La théorie sociale cognitive est l’un des fondements de l’enseignement explicite du comportement et nous offre des clés et un modèle pour en augmenter l’impact en gestion de classe.
(Photographie : William LeGoullon)
L’enjeu des compétences en gestion de classe au niveau du secondaire
Avec des horaires ou les cours se succèdent au cours de la journée, la gestion de la classe devient particulièrement importante au niveau du secondaire pour plusieurs raisons :
- La gestion de classe se retrouve au cœur de la tâche d’enseignement. Sans bonnes pratiques de gestion de classe, la tâche de l’enseignant devient beaucoup plus difficile :
- Comme l’ont découvert de nombreux enseignants du secondaire débutants, l’incapacité à effectuer certaines tâches de gestion fondamentales peut créer des situations de désordre.
- La gestion d’une classe est plus complexe que ce que notre expérience d’ancien élève laisse supposer. Le fait d’avoir assisté à d’innombrables heures de cours comme élève ne suffit pas. C’est ce que Lortie (1975) a appelé l’apprentissage de l’observation.
- La gestion de la classe a un impact sur des résultats importants pour les élèves, leurs parents et la société :
- Les classes bien gérées favorisent l’engagement des élèves et créent des opportunités d’apprentissage.
- Les classes mal gérées entraînent des pertes de temps et dispersent l’attention des élèves. Elles réduisent l’apprentissage et peuvent hypothéquer la réussite scolaire.
- De nombreuses études en recherche ont montré le lien entre une gestion efficace de la classe et les résultats scolaires (par exemple, Wang, Haertel et Walberg, 1993).
- Les compétences de l’enseignant en gestion de classe sont liées à l’adoption de bons comportements par les élèves. Une bonne gestion permet de limiter les problèmes de comportement des élèves et de les empêcher de perturber l’apprentissage des autres élèves.
Une variété de perspectives théoriques qui aboutissent à l’idée d’un enseignement explicite du comportement
Historiquement, il existe une variété de perspectives sur la conceptualisation de la gestion de classe qui depuis se sont associées pour offrir une vision plus globale.
Parmi ces contributions, nous pouvons entre autres distinguer :
- Jones et Jones (2004) identifient plusieurs domaines de connaissances et de compétences pour l’enseignant :
- L’établissement de relations positives entre l’enseignant, les élèves et leurs pairs afin de créer un environnement favorable.
- L’utilisation de méthodes d’enseignement qui optimisent l’apprentissage.
- L’obtention de l’engagement des élèves à respecter des normes de comportement appropriées.
- La création d’une communauté de classe sûre et bienveillante
- L’utilisation de méthodes de conseil sur le comportement par l’enseignant pour modifier le comportement inapproprié des élèves.
- Canter (1976) a mis l’accent sur le style de communication assertif de l’enseignant et l’utilisation appropriée des conséquences.
- Brophy (1999) distingue la gestion de classe et les interventions disciplinaires :
- La première concerne la création et le maintien d’un environnement d’apprentissage propice à l’enseignement
- Les secondes sont des actions prises pour susciter ou contraindre des changements dans le comportement des élèves qui ne se conforment pas aux attentes.
- Doyle (1986) estime que la gestion de classe s’intéresse à l’établissement de l’ordre et à son maintien. Elle englobe les mesures prises par les enseignants pour organiser la classe et le cadre d’enseignement et pour inciter les élèves à adopter un comportement souhaitable.
Ce sont les contributions de Doyle (1986) et Brophy (1999) qui ont le plus influencé les approches liées au soutien au comportement positif. Elles peuvent être vues comme initiatrice du concept actuel d’un enseignement explicite des comportements dans le cadre de la gestion de classe.
Le modèle de la théorie sociale cognitive pour comprendre l’adoption de comportements perturbateurs en classe
Dans un contexte de classe, si deux élèves bavardent pendant qu'un enseignant donne des consignes, il est simple pour lui d’intervenir. Cependant s’il y a contagion et que plus de la moitié de la classe bavarde épisodiquement, la situation devient plus complexe à gérer. Il est utile de comprendre par quels mécanismes ces situations s’installent afin de les éviter.
La théorie sociale cognitive
La théorie sociale cognitive a été formalisée par le psychologue canadien Albert Bandura (1986). L’approche dépasse le cadre du simple apprentissage du comportement pour s’intéresser aux aspects cognitifs influencés par l’environnement :
- La motivation
- La régulation de soi et de ses comportements
- La création et l'appartenance à des systèmes sociaux.
Selon la théorie sociale cognitive, l’adoption de comportements par un individu peut être directement liée à l’observation d’autrui dans le contexte d’interactions sociales, d’expériences et d’influences médiatiques extérieures.
