dimanche 8 octobre 2023

L’action formative, un modèle de l’évaluation formative

Le modèle de l’action formative, développé par Kneyber et ses collègues (2022), ne met pas seulement l’accent sur le fait de poser des questions dans le cadre d’une évaluation formative. 

Il se centre sur les décisions que l’enseignant et l’élève vont mettre en œuvre à la suite de l’évaluation formative. Il met également l’action sur la conception des questions. L’accent se retrouve ainsi mis sur la didactique et sur l’amélioration de l’apprentissage de contenus.

(Photographie : aisling-saoirse)




Une dérive possible de l’évaluation formative qui mène à une multiplication des tests


René Kneyber et ses collègues (2022) privilégient la notion d’action formative à celle d’évaluation formative, de la même manière que nous trouvons la notion d’enseignement réactif (responsive teaching) chez Harry Fletcher-Wood (2018). Leur objectif est de lever l’ambiguïté conceptuelle sur ce qui constitue l’évaluation formative. 

Nous pouvons partir du double constat que : 
  1. L’évaluation formative est possible et peut être bénéfique dans toutes les matières, à tous les niveaux et à tout âge. 
  2. Néanmoins, la mise en œuvre de l’évaluation formative échoue souvent parce que les enseignants ont une compréhension inadéquate, incomplète ou incorrecte de ce concept. 
Des dérives de l’évaluation formative mènent à la multiplication des tests :
  • Premièrement, il importe d’évaluer là où en sont les élèves en ce qui concerne les apprentissages en cours, pour leur fournir un retour d’information. 
  • Deuxièmement, l’effet test (pratique de récupération) en psychologie cognitive montre un bénéfice sur l’apprentissage. 
  • Troisièmement, il existe une tendance à valoriser l’évaluation continue, c’est-à-dire multiplier les évaluations sommatives et donner plusieurs occasions aux élèves en conservant les meilleurs résultats.
Cette multiplication des tests va se traduire par une pression sur les performances qui risque d’inciter à la fois les élèves et les enseignants à privilégier des stratégies d’apprentissage à court terme. 

Les élèves peuvent alors se mettre à considérer les tests comme des obstacles qu’ils doivent franchir. Une fois celui-ci franchi, ils peuvent oublier le contenu testé avant de se concentrer sur le contenu du test suivant. 

Dans ce cadre, les élèves sont sous la dépendance d’une motivation extrinsèque gérée par l’enseignant et par la pression de performance. Cela peut se traduire par un déficit de motivation intrinsèque et d’autonomie face aux apprentissages qui peut mener à augmenter encore plus la pression sur les points dans certaines écoles. Ce phénomène exacerbe le problème et laisse de côté l’adoption d’objectifs de maîtrise par les élèves et leur responsabilisation face à ceux-ci.

Paradoxalement, la solution de cette situation indésirable pourrait se trouver dans l’évaluation formative, mais d’une manière qui en respecte l’exacte signification. 



L’évaluation formative, ni solution miracle ni utopie


Bien mettre en œuvre l’évaluation formative peut permettre : 
  • De renforcer l’auto-efficacité des élèves
  • De différencier et d’offrir des solutions d’apprentissage sur mesure 
  • De prendre en compte les ressources limitées en temps des enseignants
  • De soutenir le processus d’apprentissage des élèves, plutôt que de l’entraver
  • D’améliorer des résultats scolaires décevants. 
L’éducation formative possède ce potentiel et peut effectivement offrir une valeur ajoutée importante pour la réalisation de toutes ces ambitions. 

Cependant, il y a une réelle difficulté liée à l’évaluation formative : elle n’est toutefois pas aisée à mettre en œuvre d’une manière qui en maximise l’impact. 

Une première condition est qu’un enseignant doit d’abord bien comprendre ce qu’elle est, mais également ce qu’elle n’est pas.

Beaucoup d’enseignants peuvent avoir une idée très claire des difficultés d’apprentissage auxquelles ils veulent remédier. Ils sont capables de les diagnostiquer. 

Par contre, ils savent moins bien :
  • Par le biais de quelles démarches une évaluation formative peut-elle offrir des solutions à ces difficultés ?
  • À quoi une évaluation formative devrait-elle ressembler dans la pratique quotidienne de l’enseignement ?



Des erreurs communes dans la mise en œuvre de l’évaluation formative


Une première idée fausse très répandue est que l’évaluation formative consiste en des tests sans notes, ou que lorsqu’une note est donnée, elle est non comptabilisée. 

Par exemple, certains enseignants peuvent faire passer un test en milieu d’un chapitre ou une semaine avant le vrai test. Ils peuvent ne pas tenir compte de cette note par la suite.

