lundi 18 septembre 2023

Conséquences de certains biais cognitifs dans le domaine de l’éducation

Nombre de biais cognitifs nous amènent à nous tromper régulièrement. Ils découlent souvent de raccourcis mentaux, de règles empiriques, d’heuristiques qui nous permettent de former des jugements et de prendre des décisions à moindre coût lorsque nous doutons ou lorsque nous sommes pressés par le temps.

(Photographie : Shawn Bush)



Parfois, elles nous amènent à commettre de petites erreurs et approximations sans grandes conséquences. À d’autres moments, ces erreurs peuvent s’accumuler ou devenir majeures. Dans ce cas de figure, il vaut mieux faire preuve de prudence, prendre conscience de nos biais cognitifs et y remédier.



L’effet d’ancrage de l’évaluation sommative par l’évaluation formative ou loi de Posthumus


Lorsque nous élaborons une évaluation sommative et lorsque nous attribuons des notes aux élèves, nécessairement, nous fonctionnons avec une ancre.

Celle-ci est souvent l’idée d’une répartition sous forme de courbe de Gauss : 
  • Quelques très bons résultats
  • Quelques résultats très faibles
  • Une majorité d’élèves autour de la moyenne. 
Inconsciemment, la conception de notre évaluation est influencée par ce modèle comme l’est notre correction des copies d’élèves. Inconsciemment, nous pouvons concevoir l’évaluation ou corriger les copies dans le but de tendre vers ce modèle.

Les élèves vont également s’y ancrer se définissant inconsciemment un profil supposé ou souhaité sur la courbe de Gauss, c’est ce que nous appelons également loi de Posthumus

D’une certaine manière, les enseignants et les élèves s’ancrent inévitablement dans ces fictions face à l’évaluation. Le risque est qu’ils vont s’employer à essayer de résoudre les mauvais problèmes ou ne pas s’y attaquer.

Le fait d’avoir une note cible peut freiner les élèves. Ils peuvent limiter leur effort et stopper leur apprentissage s’ils estiment que leur cible est à portée. Ils peuvent ressentir une anxiété s’ils estiment qu’ils n’arriveront pas à atteindre leur note cible.

De même, lorsque nous évaluons le travail d’un élève, si nous voyons son nom, nous nous attendons immédiatement à la gamme de notes qu’il va obtenir. De plus, nous avons notre image de la courbe de Gauss en tête et souhaitons y aboutir. Inconsciemment, nous allons influencer le résultat de l’élève pour qu’il corresponde à nos propres attentes. 

Le résultat des deux démarches aboutit à un système figé où la plupart des élèves vont tendre à garder des résultats et un positionnement relativement constant. Nous allons tendre à reproduire une répartition de notes qui correspond à notre ancrage.



Échapper à l’effet d’ancrage de l’évaluation sommative et à la loi de Posthumus par l’évaluation formative


Face à cette situation, l’enjeu est double. Pour améliorer l’efficacité de l’enseignement, il faudrait à la fois contourner l’ancrage de l’enseignant et celui des élèves.

Une première manière de faire est de se détacher des points et se centrer sur la notion de maitrise d’objectifs d’apprentissage. Cela revient à construire l’évaluation dans la logique d’objectifs de maitrise plus que de performance. L’apprentissage correspond à une qualité, à l’atteinte d’une norme, plutôt qu’à une question de quantité mesurable directement.

Nous entrons alors dans une approche de type pédagogie de la maitrise. Au lieu de fixer des objectifs pour ce que les élèves devraient atteindre pour une évaluation de fin de période, chaque objectif pourrait plutôt refléter ce qu’ils doivent atteindre ensuite. 

Lorsqu’un objectif d’apprentissage est atteint, les élèves doivent s’employer à apprendre l’objectif suivant. Réussir correspondrait à apporter des preuves de l’apprentissage pour l’ensemble des objectifs progressivement ce qui nous place plus dans une optique d’assurer des fondements d’apprentissage solides. L’élève est ainsi toujours dans une perspective où il doit s’améliorer plutôt que de viser un niveau de résultat qu’il pense lui correspondre. 

Fixer ou se fixer un objectif de performance revient d’une certaine manière à accepter une limite factice. Établir d’emblée des objectifs de maitrise à remplir complètement au terme des apprentissages revient à refuser d’accepter les limites comme des barrières.

