lundi 1 janvier 2024

Relations entre effet test et métacognition

Des processus cognitifs importants pour l’apprentissage sont en jeu lorsque les situations d’apprentissage impliquent à la fois des processus d’évaluation et de rétroaction. Synthèse de la note de Daniel Gaonac’h pour le CNESCO sur l’évaluation soutien d’apprentissage (2023).

(Photographie : Benjamin Evans)



Comprendre le fonctionnement de l’effet test et de la pratique de récupération


L’effet test apporte la preuve que l’évaluation, dans sa dimension de pratique de récupération, indépendamment de toute notation, constitue en elle-même un élément favorisant l’apprentissage. 

Les élèves reçoivent régulièrement l’injonction de leurs enseignants de revoir leur cours. La stratégie spontanée adoptée est souvent de relire leur cours, de les remettre en ordre, de les surligner ou de produire un résumé. 

Cependant, de nombreuses recherches montrent que la simple révision (par relecture ou remise en forme) des contenus à mémoriser, bien que nécessaire, conduit toujours à des performances décevantes lorsqu’elle est pratiquée seule. Ces stratégies tendent à créer des illusions de connaissances et trompent notre jugement sur l'apprentissage.

Le même temps peut être utilité à meilleur escient en y intégrant une pratique de récupération. Durant cette phase, en gardant son cours fermé, l’élève est amené à retrouver par lui-même et à produire, sous différentes formes, les informations mémorisées. Cela produit l’effet test. Dans un second temps, il vérifie ses réponses et à partir de cette rétroaction réapprend ce qu'il n'avait pas été capable de récupérer.

Cette pratique constitue un grand classique, mais peut aussi être pratiquée spontanément par les élèves ou incitée et soutenir par leurs parents. De nombreuses données montrent la pertinence de cette pratique dans de nombreux domaines (Brown, Roediger et McDaniel, 2016), et ce à tous les niveaux de la scolarité ou chez l’adulte. 

Un effet test, quoique plus faible, intervient même lorsque l’apprenant n’a pas la possibilité de vérifier si les réponses qu’il donne sont correctes ou pas. Cependant, cet effet est amélioré dans la situation où il y a une vérification de l’exactitude et une rétroaction.  Une nuance est qu'il faut déjà avoir des connaissances sur le sujet sur lequel on s'exerce à la pratique de récupération. Si toutes les réponse sont insuffisantes, il n'y aura pas d'effet test.

L’effet test ne se réduit pas à une régulation relevant d’un processus métacognitif, où l’élève découvre ce qu’il connait et ne connait pas et complète son étude dans la foulée.

L’effet de test se traduit directement sur les processus d’apprentissage mis en œuvre dans des situations d’évaluation. Pour comprendre la nature de ces processus, il faut s’intéresser de manière plus précise à certains aspects des conditions de réalisation de ces tests. 

Un facteur important est l’optimisation du délai entre apprentissage et évaluation. Un autre est la nature des contenus d’apprentissage sur lesquels porte le test.



L’optimisation du délai entre apprentissage et évaluation


L’effet est plus marqué si on introduit un délai entre l’étude et le test (Butler, Karpicke & Roediger, 2007). Un test immédiat n’a que très peu d’effet, et la nécessité d’un délai suffisamment long apparait surtout lorsque la mémorisation finale est évaluée à long terme.

Le délai optimal entre apprentissage et test peut dépendre également de l’objet d’apprentissage :
  • Pour des contenus peu complexes, par exemple le cas d’un vocabulaire en langue étrangère, Pyc et Rawson (2010) montrent qu’un délai de 6 minutes induit des performances meilleures qu’un délai d’une minute.
  • Pour des contenus plus complexes, on montre qu’un délai en jours, voire en semaines est plus efficace. Dans le cas du cours d’histoire (Carpenter, Pashler & Cepeda, 2009), les performances finales sont meilleures lorsque la révision sous forme de test est réalisée 16 semaines après la leçon initiale. 
  • Dans le cas des leçons de sciences (McDaniel et coll., 2011), l’amélioration liée à l’effet test est la plus forte si on ménage un délai d’une vingtaine de jours entre la leçon et le test. Cela se produit même s’il s’agit d’un test unique, qui joue tout autant que trois tests menés durant cette période. 
De manière générale, la répétition d’une évaluation n’a que peu d’effet : un seul test peut suffire à améliorer les performances, la condition qu’il soit réalisé au bon moment (Landauer & Bjork, 1978). La question du délai c’est-à-dire de l’espacement a un impact sur l’ampleur de l’effet test.

