La question du développement des compétences sociales des élèves à l’école est un sujet important. L’existence de risques liés à la santé mentale, à la dépression, à l’anxiété et à l’isolement chez les adolescents est réelle. Les écoles n’y sont pas étrangères. Les élèves passent une grande partie de leur vie à l’école ou dans des activités en lien avec elle. La qualité des relations sociales qui s’y développent est importante pour leur épanouissement. En ce sens, il est important de s’y intéresser.
(Photography: crystal-linity)
L’impact sur les élèves d’un accès non maitrisé aux écrans
Un rapprochement peut être fait entre la question des compétences sociales des élèves et leur usage du smartphone et des médias sociaux. À ce titre, la question des usages, accès autorisé ou limité aux smartphones et réseaux sociaux à l’intérieur de l’école est signifiante.
Un problème majeur des téléphones portables est que les jeunes qui les utilisent changent de tâche toutes les quelques secondes. Mieux encore, ils s’entraînent à changer de tâche toutes les quelques secondes. Cela les habitue à évoluer durant de longues périodes dans des états de demi-attention, où ils s’attendent à découvrir un nouveau stimulus toutes les quelques secondes.
Plus les jeunes passent de temps à changer constamment de tâche en demi-attention, plus il leur devient difficile de maintenir leur capacité à effectuer des périodes soutenues de concentration intense. Au bout d’un certain temps, un cerveau habitué à l’impulsivité se recompose pour devenir plus enclin à cet état.
Lorsqu’une phrase ou un problème nécessite une analyse lente et ciblée, leur esprit peut déjà être en train de chercher quelque chose de nouveau et de plus divertissant. Il devient plus difficile pour eux de s’adapter à une activité non numérique où les contenus statiques ne bougent pas et ne changent pas aussi vite que souhaité.
La sensibilité des jeunes à ces phénomènes est plus élevée que celle des adultes. Le cortex préfrontal, qui est la région du cerveau qui contrôle les impulsions et l’autodiscipline, ne sera pas complètement développé avant l’âge de 25 ans.
Algorithmes des médias sociaux et perte de confiance dans les institutions
Les algorithmes liés aux médias sociaux personnalisent l’accès à des contenus en fonction du profil de l’utilisateur, ce qui a un impact sur sa vision et sur sa compréhension du monde et de son environnement. Nous nous retrouvons dans une chambre d’écho où nos perceptions initiales sont facilement renforcées et où les personnes qui ne sont pas d’accord avec nous sont caricaturées et critiquées.
Cet accès biaisé se traduit par un accès à une information de moindre qualité et ce phénomène peut être mis en parallèle avec celui d’une baisse du niveau de confiance dans les institutions.
Les cibles les plus évidentes de la perte de crédibilité sont le gouvernement, les politiciens et les médias. Il y a une perte de confiance dans la capacité du gouvernement à résoudre les problèmes. Indirectement, cela peut affecter les écoles qui sont elles-mêmes des institutions et la crédibilité de ses acteurs de première ligne que sont les enseignants. Les écoles ne peuvent plus compter sur la bonne volonté et la confiance de tous les parents qu’elles servent.
L’enjeu du contrat social des écoles
Les écoles sont des institutions qui s’appuient sur un contrat social pour accomplir leurs missions.
Les différents acteurs participants au sein de l’école acceptent des restrictions relativement mineures à leurs propres actions. Ils doivent respecter un cadre et des règles. Ceux-ci leur permettent de bénéficier des avantages plus importants qui s’accroissent lorsque tout le monde respecte ces règles avec cohérence et cohésion.
Chaque école est dépendante de la volonté des membres de sa communauté d’accepter que les règles soient bénéfiques et nécessaires à la construction d’un contrat social. Ce contrat ne fonctionne que si les participants font confiance à la direction de l’école pour en défendre, renforcer et appuyer les termes. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’une majorité rejette les termes d’un contrat social pour en éroder la viabilité. Un nombre réduit de personnes suffit. Quelques élèves suffisent par exemple à dérégler une classe.
L’enjeu pour les écoles est de construire, défendre et renforcer leur contrat social. L’enjeu est aussi de convaincre, d’éduquer, d’amener les élèves et leurs parents parfois à se remettre en question et à modifier leurs perceptions et leurs conceptions.
Comme Jonathan Haidt le montre, les individus changent d’avis lorsque des personnes en qui ils ont confiance et avec lesquelles ils se sentent liés expriment un point de vue différent.
