mercredi 20 septembre 2023

Biais de disponibilité et importance des indicateurs quantitatifs dans le pilotage scolaire

La définition d’indicateurs quantitatifs et objectifs, de même que la récolte et l’analyse de données pour le pilotage de l’amélioration dans un établissement scolaire sont nécessaires. Simplement parce qu’en leur absence des biais cognitifs nous pousseraient dans des impasses.

(Photographie : Michael Zuhorski)




Le biais de disponibilité, une heuristique de jugement


Les heuristiques de jugement sont des opérations mentales automatiques, intuitives et rapides pouvant être statistiques ou non statistiques. Ces raccourcis cognitifs sont utilisés par les individus afin de simplifier leurs opérations mentales dans le but de répondre rapidement à des situations qui demandent une réponse rapide dans leur environnement. 

Les heuristiques peuvent apparaître quotidiennement et par habitude dans la prise de décision, le jugement, l’estimation de probabilité et la prédiction de valeurs.

Les heuristiques permettent aux individus un gain de temps, car en les utilisant, ils ne tiennent pas compte de toute la complexité des informations pertinentes à la situation. Cependant, elles mènent parfois à des biais et des erreurs dans la prise de décision.

En psychologie, l’heuristique de disponibilité désigne un mode de raisonnement qui se base uniquement ou principalement sur les informations immédiatement disponibles en mémoire, sans chercher à en acquérir de nouvelles concernant la situation. Selon les observations de Tversky et Kahneman (1974), plus il est facile de se souvenir d’un événement, plus celui-ci est considéré comme fréquent et inversement. Ce phénomène peut engendrer des biais cognitifs. Pour cette raison, on parle également de biais de disponibilité.



Comprendre les mécanismes de l’heuristique de disponibilité


Dans une étude, Schwarz et ses collègues (1991) ont invité dans un premier temps les participants à se souvenir selon deux conditions :
  1. Six ou douze exemples de leur comportement.
  2. Leurs exemples de comportement devaient être assertifs ou non assertifs.
Bien qu’il ait été possible de trouver douze exemples, cela n’a pas été facile. Trouver six exemples était plus aisé.

Dans un second temps, il a été demandé aux participants d’évaluer leur propre niveau général d’affirmation de soi : 
  • Les sujets se sont attribué une plus grande assertivité après avoir rappelé 6 exemples plutôt que 12 exemples de comportement assertif.
  • Les sujets se sont attribué une plus faible assertivité après avoir rappelé 6 exemples plutôt que 12 exemples de comportement non assertif.
  • Paradoxalement, les sujets ont rapporté une plus grande assertivité après avoir rappelé 12 comportements non assertifs plutôt que 12 comportements assertifs.
Intuitivement, on aurait pu s’attendre à ce qu’un plus grand nombre d’exemples soit plus persuasif. Cependant, comme il est plus facile de trouver six exemples que douze, la façon dont nous ressentons l’effort nous pousse à croire que quelque chose qui n’est pas vrai.

Les auto-évaluations ne reflétaient les implications du contenu rappelé que si le rappel était facile. 

Ces résultats rapportés fournissent un soutien cohérent à l’hypothèse selon laquelle les implications du contenu rappelé peuvent être qualifiées par la facilité ou la difficulté avec laquelle ce contenu peut être rappelé.

Les participants ont prêté attention à l’expérience subjective de la facilité ou de la difficulté du rappel en tirant des conclusions du contenu rappelé. Les évaluations de la facilité de rappel étaient positivement corrélées avec l’auto-évaluation de l’assertivité s’ils devaient rapporter des exemples de comportement assertif. Elles étaient négativement corrélées s’ils devaient rapporter des exemples de comportements non assertifs. 

