lundi 2 octobre 2023

Une évaluation formative au service des apprentissages

Mieux comprendre les notions d’évaluation formative et de régulation des apprentissages.

(Photographie : Michael Nordeman)



Distinguer l’évaluation au service des apprentissages de l’évaluation formative


Dans certains contextes, les évaluations qui sont utilisées pour soutenir l’apprentissage sont décrites sous le titre général d’évaluation au service des apprentissages (par opposition à évaluation des apprentissages). 

Cela suggère un processus, plutôt qu’une description de la nature de l’évaluation elle-même. Le danger ici est que l’accent soit mis sur l’intention derrière l’utilisation de l’évaluation, plutôt que sur l’action qui a réellement lieu (Wiliam & Black, 1996). 

De nombreux pédagogues utilisent indifféremment les termes « évaluation au service des apprentissages » et « évaluation formative ». Black et ses collègues (2004) font cependant la distinction suivante entre les deux :
  • L’évaluation au service des apprentissages est toute évaluation dont la priorité dans sa conception et sa pratique est de servir l’objectif de promotion de l’apprentissage des élèves. 
  • L’évaluation au service des apprentissages diffère donc de l’évaluation conçue principalement à des fins de responsabilité, de classement ou de certification des compétences. 
  • Une activité d’évaluation peut favoriser l’apprentissage si elle fournit des informations qui seront utilisées comme un retour d’information par les enseignants et par leurs élèves, pour s’évaluer et s’évaluer mutuellement. L’enjeu est de modifier les activités d’enseignement et d’apprentissage dans lesquelles ils sont engagés. 
  • Une évaluation au service des apprentissages devient une évaluation formative lorsque les preuves sont effectivement utilisées pour adapter le travail d’enseignement afin de répondre aux besoins d’apprentissage. 
Dans cette perspective, l’évaluation formative est un sous-ensemble de l’évaluation au service des apprentissages.



Rendre un évaluation réellement formative


Le qualificatif de formatif que l'on trouve dans l'expression évaluation formative ne se réfère pas à l’évaluation. Il ne se réfère pas non plus à l’objectif de l'évaluation elle-même. Le qualificatif formatif se réfère à la fonction que l’évaluation remplit réellement. 

Dès lors, une évaluation est formative dans la mesure où les informations qu’elle fournit sont réinjectées dans le système. Elles sont utilisées pour améliorer les performances du système d’une manière ou d’une autre. L’évaluation formative détermine la direction de l’amélioration par le biais d'une rétroaction.  Dès lors, si ce n'est pas le cas l'evaluation ne remplit pas sa fontion.

Prenons un contre-exemple frappant de ce qui ne serait pas une évaluation formative en accord avec de principe :
Imaginons qu’à la suite des résultats d’une évaluation, un enseignant dise à l’un de ses élèves qu’il doit se mettre sérieusement au travail et fournir des efforts. Admettons que l’élève en tienne compte et que par conséquent, il améliore effectivement ses performances à l’évaluation sommative suivante. Dans ce cas de figure, il ne s’agit pas d’une évaluation formative. 

Pourtant, nous pouvons reconnaitre que le retour d’information donné par l’enseignant s’est révélé causal dans ce cas, dans le sens où il a déclenché chez l’élève une prise de conscience qui a déclenché l’amélioration des performances.

Toutefois, le processus ne répond pas au principe d'une dimension formative. Les décisions sur la manière de s’investir plus en profondeur sont laissées à l’initiative de l’élève. Dire aux élèves de travailler plus ou de travailler mieux n’est pas formatif car la demande est vague et général. Les élèves doivent deviner spécifiquement ce qu'il convient de faire, cette information n'est pas communiquée et pour cette raison l'évaluation n'est pas formative.

Prenons d'autres contre-exemples plus ambigus : 
Imaginons qu’à la suite des résultats d’une évaluation, un enseignant recommande à certains de ses élèves  de « donner plus de détails », « de mieux structurer leurs réponses », ou « d’approfondir leur raisonnement » pourraient être formatifs. Suite à ce commentaires, certains élèves peuvent réagir et progresser.

Dans cette situation, l'évaluation ne serait formative que si les élèves savent exactement ce que cela signifie et comment s’entrainer pour mieux le réaliser. Les élèves doivent pouvoir directement reliever les commentaires généraux de l'enseignant à des démarches spécifiques explicitées précédemment par l'enseignant dans le cadre du cours. Si ce n'est pas le cas et que les commentaires sont perçus comme généraux et que l'élève doit trouver par lui-même comment réagir, l'évaluation n'est pas formative. 

