lundi 16 octobre 2023

Planifier des apprentissages durables

La planification est importante dans la conception de l’enseignement en classe, elle l’est tout autant dans les démarches d’apprentissage autonome qui en découlent.

(Photographie : nonotnow)



Dépasser la perspective d’un apprentissage centré sur la performance aux évaluations


Les élèves se lamentent souvent du fait qu’une grande partie de ce qu’ils étudient pour leurs évaluations sommatives implique une mémorisation à courte portée valable pour la date de l’examen, mais qui s’étiole rapidement ensuite. 

Une grande partie de ce qu’ils auront étudié par le biais du bachotage, dans la dernière ligne droite face à l’évaluation, sera tout simplement oubliée quelques jours, ou semaines après l’examen dans le meilleur des cas. 

Ce constat n’est que le compte-rendu d’un phénomène depuis longtemps clairement mis en évidence en psychologie cognitive : la courbe de l’oubli. 

Un nouvel apprentissage est sujet à un oubli important, qui est particulièrement rapide dans les premières heures ou les premiers jours. Comme le montre la figure, un ensemble typique d’informations peut être soumis à un oubli de plus de 80 % en l’espace d’un mois seulement.





Il est possible de freiner l’oubli au fur et à mesure par une pratique de récupération accompagnée de rétroaction répétée et distribuée dans le temps imparti. Cela permet de rendre peu à peu les apprentissages plus durables.



Cinq pistes de conception pédagogique pour favoriser la mémorisation des informations essentielles lors de l’enseignement


L’enseignement adopte souvent une structure répétitive dans un cadre routinier. Les élèves sont assis au même endroit et écoutent le même enseignant dans le même environnement d’une semaine à l’autre. 

Cependant, nous pouvons invoquer le principe du contexte qui fait qu’un apprentissage effectué dans plusieurs contextes sera plus facilement accessible ultérieurement qu’un apprentissage effectué dans un seul contexte. De même, le principe de variation indique qu’un meilleur apprentissage s’effectue lorsque nous varions le contexte dans l’apprentissage lui-même.

Une première piste évidente qui permet l’introduction du contexte et de la variation est le principe du double codage. Le double codage correspond au principe selon lequel l’apprentissage d’informations par le biais de deux modalités (par exemple, visuelle et auditive) stimule la mémorisation.

Une deuxième piste est le fait qu’enseigner la même idée de différentes manières, par le biais d’explications et d’activités, peut être également utile. De même, il est bénéfique de renforcer progressivement les points par une variété de supports, ce qui favorisera l’établissement naturel de liens dans des contextes variés. 

Une troisième piste est que nous devons également introduire les idées les plus importantes au moment où les apprenants y sont le plus réceptifs. Dans le rappel d’une liste de mots, les premiers mots perçus (effet de primauté) et les derniers mots (effet de récence) sont les mieux retenus, les mots en milieu de liste le sont moins bien (Murdock, 1962). Lorsqu’il s’agit de l’échelle d’un module de cours, les apprenants sont susceptibles de se souvenir de leur premier jour et de leurs derniers cours. Ils vont moins bien se souvenir des autres, et il en va de même au sein d’une classe ou d’une activité. 

Une quatrième piste prend la forme de l’effet Von Restorff qui souligne l’importance du caractère distinctif. Par exemple, un élément inhabituel qui se démarque d’un ensemble peut être mieux mémorisé. Cet élément distinctif est plus susceptible d’être retenu. Il engendre ainsi un biais cognitif qui favorise la mémorisation de ce qui est inhabituel, distinctif. Il semble que la saillance perceptive ainsi qu’une certaine attention accordée à l’objet isolé sont nécessaires pour améliorer la mémoire. 

Une cinquième piste est liée indirectement à l’effet de primauté. Tulving (1983) note que la mémoire à long terme épisodique, liée aux souvenirs des événements de la vie, présente également ce phénomène. Par conséquent, plutôt que d’utiliser l’attention focalisée des apprenants au début pour entamer le cours par une mise en situation attrayante, un enseignant pourrait commencer par un quiz qui réactive les préalables essentiels au cours. Ensuite, l’enseignant introduit l’objectif d’apprentissage énoncer trois ou quatre points cruciaux pour la leçon avant même de dire quoi que ce soit d’autre. Il peut par la suite prendre le temps de remplir des fonctions administratives ou organisationnelles, lorsque le niveau d’attention des élèves a baissé. 