Lorsque les gens observent un modèle qui exécute un comportement et les conséquences de ce comportement, ils se souviennent de la séquence des événements. Ils utilisent cette information pour guider leurs comportements ultérieurs.
L’observation d’un modèle peut également inciter un observateur à adopter un comportement qu’il a déjà appris s'il se sent proche de lui. De plus, selon que les personnes sont récompensées ou sanctionnées pour leur comportement et selon le résultat de ce comportement, l’observateur peut choisir ou non de reproduire le comportement modélisé.
Le comportement des élèves en classe
De nombreuses dimensions de l’adolescence et des développements qui lui sont liés vont avoir une incidence sur le comportement des élèves en classe. Notamment, il existe une influence accrue des pairs.
Il est utile de comprendre comment les jeunes développent un sens de la responsabilité sociale et de l’autorégulation. Il est utile pour un enseignant de comprendre comment ils apprennent à se gérer de manière à soutenir ce processus efficacement.
La théorie sociale cognitive de Bandura (1986) peut nous guider dans la sélection et la mise en œuvre, au niveau de la gestion de classe, de pratiques et de stratégies. Nous voulons que celles-ci puissent encourager les élèves à développer un comportement approprié en classe.
La théorie sociale cognitive de Bandura (1986) propose un modèle pour expliquer comment les individus intériorisent les règles sociales et adoptent des comportements.
En classe, des élèves sont susceptibles d’adopter des comportements spécifiques, même lorsqu’ils sont indésirables et ne correspondent pas aux attentes communes. Ils peuvent parfois être reproduits et adoptés par des élèves à la suite de l’observation de pairs qui les expriment en classe.
Il apparait que la reproduction spontanée du comportement est fonction de deux conditions principales :
- Les conséquences et les résultats de ces comportements doivent être valorisés. Il y a des avantages à les adopter en matière d’incitation ou de récompense.
- Pour l’enseignant, cela implique de faire en sorte que cette valorisation ne soit plus présente. Il doit être plus facile et bénéfique pour l’élève d'exprimer le comportement attendu que le comportement perturbateur.
- L’observateur doit se sentir lui-même suffisamment capable d’adopter ce comportement. Des facteurs tels que le statut, la compétence, le pouvoir et la similarité du modèle avec l’observateur sont favorables à l’adoption.
- Pour l’enseignant, cela implique d’intervenir dès la première perturbation d’un type donné. Il faut éviter que des modèles de ces comportements soient présents en classe.
Des comportements perturbateurs en classe, comme des bavardages, peuvent avoir tendance à être adoptés par de plus en plus d’élèves si :
- Ils présentent un avantage, comme celui d’échanges sociaux agréables, pour l’élève qui les exprime.
- Un élève observe des pairs, dont il se sent proche ou auxquels il s’identifie, manifester ce comportement.
Pour éviter la contagion des bavardages, un enseignant doit par conséquent à la fois en faire disparaitre les bénéfices et agir dès les premières occurrences pour éviter les modèles.
Enseignement explicite du comportement et apprentissage social
Dans le cadre de l’enseignement explicite du comportement, il est important que les élèves puissent :
- Observer des modèles pour les comportements attendus en contexte scolaire :
- L’enseignant assure le modelage du comportement et le fait pratiquer par ses élèves.
- Voir que l’expression de tels comportements est valorisée socialement :
- L’enseignant associe les comportements attendus aux valeurs, aux finalités et à la culture de l’école dont les élèves seront bénéficiaires.
- Constater que l’adoption du comportement est favorable :
- L’enseignant délivre une rétroaction positive spécifique à leur sujet, voire une rétroaction corrective si nécessaire.
Dans la perspective de l’apprentissage social, plus particulièrement dans la théorie sociale cognitive, des observateurs d’un comportement peuvent décider de reproduire ce qu’ils voient si le comportement observé semble satisfaisant ou conforme à leurs normes personnelles.
Lorsque ces différentes conditions sont respectées, elles contribuent au développement de comportements adéquats chez les élèves en soutenant leur auto-efficacité sociale. La manifestation de comportements adéquats, modelés, pratiqués, valorisés et renforcés, contribue au développement d’une auto-efficacité sociale positive.
En retour, ces démarches soutiennent la socialisation des élèves et désamorcent l’apparition de tensions, avec d’autres bénéfices à la clé :
- Les élèves qui se sentent socialement efficaces dans le contexte scolaire vont tendre à résoudre les problèmes par le compromis et l’équité.
- Les élèves qui se sentent socialement inefficaces et se perçoivent comme agressifs vont avoir tendance à intensifier les conflits et à les résoudre par des moyens coercitifs ou physiques (Bandura, 1997).
