mardi 10 octobre 2023

Le modèle en cinq étapes de l’action formative

Le modèle de l’action formative part du postulat que cinq éléments sont récurrents dans un processus efficace d'évaluation formative.

(Photographie : gibbeuse)



Cependant, les connaissances à ce sujet et les exemples de processus formatifs efficients sont souvent insuffisants pour permettre aux enseignants de les traduire de manière adéquate dans leur propre pratique d’enseignement. 

Pour aider les enseignants à faire cette translation et pour mieux faciliter la discussion entre collègues sur ce sujet, René Kneyber et Dominique Sluijsmans (2022) ont développé un modèle en cinq étapes : 




Étape 1 : Où en sommes-nous ?


Le processus d’action formative commence toujours lorsque quelqu’un se pose la question suivante : « Où en sommes-nous ? » 

Cette question est posée par l’enseignant, qui se demande :
  • Si son enseignement se révèle efficace
  • Si les connaissances préalables nécessaires à l'apprentissage sont maîtrisées par ses élèves
  • Ce que ses élèves ont appris à ce stade
  • Comment procéder pour la suite de l'enseignement.
« Où en sommes-nous ? » n’est pas une question posée au hasard par un enseignant. Elle se fonde sur le prinipe que pour franchir avec succès l’étape suivante du processus d’apprentissage, les conditions nécessaires doivent être réunies.

Cette question peut également être posée par un élève qui peut de même entamer ce processus de réflexion par rapport à un ou plusieurs objectifs d’apprentissage : 
  • Où en suis-je par rapport à ces objectifs d’apprentissage ? 
  • Est-ce que je maîtrise ces contenus ou cette compétence ?
  • Est-ce que je mobilise les bonnes stratégies pour y arriver ?
  • Est-ce que je planifie correctement mon travail ?
  • Serai-je prêt à répondre aux questions de l’évaluation sommative ?
Un élève peut s’engager dans cette démarche et c’est bien qu’il le fasse dans une perspective d’autorégulation des apprentissages. Cependant, il n’est pas prudent de lui en laisser la pleine responsabilité. Le modèle de l'évaluation formative est à superviser par l'enseignant.

Un élève a naturellement moins de recul qu’un enseignant pour évaluer la progression de son apprentissage en fonction des objectifs d’apprentissage explicités par l’enseignant.

L’élève ne possède pas encore toutes les stratégies cognitives et métacognitives nécessaires et aura donc besoin de soutien pour se poser ces questions de la bonne manière et au bon moment.

Il est bon de se rendre compte que cette première étape du processus d’action formative est purement mentale. Si ce pas mental n’est pas franchi, il ne peut y avoir de processus d’action formative.



Étape 2 : Réfléchir et produire


Dans le cadre du modèle de l’action formative, lors d’une évaluation formative, l’élève est amené à réfléchir au sujet de ses apprentissages en cours. 

Cette étape peut être encouragée et initiée par l’enseignant, par un proche, par un pair ou directement par l’élève lui-même.

L’élève s’investit dans une démarche qui lui permet de rendre cette réflexion ou le résultat de celle-ci, observable, par le biais d’une production ou d’un comportement. Tout ce qui est observable peut faire figure de production et être fonctionnel pour une action formative. 

C’est par exemple le fait :
  • De récupérer des connaissances oralement ou sur papier en répondant à des questions.
  • D’effectuer une tâche par écrit à cours fermé
  • D’expliquer à quelqu’un ou à soi-même oralement en élaborant
  • D’exercer une compétence en situation dans un contexte particulier.
Toutefois, cela ne signifie pas que tout ce qui peut être observé est également fonctionnel. Ce qui est produit doit pouvoir être la base d’un diagnostic ciblé qui permet de situer l’élève par rapport à différents objectifs d’apprentissage prédéfinis. 

Pour jouer pleinement ce rôle, la tâche ou l’évaluation doit être précisément conçue. Dès lors, souvent, cette étape va nécessiter une conception approfondie et stratégique de la part de l’enseignant. 

Au-delà du simple fait de pouvoir récupérer une information ou d’appliquer une procédure avec succès, cette démarche a une autre mission. Elle doit également permettre de débusquer les conceptions erronées typiques et les erreurs courantes que l’enseignant anticipe, mais qui échappent souvent aux élèves. Cette démarche de diagnostic doit révéler des obstacles évidents ou cachés à l’apprentissage ou des lacunes.

Si cette démarche n’est pas réalisée, ces obstacles peuvent empêcher certains élèves de passer avec succès à l’étape suivante du processus d’enseignement. L’enjeu est que les difficultés soient repérées et traitées suffisamment tôt pour ne pas être mises en évidence lors d’une évaluation sommative. Nous agissons tant que les enjeux sont peu élevés et qu’il reste du temps pour progresser.