Certains élèves apprennent plus vite que d’autres. Certains ont besoin de plus de pratique, de soutien ou de remédiation. Cependant, les exigences élevées devraient être les mêmes pour tous. Définir des exigences élevées pour tous doit reconnaitre que tous les élèves peuvent atteindre la maitrise. Cela implique que certains vont avoir à travailler plus que d’autres, mais que le soutien leur sera assuré par l’enseignant. Il y a cependant des exigences d’engagement de leur part. 

L’idée serait que tous les élèves considèrent que leur prochain objectif est réellement à portée de travail. Dès lors, il est probable qu’un tel élan de la réussite pourrait les amener à réaliser leur potentiel au-delà de ce que leur ancrage tend à les contraindre.



Les difficultés du biais de confirmation dans le cadre de l’éducation


Le biais de conformation est la tendance à ne rechercher que ce qui confirme ce que nous croyons déjà et à ignorer ce qui contredit nos croyances.

Il ne s’agit pas nécessairement d’un évitement délibéré ou consciemment partisan malgré l’évidence de preuves contraires. Le biais de conformation est un état d’esprit dont il est presque impossible de ne pas être victime.

Si nous trouvons des exemples qui nous confortent dans nos croyances et nos conceptions, nous sommes prédisposés à les accepter assez facilement comme vrais.

En règle générale, nous voulons penser nous sentir bien et nous confirmer que nous sommes dans le droit chemin. Cela nous amène à nous surestimer et à vouloir préserver inconsciemment ce bien-être factice lorsque des preuves menacent de le fissurer. Nous trouvons des moyens d’ignorer, de discréditer ou de minimiser l’importance des informations menaçantes, et nous nous sentons d’autant plus encouragés à le faire que d’autres que nous sont dans la même démarche.

Le biais de confirmation est à l’œuvre dans toutes les facettes de notre vision du monde. Lorsque nous nous intéressons à un sujet donné, ses occurrences dans notre environnement vont devenir plus saillantes et notre attention le remarquera plus souvent. À l’opposé, nous avons tendance à ignorer tout ce qui ne correspond pas à notre vision actuelle du monde. 

Le biais de confirmation est l’une des raisons pour lesquelles nous avons fondamentalement besoin de données probantes pour nous guider en matière de pratiques efficaces. Pour autant, cela ne suffit pas. Lorsque ces preuves vont à l’encontre du bon sens, elles ont tendance à être ignorées ou rejetées au profit de l’évidence d’expériences propres des personnes ou de leurs croyances et idéologies.

Un autre risque lié au biais de confirmation en éducation est que ce qui est bon pour les enseignants, et soutenu par leur biais de confirmation, ne l’est pas nécessairement pour les élèves. 



L’illusion de la perspicacité asymétrique


La phénoménologie est définie par le CNRTL (2022) comme l’observation et la description des phénomènes et de leurs modes d’apparition, considérés indépendamment de tout jugement de valeur.

Pour résumer Dennet & Weiner (1991), il n’y a pas deux personnes qui utilisent les mots de la même façon, et tout le monde est un expert de sa propre expérience. Nous regardons à l’intérieur de notre propre phénoménologie, ce qui n’empêche pas l’existence de connaissances mutuelles.

Parallèlement à ces connaissances mutuelles existent des controverses et des contradictions. Nous ne sommes pas tous fondamentalement semblables et nous sommes susceptibles de surgénéralisations.

Nous avons des limites. Notre introspection est faillible, de même que nos pouvoirs personnels d’auto-observation de nos propres esprits conscients. Cependant, nous avons un accès privilégié à nos propres pensées et sentiments, un accès garanti comme étant meilleur que celui de toute personne extérieure. Personne ne peut nous dire que nous avons tort à propos de ce que nous pensons ou ressentons.

Nous pouvons être sûrs d’avoir raison, mais être dans l’erreur. Dans tous les cas, la controverse et la contradiction s’ensuivent. Dans un sens, l’introspection ne consiste jamais qu’à regarder et voir, mais à s’engager dans une sorte de théorisation impromptue et crédule. 

Nous sommes réduits par nos sens, par nos contraintes cognitives et pas nos automatismes. Nous avons tendance à penser que nous sommes beaucoup plus à l’abri de l’erreur que nous ne le sommes réellement. Nous devons être attentifs aux excès de confiance vis-à-vis de notre expérience consciente. Notre capacité d’introspection et d’auto-observation est moins fiable que nous le supposons.

Ce que nous croyons a du sens pour nous. Nous pensons que nous avons la même conscience des autres parce que nous sommes conscients de penser à eux. 