Ces enseignants vont se retrouver à passer beaucoup de temps sur des tests, sur leur préparation ou sur leur correction. Ils prennent du temps en classe pour plusieurs tests formatifs avant une évaluation sommative. Ils les corrigent individuellement et passent du temps en classe pour un retour d’information correctif.

Rapidement, ils vont se demander à quoi cela sert surtout lorsqu’ils constatent que les élèves font peu d’efforts pour des tests formatifs qui ne comptent pas. De même, une note non comptabilisée entraîne rarement un changement de comportement ou une prise de conscience chez un élève. Alors qu’il voudrait rendre ses élèves plus réactifs, l’enseignant les voit devenir plus passifs vu qu’il porte une plus grande part lui-même de leur préparation à l’évaluation sommative.

Une deuxième idée fausse répandue est que l’évaluation formative nécessite une rétroaction orale, mais surtout écrite de manière détaillée détaillée et sur une base individuelle. Les enseignants qui commettent cette erreur peuvent passer parfois des heures à examiner le travail de leurs élèves, mais ils doutent à raison de la rentabilité du retour sur investissement obtenu. Cela leur prend beaucoup de temps, mais ils ont le sentiment que beaucoup d’élèves ne font pas grand-chose de leurs conseils et explications personnalisés.

Une troisième erreur commune est que l’engagement dans une pleine démarche d’évaluation formative équivaut à l’utilisation basique de certaines méthodes ou de certains outils (on parle alors de méthodes formatives). Il s’agit par exemple de l’utilisation d’applications telles que Kahoot ou Quizlet, de l’utilisation de ticket de sortie ou de quiz au début d’une période d’enseignement. 

Les enseignants qui utilisent ces méthodes et outils ont beau avoir intégré l’évaluation formative dans leur didactique, ils sont susceptibles de n’en voir guère les effets. Souvent, en y regardant de plus près, nous pouvons mettre en évidence qu’ils ont négligé des aspects importants et des étapes essentielles de l’évaluation formative.

Chacune de ces erreurs communes vient miner en pratique les bénéfices escomptés de l’évaluation formative. Elles constituent des obstacles à une mise en œuvre réussie de l’évaluation formative et amènent à son abandon, car l’efficacité et l’efficience ne sont pas au rendez-vous.


Les fondements du modèle de l’action formative (Kneyber et coll., 2022)

Pour aborder l’évaluation formative, René Kneyber et ses collègues (2022) proposent un modèle de l’action formative qui correspond aux fondements suivants :

L’importance d’une dimension didactique :
  • L’action formative est un processus didactique :
    • Elle n’est pas une forme ou une composante de l’évaluation ayant une fonction certificative.
    • L’action formative est utilisée dans le cadre d’un cycle court, en classe et durant les cours, afin de les rendre significatifs et efficaces.
  • L’action formative est un complément, et non un remplacement, des actions didactiques quotidiennes de l’enseignant :
    • Un très bon enseignant qui donne de bonnes explications avec une structure de cours claire peut utiliser l’action formative pour enseigner encore plus efficacement. 
L’importance de la conception pédagogique : 
  • L’action formative ne prend tout son sens que dans une conception pédagogique bien pensée. Nous travaillerons donc du micro jusqu’au macro et du macro jusqu’au micro. Deux questions préoccupent l’enseignant : 
    • Au niveau micro : Comment matérialiser l’action formative dans l’enseignement, de minute en minute ?
    • Au niveau macro : Comment garder l’œil sur l’objectif plus large du programme d’études ?
L’importance de pratiques fondées éclairées par des données probantes :
  • L’action formative n’a de sens que si elle est menée conformément à un certain nombre de principes fondés sur des connaissances scientifiques. Ces principes s’imposent si l’on veut que l’action formative soit mise en œuvre de manière significative. Dès lors, elle est complémentaire aux apports :
    • De la science de l’apprentissage
    • De la recherche sur les pratiques d’enseignement efficace (dont l’enseignement explicite)
    • De la science de la motivation


Mobiliser l’action formative au terme de la pratique autonome en enseignement explicite


Le modèle de l'action formative induit une intégration profonde des démarches de l'évaluation formative au sein d'un enseignement adaptatif. 

Pour bien illustrer le concept d’action formative, nous allons aborder un exemple d’action formative en mathématiques. Craig Barton (2018) décrit un processus qui intègre pleinement la logique d'une action formative. 

Imaginons un processus d'enseignement explicite. Un enseignant vient d’expliquer à ses élèves le principe des angles supplémentaires dont la somme équivaut à un angle plat de 180 degrés et la manière de le mobiliser dans des exercices d'application.

