samedi 16 septembre 2023

La question complexe de la taille des classes

Réduire le nombre d’élèves par classe est une proposition qui séduit les enseignants et les parents, mais qui représente également un certain coût en matière de ressources. Que dit la recherche sur ce sujet ?

(Photographie : Yigal Pardo)



L’impact du biais de confirmation lié à des classes plus petites


La taille des classes est un exemple classique de situation où le biais de confirmation vient centrer notre attention sur certains points en obscurcissant une vision plus large et globale des tenants et aboutissants de la question.

Pour différentes raisons, de manière générale, les classes plus petites sont meilleures. Il devient plus aisé pour l’enseignant :
  • D’interagir régulièrement avec chaque élève.
  • De corriger toutes les productions et évaluations formatives des élèves.
  • De délivrer une rétroaction individuelle et personnalisée à chaque élève.
  • De surveiller activement les élèves de façon à ce que les risques liés aux comportements perturbateurs soient minimisés.

Pour différentes raisons, les petites classes sont également meilleures parce qu’elles sont plus agréables à vivre. La réduction de la taille des classes a un impact bien réel sur le bien-être et la quantité de travail des enseignants et leur permet d’en améliorer la qualité.

En dehors de la question des coûts et de la gestion des ressources que nous analyserons plus par la suite, il y a la dimension des pratiques professionnelles qui est l’aspect ignoré ou minorisé par le biais de confirmation.

La diminution du nombre d’élèves par classe ne va pas automatiquement changer l’approche de l’enseignement et les pratiques pédagogiques mises en œuvre. Or sans changement effectif de pratique et de pédagogie, il y a peu de chances que les élèves changent leur approche de l’apprentissage. 

Dès lors sans changement dans les démarches d’apprentissage des élèves et dans les pratiques de l’enseignant, tout bénéfice sera insignifiant. Le changement de la taille des classes devrait s’accompagner d’autres changements tout aussi importants en ce qui concerne l’efficacité des pratiques en classe, afin d’améliorer de l’engagement des élèves. Comment les opportunités offertes par des classes plus petites pourraient-elles être employées de manière à réellement avoir un impact ?



Un optimum de taille de classe à déterminer en fonction du contexte


Face à la problématique qui consisterait à déterminer une taille de classe idéale, Malcolm Gladwell (2013) propose un juste milieu.

Personne ne veut de classes immenses et il peut y avoir des inconvénients à avoir trop peu d’élèves dans une classe.
 
La situation peut être modélisée par un U inversé :
  • Lorsque la taille des classes est réduite, l’apprentissage s’améliore jusqu’à ce que la taille optimale de la classe soit atteinte. 
  • Si la taille de la classe passe en dessous de l’optimum, l’apprentissage diminue. 
Gladwell suggère que l’effectif optimal se situe entre 16 et 24 élèves. 

Il n’est pas aisé de déterminer une taille optimale en dehors d’un intervalle, car de nombreux facteurs contextuels viennent influencer les résultats. 

Lorsque nous cherchons à déterminer un optimum de taille de classe, nous devons réfléchir à des aspects tels que : 
  • Le contexte de l’école : niveau socio-économique, diversité culturelle, milieu urbain ou rural, etc.
  • L’âge des élèves et le niveau scolaire
  • La présence et la proportion d’élèves ayant des troubles de l’apprentissage ou du comportement
  • Le type de pédagogie adopté par les enseignants
  • La formation des enseignants, leur expérience et leur compétence.



Un impact au primaire et pour les groupes défavorisés


La diminution du nombre d’élèves par classe aurait des effets nettement plus importants au primaire qu’au secondaire, selon Piketty et Valdenaire (2006)

Ce sont les conclusions d’études :
  • Dans le Commonwealth (Pedder, 2006)
  • Dans l’Union européenne (Jakubowski & Sakowski, 2006)
  • Aux États-Unis [Finn et Achilles, 1999]. Cette recherche est basée sur l’étude randomisée STAR. Plus de 11 000 élèves ont été affectés aléatoirement à des classes de petite taille [environ 15 élèves] ou de grande taille [environ 23 élèves] et ont été suivis pendant cinq ans, de 1985 à 1990.
  • Au Canada (Auger, 2006).

Ces études vont dans le sens d’un impact favorable de la réduction de la taille des groupes, pour la réussite scolaire durant les trois premières années du primaire.

La recherche montre que la réduction de la taille des classes aurait des effets positifs plus importants chez les enfants de groupes vulnérables. Ce sont ceux issus de milieux socio-économiques défavorisés, les enfants afro-américains aux États-Unis ou ceux issus de familles monoparentales.

En France, l’étude de Piketty et Valdenaire (2006) obtient des effets deux fois plus élevés en considérant les enfants d’origine sociale défavorisée. Aux États-Unis, une étude de Krueger (1999) basée sur les données STAR trouve des impacts plus élevés pour les élèves plus pauvres et pour les élèves noirs. 