En observant leur comportement et en écoutant ce qu’ils disent, nous arrivons à des conclusions que nous pensons raisonnées et sensées. 

Nous pensons que nos perceptions des autres sont précises et perspicaces, par conséquent lorsqu’il y a contradiction, nous en arrivons à penser que leurs perceptions de nous sont superficielles et illogiques. 

La logique de l’illusion de la perspicacité asymétrique est la suivante : 
  • Je me connais mieux que toi
  • Je te connais aussi mieux que toi.
Les phénomènes liés à l’asymétrie deviennent plus flagrants lorsqu’ils sont renforcés par des préjugés de groupe.

Nous voyons la réalité d’une manière donnée et voyons clairement les failles d’une perspective différente. Cela crée des désaccords et de l’opposition d’un côté, de l’appartenance et de la proximité de l’autre s’il y a accord. Cette asymétrie tend à s’accompagner d’inflexibilité. 

Cette illusion de la perspicacité asymétrique est dommageable, car elle s’accompagne d’erreurs d’attribution. Nous pouvons supposer que nous savons pourquoi certaines personnes font ce qu’ils font, ce qui peut mener à des oppositions et de mésententes. 

Nous pensons trop vite savoir ce que les autres pensent, nous tirons des conclusions hâtives et nous sautons des étapes suite à cette illusion de la perspicacité asymétrique. 

Ce biais cognitif peut rendre certains processus en contexte scolaire plus difficile à réaliser :
  • Il peut fausser l’analyse faite lors de l’observation d’un enseignant en classe, d’autant plus qu’on s’éloigne des éléments factuels.
  • Dans le cadre de la gestion de projet d’amélioration, cela peut nous pousser à aller trop vite. Nous pouvons ne pas analyser toutes les conséquences d’une décision. Nous pouvons négliger la nécessité d’aller chercher le consensus et de là ne pas atteindre une pleine d’adoption par la suite.
  • Une plus large incompréhension peut s’installer entre la direction et les enseignants et celle-ci va amener à restreindre la communication alors même qu’elle est fondamentale pour atténuer ce biais cognitif.
  • Au niveau de la relation entre enseignants et élèves, la non-prise en considération de ces risques peut augmenter la distance. Cela amène à rejeter la faute sur des facteurs non modifiables (capacités propres, culture familiale…) alors que certaines défaillances sont sensibles à l’éducation scolaire, car les élèves pensent différemment et ont un déficit au niveau stratégique.

L’illusion de perspicacité asymétrique conduit à une situation ou deux camps s’affrontent. C’est une situation dans laquelle il peut être facile de s’isoler, ce qui accentue encore le clivage. Par exemple, cela peut facilement conduire à caricaturer les chefs d’établissement en idiots irrationnels, sans compréhension ni compassion. Le même phénomène peut se passer entre un enseignant et ses élèves.

Il est facile de rejeter les gens lorsque nous pouvons les caricaturer comme ayant des intérêts contraires aux nôtres, mais ces conceptions sont le fruit de l’illusion de perspicacité asymétrique. Nous stéréotypons le groupe extérieur et le rejetons par des généralisations abusives. 

Considérons par exemple également la façon dont les enseignants du primaire et du secondaire se perçoivent parfois mutuellement. Les enseignants du primaire sont généralistes, peu sophistiqués et parfois un peu laxistes. Les enseignants du secondaire sont centrés sur leur matière, insensibles, indifférents et durs avec leurs élèves. À partir de ces caricatures, il devient tellement plus facile de mépriser et de condamner ceux qui semblent ne pas être alignés avec nous. L’illusion de perspicacité asymétrique est un piège dont nous devons nous méfier.



L’effet de retour de flamme et la dissonance cognitive


L’effet de retour de flamme peut se manifester quand le biais de confirmation, l’aversion à la perte, la pensée de groupe ou l’illusion de la perspicacité asymétrique se combinent.

Imaginons que nous soyons fiers partisans des styles d’apprentissage, de la brain gym ou de la gestion mentale. 

Imaginons alors que nous sommes confrontés à un contradicteur qui avance armé de données probantes issues de la recherche pourfendant nos croyances et nos convictions. 

Au lieu de nous mettre à douter, nous pouvons nous irriter et devenir encore plus certains d’avoir raison. 

Nous avons consacré beaucoup de temps, d’efforts et de crédibilité à cette croyance. Nous avons accumulé une somme d’expériences positives lors de leur pratique et nous avons une intime conviction personnelle de leur impact. Ces données probantes nous obligent à rationaliser et à considérer l’éventualité d’être en erreur ce qui nous est intolérable, car cela revient à renier un fondement de notre identité. 

