(Photographie : Gabriella Sturchio)
La distinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique
Dans les modèles simples de l’apprentissage, on considère souvent une mémoire à long terme. Toutefois, des distinctions peuvent être faites notamment entre mémoire sémantique et mémoire épisodique, ou entre mémoire déclarative et mémoire procédurale.
En tant que tel, le fait de distinguer plusieurs formes de mémoire à long terme n’a pas de valeur scientifique. Leurs définitions ne viennent pas de recherches en éducation, mais sont souvent le résultat d’observation de pathologies de la mémoire. Les cas d’amnésie peuvent toucher de manière sélective que certaines des fonctions et en laisser d’autres intactes.
Lorsqu’on traite du fonctionnement normal de la mémoire dans les apprentissages scolaires, le cadre se complexifie. Lorsqu’il s’agit d’apprendre, l’articulation entre ces formes de mémoire devient un enjeu important.
La mémoire épisodique est celle de souvenirs personnels vécus et situés dans l’espace et le temps. Par exemple, ce sont les souvenirs liés à une visite de Paris.
La mémoire sémantique porte sur des connaissances générales, factuelles, indépendantes du contexte dans lesquelles elles ont été apprises initialement. Par exemple, c’est le fait de savoir que Paris est la capitale de la France.
À l’école, les connaissances relevant de la mémoire sémantique sont privilégiées et constituent le noyau dur des connaissances scolaires à acquérir.
Pour autant, elles ne sont pas complètement indépendantes de nos propres souvenirs. Notre mémoire épisodique se lie à notre mémoire sémantique et elles s’enrichissent mutuellement. Des souvenirs d’un voyage à Paris s’alimentent de connaissances sur la ville et inversement.
Il existe des preuves médicales de la distinction et des liens entre mémoire épisodique et sémantique.
Une maladie neurodégénérative, la démence sémantique est caractérisée par la perte des connaissances relatives aux objets, aux faits, aux concepts, aux personnes. Elle peut toucher de manière sélective certaines catégories sémantiques. Il est possible de développer un déficit pour les êtres vivants, alors qu’il n’y a pas de déficit pour les objets manufacturés.
Ce phénomène met en évidence une propriété essentielle de la mémoire sémantique. La mémoire sémantique est organisée.
Le syndrome amnésique peut être lié à un traumatisme crânien lié à un accident, seuls sont touchés les évènements personnels vécus, qu’ils soient uniques ou répétés, avant ou après l’accident. Les connaissances générales acquises avant l’accident peuvent être préservées.
L’acquisition de nouvelles connaissances postérieurement à l’accident reste possible, mais elle peut devenir plus difficile et plus lente que celle observée chez des individus sans pathologie.
Cette observation laisse entendre que, sans en constituer une condition sine qua non, que la mémoire épisodique peut servir d’appui à la constitution des connaissances générales (sémantiques). Cet élément plaide pour une articulation entre la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. Avant d’appartenir à la mémoire sémantique, les connaissances pourraient avoir été épisodiques.
Le mode de récupération distingue la mémoire sémantique et la mémoire épisodique
Ce n’est pas le contenu mémorisé qui établit la distinction entre mémoire épisodique et mémoire sémantique. C’est la manière de retrouver les informations qui va les différencier :
- La récupération en mémoire épisodique se réalise en fonction du contexte, car les contenus mémorisés sont accompagnés de traces des caractéristiques spatiales et temporelles du contexte initial de l’acquisition.
- La récupération en mémoire sémantique se base sur l’organisation des connaissances et sur les liens entre celles-ci.
Dans le cerveau, il n’y a pas de lieu de stockage spécifique pour la mémoire sémantique et la mémoire épisodique. Les contenus des souvenirs peuvent correspondre à des zones du cerveau très étendues.
Plusieurs zones corticales peuvent être impliquées pour un même souvenir (informations visuelles, auditives, conceptuelles, langagières…).
L’enjeu porte surtout sur la mise en relation de toutes ces informations.
Le principe d’encodage spécifique de la mémoire épisodique
La mémoire épisodique est qu’elle prend en compte des indices relatifs au contexte dans lequel l’information est encodée, ce qui a des conséquences sur la manière dont l’information peut ensuite être récupérée.
La probabilité du rappel d’une information dépend fortement de la similarité qui existe entre le contexte de son encodage et le contexte de sa récupération.
La présence d’un indice relatif au contexte d’apprentissage facilite la récupération, c’est le principe d’encodage spécifique.
Le principe d’organisation de la mémoire sémantique
Les souvenirs de la mémoire sémantique ne sont pas liés au contexte. Ils possèdent une autre propriété, ils sont organisés. L’efficacité de leur récupération dépend de la qualité de leur organisation.
Les connaissances sont hiérarchisées et, par économie, les attributs des concepts sont stockés au niveau le plus général possible.