Ce caractère favorable d’un tel délai vaut y compris lorsque l’apprenant dispose d’une rétroaction. De plus, la rétroaction efficace n’est pas celle qui intervient aussitôt après que l’élève a donné sa réponse.

Il est préférable de faire un retour en fin de test. Celui-ci porte sur l’ensemble des connaissances qui font l’objet d’un apprentissage, et non pas de manière ponctuelle sur chaque élément de ces connaissances (Mullet et coll., 2014). En ajoutant un délai, nous augmentons l’effet produit.

Compte tenu de ces processus, la pratique de récupération gagne à être intégrée dans les processus d’apprentissage, à être espacée et à prendre en compte un ensemble d’informations reliées.



L’implicite et l’explicite de la métacognition 


Une part importante des bénéfices d’une évaluation formative est souvent de fait attribuée à une composante métacognitive, c’est-à-dire à la conscience que l’apprenant lui-même peut avoir : 
  • Des indications qui lui sont fournies
  • Du fonctionnement de son propre système cognitif
  • De la manière dont il met en œuvre cet apprentissage. 
L’opportunité de contrôler et de réguler l’avancée d’un apprentissage est supposée être liée :
  • À la connaissance par l’élève de sa progression dans cet apprentissage et des difficultés rencontrées,
  • À une meilleure représentation par l’élève de la tâche mise en œuvre, et du but des exercices proposés,
  • À la possibilité de corriger son action sur la base de cette connaissance et cette représentation. 
De nombreuses données permettent d’affirmer que les compétences métacognitives d’un individu peuvent avoir des effets bénéfiques sur la réussite d’un apprentissage (de Boer et coll., 2018). 

Cependant, il est nécessaire de préciser que ce n’est pas toujours le cas.

Les recherches sur la métacognition conduisent à contester l’idée que la prise de conscience des processus en jeu dans les apprentissages soit le facteur favorable à leur réalisation. Au contraire, les facteurs en jeu jouent bien plus à un niveau de régulation implicite.

Si la métacognition est importante, il est illusoire de tout miser sur elle, car elle est victime de multiples biais qu’il faut compenser par l’utilisation d’autres stratégies plus explicites.



La cécité sur l’effet test, une faille de la métacognition


La divergence entre croyances affichées et stratégies mises en œuvre constitue un des thèmes de prédilection des recherches sur la métacognition.

Un exemple est l’effet test :
  • Les données empiriques établissent le caractère bénéfique de cet effet sur l’apprentissage. 
  • De manière contraire, il est caractéristique que de nombreux apprenants soient loin d’être conscients de la supériorité de ce mode de révision. Ils tendent à privilégier la lecture répétée d’un chapitre à une alternance lecture-rappel (Karpicke, Butler & Roediger, 2009). 
  • L’absence de conscience du bénéfice tiré d’une phase de test est avérée, y compris si l’on interroge l’apprenant juste après qu’une telle phase ait été mise en œuvre 

Karpicke & Roediger (2008) ont réalisé une expérience remarquable sur l’apprentissage d’un vocabulaire en langue étrangère. Ils ont montré qu’aussitôt après la phase d’apprentissage, une phase de test sur ce qui venait d’être appris était nettement plus efficace qu’une nouvelle présentation du vocabulaire. Dans un test effectué une semaine plus tard, ils observaient 80 % de rappel correct chez les élèves qui avaient effectué un test contre 35 % chez ceux qui avaient bénéficié d’une seconde présentation. 

Là où cela devient intéressant, c’est qu’ils avaient demandé aux participants, aussitôt après la phase de test, d’estimer le nombre de mots dont ils pourraient se souvenir par la suite. Ils n’avaient alors constaté pour cette estimation aucune différence entre les deux groupes d’apprenants. 

