mardi 12 septembre 2023

Facteurs d’influence et d’estimation de l’expertise des enseignants

Les enseignants experts sont à la fois bons et performants. Toutes les écoles souhaitent avoir des enseignants experts. La recherche montre que les élèves qui apprennent avec des enseignants experts apprennent plus ou mieux.

Mais qu’est-ce exactement qu’un enseignant expert ? Comment en reconnaître un quand on en voit un ? Qu’est-ce qui détermine si un enseignant est un expert ou s’il est simplement expérimenté ? L’expérience est-elle suffisante ou faut-il aller plus loin ?

(Photographie : waldesgeist)





Définir l’expertise en général


De manière générale, l’acquisition d’une expertise dans un domaine donné se traduit par l’affinement d’un schéma de plus en plus sophistiqué représentant des éléments de connaissance. 

Toute personne qui développe des schémas sophistiqués de cette manière est capable de voir de plus en plus comment les éléments de connaissance discrets d’un domaine sont liés. 

Plutôt que de voir des éléments de connaissance isolés, elle voit des modèles et des connexions parce qu’elle comprend les structures sous-jacentes du domaine qu’elle investit.

La facilité et l’automaticité avec lesquelles une personne est capable de voir ces réseaux et de transférer d’anciennes connaissances à de nouveaux problèmes sont un signe certain qu’elle devient plus experte.



La part innée et due au talent dans l’acquisition de l’expertise chez l’enseignant


Après le contexte et la pratique délibérée, le talent semble être le troisième facteur déterminant de l’acquisition de l’expertise chez les enseignants.

Il n’est pas évident de déterminer comment, et de quelle manière, le talent influence le développement de l’expertise en enseignement. 

En prenant l’exemple de l’expertise en musique et en art, le talent ne peut pas être négligé. Le talent, aussi ambigu que soit le terme, est un facteur qui existe. Cependant, il n’est pas évident de déterminer ce qu’est le talent pour un enseignant.

Les talents ou les caractéristiques de base de ceux qui entrent dans le domaine de l’enseignement à l’âge adulte sont probablement déterminés à la fois par des facteurs biologiques et sociaux. Les interactions entre ces facteurs sont probablement bien au-delà de notre capacité à les cataloguer.

Le talent se manifeste dans des différences individuelles concernant des capacités et des compétences qui ressemblent à des dons ou à des capacités innées. Le talent a un rôle majeur à jouer dans le développement de l’intérêt et dans la détermination du niveau final d’accomplissement atteint par un expert en devenir.

Si cette dimension est indéniable, le talent présente peu d’intérêt pratique lorsqu’il s’agit d’étudier l’expertise pédagogique. En effet, il est une interaction extrêmement complexe de nombreuses caractéristiques humaines. De plus, par sa nature innée, il s’agit d’un facteur peu influençable.



La part de la pratique délibérée dans l’acquisition de l’expertise chez l’enseignant


Au-delà de la dimension du talent, l’acquisition de l’expertise est plus surement fonction de la motivation à pratiquer et à apprendre de cette expérience. La pratique délibérée est une dimension particulièrement pertinente, car nous pouvons agir sur elle.

La motivation et l’intérêt peuvent donner naissance à l’expertise par le biais de la pratique délibérée. Il n’existe aucune preuve convaincante qu’un talent spécifique ou un héritage biologique sont une condition préalable à l’acquisition de niveaux de performance experts. 

L’expertise serait le résultat d’une formation prolongée qui modifie les processus cognitifs et physiologiques des experts à un degré supérieur à ce que nous croyons généralement possible.

Toutefois, cette affirmation a également ses limites. La quantité et la qualité de la pratique comptent, mais les aptitudes personnelles ont également un rôle à jouer même si elles sont un facteur non modifiable.

Le fait est qu’une pratique délibérée extensive sera toujours nécessaire pour devenir très performant dans l’enseignement. C’est le cas pour d’autres activités complexes telles que jouer du violon, établir un diagnostic médical ou créer de la poterie. 



La part du contexte dans l’acquisition de l’expertise chez l’enseignant


Nous considérons trop souvent l’expertise comme une caractéristique d’une personne. La psychologie nous a appris à maintes reprises que de telles caractéristiques sont typiquement une interaction entre la personne et l’environnement dans lequel elle se trouve (Rich, 1993). 

Le contexte représente le fait que les conditions de travail des enseignants exercent une influence considérable sur le développement de l’expertise. Les enseignants atteignent des niveaux de productivité différents en fonction du cadre et des conditions de travail du site où ils se retrouvent.

Les politiques scolaires, les directions, les programmes et les attentes de la communauté environnante modifient l’organisation d’une école et son climat. 

Ces différents facteurs imprègnent subtilement, mais profondément, les attitudes, les croyances, l’enthousiasme, le sentiment d’efficacité, la conception de leurs responsabilités et les pratiques d’enseignement des enseignants. 