Favoriser un apprentissage durable des informations essentielles grâce à une pratique distribuée


Au-delà de la planification d’une seule leçon, nous sommes confrontés au problème de la meilleure façon d’enseigner un programme donné sur une période réduite de manière afin d’aboutir à un apprentissage durable.

Nous avons deux facteurs d’action :
  • Nous pouvons exercer un jugement professionnel sur l’ordre et la nature des tâches dans lesquelles nous impliquons les élèves et viser à maximiser les occasions de traiter cognitivement un contenu significatif pour l’apprentissage.
  • Nous pouvons revenir sur les éléments essentiels en activant l’effet d’espacement. Nous pouvons nous assurer que l’apprentissage d’un concept particulier est divisé en au moins deux parties espacées de quelques mois, ou revenir régulièrement sur ces éléments essentiels par le biais de quiz ou de devoirs. 

S’engager dans ces directions demande de lutter contre une tendance naturelle à l’organisation et à la compartimentation. Nous avons tendance naturellement à catégoriser, à hiérarchiser, à ordonner les éléments chronologiquement et à ne pas espacer les contenus. En effet, ces démarches ajoutent une charge cognitive pour l’enseignant en matière d’organisation. Il est en effet plus simple d’aborder un seul sous-thème/texte/théorie dans une seule leçon. La crainte de couvrir le sous-thème dans plus d’une leçon revient essentiellement à l’impression de devoir l’enseigner deux fois, ce qui prendrait donc trop de temps. 

Si le besoin d’organisation est réel, l’aspect consommateur de temps n’est pas valide, car l’espacement maintient les autres variables constantes, y compris le temps d’apprentissage.

De même, si nous consacrons moins de temps à la matière dans son ensemble, mais accentuons sur l’élaboration et la récupération des éléments essentiels au fil du temps, l’apprentissage espacé serait toujours plus efficace. En effet lorsque des élèves intègrent mieux les éléments essentiels, l’apprentissage et l’enseignement s’accélèrent au fur et à mesure. Paradoxalement, introduire judicieusement plus d’espacement devrait aboutir à économiser du temps.

L’oubli initial après une première étude est rapide, mais ralentit au fil des récupérations réussies. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles l’effet d’espacement est si efficace dans le cadre d’une pratique distribuée. Cela implique également que le fait de ne pas espacer va conduire à une chute spectaculaire de ce que nos élèves sont capables de faire, même après quelques jours seulement.



Intégrer l’effet Zeigarnik dans le cadre du modelage


Un modelage ou une explication brève ou incomplète peuvent être inefficaces. Si nous voulons utiliser l’espacement, la pratique de récupération ou l’entremêlement, il est essentiel de bien apprendre un nouveau concept ou une nouvelle compétence en bloc pendant les premiers stades. 

Une explication complète gagne rarement à être divisée en deux ou plusieurs morceaux plus courts espacés dans le temps. Par contre, elle gagne à l’être dans un temps continu. Toutefois, l’engagement des élèves et leur intérêt situationnel importent.

Une explication complète énoncée simplement court le risque de ne pas être distinctive. Une question ou un défi ont souvent plus de poids qu’un objectif d’apprentissage platement présenté en introduction. Le sentiment d’une explication incomplète a un effet positif plus influent sur la mémoire qu’une explication complète. Ce sentiment éveille un intérêt situationnel et canalise l’attention. 

Bluma Zeigarnik (1927) a montré que le personnel des restaurants se souvenait mieux par la suite des commandes incomplètes que de celles qui avaient déjà été livrées à la table et qui étaient mentalement terminées. 