Au terme d’un modelage et d’une pratique guidée, les élèves peuvent être prêts s'investir dans une pratique autonome. Une condition de succès de cette dernière est de s'assurer au terme de la pratique guidée un taux de 80% de réussite. En effet, pour que la pratique autonome soit réussie, les élèves doivent la démarrer avec un bon niveau de compréhension personnelle de ce qui est attendu d’eux. 

L’enseignant doit par conséquent se poser la question de savoir si tous ses élèves sont prêts et avoir une manière de le vérifier. C'est là que l'action formative intervient dans une conception fine des questions qui sont posées à l'ensemble de la classe.

Par exemple, dans le cadre du calcul d’angles, l’enseignant peut projeter la question suivante à choix multiples au tableau et donner aux élèves quelques secondes pour réfléchir de manière autonome.


 
L’enseignant demande ensuite aux élèves de désigner leur réponse en levant le doigt lorsqu’il énumère A, B, C et D.  Alternativement, il peut leur demander de noter la réponse sur un ardoises effaçable et de montrer leur réponse à son signal.

La question a été conçue pour fournir un retour d'information riche et précis à l'enseignant. 

En analysant leurs réponses, l’enseignant peut déterminer la nature des difficultés éventuellement rencontrées par certaines élèves.
  • Les élèves qui choisissent la réponse C peuvent déjà commencer à travailler de manière autonome sur les exercices. 
  • Les élèves qui ont répondu A ont fait une erreur de calcul et il sera utile pour eux de commencer par  s’exercer au calcul avec des nombres supérieurs à 100. Il peut leur fournie une feuille d'auto-remédiation sur ce point et leur laisser commencer ensuite la pratique autonome sur les exercices.
  • Les élèves qui ont répondu B et D bénéficieront par contre d'un nouvel enseignement explicite plus intensif en petit groupe, car ils ne comprennent pas encore assez bien ce qui est attendu d’eux. Après cette étape brève, l'enseignant posera une autre question similaire à ses élèves, pour savoir s’ils peuvent maintenant poursuivre de manière autonome.
L'action formative permet d'introduite de la différenciation au terme de la pratique autonome. Les élèves qui sont prêts peuvent passer à la suite. Certains auront besoin d'un étayage supplémentaire (exercices de remédiation) et d'autres nécessiteront des explications supplémentaires de l'enseignant.



La question de la rétroaction par les pairs


Un des principes particuliers au modèle de l’évaluation formative de Wiliam & Thompson (2008) et qu’on ne trouve pas du tout dans le modèle de l’enseignement explicite est celui de la rétroaction par les pairs. Toutefois, celui-ci peut être assimilé à une forme de pratique coopérative ou de tutorat, proches de la pratique autonome.

L’idée est que les élèves s’évaluent entre eux, réfléchissent et négocient sur les exigences d’une production de qualité. De cette manière, l’enseignant favorise la prise de responsabilité des apprentissages par ses élèves.

En observant ce que les autres élèves font de bien ou font de mieux, les élèves développent une idée de ce qu’ils pourraient eux-mêmes réaliser. De plus si une rétroaction écrite de l’enseignant peut être facilement ignorée, lorsque celui-ci se passe entre pairs dans le cadre d’une conversation, l’issue peut être différente. Elle amène les individus à agir immédiatement, à réfléchir et à prendre une position. 

Toutes ces activités de retour d’information sont toutefois inutiles si les élèves n’intègrent pas ultérieurement leurs idées et leurs conclusions dans un plan d’action qui leur est propre, afin de pouvoir les utiliser par la suite. La rétroaction par les pairs a pour finalité d’amener les élèves à l’autoévaluation et à la prise de responsabilité personnelle de leur apprentissage, qui est la réelle finalité.



Éléments d’un processus d’action formative


L’action formative concerne un processus et non un élément singulier. Par conséquent, il est important de suivre et de concevoir un tel processus consciemment du début à la fin. 

En effet, les enseignants ont tendance à se concentrer :
  • Sur des instruments individuels, comme l’utilisation d’un outil (par exemple faire des quiz régulièrement)
  • Ou sur un temps spécifique (par exemple faire une évaluation formative globale à un moment donné). 
Souvent, les enseignants ne réfléchissent pas suffisamment à la place que cet instrument ou cette activité occupe dans le processus pédagogique. 

Dans les faits, l’action formative est intégrée à différents niveaux et peut prendre de nombreuses formes et peut aller jusqu’à la forme plus sophistiquée de la rétroaction à la classe entière.