La tension entre individualisme et appartenance
Un obstacle au renforcement du contrat social de l’école est la tendance de nos sociétés à l’accentuation de l’individualisme. Celui-ci se fait au détriment de l’appartenance à une communauté, de l’attention aux autres et du respect mutuel.
Le psychologue social néerlandais Geert Hofstede a défini l’individualisme, dans sa théorie des dimensions culturelles. L’individualisme est pour lui une préférence pour un cadre social peu structuré dans lequel les individus sont censés ne s’occuper que d’eux-mêmes et de leur famille proche.
Geert Hofstede oppose l’individualisme au collectivisme. Le collectivise selon Hofstede est une préférence pour une société étroitement soudée dans laquelle il est entendu et attendu que les membres du groupe s’occupent les uns des autres en échange d’une loyauté mutuelle.
Le passage à la modernité se fait au détriment de la mentalité collective et en faveur de l’individualité. Selon Haidt, la plupart des sociétés sont passées d’une situation où les liens communautaires dominent, à une situation où les droits individuels se sont rapidement développés parallèlement à la culture de la consommation s’est répandue.
Toutefois, l’idée n’est pas de rejeter l’individualisme qui s’accompagne du respect des droits et de la liberté des individus.
Cependant, nous pouvons reconnaitre que dans certains cadres, dont l’école, l’importance accordée à l’individualisme pourrait bénéficier d’une certaine modération. L’importance accordée à l’individualisme pourrait nous faire négliger des manières de faire qui soutiennent l’appartenance. Ces dernières ont une influence bénéfique sur l’engagement, la perception de compétence, le bien-être et la réussite dans un cadre scolaire.
La protection des individus et de leurs libertés importe. Nos obligations mutuelles importent également.
Nous devons faire le pari d’un contrat social viable en école, dans lequel les individus reportent et abandonnent régulièrement leurs désirs et impulsions à court terme au profit du plus grand bien commun dans une démarche partagée.
En tant qu’élève, je peux ne pas avoir envie de faire ce que mon enseignant me demande. Cependant, si je m’y oppose, je l’empêche de m’enseigner et d’enseigner aux autres élèves.
Un contrat social fort et partagé est une condition nécessaire pour des écoles qui favorisent la réussite et le bien-être.
Des pistes et des démarches pour renforcent un contrat social favorable en école
Il existe des solutions et des mesures claires que les écoles peuvent prendre pour relever avec succès chacun des défis qui se posent à l’établissement d’un contrat social favorable en école.
Un des paramètres peut être d’aller récolter régulièrement l’avis des élèves sur des décisions à prendre en école en rapport avec le fonctionnement de celle-ci. Il s’agit de prendre l’habitude de recueillir constamment des informations, d’écouter attentivement, comme s’il s’agissait d’une évidence.
Écouter et demander l’avis des élèves n’implique pas d’être d’accord avec leur proposition ou de leur donner ce qu’ils veulent. Cela permet d’établir un dialogue et d’expliquer pourquoi certaines décisions sont prises plutôt que d’autres en étayant les données relatives. Cela contribue à l’équité des processus.
Discuter, dialoguer et écouter les avis est une forme de respect et d’attention mutuelle, une manière de montrer une appréciation et de la reconnaissance. Les élèves ont alors l’impression que l’école accorde de l’importance à leurs opinions et en tient compte. Cela suscite de la confiance et de l’appréciation. Même si de nombreuses décisions ne sont pas celles des élèves, certaines peuvent l’être. Ces démarches permettent aux élèves de mieux comprendre et accepter les décisions.
Une bonne règle de base pour la gestion des écoles est que le moment le plus important pour écouter et consulter les autres personnes concernées est celui où l’on pense ne pas être d’accord potentiellement avec eux.
Lorsque les écoles arrivent à favoriser l’appartenance chez leurs élèves, elles créent une communauté, une attente mutuelle d’avantages et d’obligations partagés.
L’école devient une entité qui se situe dans une société plus large, qui a une culture distincte, un contrat social de réciprocité. Elle prépare les élèves à prospérer en tant que groupe en son sein et dans la société plus large dans son ensemble.
Mis à jour le 24/02/2024
Bibliographie
Doug Lemov, Hilary Lewis, Darryl Williams, Denarius Frazier, Reconnect: Building School Culture for Meaning, Purpose, and Belonging, Josey-Bass, 2022
Jonathan Haidt, The Righteous Mind, Vintage, 2012
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