Cet effet Zeigarnik peut être lié à l’attention accrue accordée aux tâches inachevées. Il a été soutenu dans une étude sur le lieu de travail montrant que les travailleurs étaient plus susceptibles de penser à des tâches incomplètes qu’à des tâches complètes lorsqu’ils rentraient chez eux (Smit, 2015). Ce constat pourrait être appliqué aux explications des enseignants. Si nous donnons toutes les explications d’emblée, les élèves peuvent relâcher leur attention. Par contre si les éléments viennent s’imbriquer un à un sur base de questions et de défis récurrents, les effets sur la compréhension et l’encodage peuvent être plus élevés.



S’engager au moment opportun dans la récupération des contenus précédemment enseignés


La quantité optimale de temps à laisser entre la première et la deuxième session d’étude dépend essentiellement du moment où l’évaluation sommative sur la matière aura lieu. 

Selon Rohrer et Pashler (2007), le temps entre chaque temps d’étude, de récupération ou d’approfondissement devrait représenter environ 10 à 30 % du temps entre la première session d’étude et l’évaluation sommative. Un autre point essentiel est que la dernière récupération devrait avoir lieu juste avant l’évaluation sommative.

Par conséquent, cela implique de quatre (si nous appliquons les 30 %) jusqu’à onze (si nous appliquons les 10 %) temps d’étude répartis.

Cepeda et ses collègues (2008) ont étudié des intervalles plus longs, allant jusqu’à 350 jours. Ils ont constaté qu’un délai de 5 à 10 % était optimal, ce qui nous amène de onze (pour 10 %) à vingt-et-un temps de retour sur l’étude.

Dans l’ensemble, les individus commettent deux erreurs :
  • Ils commencent à étudier trop tard
  • Ils ont alors tendance à réétudier trop tôt. 
À titre d’exemple pratique, cela signifierait qu’il faut attendre 10 jours ou plus avant de réviser/tester un sujet si l’évaluation sommative est dans 100 jours. 

Assez naturellement, comme le souligne, Küpper-Tetzel et ses collègues (2014), la matière n’est généralement pas révisée une seule fois pendant l’année scolaire. Elle l’est souvent à plusieurs occasions, avec des intervalles décroissants à l’approche d’un examen. 

Cependant, leurs recherches ont suggéré que pour une rétention à long terme, un calendrier en expansion (avec des écarts d’espacement augmentant progressivement) ou un calendrier fixe/régulier (par exemple, réviser une fois par mois) étaient plus efficaces. 

La difficulté de donner un mode de fonctionnement idéal tient à l’impact du profil de l’apprenant et de la nature des contenus à apprendre durablement. C’est pourquoi en dehors de ces lignes d’action générales, ce qui compte c’est un pilotage fin. Il mesure d’une révision à l’autre la qualité de la récupération et permet d’ajuster pour la fois suivante. Si la récupération est excellente, l’espacement peut être agrandi. Si elle est médiocre, il doit être raccourci.



Prendre en compte l’effet de primauté et de récence 


Si l’entremêlement est bénéfique pour développer les capacités de discrimination, une part de son impact pourrait dériver de l’effet de position en série.

En effet dans une liste d’éléments, les premiers et les derniers sont généralement les mieux mémorisés.

Plutôt que de travailler sur le contenu du programme toujours dans l’ordre, après un premier apprentissage en profondeur qui respecte l’ordre, nous pouvons varier l’ordre des points. Cette variation peut se traduire concrètement lors de la révision en classe (sous forme de quiz réguliers) ou lors d’une récupération à domicile (à travers les devoirs). De cette manière, l’effet de primauté et de récence ne s’applique pas sur les mêmes contenus d’une fois à l’autre.

Une autre approche pourrait être d’aborder les points les plus importants au début et à la fin des révisions et des récupérations. Les éléments les moins susceptibles d’être dans l’examen ou d’être bénéfiques à long terme pour les apprenants peuvent alors être placés vers le milieu de la période de révision. De même en ce qui concerne l’enseignement, les éléments les plus fondamentaux devraient être localisés au début et à la fin d’une planification.



Soutenir l’apprentissage à long terme par les devoirs et les quiz


Un enseignement explicite classique enchaine le modelage, la pratique guidée et la pratique autonome. À ce stade les élève doivent avoir développé une maîtrise des objectifs d'apprentissage qui peut être plus proche de de la performance que d'un apprentissage durable. 