Pour un enseignant, différentes questions doivent se poser lors de cette étape de conception d’une évaluation formative : 
  • Quels sont les objectifs d’apprentissage concernés par cette démarche ?
  • Quelles questions ou quelles activités permettront de diagnostiquer aisément et de manière ciblée les difficultés des élèves et leurs causes ? 
  • Comment obtenir une vue d’ensemble, aussi facilement et rapidement que possible, de tout ce que les élèves doivent maitriser ?
  • Comment agir pour que les élèves puissent se soutenir mutuellement dans l’évaluation des progrès visés ?
  • Comment motiver les élèves à prendre conscience de leurs progrès et à prendre l’initiative de les évaluer de manière autonome ?



Étape 3 : Interpréter, communiquer et décider


À ce stade-ci, les élèves ont abouti à une production. Les productions des élèves doivent ensuite être interprétées par quelqu’un.

Cette interprétation a pour but de répondre aux questions suivantes :
  • Que signifie ce qu’ils ont produit ?
  • Pouvons-nous passer à la suite de l’enseignement, ou y a-t-il des problèmes qui empêchent de passer à l’étape suivante ? Et si oui, lesquels ? 
  • Les élèves démontrent-ils une compréhension adéquate et un apprentissage suffisant ou une amélioration est-elle souhaitable ?
Lorsqu’un enseignant en mathématiques demande à tous ses élèves de montrer leur réponse sur une ardoise effaçable, il doit interpréter ce que signifient toutes les différences. 

Si l’enseignant reçoit un rapport de résultats pour une classe concernant une auto-évaluation en ligne, il devra interpréter la signification de tous ces chiffres, couleurs ou diagrammes. 

Lorsque les élèves observent les productions de leurs condisciples ou la leur, ils doivent l’interpréter. Qu’est-ce qui a bien fonctionné ? Qu’est-ce qui peut être amélioré ? 

L’interprétation des différentes productions peut ainsi déboucher sur des questions et des recherches complémentaires :
  • Comment l’élève est-il parvenu à cette réponse ? 
  • Comment l’élève a-t-il abordé cette question ? 
  • Quelle option de réponse a-t-il choisie et pourquoi l’a-t-il fait ? 
L’enseignant doit repérer les conceptions erronées, les erreurs typiques et les déficits de connaissances les plus fréquents :
  • Qu’est-ce qu’il en retire pour la suite de ses activités d’enseignement ?
  • Qu’est-ce qu’il peut en faire pour guider l’apprentissage de ses élèves ?
Ces informations permettent à l’enseignant de décider quelle sera la prochaine étape la plus utile et pouvoir justifier son choix en fonction de l’interprétation experte qu’il réalise. À ce stade, une rétroaction concrète doit être élaborée.

Un élève peut également s’investir dans des démarches d’auto-évaluation et viser le même objectif.



Étape 4 : Mettre en œuvre un suivi informé


Après avoir conçu, réalisé et analysé le résultat d’une évaluation formative et mis au point une rétroaction, il s’agit de s’engager dans une action. Il est important de déboucher sur une mise en œuvre effective afin d’aboutir à un impact concret.

Il est de la plus haute importance que quelque chose soit réellement fait avec les connaissances acquises à l’étape précédente, sinon toute la réflexion menée depuis le départ aura été vaine.

Peu importe le résultat de l’analyse des résultats de l’évaluation formative, il doit mener à des actions qui ont pour enjeu et objectif de résoudre les difficultés mises en évidence.

Nous déterminons les activités à organiser à l’échelle de la classe ou les tâches à réaliser individuellement pas les élèves dans le cadre de leur apprentissage autonome.



Étape 5 : Et où en sommes-nous maintenant ?


Toute la démarche de l’action formative en tant que cycle d’évaluation formative, porte sur le pari d’un impact réel sur l’apprentissage des élèves. Le fait est que nous ne savons jamais si l’action de suivi, enclenchée et guidée par la rétroaction, entraînera réellement une amélioration en ce qui concerne l’apprentissage des élèves. En outre, nous allons continuer à progresser dans l’enseignement de la matière.

Par conséquent, nous revenons au point de départ et nous sommes amenés à poser une question suivante ou demander une production similaire, plus complexe ou différente, et recommencer le processus à l’étape 1. Où en sommes-nous maintenant ?