Dans le cadre de sa théorie sociale cognitive, Albert Bandura décrit plus spécifiquement trois manières par lesquelles un individu peut apprendre de nouveaux comportements en prenant comme source l’entourage (Henri & Plante, 2019). Ces trois manières peuvent être interprétées pour un élève en classe :
- L’apprentissage vicariant est celui qui résulte de l’imitation par l’observation par un élève d’un pair qui exécute le comportement à acquérir. Il imite les modèles de comportement qui font l’objet de récompenses et non de punitions.
- La facilitation sociale désigne l’amélioration de la performance de l’individu sous l’effet de la présence d’un ou de plusieurs observateurs ce qui conduit à privilégier dans de nombreux cas les formations en groupe.
- L’anticipation cognitive est l’intégration d’une réponse par raisonnement ou extrapolation à partir de situations similaires. Le comportement est lié à l’orientation vers un but.
Le cadre de l’enseignement explicite du comportement permet d’agir sur ces trois manières de soutenir l’adoption de comportements attendus.
Prendre en compte la dimension de l’autolimitation dans le comportement des élèves en classe
Selon la théorie de l’apprentissage social, l’autolimitation du comportement, qui est le fait de se conformer par choix à des normes — peut être obtenue par :
- L’expérience des règles sociales qui comportent la menace d’une punition (contrôle externe)
- La mobilisation de règles internes qui se développent au fur et à mesure du développement d’une personne avec :
- La capacité d’anticiper les sanctions en comprenant les attentes.
- Le contrôle des impulsions nécessaire pour inhiber l’expression d’un comportement inapproprié.
Les normes qu’adopte une personne et l’observation du comportement des autres influent sur le développement et la mise en œuvre de l’autolimitation (Bandura, 1986).
Progressivement, le contrôle externe exercé par l’enseignant devient moins nécessaire à mesure qu’apparaissent des normes autodéterminées qui aident à guider le comportement. L’idée est que l’élève apprend, adopte et intègre les normes et les comportements attendus à l’école, ce qui lui permet d’autolimiter son comportement sans devoir faire l’expérience des interventions de l’enseignant.
L’environnement personnel de l’élève influe sur les règles qui sont intériorisées, ce qui explique en partie les différences apparentes en matière de maîtrise de soi :
- Au départ, pour la plupart des adolescents, les règles de conduite généralement acceptées sont celles qui ont déjà été intériorisées précédemment.
- Les adolescents qui sont élevés dans des contextes familiaux en décalage avec les normes de l’école risquent d’adopter des normes internes qui ne sont pas alignées avec celles de l’école.
L’école est ainsi amenée à partager, enseigner et faire apprendre son propre système de normes afin qu’il soit intériorisé par les élèves et leur permette d’exercer leur autolimitation.
Dans l’établissement des comportements attendus, le contrôle externe sera nécessaire dans un premier temps puis pourra disparaitre ensuite. C’est ce qui impose à l’enseignant d’être particulièrement vigilant en début d’année scolaire. Le système interne d’autolimitation prend ensuite le relais pour maintenir le comportement dans les limites maintenant comprises et définies par l’individu.
L’autolimitation peut toutefois être affaiblie dans plusieurs conditions, dont certaines peuvent se manifester en classe :
- Par exemple, la responsabilité d’un comportement individuel peut être diffuse parce que l’individu fait partie d’un groupe plus large qui adopte ce comportement (Bandura, 1990). Cela implique pour l’enseignant d’agir sur un comportement perturbateur avant qu’il ne diffuse et soit adopté par différents élèves. En effet, lorsque c’est le cas, les élèves sentent déresponsabilisés de leur propre adoption de ce comportement perturbateur. L’autolimitation ne joue plus pleinement son rôle.
- Dans ces situations, les élèves peuvent apprendre à blâmer les autres et à rejeter la faute sur eux pour leurs actions personnelles, ce qui contribue également à déresponsabiliser l’acte. « Il m’a forcé à le faire » et « Pourquoi est-ce que tu me reproches d’avoir fait ça ? Plein d’autres élèves le font aussi » sont des manifestations orales de ce type de raisonnement.
Le même comportement peut être acceptable dans une situation donnée, mais pas dans une autre, de sorte que les indices sociaux sur ce qui est acceptable ou non jouent un rôle important dans la régulation du comportement (Bandura, 1986). Ainsi, des élèves peuvent se comporter très différemment d’un enseignant à l’autre.
Le fait de parler à bâtons rompus dans un groupe peut être considéré comme acceptable et souhaitable si le groupe se trouve dans un lieu public tel qu’un réfectoire. Ce même comportement n’est pas souhaitable dans de nombreuses activités en classe. Par conséquent, l’enseignant doit attirer l’attention des élèves sur les indices qui aident à clarifier les comportements considérés comme acceptables.