Les connaissances sur le monde ne tiennent pas qu’à des caractéristiques logiques. La mémoire sémantique inclut aussi des représentations prototypiques. Pour une catégorie sémantique donnée, certains exemplaires représentent leur catégorie mieux que d’autres. La mémoire sémantique est conçue comme un immense réseau de concepts interconnectés qui peuvent être reliés par des liens de natures très variées.
L’importance du passage de la mémoire épisodique à la mémoire sémantique pour l’apprentissage
Les connaissances scolaires que nous possédons sont en principe indépendantes des circonstances dans lesquelles nous les avons acquises initialement.
Pourtant, il peut arriver lorsque des connaissances ne nous reviennent pas automatiquement de réfléchir à un épisode ou à des épisodes précis et datés pour les récupérer. Nous pouvons parfois retrouver une information utile en l’associant à un épisode particulier vécu pendant un cours ou lors du temps d’étude.
Ainsi, des informations qui devraient être indépendantes du contexte d’apprentissage peuvent ne pas encore l’être, parce qu’elles n’ont pas encore été intégrées totalement dans la mémoire sémantique. Elles peuvent relever au moins partiellement, mais sans doute provisoirement, de la mémoire épisodique.
Dans leur construction, les contenus de la mémoire sémantique deviennent progressivement indépendants de ceux de la mémoire épisodique. Ils se construisent par abstraction, sur la base d’évènements particuliers, et ces épisodes constituent également pour l’élève un vécu, qui peut être mobilisé volontairement et explicitement, et parfois implicitement.
Différences entre mémoire déclarative et mémoire procédurale
La mémoire sémantique et la mémoire épisodique représentent des connaissances et des souvenirs qui peuvent être exprimés sous une forme verbalisée. Ce sont des connaissances déclaratives.
La mémoire humaine traite aussi d’une autre forme de connaissances, ce sont les connaissances procédurales. Une procédure est une séquence d’actions, physiques ou mentales, destinées à l’exécution d’une tâche déterminée.
Les connaissances procédurales ne sont accessibles qu’à travers la performance d’un individu engagé dans une activité. Il y a souvent décalage entre le niveau de performance et la possibilité de verbaliser ce qui permet cette performance.
Les connaissances procédurales ne se réduisent pas à celles qui s’expriment à travers des activités perceptives et motrices.
La lecture se fonde en partie sur des connaissances procédurales. Elle gagne à faire l’objet d’un enseignement explicite, mais le lecteur expert doit pouvoir établir la correspondance entre les signes écrits et les mots connus à l’oral automatiquement. La reconnaissance des mots durant la lecture chez le lecteur expert est une activité de nature procédurale, hautement automatisée. L’apprenti lecteur doit passer par un entrainement visant à l’automatisation. Le calcul mental passe par le même cheminement.
L’articulation de la mémoire déclarative et de la mémoire procédurale dans les apprentissages
Les connaissances procédurales peuvent avoir des sources variées :
- Elles peuvent avoir été constituées de manière implicite :
- Une personne les a développées par un entrainement : par exemple, lorsqu’on fait de la bicyclette, il n’est pas nécessaire de faire référence aux lois physiques de l’équilibre, on peut juste imiter.
- Leur transformation en connaissances déclaratives est alors laborieuse, mais elle est possible par un processus d’explicitation.
- Elles peuvent avoir été constituées de manière explicite :
- Une personne les a développées au départ d’une instruction : c’est par exemple la lecture ou la conduite automobile
- Les objets d’apprentissage peuvent être d’abord exposés de manière explicite, sous forme de règles susceptibles de conduire à la mise en œuvre d’actions physiques ou symboliques.
- La transformation des connaissances explicites en procédures n’est pas sans présenter quelques difficultés, il faut un certain temps pour que l’exécution de la procédure soit fluide et ne nécessite pas d’y penser.
La recherche a montré que des patients amnésiques sont souvent capables de réaliser des apprentissages sensori-moteurs nouveaux.
Mais il y a un paradoxe. D’un côté, ils ne se souviennent pas des entrainements d’un jour. Il faut recommencer l’explication. Cependant, les performances observées s’améliorent de jour en jour. Il y a une dissociation entre la mémoire déclarative (les explications des gestes) et la mémoire procédurale (la réalisation des gestes). De plus, les apprentissages procéduraux sont ralentis par rapport aux individus sans pathologie.
Beaunieux et ses collaborateurs (2006) avancent ainsi l’hypothèse que mémoire déclarative et mémoire procédurale ne sont pas véritablement indépendantes. Le déficit de la mémoire déclarative peut avoir des répercussions sur la maitrise des connaissances procédurales.
L’importance de multiplier les exemples diversifiés pour l’apprentissage en mémoire sémantique
La récupération des informations de la mémoire sémantique doit pouvoir s’appuyer sur sa propre structure ou s’appuyer sur des indices qui se fondent sur le contexte de construction de cette structure.
