sur le cerveau a confirmé, par exemple, que les adolescents sont plus occupés par eux-mêmes ou que les connaissances préalables sont importantes pour l’apprentissage de nouveaux contenus.

Parfois, la recherche en neurosciences apporte de nouvelles connaissances pertinentes. Par exemple, les recherches de Stanislas Dehaene ont montré que les nourrissons peuvent calculer des mathématiques de base à un âge beaucoup plus précoce que ce que l’on pensait à l’origine. 

De même, les études en neurosciences ont fourni des explications sur le comportement de prise de risque à l’adolescence.



La triangulation et la crise de la réplication


Un phénomène intéressant en recherche est la triangulation. La triangulation se manifeste lorsque différents chercheurs, utilisant différents raisonnements et différentes méthodes, étudient tous le même sujet et aboutissent à des résultats largement comparables. 

Parallèlement, il peut également être utile de répéter certaines études exactement de la même manière, afin de vérifier si les résultats se répètent ou non. 

Ce type de recherche, appelée double vérification, devient plus fréquente. Son développement a conduit à la crise de la réplication.

En 2011, Simmons, Nelson et Simonsohn ont démontré qu’il est possible, en utilisant des méthodes scientifiques et des techniques statistiques fréquemment employées, d’obtenir, consciemment ou inconsciemment, des résultats qui semblent avoir été obtenus de manière correcte. Toutefois, ces résultats ne correspondent pas nécessairement à la réalité. 

Dans la foulée, des chercheurs (Klein, et coll., 2018) ont réalisé une étude à grande échelle qui a examiné 100 projets de recherche psychologique importants de ces dernières décennies. Ils ont abouti à la conclusion alarmante qu’il n’était possible de reproduire les résultats avec succès que dans 36 % des cas. Les résultats des 64 % restants — soit près des deux tiers — étaient sujets à caution.

Les différences entre les différents domaines de la psychologie étaient assez importantes. En psychologie cognitive, près de la moitié des résultats étaient reproductibles. En psychologie sociale, ce chiffre a chuté à un quart seulement. 

Le fait que ces problèmes aient été découverts et qu’ils soient en train d’être corrigés prouve que les méthodes scientifiques nécessitent un état d’esprit de remise en question constante et une reproduction correcte. Les méthodes scientifiques ne peuvent fonctionner qu’à condition qu’elles soient appliquées avec rigueur.


Mis à jour le 04/04/2024

Bibliographie


De Bruyckere, Pedro ; Hulshof, Casper; Missinne, Liese. The Psychology of Great Teaching, Sage, 2022

Sarah M. Coyne, Adam A. Rogers, Jessica D. Zurcher, Laura Stockdale, McCall Booth, Does time spent using social media impact mental health? : An eight year longitudinal study, Computers in Human Behavior, Volume 104, 2020, 106160.

Klein RA, Vianello M, Hasselman F, et al. Many Labs 2: Investigating Variation in Replicability Across Samples and Settings. Advances in Methods and Practices in Psychological Science. 2018;1(4):443–490. doi:10.1177/2515245918810225

Simmons, J. P., Nelson, L. D., & Simonsohn, U. (2011). False-positive psychology: Undisclosed flexibility in data collection and analysis allows presenting anything as significant. Psychological Science, 22(11), 1359–1366.

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