La théorie de l’apprentissage social permet également de mieux comprendre les effets des règles et des pratiques mises en place par les enseignants :
- Lorsque les enseignants utilisent des sanctions pour réduire le comportement, la probabilité que leurs normes soient acceptées dépend de différents facteurs :
- Le type de sanction utilisé et leur mode d’application.
- La qualité de la relation élève-enseignant
- La manière de partager et transmettre les normes scolaires et les comportements attendus.
- La cohérence et la cohésion au sein de l’équipe éducative.
- Si les sanctions sont utilisées de manière efficace, par exemple dans le cadre d’un enseignement explicite du comportement avec renforcement positif, les normes peuvent être apprises et le contrôle social peut être atteint rapidement. Le comportement socialement désirable se diffuse et les comportements perturbateurs à la source des sanctions peuvent être évités.
- À l’opposé, il est également possible que des actes aversifs utilisés comme punition soient appris et copiés par les élèves, plutôt que d’agir comme un moyen de dissuasion pour les actes inacceptables. Par exemple, un enseignant qui réagit négativement et avec émotion à des perturbations en classe peut favoriser des interactions aversives initiées par ses élèves. C’est le piège de la coercition.
L’influence des pairs dans le cadre de la théorie sociale cognitive
Les pairs ont une influence considérable sur les normes sociales que les élèves adoptent, ce qui peut affecter le développement de leur maîtrise de soi.
Les pairs les plus accomplis et reconnus fournissent des modèles aux autres, que les réalisations soient scolaires, sportives ou délinquantes.
Par exemple, le groupe de pairs a un effet important sur le tabagisme, la consommation d’alcool ou les comportements sexuels des adolescents. Les pairs, plus que les autres, ont tendance à renforcer un stéréotype positif pour l’alcool et le tabac, et à augmenter la volonté des autres de s’engager dans ces activités (Blanton, et coll., 1997).
La modélisation par les pairs et son effet sur le comportement revêtent une importance particulière à l’école. En effet, les adultes sont beaucoup moins nombreux et les élèves choisis comme leaders ne sont pas toujours des modèles prosociaux souhaitables, du moins du point de vue des adultes.
Dans une étude, des élèves de sexe masculin et féminin de 10 à 13 ans ont estimé que les pairs qu’ils percevaient comme antisociaux étaient les leaders les plus forts (Schonert-Reichl, 1999). Bien que considérés comme antisociaux, ces leaders avaient tendance à faire partie de ceux qui étaient les plus conscients du comportement moral. Cela suggère que la connaissance d’une conduite souhaitable ne garantit pas que ces comportements seront adoptés.
Les informations sur la modélisation et l’influence des pairs sont cruciales, car les enseignants doivent être conscients de la manière dont les élèves s’influencent mutuellement en classe.
Il est peu probable que le simple fait d’informer les élèves des règles et des sanctions en cas de non-respect de celles-ci suffise à susciter un niveau élevé de comportement conforme chez de nombreux adolescents.
Implications de la théorie sociale cognitive pour la gestion de classe
La théorie sociale cognitive met en évidence des facteurs importants dans le développement de l’autolimitation. Les enseignants peuvent utiliser ces facteurs dans le cadre de l’élaboration d’un plan de comportement.
Les enseignants doivent se rappeler que le comportement observé a plus de chances d’être imité si le modèle est récompensé pour ce comportement.
Alors que la gestion de la classe se concentre souvent sur les transgresseurs, il est crucial de remarquer et de mettre en évidence ceux qui respectent les règles. Se concentrer sur le positif peut être l’un des meilleurs moyens d’aider les adolescents à développer des comportements socialement acceptables (Granger, 2002 ; Lerner & Dowling, 2002).
Les modèles qui ressemblent aux observateurs sont les plus susceptibles d’être limités. Le fait de remarquer le comportement positif d’élèves qui diffèrent par leur sexe, leur taille, leur origine, leurs qualités athlétiques et leurs aptitudes scolaires, entre autres attributs est pertinent. Cela offre un large éventail de modèles à suivre pour les autres élèves.
La cohérence dans l’utilisation des récompenses et des punitions est également importante afin que les conséquences des comportements du modèle soient sans ambiguïté.
La responsabilité personnelle des actions peut être diffusée dans un groupe (Bandura, 1990). Par conséquent, les enseignants doivent agir tôt. Ils doivent le faire avant que les comportements inappropriés ne se répandent. Il s’agit de pouvoir maintenir la responsabilité des individus pour leurs actions dès le départ, et intervenir avant que les modèles de comportements inappropriés ne commencent à être récompensés.
Mis à jour le 01/04/2024
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