Des chercheurs norvégiens (Iversen et coll., 2013) ont identifié des effets deux fois plus forts pour les enfants issus de familles monoparentales, après avoir suivi des élèves scolarisés pendant 4 ans dans des classes de taille réduite.

Au Québec également, un rapport d’experts (2014) concluait que les effets de la réduction du nombre d’élèves par groupe étaient plus significatifs dans les milieux défavorisés, pour les élèves du début du primaire. La condition était que le nombre d’élèves par classe soit inférieur à 20.



Effets d’une réduction de la taille des classes


Une étude et une revue de la littérature de Terrisse et ses collègues (2011) n’établissent pas de retombées sur les performances scolaires en raison du manque de données fiables, mais mettent en évidence des impacts positifs sur : 
  • La socialisation des élèves
  • Leurs comportements
  • Le climat de classe.
Dans une méta-analyse, Filges et ses collègues (2018) concluaient que la réduction de la taille des classes avait, dans l’ensemble, des effets limités sur la réussite : proches de zéro, ou légèrement positifs. De plus, ces effets ne se feraient réellement sentir qu’en dessous d’un seuil très bas, de 15 élèves, voire 10 élèves par classe.

Dans une étude, Ecalle et ses collègues (2006) montraient que la taille des classes de première année du primaire avait un faible impact sur les compétences en littératie des élèves. Les classes plus petites (10 à 12 élèves versus 20 à 25 élèves) ont plus particulièrement amélioré les performances de deux types de populations. Ces populations étaient les enfants dont la première langue est le français et les enfants issus des catégories socio-économiques intermédiaire et moyenne. Cela signifie, en revanche, que ni les enfants issus des milieux les plus défavorisés ni les enfants dont la première langue n’est pas le français n’ont bénéficié de l’utilisation de classes plus petites. 

L’étude de Chetty et ses collègues (2011), basée sur les données STAR, suggère que les enfants qui fréquentent de petites classes au début de leur scolarité continuent d’en bénéficier à l’âge adulte. Le fait d’avoir été scolarisé dans une petite classe pourrait avoir un impact positif sur la probabilité d’entrer à l’université.  

Une étude de Dynarski et ses collègues (2013) basée également sur les données STAR établissait les probabilités suivantes :
  • Supérieure de 1,6 % pour obtenir un diplôme d’études collégiales
  • Supérieure de 2,7 % pour fréquenter l’université de 2,7 %
  • Les effets étaient deux fois plus importants pour la population afro-américaine.
Dans le cadre suédois, Fredriksson et ses collègues (2013) ont évalué les effets à long terme de la taille des classes à l’école primaire. Des classes plus petites au cours des trois dernières années de l’école primaire (de 10 à 13 ans) sont bénéfiques pour les capacités cognitives et non cognitives à l’âge de 13 ans. De même, elles améliorent les résultats à l’âge de 16 ans. Plus important encore, ils constatent que les classes à effectifs réduits ont des effets positifs sur l’achèvement des études, les salaires et les revenus (hausse de 1,2 %) entre 27 et 42 ans. 

Au Danemark, une étude de Browning et Heinesen, E. (2007) a étudié les effets de la taille des classes et du nombre d’élèves par heure hebdomadaire d’enseignement sur le niveau d’éducation après la scolarité obligatoire. Ils ont mis en évidence des effets modestes et des effets plus importants pour les élèves issus de milieux moins favorisés.

En Norvège, Leuven et Løkken (2020) ne trouvent aucune indication des effets bénéfiques de la réduction de la taille des classes à l’école obligatoire. Toujours en Norvège, Falch et ses collègues (2017) n’ont pas non plus trouvé pas d’effet moyen significatif sur les résultats à long terme de la réduction de la taille des classes. 



Bilan de la recherche sur la taille des classes


Selon l’analyse de la recherche faire par Crepeau (2021) :
  • Les impacts positifs de la taille des classes sont difficiles à démontrer à cause du grand nombre de variables confondantes ou de la difficulté à définir les critères de succès. 
  • Les recherches, un peu partout dans le monde, semblent démontrer que les avantages seraient plus marqués au premier cycle du primaire et auprès de populations défavorisées. Elles suggèrent également que la taille des classes devrait se limiter à 15 ou 20 élèves pour que l’impact sur la réussite scolaire soit significatif.
  • Certaines recherches ont trouvé des effets positifs de la réduction de la taille des classes dans les premières années d’école, d’autres n’en ont trouvé aucun. 
  • D’autres recherches ont trouvé que les gains réalisés par la réduction de la taille des classes étaient annulés par la nécessité de recruter des enseignants de moindre qualité pour les classes nouvellement créées.

Le principal obstacle à la réduction de la taille des classes est que la démarche est coûteuse. Lorsque les finances des écoles sont limitées, le test coût-bénéfice que toute politique éducative doit passer n’est pas « Cette politique a-t-elle un effet positif ? ». Il est plutôt « Cette politique est-elle l’utilisation la plus productive de ce financement pour l’éducation ? ».