Ainsi, le contexte doit être considéré comme une troisième variable et probablement de statut égal avec le talent et la pratique dans le débat sur les influences importantes dans le développement d’enseignants accomplis, exemplaires ou experts.

C’est probablement le pouvoir du contexte suivi d’une pratique délibérée, plus que le talent, qui influence le niveau de compétence d’un enseignant. 

Un facteur important dans la définition de l’expertise en enseignement est lié au contexte, c’est la culture. L’expertise en enseignement prend des formes différentes selon les cultures, de plus ses caractéristiques changent au fil des décennies. Un enseignant expert dans un contexte peut ne pas l’être dans un autre. Le lieu et l’époque participent à définir l’expertise en enseignement. Un enseignant peut être considéré comme expert dans une culture et médiocre dans une autre où les attentes sont diamétralement opposées.



L’expérience n’est pas l’expertise


Si l’inexpérience va de pair avec le statut de novice, l’expérience ne va pas automatiquement de pair avec l’expertise. Si nous pouvons dire que tous les enseignants experts sont expérimentés, tous les enseignants expérimentés ne sont pas des experts.

Il est donc difficile d’avoir la certitude que ceux que nous identifions comme des enseignants experts sont réellement aussi accomplis que nous pourrions le souhaiter. 

Sont généralement considérés comme enseignants experts :
  • Les enseignants qui vont prendre en charge dans un établissement l’accueil des nouveaux enseignants et des enseignants stagiaires. 
  • Les enseignants qui obtiennent un statut de coordinateur dans une discipline ou dans un niveau scolaire.
  • Les enseignants qui par leur engagement, leur expérience et la reconnaissance de leurs pairs et de leurs élèves se distinguent.

La certitude que tous ces enseignants étaient des experts fait défaut. 

Contrairement au petit nombre de domaines où il existe des tournois pour déterminer les experts, comme les échecs ou le bridge, en enseignement nous sommes généralement considérés comme un expert par le jugement des autres. 



La distinction entre un bon enseignement et un enseignement performant


La notion d’expertise de l’enseignant doit explorer les dimensions de son comportement envers les élèves et de sa performance à travers ce qu’apprennent ses élèves

Nous pouvons distinguer le bon enseignant de l’enseignant performant, mais les caractéristiques de l’expertise se retrouvent souvent confondues. 

Un bon enseignement est jugé sur la base de normes appliquées aux tâches d’enseignement et liées à des normes de comportement professionnel, y compris des considérations morales. 

Un enseignement performant consiste à déterminer si les apprentissages prévus ont été réalisés. Les jugements sur un enseignement performant ne portent pas sur les tâches d’enseignement ou le comportement professionnel, mais sur la réalisation des objectifs.



Les limites de l’expertise performante


Ce qui permet de se rapprocher le plus d’une mesure permettant de déterminer les enseignants experts, ce sont les tests de réussite standardisés administrés aux élèves. 

Mais si nous acceptions les scores élevés aux tests comme critères objectifs pour définir l’expertise des enseignants, il faudrait alors noter que les enseignants seraient tenus de démontrer leur expertise à travers les performances de leurs élèves. Ainsi, la performance des enseignants ne serait pas évaluée directement, mais serait plutôt une mesure de la performance des élèves une fois retirés tous les autres facteurs d’influence. 

Il y a un problème empirique à exiger que les résultats élevés aux tests de réussite des élèves soient une caractéristique déterminante de l’enseignant expert. Les résultats des élèves aux tests standardisés, pratiquement tous les autres résultats liés à l’éducation, sont fonction de différents facteurs. Ils sont intrinsèquement liés à la classe sociale des élèves, au capital social de la communauté, aux effets des pairs et à d’autres facteurs connexes. 

Les scores obtenus par les élèves sur la plupart des mesures des résultats scolaires sont des indicateurs très imparfaits de l’expertise d’un enseignant.

Le danger de l’expertise basée sur la performance est qu’il n’y a pas d’équivalence complète entre l’apprentissage des élèves et l’enseignement prodigué. 

De la même manière, les jugements sur les soins médicaux et la cuisine peuvent être distingués de la question de savoir si une personne survit à une maladie ou non, ou si l’on apprécie la nourriture préparée.

Nous devons au contraire mobiliser des normes de compétence, de sorte que les jugements sur la qualité de l’enseignement, des soins médicaux et de la cuisine peuvent être régulièrement portés indépendamment de leurs résultats.


Mis à jour le 24/02/2024

Bibliographie


Paul A. Kirschner, Carl Hendrick and Jim Heal, How Teaching Happens: Seminal Works in Teaching and Teacher Effectiveness and What They Mean in Practice, Routledge, 2022.

Rich, Y. (1993). Stability and change in teacher expertise. Teaching and Teacher Education, 9(2), 137–146. https://doi.org/10.1016/0742-051X(93)90049-M

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