Les devoirs à la maison et les quiz en classe sont généralement présentés immédiatement après l’apprentissage d’un concept. Ils impliquent souvent la pratique des mêmes tâches que celles effectuées en classe (ou la réalisation d’une tâche sans aucun rapport). 

À ce stade ma consolidation et la reconsolidation doivent poursuivre l'entreprise initiée. Nous pouvons continuer à introduire des question et des applications des connaissances apprises dans une pratique autonome distribuée. Cependant celle-ci va se retrouver en concurrence avec la suite de l'enseignement du programme scolaire qui peut ne pas lui correspondre.

Leur intégration dans le cadre des quiz et des devoirs à la maison est plus propice. Du point de vue de l’effet d’espacement, il serait préférable de distribuer dans le temps des tâches similaires à faire à la maison ou des questions de quiz équivalentes en classe. 

Ces démarches gagnent à s’étaler sur plusieurs jours,  puis semaines et finalement mois avec des intervalles expansés d'un facteur de "x2,5", après que la tâche a été effectuée en classe. L’enjeu est de favoriser la récupération espacée des idées clés et procédures et, en fait, d’intégrer la révision dans le plan de cours. 

De toute évidence, il y a beaucoup à gagner en espaçant et en intercalant les tâches des devoirs et les questions des quiz. Nous devons veiller à ce qu’elles permettre aux élèves de récupérer des informations ou à se tester eux-mêmes plutôt qu’à relire leurs cours. En incluant des démarches d’élaboration, elles doivent favoriser la création de liens nouveaux entre différents points de matière et avec des exemples significatifs et concrets. 



L’enjeu des bonnes habitudes d’apprentissage


Nous voulons que nos élèves développent de bonnes habitudes d’apprentissage. La valeur d’une routine dépend de ce que l’élève fait effectivement de manière régulière. Il vaut mieux décourager les routines qui impliquent une étude inefficace.

Pour cela, nous devons les aider à dépasser des conceptions erronées et des intuitions biaisées et inexactes concernant la mémoire, comme l’idée que la relecture répétée sera efficace. 

De même, les élèves ont également tendance à sous-estimer l’effet de leurs efforts et de leurs propres actions sur l’apprentissage et à surestimer leurs capacités innées comme celle d’apprendre aisément.

Se bâtir de bonnes stratégies cognitives et métacognitives devient particulièrement important vers les dernières années d’études, lorsqu’ils se préparent aux examens et dans des situations où l’apprentissage se fait de manière plus autonome.


Mis à jour le 09/03/2024

Bibliographie


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Murdock Jr, B. B. (1962). The serial position effect of free recall. Journal of Experimental Psychology, 64(5), 482–488. doi: 10.1037/h0045106 

Zeigarnik, B. (1927). Das Behalten erledigter und unerledigter Handlungen. Psychologische Forschung, 9, 1–85. 

Smit, B. (2015). Successfully leaving work at work: the self-regulatory underpinnings of psychological detachment. Journal of Occupational and Organizational Psychology, 89(3), 493–514. doi: 10.1111/joop.12137 

Tulving, E. (1983). Elements of Episodic Memory. New York: Oxford University Press. 

Rohrer, D. and Pashler, H. (2007). Increasing retention without increasing study time. Current Directions in Psychological Science, 16(4), 183–186. doi: 10.1111/j.1467-8721.2007.00500.x

Cepeda, N. J., Vul, E., Rohrer, D., Wixted, J. T. and Pashler, H. (2008). Spacing effects in learning: a temporal ridgeline of optimal retention. Psychological Science, 19(11), 1095–1102. doi: 10.1111/j.1467-9280.2008.02209.x

Küpper-Tetzel, C. E., Kapler, I. V. and Wiseheart, M. (2014). Contracting, equal, and expanding learning schedules: the optimal distribution of learning sessions depends on retention interval. Memory & Cognition, 42(5), 729–741. doi: 10.3758/s13421-014-0394-1

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