Dans ce cas, nous pouvons nous tourner vers ceux qui partagent les mêmes convictions que nous pour savoir comment nous devons réagir. Si nous faisons partie d’un groupe d’appartenance, nous obtiendrons toutes les preuves sociales dont nous avons besoin pour prouver que notre position est cohérente. La pensée de groupe et le biais de confirmation fleurissent sur le lit de l’aversion à la perte. Notre logique, quoique biaisée et erronée, nous semble inattaquable.

Dans ces conditions, la dissonance cognitive est forte. La personne ressent une tension interne dans son propre au système de pensées, croyances, émotions et attitudes (cognitions), car :
  • Différentes idées entrent en contradiction les unes avec les autres.
  • Le discours qu’elle entend entre en contradiction avec ses idées ou croyances.
Le concept de dissonance cognitive a été formulé pour la première fois par le psychologue Leon Festinger dans son ouvrage A theory of cognitive dissonance (1957).

La personne va tâcher de réduire la dissonance en justifiant ses croyances face à des preuves discordantes et en rejetant souvent celles-ci comme des exceptions qui confirment la règle. Ses convictions erronées peuvent en sortir renforcées.

Tout cela suffit à expliquer la résistance des neuromythes et de pratiques pédagogiques inefficaces face aux données probantes qui devraient pourtant suffire à les rejeter.

Dans son livre, When Prophecy Fails [1956], Leon Festinger a analysé les dérives sectaires basées sur des croyances erronées. Il énonce cinq conditions qui expliquent pourquoi des croyances erronées peuvent perdurer face à des données probantes ou finalement être rejetées :
  1. Nous sommes convaincus par la croyance et elle a un certain impact sur notre comportement.
  2. Nous nous sommes investis dans la croyance. Plus l’investissement est important, plus notre engagement envers la croyance est fort. C’est l’aversion à la perte.
  3. Notre croyance est suffisamment spécifique pour que des preuves puissent la réfuter sans équivoque. Dans le cas contraire, les preuves peuvent être rejetées comme non pertinentes et faire l’objet d’un biais de confirmation en faveur de sources contraires. 
  4. Nous devons être conscients des preuves irréfutables que notre croyance est erronée. Les preuves pourraient être considérées comme une source d’informations parmi d’autres et ne pas réellement contredire notre croyance.
  5. L’influence du groupe est déterminante dans un sens ou dans un autre :
    • Seuls, nous acceptons rapidement les preuves qui nous démentent, d’autant plus que d’autres autour de nous suivent le même cheminement.
    • Cependant, si nous faisons partie d’un groupe capable de se soutenir mutuellement, la croyance peut être maintenue. C’est l’illusion de la perspicacité asymétrique ou la pensée de groupe.

Ces arguments permettent de comprendre la difficulté à changer des conceptions ancrées. Dans notre profession d’enseignant, une grande partie de ce que nous croyons régit notre comportement quotidien, ce qui, à son tour, nous amènera à investir de la crédibilité et du temps dans un plan d’action. 

Pour changer, nous devons accepter que les données probantes nous concernent et qu’elles sont pertinentes pour nos élèves et pour nos pratiques en classe. Cependant, elles viennent heurter le poids des habitudes et de nos heuristiques. De plus, la dissonance cognitive n’est pas une situation agréable. 

Le fait de changer de conception exige de donner tout le crédit et la crédibilité à des données probantes qui viennent contredire nos croyances. À ce titre, il est facile de trouver des arguments contradictoires et des écrits qui défendent des points de vue opposés. Le discours scientifique se retrouve alors en concurrence.

Une autre difficulté est que nous collaborons et échangeons souvent avec d’autres personnes qui partagent nos croyances. La pensée de groupe qui en résulte rend les croyances encore plus résistantes. De plus, l’être humain n’est pas toujours logique. L’intuition ou l’anecdote peuvent l’emporter sur le raisonnement et la rigueur de la preuve scientifique.


Mis à jour le 25/02/2024

Bibliographie


David Didau, What if everything you knew about education was wrong?, 2016, Crown House

Dennet, Daniel Clement; Weiner Paul, Consciousness explained, Little, Brown and Company, 1991

Festinger, L. (1957). A theory of cognitive dissonance. Stanford University Press.

Festinger, L., Riecken, H. W., & Schachter, S. (1956). When prophecy fails. University of Minnesota Press. https://doi.org/10.1037/10030-000

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