Des interviews menées ensuite auprès des participants montraient que ceux qui admettaient l’utilité d’un test de ce qu’ils avaient étudié n’admettaient cette utilité qu’au titre d’un contrôle des effets de leur apprentissage. Ils ne le percevaient pas comme une façon de consolider leurs connaissances. 



La cécité sur l’effet d’espacement et l’illusion de connaissance, des failles de la métacognition


Il existe une opposition entre bachotage et apprentissage distribué. La pratique répétée d’un contenu d’apprentissage, plutôt qu’une pratique espacée, est le plus souvent considérée comme le moyen le plus efficace d’apprendre (Bjork, Dunlosky & Kornell, 2013).

L’explication proposée est que la simple présentation (ou la lecture) répétée d’un même contenu produit chez l’apprenant une illusion de connaissance. Cette répétition accroît la facilité avec laquelle ce contenu est traité au moment de la présentation, quand bien même cette facilité ne constitue en rien un élément favorable à la mémorisation. 

L’illusion de connaissance est un phénomène général. Les prédictions faites par l’apprenant lui-même sur l’établissement d’un souvenir en mémoire sont fondées principalement sur la facilité du traitement des contenus à mémoriser. De manière plus générale encore, les apprenants ont souvent des représentations très fausses de ce qui fait qu’un enseignement est efficace pour eux (Uttl, White & Gonzalez, 2017). 



La distinction entre processus explicites et implicites dans le cadre de la métacognition


Dans le cadre de la métacognition, Veenman, van Hout-Wolters et Afflerbach (2006), complétés par Gaonac’h (2022) distinguent : 
  • Des processus liés à des connaissances métacognitives conscientes : 
    • Ces connaissances peuvent jouer un rôle, mais ne garantissent nullement l’efficacité d’un apprentissage. Elles peuvent être correctes ou incorrectes. 
    • Ces processus relèvent de connaissances déclaratives (explicites).
  • Des processus de régulation, fondés sur des mécanismes de rétroaction :
    • Ces mécanismes ne sont pas nécessairement conscients. Cependant, ils peuvent néanmoins déboucher, tout au moins à long terme, sur l’élaboration de connaissances conscientes. 
    • Ces processus relèvent de connaissances procédurales (implicites) qui peuvent cependant être éventuellement explicitables. 

Tsalas, Sodian & Paulus (2017) ont opérationnalisé cette dimension explicite/implicite de la métacognition, chez des enfants de 10 ans et chez des adultes.

Ils ont utilisé une épreuve d’apprentissage de paires de dessins associés. Certaines de ces paires correspondaient à des associations fréquentes (chien — chat), d’autres à des associations rares (chien – tomate). 

La composante explicite était évaluée à travers un questionnaire standardisé relatif aux stratégies de mémorisation. 

La composante implicite était évaluée à travers deux indices : 
  • Une estimation faite par chaque participant et, pour chaque paire, de sa capacité à se rappeler à partir du premier dessin celui qui lui était associé
  • Une mesure de la durée d’étude par chaque participant de chacune des paires de dessins. 
Par la suite, les apprenants étaient testés, après la réalisation d’une tâche distractive, selon le rappel de ces dessins associés. 

Les résultats obtenus ont mené à plusieurs constats : 
  • Il n’y a pas de lien entre la composante explicite et la composante implicite : faire preuve de davantage de connaissances métacognitives n’induit nécessairement ni des estimations ni des durées d’étude adaptées. 
  • Il n’y a pas de lien entre connaissances explicites et performances de rappel. 

Le lien est en revanche avéré entre les indices de la composante implicite et ces performances. Il est plus important chez les adultes que chez les enfants. 



La lenteur de l’acquisition des stratégies métacognitives


Les capacités exécutives permettent à un individu de gérer ses activités cognitives : 
  • Accorder de l’attention aux éléments importants
  • Maintenir des informations pertinentes
  • Ignorer efficacement les informations non pertinentes 
Ces compétences de contrôle cognitif peuvent être en jeu dans le contrôle volontaire de stratégies de mémorisation :
  • Répétition mentale de certaines informations
  • Établissement de liens entre différentes informations
  • Etc. 
L’enjeu du développement cognitif, plus que sur la connaissance explicite des mécanismes mémoriels, porte sur la mise en œuvre automatique (sans contrôle) de mécanismes de régulation.

