lundi 21 août 2023

Un enseignement explicite de connaissances complexes

Certaines matières comme la biologie ou la géographie vont amener à enseigner des contenus complexes décrivant le monde réel, et observable à différentes échelles et formant un ensemble intégré. Nous partirons de ces exemples pour aborder la question de l’enseignement explicite de contenus complexes..

(Photographie : Daniel Kovalovszky)






Apprendre des connaissances complexes


L’objectif est qu’au terme de l’enseignement et des apprentissages, les élèves quittent la classe avec une meilleure connaissance de certains aspects du monde réel tel qu’il les entoure. Ils interprètent mieux son fonctionnement, les processus et les interactions qui s’y déroulent. Lors de l’évaluation des apprentissages, ils doivent démontrer la maîtrise de connaissances complexes.

D’un point de vue cognitif, cela n’est pas sans implications pour l’enseignant :
  1. Les élèves doivent passer suffisamment de temps à réfléchir au contenu, à le traiter, à élaborer à partir de celui-ci afin de pouvoir en développer une compréhension profonde et un apprentissage de qualité.
  2. Les élèves doivent développer un apprentissage riche et développé. Par une répétition élaborée, les connaissances pertinentes se retrouvent peu à peu encodées dans leur mémoire à long terme. 
  3. Les élèves doivent développer des apprentissages durables et transférables. Afin de stocker durablement ces connaissances et de les consolider, celles-ci doivent être récupérées régulièrement à partir de la mémoire à long terme et cela dans une large variété de contextes spécifiques. 
L’enjeu est de rendre ces connaissances complexes facilement accessibles à partir de la mémoire à long terme, de manière à ne pas trop solliciter les ressources limitées de la mémoire de travail. 

L’enjeu est de composer avec un réseau complexe de connaissances et de la traduire efficacement en des progrès en matière d’apprentissage. 



L’enjeu de la construction de connaissances complexes


Une accumulation de connaissances, de manière intégrée et structurée, sur des sujets variés est d’une grande importance pour une compréhension d’ensemble dans des domaines comme la géographie ou la biologie.

Le risque est que lorsque les thèmes ou les chapitres s’enchainent de manière isolée, les élèves oublient l’essentiel d’une matière lorsque débute la suivante et ne soient pas engagés dans un effort d’intégration.

Au fur et à mesure :
  1. Les élèves acquièrent une connaissance plus large et plus approfondie, de manière spiralaire, en passant d’un thème à l’autre avec des recouvrements.
  2. Les élèves débutent par des exemples concrets qui leur permettent d’atteindre des concepts plus abstraits qui leur permettent de développer des modèles plus généraux et intégrés.
  3. Les élèves passent progressivement d’un niveau d’échelle à un autre. Par exemple, ils progressent d’une échelle locale à une échelle mondiale, ou du niveau d’une cellule au fonctionnement d’un organisme ou d’un écosystème.
  4. Les élèves développent progressivement une capacité à faire des liens, des comparaisons, des analogies et à comprendre les relations entre les sujets et les thèmes.
  5. Les élèves acquièrent et automatisent un plus grand éventail de compétences et une plus grande autonomie dans le fait de savoir quand et comment les mobiliser à bon escient.



Un enseignement explicite de connaissances complexes


Les enjeux d’un enseignement explicite de connaissances complexes vont être de permettre aux élèves :
  1. D’accroître leurs connaissances sur une variété de thèmes faisant partie d’un ensemble cohérent pour la discipline.
  2. De connaître des sujets suffisamment en profondeur pour parvenir à des conclusions valides et sophistiquées, à différentes échelles. 
  3. De devenir capables de mobiliser et d’appliquer des modèles théoriques dans des contextes variés.
  4. De développer une panoplie de compétences dans le domaine de matière considéré.

Si nous prenons par exemple les programmes scolaires en géographie ou en biologie, ceux-ci sont constitués de sujets distincts qui ont parfois peu d’éléments en commun en direct les uns avec les autres. Par exemple, la photosynthèse, le système immunitaire ou l’écologie ont peu de relations directes entre eux. 

Cela peut donner l’impression que les élèves ne progressent guère au cours de l’année, si ce n’est en matière d’accumulation d’informations sur ces sujets disparates. Mais toutes ces sujets appartiennent au développement d’une compréhension d’un ensemble global et complexe dans lequel de nombreuses interactions existent. Apprendre le fonctionnement des neurones n’éclaire pas vraiment sur le fonctionnement d’un écosystème, mais le système nerveux est la base qui permet aux animaux d’interagir dans leur écosystème.

De fait, l’accumulation d’informations sur des sujets variés est d’une importance vitale pour la compréhension dans ces matières. Nous ne pouvons pas réellement former utilement les élèves à développer des compétences générales. Nous pouvons les outiller d’un ensemble varié de compétences spécifiques qui soutiennent une vision et une maîtrise d’ensemble de la complexité du réel. Sans avoir acquis ces connaissances au préalable, nous ne pouvons pas commencer à les rassembler afin de voir les liens à un niveau plus systémique. 



Planifier dans une perspective à long terme


Nous devons réfléchir aux progrès que nous souhaitons que nos élèves fassent au fil du temps :
  • À un niveau global, quels progrès durables les élèves doivent-ils démontrer durant cette année en lien avec le programme scolaire
  • À un niveau intermédiaire, quels progrès manifestes doivent-ils faire entre les différentes étapes clés ? 
Il ne suffit pas de se demander quels progrès les élèves doivent faire durant une période de temps scolaire en vue d’être prêt à réussir une évaluation sommative donnée. 