Selon Lieury (1991), la construction des connaissances nécessite un processus d’abstraction qui gagne à s’appuyer sur la présentation d’épisodes variés.
Les savoirs relevant de la mémoire sémantique nécessitent une élaboration progressive, fondée sur l’intégration de plusieurs facettes des connaissances en jeu. Il s’agit d’une condition essentielle pour la construction des savoirs abstraits et pour leur utilisation ultérieure efficace.
Il importe par conséquent de diversifier les exemples pour un même contenu et les modes de présentation. Si la répétition est nécessaire, elle gagne à se faire dans des contextes variés. C’est par exemple l’utilisation de différentes formes de modélisation et de représentations, par exemple schématique et graphique. C’est également l’utilisation de plusieurs exemples présentant des caractéristiques différentes.
Chi et ses collaborateurs (1989) ont ainsi analysé la façon dont des étudiants résolvent des problèmes de mécanique lorsqu’ils doivent transférer un entrainement initial dans des situations variées :
- Les étudiants ayant un faible niveau de connaissances dans la discipline doivent retourner aux exemples fournis lors de l’entrainement.
- Les étudiants de bon niveau font référence aux exemples pertinents étudiés auparavant de manière instantanée.
- La différence entre les étudiants de différents niveaux ne tient pas tant à des capacités de raisonnement qu’à une exploitation automatique d’exemples pertinents, rendue possible par la confrontation répétée à des exemples suffisamment variés.
En ce qui concerne les apprentissages scolaires, l’enjeu est justement à la fois de prendre en compte les spécificités de la mémoire déclarative et de la mémoire procédurale, mais aussi une éventuelle complémentarité entre les deux.
Le développement d’automatismes est fondamental, mais souvent pouvoir analyser une situation particulière d’un point de vue déclaratif peut être essentiel. C’est tout l’enjeu de la résolution de problèmes et de la réalisation de tâches complexes.
Cas de la mémorisation en langues vivantes étrangères
La maitrise de connaissances lexicales et de règles de grammaire est souvent requise avant toute pratique permettant une utilisation fluide de la langue.
La difficulté est le passage en temps réel, quand il importe dans une conversation de mettre en œuvre des connaissances précédemment apprises.
Les données empiriques convergent pour démontrer la supériorité des apprentissages explicites (DeKeyser, 2003). L’apprentissage implicite (qui consiste à baigner dans la langue) peut certes s’avérer plus efficace à long terme, mais sous réserve d’une exposition à la langue suffisamment longue et intense.
Lorsque l’on part d’un enseignement explicite, un exercice suffisamment long et intense permet bien de transformer les connaissances déclaratives en connaissances procédurales (Morgan-Short et coll., 2012).
Le recours à l’enseignement explicite est particulièrement utile chez les apprenants de niveau intermédiaire (ni débutants ni experts). Il est particulièrement pertinent, aux niveaux intermédiaires, d’alimenter le stock de connaissances explicites (mots ou formules « clés en main » : Schmidt, 1992). La maitrise d’énoncés « tout prêts » permet à l’apprenant de se référer facilement à des structures de phrases qui peuvent servir y compris pour la production d’autres énoncés, et « nourrir » ainsi progressivement des processus plus implicites.
Mis à jour le 12/03/2024
Bibliographie
Daniel Gaonac'h, Les élèves et la mémoire, 2022, Retz
Beaunieux, H., Hubert, V., Witkowski, T., Pitel, A., Rossi, S., Danion, J.M., Desgranges, B., and Eustache, F. (2006). Which processes are involved in cognitive procedural learning? Memory,14, 521-539.
Alain Lieury, 1991, mémoire et réussite scolaire, Dunod
Chi, M. T., Bassok, M., Lewis, M. W., Reimann, P., & Glaser, R. (1989). Self-explanations: How students study and use examples in learning to solve problems. Cognitive Science, 13(2), 145–182. https://doi.org/10.1207/s15516709cog1302_1
DeKeyser, R. (2003). Explicit and Implicit Learning. In C. Doughty, & M. H. Long (Eds.), The Handbook of Second Language Acquisition (pp. 313-348). Oxford: Blackwell.
http://dx.doi.org/10.1002/9780470756492.ch11
Morgan-Short K, Steinhauer K, Sanz C, Ullman MT. Explicit and implicit second language training differentially affect the achievement of native-like brain activation patterns. J Cogn Neurosci. 2012 Apr;24(4):933-47. doi: 10.1162/jocn_a_00119. Epub 2011 Aug 23. PMID: 21861686; PMCID: PMC3558940.
Schmidt, R. (1992). Psychological Mechanisms Underlying Second Language Fluency. Studies in Second Language Acquisition, 14(4), 357-385. doi:10.1017/S0272263100011189
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