Dans l'absolu, le fait est qu’il est peu probable que ce soit le cas. En effet, si les élèves savent quels efforts et quels processus exacts sont requis, comment structurer leurs réponses ou approfondir leur raisonnement, ils l’auraient probablement fait dès la première fois. 

Par conséquent, l'évaluation n'est formative pour les élèves si en retour, ils reçoivent une rétroaction spécifique qui leur indique les action et les démarches spécifiques à entreprendre pour s'améliorer. Cette rétroaction ne peut supposer que les élèves savent ou puissent devenir comment progresser à partir de leur situation actuelle.




Une évaluation formative n’est pas prédictive, mais effective


Une évaluation formative se veut avant tout au service des apprentissages. Lorsque les enseignants s’investissent dans des démarches d’évaluation formative en classe, une première perception de ses effets et du retour d’information qu’elle génère est sa qualité prédictive. Elle leur permet de prédire avec un bon degré de certitude les élèves susceptibles d’échouer et ceux partis pour réussir sans encombre, lors d’une future évaluation standardisée ou lors d’une évaluation sommative future.

En réalité à ce niveau, nous nous trouvons au niveau de la fonction diagnostique de l’évaluation et non au niveau de la fonction formative. Une évaluation, dont la seule valeur ajoutée est mettre en évidence quels élèves sont en danger d’échec ultérieur, même si l’information est communiquée aux élèves et à leurs parents, n’est pas une évaluation formative.

Une évaluation est formative, non pas quand elle est diagnostique ou prédictive, mais quand elle est effective. 

Par « effective », en se référent au sens du terme, nous entendons :
  • « qui crée un effet réel »
  • « qui produit un résultat réel »
  • « qui se traduit par un effet, par des actes réels. »
  • « qui apporte une aide effective »
  • « concret, positif, réel, tangible »
Une évaluation ne devient réellement formative que lorsqu’elle est effective : le retour d’information qui en découle est formellement utilisé pour améliorer la qualité de l’apprentissage auprès des élèves concernés ou au niveau de l’enseignement prodigué.

Pour être formative, l’évaluation doit générer une rétroaction concrète, tangible et positive qui doit communiquer des pistes d’actions spécifiques menant à des actions pratiques à échéance courte.

L’évaluation formative a une dimension explicite lorsque la rétroaction qui en est générée identifie des activités spécifiques, sous l’éclairage de l’expertise de l’enseignant, que l’élève va entreprendre.

L’évaluation formative peut également avoir une dimension implicite dans la mesure où elle concourt avec d’autres démarches à l’établissement d’une culture de l’apprentissage, dans laquelle les élèves développent de bonnes habitudes de travail. Dans ce cadre, les élèves peuvent développer des compétences d’apprentissage autorégulé. Ils savent que c’est leur responsabilité d’incorporer la rétroaction fournie par leur enseignant dans leurs activités d’apprentissage autonome.

L’apprentissage de la dimension implicite de l’évaluation formative par les élèves s’apprend à travers l’expérience concrète de sa dimension explicite. 

Lorsque l’enseignant s’appuie sur des recettes implicites, il lui incombe de vérifier que la compréhension de la culture de la classe par les élèves est la même que celle de l’enseignant. Il doit s’assurer que les élèves prendront en compte la rétroaction qu’il leur fournit et la traiteront effectivement. Développer l’autonomie de l’élève dans le cadre de l’évaluation formative bénéficiera d’un cadre d’enseignement explicite des stratégies concernées.



Distinction entre fonction formative et fonctions sommative ou diagnostique et association avec la rétroaction



Mettre en évidence la spécificité de l’évaluation formative


Lorsque l’on parle d’évaluation formative, il est important de comprendre que la perspective est toute autre que celle des fonctions 

Une évaluation sommative contrôle l’apprentissage dans la mesure où elle fournit des informations sur ce que font les élèves, sur les résultats de la classe, de l’enseignant, de l’école ou du système. 

Une évaluation est diagnostique dans la mesure où elle fournit des informations sur ce qui ne va pas. Si nous prenons la perspective de l’évaluation diagnostique, tous les diagnostics ne sont pas exploitables sur le plan pédagogique. Une évaluation peut diagnostiquer avec précision ce qui nécessite une attention particulière sans indiquer ce qui doit être fait pour résoudre le problème. 

Une évaluation est formative dans la mesure où elle fournit des informations sur ce qu’il faut faire et que ces actions sont effectivement mises en œuvre par les principaux intéressés que sont les enseignants et leurs élèves. L’utilisation du terme formatif fait référence à la manière dont les expériences formatives d’un individu le façonnent. 

Les évaluations formatives sont celles qui façonnent l’apprentissage et l’enseignement.