La réponse à notre question apparait alors avec une dimension rétrospective et d’autorégulation :
  • La difficulté est-elle entièrement résolue ?
  • Est-elle partiellement résolue ?
  • La situation est-elle la même qu’avant ou plus grave ?
  • Y a-t-il des apprentissages complémentaires à considérer ?
La manière dont nous allons répondre à ces questions nous permet d’évaluer l’impact de notre démarche et de déterminer quelle est la bonne marche à suivre à partir de là.

Sur la base de ces informations, nous pouvons choisir de répéter le processus formatif jusqu’à ce que le niveau de compréhension ou de maîtrise souhaité soit atteint. Nous pouvons également choisir de passer à la suite, ou toute autre position intermédiaire.

À nouveau, il s’agit là encore d’une étape fondamentale. 

Pour un enseignant, il peut s’agir d’une expérience réussie, car il voit que le groupe classe a progressé et s’en sort mieux. Par conséquent, cela va le renforcer dans l’utilisation du processus d’action formative.

Surtout et plus important encore, cela peut être une expérience de réussite pour les élèves eux-mêmes. S’ils voient que le fait de passer par un processus d’évaluation formative conduit à une amélioration (et à une expérience de réussite correspondante), c’est positif. Cela peut les encourager à y consacrer plus de temps et d’énergie à l’avenir également. Au-delà d’apprentissages concrets, nous visons également un impact sur la responsabilisation et l’autorégulation des élèves.



Pistes et réflexions sur la mise en œuvre d’un processus d’action formative


Le modèle de l’action formative est un excellent moyen de mettre en pratique une évaluation soutenant les apprentissages. Il est donc intéressant d’anticiper son utilisation pour mettre en place un ou plusieurs processus formatifs d’emblée dans un cours. 

Il existe un certain nombre de pièges typiques qui font que le processus d’action formative déraille. Les conseils suivants sont importants lors de l’élaboration d’un processus d’action formative.

Premièrement, il est important de se concentrer sur les étapes 1 (Où en sommes-nous ?) et 2 (Réfléchir et produire). Une erreur fréquente consiste à collecter trop d’informations dans un seul processus. 

Des enseignants peuvent essayer de découvrir exhaustivement tout ce que les élèves se rappellent d’un enseignement antérieur. Cela donnera une telle masse d’informations qu’il faut trop de temps pour les interpréter et qu’elles seront en fait trop nombreuses pour qu’on puisse y donner suite de manière adéquate et efficace.

Nous pouvons éviter d’être submergés de cette manière. Pour cela, nous devons veiller à être précis aux étapes 1 et 2 :
  • Pourquoi entrons-nous dans un processus d’action formative ? 
  • De quelles informations avons-nous besoin et pourquoi ?
  • Quels problèmes pensons-nous rencontrer ?
  • Comment allons-nous découvrir et interpréter rapidement les informations recueillies ? 
Deuxièmement, l’action formative doit ressembler davantage à la pêche au harpon qu’à la pêche aux filets dérivants :
  • Nous devons penser à l’avance aux actions de suivi. 
  • L’action formative ressemble à une démarche réactive et gagne à s’anticiper. En tant qu’enseignants, nous réagissons aux problèmes que nous rencontrons, mais pour être efficaces, nous y avons réfléchi préalablement et être bien préparés, donc proactifs.
  • À l’avance, nous devons réfléchir non seulement aux problèmes potentiels que nous nous attendons à rencontrer, mais aussi aux solutions que nous souhaitons proposer aux élèves.
Troisièmement, le processus de l’action formative doit être répété plusieurs fois d’une manière cyclique :
  • Nous devons répéter l’opération plusieurs fois. Les avantages de l’action formative ne deviennent évidents que lorsque nous passons par le processus au moins deux fois de suite.
  • Nous devons nous habituer au processus en tant qu’enseignants pour en optimiser le bénéfice, et favoriser l’adoption du même processus en parallèle chez nos élèves.
Quatrièmement, l’action formative demande à être réfléchie, conçue, planifiée et mise en œuvre :
  • L’action formative est une compétence d’expert. Il peut falloir jusqu’à trois à cinq ans pour intégrer de manière satisfaisante les processus formatifs dans notre enseignement. 
  • Par conséquent, nous devons donc suivre en permanence un processus dans lequel nous concevons quelque chose, nous le mettons en œuvre et nous réfléchissons à ce qui a bien fonctionné et à ce qui peut être amélioré. 
  • Il importe d’intégrer dans cette réflexion le retour d’informations ou des suggestions pertinentes d’experts, de collègues, d’élèves ou de leurs parents.

Mis à jour le 06/03/2024

Bibliographie


René Kneyber, Dominique Sluijsmans, Valentina Devid, Blanca Wilde López, Formatief handelen, van instrument naar ontwerp, Phronese, 2022

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