Ce phénomène relève d’un apprentissage et n’est attesté qu’assez tard chez les adolescents. L’acquisition des compétences métacognitives peut être tardive. Même chez l’adulte, la mise en œuvre de stratégies efficaces n’est ni spontanée ni générale. 

Flavell (1971) mettait en valeur, pour rendre compte de l’acquisition de capacités métacognitives, la notion d’expériences métacognitives. Une expérience métacognitive est la confrontation répétée à des situations variées, qui constituent des occasions de prendre en compte de manière fine les situations d’apprentissage et leurs caractéristiques. 



L’implication de l’évaluation sur le développement des stratégies métacognitives


Le développement des processus de régulation implicites tiendrait notamment à la multiplicité et à la diversité des expériences cognitives relatives à un contenu d’apprentissage. 

L’évaluation de son apprentissage par l’apprenant ne tient plus alors à la présence d’une séquence explicite lors de laquelle il en évaluerait l’efficacité. Elle est fonction de la confrontation à des situations suffisamment variées dans lesquelles il est amené à mettre en œuvre des contenus d’apprentissage qui peuvent être proches, mais sont utilisés dans des conditions différentes. 

Par conséquent, l’acquisition de compétences métacognitives prend du temps, car elle se réalise au fur et à mesure qu’un individu est confronté à une variété de situations dans lesquelles il est amené à (re)mobiliser des apprentissages. 

L’adulte a plus de compétences métacognitives parce qu’il a été confronté à davantage de situations. C’est le cas alors même que la mise en œuvre de ces compétences n’apparait pas nécessairement de manière explicite lors de la réalisation d’un apprentissage.

Dès lors, la fréquence et surtout la variété des situations d’évaluation constituent en soi des conditions favorables au développement de compétences de régulation. Ces compétences de régulation ne relèvent pas nécessairement d’une régulation explicite, liée à la prise de conscience de l’état d’un apprentissage. 

Les situations d’évaluation doivent aussi permettre à l’apprenant d’être confronté, à travers différents contenus d’apprentissage, à des contraintes d’apprentissage suffisamment variées pour que les mécanismes implicites puissent devenir opérationnels. 



L’implication des dimensions implicites du fonctionnement cognitif pour l’enseignement explicite des stratégies d’apprentissage


La mise en œuvre de stratégies explicites dans les apprentissages est loin d’être spontanée et efficace. 

C’est sans doute à travers la confrontation répétée à des contextes variés d’évaluation que peuvent être construites des compétences de régulation qui peuvent rester implicites sans perdre leur efficacité. C’est la multiplicité et la diversité des expériences cognitives relatives à un contenu d’apprentissage qui contribuent à cette efficacité. 

Les recherches sur l’utilisation des exemples démontrent bien leur pertinence pédagogique, mais concluent souvent à la nécessité d’introduire, pour un même exposé, plusieurs exemples présentant des caractéristiques différentes. Cet effet est particulièrement marqué pour les débutants ou les élèves en difficulté. 

Chi et ses collègues (1989) ont ainsi analysé la façon dont des étudiants résolvent des problèmes de mécanique lorsqu’ils doivent transférer un entraînement initial dans des situations variées. Ils constatent que les étudiants ayant un faible niveau dans la discipline doivent retourner aux exemples fournis lors de l’entraînement, alors que pour les étudiants de bon niveau, la référence aux exemples pertinents étudiés auparavant est instantanée. Ainsi, la différence entre les étudiants de différents niveaux ne tient pas tant à des capacités de raisonnement qu’à une exploitation automatique d’exemples pertinents, rendue possible par la confrontation répétée à des exemples suffisamment variés. 

Par conséquent, le développement de compétences liées à l’apprentissage autonome ne peut avoir lieu qu’à travers de multiples expériences diversifiées. Ainsi, une évaluation formative peut constituer un déterminant important des apprentissages, non pas comme un contrôle extérieur au processus d’apprentissage, mais comme une composante inhérente à ce processus. 

L’évaluation doit être conçue comme un élément intégré dans le processus d’apprentissage en conformité avec la manière dont les apprenants peuvent exercer un contrôle implicite sur ces processus. 



Mis à jour le 23/04/2024


Bibliographie


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