Les gens ne considèrent pas seulement ce dont ils se souviennent pour porter un jugement. Ils utilisent également la facilité ou la difficulté avec laquelle ce contenu leur revient à l’esprit comme une source d’information supplémentaire. En particulier, ils ne s’appuient sur le contenu de leur souvenir que si ses implications ne sont pas remises en question par la difficulté qu’ils éprouvent à se rappeler le matériel pertinent.

Les gens peuvent utiliser leur état affectif perçu comme une source d’information, selon une heuristique « comment est-ce que je me sens à ce sujet ». Ce faisant, les gens interprètent (mal) leur état affectif préexistant. Ils le voient comme une réaction à l’objet du jugement. Cela entraîne des évaluations plus favorables en cas d’exaltation qu’en cas de dépression, à moins que le diagnostic de leurs sentiments pour le jugement en question ne soit remis en question.

Les gens se fient à leur expérience subjective de la facilité de récupération dans la mesure où ils l’attribuent (à tort) à la fréquence d’occurrence, plutôt qu’à l’impact d’autres variables. 



Mise en perspective de l’heuristique de disponibilité


L’heuristique de disponibilité altère notre jugement. Ce biais cognitif influence nos choix. L’heuristique de disponibilité ne mène pas qu’à des conclusions biaisées, à des approximations ou à des erreurs. 

Il peut s’agir d’un mode de raisonnement efficace qui permet de résoudre un problème avec un minimum d’effort cognitif. Dans une perspective évolutive, la capacité à prendre des décisions rapidement et à moindre coût énergétique dans certains cas de figure représente un avantage.

Cependant, lorsqu’il s’agit de prendre une décision à long terme avec de nombreuses implications, elle peut nous conduire à l’erreur. L’heuristique de disponibilité est un mécanisme de pensée qui fausse nos prises de décisions rationnelles. Il appartient selon Kahneman (2013), dans l’esprit humain, au système 1 de la pensée intuitive plutôt qu’un système 2 de la pensée rationnelle.

Les individus se rappellent mieux des exemples d’événements très fréquents et faciles à se remémorer que des exemples d’événements peu fréquents et difficiles à se remémorer. L’efficacité d’une recherche en mémoire joue un grand rôle dans l’utilisation de l’heuristique de disponibilité : un élément sera estimé plus fréquent s’il est facile d’y penser. 



Biais d’imagination et corrélation illusoire, deux biais qui faussent nos décisions et s’ajoutent aux biais de disponibilité


Il arrive qu’aucun exemple d’événement ne soit disponible en mémoire, puisque les humains n’ont pas connaissance de tous les événements qui se produisent quotidiennement dans le monde. C’est alors l’imagination qui permet de les construire et de faire des estimations de probabilité. Tversky et Kahneman (1974) précisent que la facilité d’imaginer ces exemples ne reflète pas toujours leur fréquence réelle. Or plus il est facile d’imaginer des exemples d’un événement, plus les individus ont tendance à croire que ce dernier est fréquent. Ce biais d’imagination est donc une nouvelle source d’erreurs d’estimation.

Un autre biais qui fausse nos décisions est la corrélation illusoire. La corrélation illusoire (Tversky et Kahneman, 1974) est l’idée selon laquelle les individus ont parfois tendance à croire que deux événements se produisent en même temps alors que ce n’est pas le cas. Ceci serait expliqué par la force de l’association faite entre ces deux événements. 

Le biais de disponibilité, le biais d’imagination et la corrélation illusoire peuvent s’associer. Par conséquent, nous prenons des décisions en nous basant sur les informations les plus facilement accessibles, en pensant qu’elles ont plus de chances d’être vraies parce qu’elles sont facilement accessibles. Parfois, les informations qui nous viennent à l’esprit peuvent être exactes, mais parfois elles ne le sont pas.