La rétroaction comme élément clé de l’évaluation formative


Dès lors, l’élément clé de l’évaluation formative est la rétroaction. Selon Ramaprasad (1983), une caractéristique déterminante de la rétroaction est qu’elle a un impact sur la performance du système. Une information qui n’a pas la capacité d’améliorer la performance du système n’est pas une rétroaction. Le retour d’information est une information sur l’écart entre le niveau réel et le niveau de référence d’un paramètre du système, qui est utilisée pour modifier cet écart d’une manière ou d’une autre.

Dans cette optique, les évaluations formatives et la rétroaction qui leur est associée ne peuvent être séparées de leurs conséquences pédagogiques. Les évaluations ne sont formatives que dans la mesure où elles ont un impact sur l’apprentissage.

L’autre caractéristique importante de la définition de la rétroaction par Ramaprasad (1983) est qu’elle attire l’attention sur trois processus pédagogiques clés : 
  • Établir où en sont les apprenants dans leur apprentissage 
  • Déterminer où ils doivent arriver 
  • Déterminer ce qui doit être fait pour qu’ils y arrivent. 



Un nécessaire partage des rôles dans le modèle de l’évaluation formative


Traditionnellement, l’évaluation formative et la rétroaction ont pu être considérées comme le rôle de l’enseignant, mais nous devons également prendre en compte celui que les apprenants eux-mêmes, et leurs pairs jouent dans ces processus.

Le cadre de l’évaluation formative permet de réfléchir aux stratégies clés impliquées.

L’évaluation formative peut être conceptualisée comme consistant en cinq stratégies clés et une grande idée formant un modèle. 

Les cinq stratégies clés sont :
  1. Clarifier et partager les intentions d’apprentissage et les critères de réussite ; 
  2. Mettre en place des discussions, des questions et des tâches d’apprentissage efficaces en classe 
  3. Fournir une rétroaction qui fait avancer les apprenants
  4. Activer les étudiants en tant que ressources pédagogiques les uns pour les autres  
  5. Faire en sorte que les élèves prennent la responsabilité de leur propre apprentissage. 
La grande idée est que les preuves de l’apprentissage des élèves sont utilisées pour ajuster l’enseignement afin de mieux répondre aux besoins des élèves. En d’autres termes, l’enseignement s’adapte aux besoins d’apprentissage des élèves. 



L’évaluation formative dans le cadre de la régulation de l’apprentissage 


Le modèle de l’évaluation formative peut être intégré dans le cadre théorique plus général de la régulation des processus d’apprentissage, comme le suggère Perrenoud (1998). La régulation s’entend à la manière dont un thermostat régule la température d’une pièce. 

Dans un tel cadre, les actions de l’enseignant, des apprenants et du contexte de la classe sont toutes évaluées par rapport à l’orientation de l’apprentissage vers le but recherché. 

Dans ce contexte, les enseignants ne créent pas l’apprentissage, seuls les apprenants peuvent créer l’apprentissage. 

Dans le passé, cela a donné lieu à des appels en faveur d’une évolution du rôle de l’enseignant, vers celui d’un accompagnateur et d’un facilitateur. Le danger d’une telle caractérisation est qu’elle est souvent interprétée comme déchargeant l’enseignant de la responsabilité de s’assurer que l’apprentissage a lieu. 

La proposition du modèle de l’évaluation formative est que l’enseignant soit considéré comme responsable de l’ingénierie d’un environnement d’apprentissage, tant dans sa conception que dans son fonctionnement.
 
Les principales caractéristiques d’un environnement d’apprentissage efficace sont de :
  • Susciter l’engagement des élèves dans des traitements cognitifs génératifs.
  • Réguler l’apprentissage des élèves de manière à tenir compte de la charge cognitive et de la consolidation des connaissances et compétences.
En matière de régulation, nous pouvons définir deux composantes :
  • Une régulation proactive qui permet l’apprentissage prévu. C’est la régulation de l’activité dans laquelle l’élève s’engage qui est conçue en amont du cours par la mise en place de situations didactiques ou par l’intermédiaire du guidage de l’enseignant.
  • Une régulation interactive qui apporte des ajustements appropriés si l’apprentissage prévu n’a pas lieu. 
La première est évidente et directement visible. La seconde suppose de pouvoir disposer d’un modèle de l’apprentissage en sciences cognitives qui peut parfois faire défaut. 

L’absence de modèle psychologique de l’apprentissage peut entrainer le risque d’une confusion entre activités et objectifs d’apprentissage. Mettre en activité les élèves sur un sujet donné n’induit pas nécessairement le développement d’un apprentissage. 