Les diverses formes contiennent des éléments essentiels pour un processus d’action formative :
  • Un processus de collaboration et de corégulation : 
    • Un processus d’action formative consiste en une interaction entre les enseignants et les élèves, ou entre les élèves eux-mêmes et nécessite la participation active de toutes les parties. 
    • Ensemble, enseignant et élèves pilotent le processus éducatif. Ce phénomène est également appelé corégulation.
  • Une collecte délibérée d’informations : 
    • Les enseignants recueillent délibérément des informations sur l’apprentissage actuel des élèves, avec l’intention de les utiliser.
    • La démarche peut être proactive quand la production initiale contient déjà une démarche de diagnostic des difficultés et introduit leur processus de résolution.
    • La démarche peut être réactive lorsqu’à l’issue de la première tâche, le retour d’information amène l’enseignant à délivrer une rétroaction et une nouvelle tâche afin de mettre en œuvre des mesures d’amélioration. 
  • Des processus actifs de réflexion amènent à des productions : 
    • Dans le cadre de l’action formative, tous les élèves sont amenés à penser par eux-mêmes et à produire quelque chose. Il peut s’agir d’une réponse à une question, d’une production écrite en classe ou d’une nouvelle tâche à réaliser à domicile.
  • Des processus qui donnent un sens à l’information : 
    • Que ce soit l’enseignant ou les élèves, il faut qu’un sens soit donné au retour d’information afin de pouvoir agir en conséquence. 
    • Ce sens peut se trouver dans le fait de réagir à des conceptions erronées, d’enseigner à nouveau des éléments non compris ou de s’engager dans des tâches qui peuvent améliorer les apprentissages.
  • Un focus sur un cycle d’exploitation court :
    • Même si l’évaluation formative peut se produire à un cycle moyen ou long, l’action formative va privilégier un cycle court.
    • Les informations récupérées sont utilisées dans le même cours ou dans le cours suivant, parfois après une discussion approfondie. De cette façon, les résultats du processus formatif sont immédiatement visibles.
  • Aucun engagement lié à des obligations administratives de rendre des comptes ou à la réalisation d’une correction individuelle et détaillée des copies d’élèves : 
    • Il n’est pas entendu qu’un enseignant contrôle ou corrige chaque copie ni qu’il délivre une rétroaction individuelle. 
    • Les dimensions collectives de la rétroaction sont chaque fois privilégiées avec une intégration dans le cadre du cours.



L’importance des objectifs d’apprentissage dans le cadre de l’action formative


Afin d’utiliser efficacement les processus formatifs, l’œil de l’enseignant doit se concentrer sur l’acquisition à long terme des objectifs d’apprentissage, au cours des différentes leçons. Il ne se contente pas d’être attentif à la performance liée à un seul objectif d’apprentissages singulier dans le cadre d’une seule leçon. 

Pour réussir, l’enseignement formatif doit pouvoir répondre à quatre questions : 
  • Quels objectifs d’apprentissage est-ce que je veux atteindre ?
  • Pourquoi ces objectifs d’apprentissage sont-ils importants ?
  • Comment ces objectifs d’apprentissage se structurent-ils entre eux ?
  • Comment puis-je savoir quels objectifs d’apprentissage mes élèves maîtrisent  ?
  • À quelles difficultés dois-je m’attendre et comment puis-je faire face à celles-ci ?
Avoir des outils n’est pas suffisant pour passer efficacement à l’action.

Ce qui importe est d’avoir un modèle mental adéquat d’une conception pédagogique fondée sur l’action formative. Les objectifs d’apprentissage et la structure d’ensemble dans laquelle ils s’intègrent doivent être parfaitement clairs dans l’esprit des enseignants, de même que les difficultés d’apprentissage potentielles qui s’y rapportent. 

Lorsque des enseignants ont une idée beaucoup moins claire de leurs objectifs d’apprentissage et de leurs interconnexions, ils sont moins à même de mettre en œuvre avec succès une action formative.

Les enseignants doivent passer par un processus de conception pédagogique préalable avant de pouvoir entreprendre une action formative. Ils doivent réfléchir soigneusement à la manière dont l’action formative sera mise en œuvre.



Mis à jour le 05/03/2024

Bibliographie


René Kneyber, Dominique Sluijsmans, Valentina Devid, Blanca Wilde López, Formatief handelen, van instrument naar ontwerp, Phronese, 2022

Harry Fletcher-Wood, Responsive Teaching, Routledge, 2018

Craig Barton, How I wish I’d taught maths, 2018, John Catt.

Wiliam, D; Thompson, M; (2008) Integrating Assessment with Learning: What Will It Take to Make It Work? In: Dwyer, CA, (ed.) The Future of Assessment: Shaping Teaching and Learning. (pp. 53–82). Routledge: New York, NY, USA. 

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