Impacts croisés de l’effet de l’anxiété et du biais de disponibilité


Sur la base d’une heuristique de disponibilité, en situation de stress marqué : 
  • La panique peut faire prendre des risques inconsidérés. Par exemple, une personne dans un immeuble en feu cherchera à descendre un escalier enfumé au lieu de se protéger et d’attendre les secours dans un appartement calfeutré. La représentation mentale de l’escalier comme une éventuelle voie de sortie est saillante. Elle prend le pas sur d’autres éléments (comme la possibilité de fumées toxiques, etc.) qui devraient pourtant l’amener à reconsidérer et à rejeter cette option.
  • L’anxiété peut être source d’erreur. Par exemple lors d’une évaluation, un élève peut sauter à pieds joints dans le moindre piège et refaire des erreurs qu’il a pourtant appris à corriger dans un contexte non évaluatif. Il peut retomber dans des erreurs anciennes, car il se fonde sur des heuristiques directement disponibles plutôt que de s’investir dans un raisonnement rigoureux qui lui permettrait de repérer les pièges et d’inhiber ses erreurs anciennes. 



Impact du biais de disponibilité et importance des indicateurs dans le pilotage de l’amélioration


Prenons l’exemple du pilotage pédagogique d’un établissement scolaire en considérant la problématique du biais de disponibilité. Il apparaît que l’usage du recueil et de l’analyse de données objectives et quantitatives peut être une protection dans la mesure où les décisions se prennent également sous l’éclairage de données probantes. 

Cependant, un tel système dépend de la validité des données, de leur pertinence pour le sujet traité et de la justesse des interprétations. Ce sont trois dimensions qui doivent être considérées.

En regard du biais de disponibilité et des autres biais attenants, nous ne pouvons pas négliger d’asseoir nos décisions sur des données. Nous ne pouvons pas les fonder sur des impressions qualitatives et des intuitions. 

Si nous ne définissions pas d’indicateurs clairs et précis, si nous ne récoltons pas de données pour documenter puis analyser une problématique, il y a tout lieu de penser que le biais de disponibilité jouera à plein régime. Il augmentera le risque de prises de décision approximatives ou erronées. 

Robert Coe et ses collègues (2014) argumentent en faveur de l’importance d’un traitement rigoureux de données valides. « Si nous devions utiliser les meilleures notes d’observation de classe, par exemple, pour identifier les enseignants comme étant “au-dessus” ou “en dessous” de la moyenne et les comparer à leur impact sur l’apprentissage des élèves, nous aurions raison dans 60 % des cas, contre 50 % en tirant à pile ou face ». 

Nous ne pouvons pas nous contenter de simples données d’observations qualitatives. L’attribution de valeurs numériques à nos préférences et à nos préjugés pourrait leur conférer le pouvoir des données, mais il s’agirait toujours d’une invention.

Dans un contexte scolaire, nous devons avoir un cadre objectif dans lequel évoluer. C’est par exemple le type d’objectif que des approches adoptant le modèle de la réponse à l’intervention s’emploient à développer. 


Mis à jour le 26/02/2024

Bibliographie


David Didau, What if everything you knew about education was wrong?, 2016, Crown House.

“Heuristique de jugement” Wikipedia, Wikimedia Foundation, 22 Juillet 2022, https://fr.wikipedia.org/wiki/Heuristique_de_jugement

“Heuristique de disponibilité” Wikipedia, Wikimedia Foundation, 22 Juillet 2022,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Heuristique_de_disponibilit%C3%A9

Kahneman (2013). Thinking, fast and slow. New York: Farrar, Straus and Giroux.

Kahneman D et Tversky A., « Judgment under uncertainty: heuristics and biases », Science, vol. 185, no 4157,‎ 1974, p. 1124-1131.

Norbert Schwarz, Herbert Bless, Fritz Strack, Gisela Klumpp, Helga Rittenauer-Schatka and Annette Simons, Ease of Retrieval as Information: Another Look at the Availability Heuristic, Journal of Personality and Social Psychology 61(2) (1991): 195–202.

Robert Coe et al., What Makes Great Teaching? Review of the Underpinning Research, London: Sutton Trust, 2014

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