D’une certaine manière, c’est compréhensible, car seules les activités peuvent être manipulées directement. Néanmoins, il est important que les enseignants développent leurs pratiques d’évaluation formative et leur conception sur le fonctionnement de la mémoire. L’accent tend alors à se déplacer de la régulation des activités vers la prise en compte des objectifs d’apprentissage. Dans le cadre de cette régulation, les élèves s’engagent vers l’apprentissage qui en résulte (Black, Harrison, Lee, Marshall, & Wiliam, 2003). 



La régulation interactive et rétroactive de l’apprentissage au cœur de l’évaluation formative


La régulation interactive est au cœur de l’évaluation formative. Elle a lieu lorsque l’enseignant, en planifiant son cours, crée des questions, des incitations ou des activités qui suscitent des réponses de la part des élèves. L’enseignant peut utiliser ces réponses pour déterminer la progression de l’apprentissage et, si nécessaire, faire des ajustements. 

La planification en amont de bonnes questions crée, en aval, la possibilité que les activités planifiées soient pleinement appropriées. 

Ces questions ou invites seront des questions ouvertes ou fermées exigeant une réflexion de haut niveau et interroger les conceptions des élèves. Elles sont particulièrement importantes lors des moments charnières. Ce sont des points de la séquence pédagogique où l’enseignement peut prendre des directions différentes en fonction des réponses des élèves. Ils sont au cœur de la régulation de l’apprentissage.

Ces moments de régulation interactive surviennent :
  • Continuellement dans l’enseignement en classe entière, où les enseignants doivent constamment donner un sens aux réponses des élèves, les interpréter en matière de besoins d’apprentissage et apporter des réponses appropriées. 
  • Également lorsque l’enseignant circule dans la classe, qu’il examine le travail de chaque élève et qu’il observe dans quelle mesure les élèves sont « sur la bonne voie ».
Il existe des différences importantes dans la manière dont ces informations sont utilisées. Aux États-Unis, l’enseignant intervient généralement auprès d’élèves individuels lorsqu’ils semblent ne pas être « sur la bonne voie ». Au Japon, il est beaucoup plus probable que l’enseignant observe attentivement tous les élèves, tout en faisant le tour de la classe, puis qu’il sélectionne quelques questions majeures à discuter avec l’ensemble de la classe.

L’une des caractéristiques d’un enseignement qui intègre l’évaluation formative est qu’il peut changer de cap à la lumière des preuves de la progression de l’apprentissage. Mais cette capacité dépend de la préparation en amont de bonnes questions qui permettent une régulation en aval. Les questions doivent fournir à l’enseignant des informations utiles sur la pensée et l’apprentissage des élèves.

Lorsque l’enseignant analyse les réponses, travaux et évaluations formatives des élèves, et s’emploie à leur donner un retour utile sous la forme de commentaires sur la manière de s’améliorer plutôt que de notes ou de pourcentages. 

Il est important qu’une attention suffisante soit accordée « en amont » à la conception des tâches données aux élèves de manière à ce qu’elles suscitent une réflexion conceptuelle de la part des élèves. Sans cela, l’enseignant pourrait alors constater qu’il n’a rien d’utile à dire aux élèves.

La régulation rétroactive correspond à la situation où lorsque l’enseignant examine les réponses des élèves à la tâche, il se retrouve en mesure de juger comment : 
  • Aider les apprenants à mieux apprendre l’an prochain
  • Améliorer la planification future de son enseignement de ce sujet l’année prochaine 
De cette manière, l’évaluation peut être formative pour les élèves, grâce au retour d’information qu’elle fournit, et formative pour l’enseignant lui-même. La condition est qu’une analyse appropriée des réponses des élèves puisse indiquer comment améliorer son cours.


Mis à jour le 01/03/2024

Bibliographie


Wiliam, D; Thompson, M; (2008) Integrating Assessment with Learning: What Will It Take to Make It Work? In: Dwyer, CA, (ed.) The Future of Assessment: Shaping Teaching and Learning. (pp. 53-82). Routledge : New York, NY, USA. 

Ramaprasad, A. (1983). On the definition of feedback. Behavioural Science, 28(1), 4-13.

Wiliam, D. & Black, P. J. (1996). Meanings and consequences: A basis for distinguishing formative and summative functions of assessment? British Educational Research Journal, 22(5), 537-548. 

Black, P., Harrison, C., Lee, C., Marshall, B., & Wiliam, D. (2004). Working inside the black box: Assessment for learning in the classroom. Phi Delta Kappan, 86(1), 8-21. 

Perrenoud, P. (1998). From formative evaluation to a controlled regulation of learning. Towards a wider conceptual field. Assessment in Education: Principles, Policy, and Practice, 5(1), 85-102. 

Black, P., Harrison, C., Lee, C., Marshall, B., & Wiliam, D. (2003). Assessment for learning: Putting it into practice. Buckingham, UK: Open University Press.

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