Un euro consacré à la réduction de la taille des classes sera-t-il aussi rentable qu’un dollar consacré à l’augmentation des salaires des enseignants, à la mise en œuvre d’un meilleur programme scolaire ? Des salaires plus élevés attireraient probablement davantage de personnes qualifiées dans la profession enseignante et les y maintiendraient.

Toutefois, la popularité de la réduction de la taille des classes peut rendre politiquement difficile, pour les décideurs politiques, d’augmenter la taille des classes afin de maintenir d’autres investissements dans l’éducation.

Dans leur revue de la recherche, Grover & Chingos (2011) concluent que certaines études suggèrent qu’un changement significatif n’est susceptible de se produire que si la taille des classes est réduite à environ 15-17 élèves. Cependant, même dans ce cas, les avantages peuvent être marginaux. 

En tant que tel, simplement réduire la taille des classes, ne fournit pas par défaut un bénéfice direct. Un facteur important à considérer est le coût qu’implique une diminution du nombre d’élèves par classe sur le nombre d’enseignants et de locaux. La réduction de la taille des classes entraine un besoin de plus de classes et de plus d’enseignants.

Par conséquent, avant de consacrer des ressources à la réduction de la taille des classes, un établissement ou un système scolaire devraient s’assurer que celles-ci ne pourraient pas être mieux utilisées. Ces ressources pourraient être plus rentables dans le cadre du développement professionnel des enseignants ou dans le cadre de la mise en œuvre d’une approche multiniveau de type réponse à l’intervention.

D’après Grover & Chingos (2011), il semble que des réductions très importantes de la taille des classes, de l’ordre de 7 à 10 élèves en moins par classe ont un impact. Celui-ci se traduit par des effets significatifs à long terme sur les résultats scolaires et peut-être sur les résultats non cognitifs. Ces résultats nous semblent appuyer une approche de type réponse à l’intervention qui propose des interventions intensives de niveau 2 en petits groupes pour les élèves ayant des difficultés identifiées. 

Des classes beaucoup plus petites pour les enseignants inexpérimentés qui ont besoin de soutien pour développer leurs compétences ou pour les enseignants qui sont responsables d’élèves en difficulté peuvent être plus judicieuses que des réductions générales.


Mis à jour le 25/02/2024

Bibliographie


Catherine Crépeau, 2021, Réduire la taille des classes, un gage de réussite ? Ça dépend. https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impacts/ddr-reduire-la-taille-des-classes-un-gage-de-reussite-ca-depend/

David Didau, What if everything you knew about education was wrong?, 2016, Crown House

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Malcolm Gladwell, David and Goliath: Underdogs, Misfits, and the Art of Battling Giants, 2013, Time Warner

Piketty, Thomas and Mathieu Valdenaire. “L’impact de la taille des classes sur la réussite scolaire dans les écoles, collèges et lycées français — Estimations à partir du panel primaire 1997 et du panel secondaire 1995.” (2006).

David Pedder (2006) Are small classes better? Understanding relationships between class size, classroom processes and pupils’ learning, Oxford Review of Education, 32:2, 213-234, DOI: 10.1080/03054980600645396

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Jakubowski, Maciej & Sakowski, Pawel. (2006). Quasi-Experimental Estimates of Class Size Effect in Primary Schools in Poland. SSRN Electronic Journal. 10.2139/ssrn.1020687.

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Vaag Iversen, Jon Marius and Hans Bonesrønning. “Disadvantaged students in the early grades: will smaller classes help them?” Education Economics 21 (2013): 305 - 324.

Rapport du comité d’experts sur le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaire, mai 2014. http://www.mels.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PSG/politiques_orientations/rapport_comiteCS_mai2014v3p.pdf

Terrisse, B., Larivée, S. J. & Kalubi, J.-C. (2011). La réduction des effectifs dans la classe pour favoriser la réussite scolaire : étude de l’implantation et des retombées de la diminution du nombre d’élèves par classe au préscolaire et au premier cycle du primaire au Québec. Montréal : Université du Québec à Montréal.. Montréal, Québec : Rapport final de recherche présenté au Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) dans le cadre du Programme des Actions concertées

Filges, Trine & Sonne‐Schmidt, Christoffer & Nielsen, Bjørn. (2018). Small class sizes for improving student achievement in primary and secondary schools: a systematic review. Campbell Systematic Reviews. 14. 1-107. 10.4073/csr.2018.10.

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Raj Chetty, John N. Friedman, Nathaniel Hilger, Emmanuel Saez, Diane Whitmore Schanzenbach, Danny Yagan, How Does Your Kindergarten Classroom Affect Your Earnings? Evidence from Project Star, The Quarterly Journal of Economics, Volume 126, Issue 4, November 2011, Pages 1593–1660, https://doi.org/10.1093/qje/qjr041

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