Il est également pertinent de se demander comment chaque nouvelle unité de matière vient s’intégrer aux précédentes et permet aux élèves d’accéder à une compréhension plus globale, large et profonde dans le domaine de la matière considérée. Regarder l’enseignement selon cette perspective permet d’avoir une meilleure idée des progrès attendus et des défis auxquels font face les élèves.

L’enjeu est de pouvoir mettre en œuvre des attentes élevées concernant l’apprentissage des élèves et atteindre le niveau de profondeur et de complexité souhaité dans l’apprentissage. Une fois que nous avons une liste des attributs clés qui définissent ce que nous visons, nous pouvons alors commencer à réfléchir à ce à quoi ressemble l’excellence pour chacun d’entre eux.

Nous devons certes réfléchir et décrire les objectifs d’apprentissage, mais le développement de critères de réussite est lui-même crucial. Nous devons décider à quoi ressemble un niveau de production exemplaire attendu de la part des élèves. Nous devons leur présenter des exemples d’attendus à travers des productions exemplaires d’élèves des années antérieures.



Planifier les moments charnières


Dans le déroulement de matières complexes et riches en connaissances et compétences, un enjeu est de repérer les moments charnières ou principes clés.

Plus une matière progresse, plus elle devient naturellement complexe. Les concepts deviennent plus avancés, les nouvelles connaissances reposent sur des schémas formés par les connaissances antérieures. Des liens sont établis entre un plus grand nombre d’aspects différents du sujet. Les élèves ne peuvent pas se limiter à un simple apprentissage superficiel, la création de liens multiples reliant les concepts devient fondamentale pour la compréhension.

Ces étapes clés qui permettent de progresser dans la connaissance et dans la compréhension. Par exemple, en biologie, la maîtrise du fonctionnement de l’ADN, de l’ultrastructure cellulaire ou l’homéostasie en biologie ouvrent de nouvelles perspectives dans l’apprentissage. En tant qu’enseignants, nous devons réfléchir à la manière dont nous pourrions prendre de l’avance en posant les fondements du développement de compétences et de connaissances futures.

L’étayage doit être conçu et déployé avec soin pour que le niveau de difficulté ne laisse aucun élève derrière. Cela peut se faire par un modelage soigneux, par une pratique guidée rigoureuse et en laissant des problèmes résolus à certains élèves afin qu’ils puissent s’y référer pendant qu’ils s’exercent ensuite de manière autonome. 

Nous devons prendre nos distances avec une vision du programme comme d’une course de fond qui consiste à tout voir la matière, successivement et à un rythme forcé. Lorsqu’elle ne permet aux élèves que de développer une compréhension superficielle des sujets, elle est une impasse. 

Nous devons travailler sûrement et méthodiquement, en déployant de nombreuses occasions de vérifier la compréhension des élèves, en leur offrant des opportunités de récupération de leurs connaissances et en leur renvoyant une rétroaction utile et ciblée. Nous adapterons l’enseignement si les élèves semblent avoir du mal à répondre à nos attentes. 

Il est utile que nos attentes doivent être élevées, mais nous devons également offrir le soutien nécessaire pour que les élèves puissent y répondre. 



Procéder par étapes intégrées


Pour que l’apprentissage soit efficace, nous gagnons à diviser la matière en étapes gérables que les élèves peuvent mettre en pratique et apprendre à maîtriser. Cela peut signifier que les élèves consacrent du temps à l’apprentissage d’un élément de connaissance ou de compétence particuliers. 

Ces démarches posent le danger d’une compartimentation de la matière. Nous risquons que les élèves considèrent chaque compétence ou élément de connaissance de manière isolée, sans lien avec le reste de la discipline et en dehors du réseau de liens qui existe entre les différentes parties du domaine. Ce réseau de lien et de connaissances forme ce que nous pouvons appeler le schéma général du programme.

Ces liens complexes nous permettent d’avoir une compréhension intégrée de l’ensemble et de mobiliser les connaissances et compétences à bon escient. Nous devons être capables d’établir un lien entre différentes informations. Cela n’est pas possible si chaque élément de connaissance ou chaque compétence se trouvent isolés ou compartimentés.

Une manière d’y arriver est d’utiliser des tâches complexes ou de la résolution de problèmes en fin de chaque parcours. Une autre manière d’y arriver est de faciliter l’intégration des connaissances en utilisant l’effet de la non-signification du but mis en évidence dans le cadre de la théorie de la charge cognitive. Un énoncé de situation complexe est introduit en début de parcours. Plutôt que de demander aux élèves de s’y attaquer, cette situation complexe sert de fil conducteur au cours. De nouvelles compétences et concepts introduits viennent peu à peu l’éclairer en parallèle avec la récupération de connaissances préalable. 

Ce questionnement devient le point de départ de la planification d’une séquence de leçons, structurant le contenu du programme et les opportunités de développer les compétences nécessaires. Les questions générales, ouvertes et sans but précis permettent aux élèves d’approfondir leur réflexion et leur compréhension.

Cette approche consiste à combiner les petites étapes de la pratique délibérée qui conduisent à un apprentissage sûr avec l’étape plus difficile de l’application de ce que les élèves ont appris à un contexte réel complexe. 

En revenant régulièrement à ce type de questionnement, cela signifie également que nous revenons souvent à des questions charnières sur des principes clés.



Assurer une maîtrise durable des concepts seuils


Au terme des apprentissages, nous voulons que les élèves puissent répondre à des questions complexes. Un obstacle pour les élèves est qu’elles sont inévitablement basées sur l’intégration de nombreuses connaissances préalables. 

Si un élève ne connaît pas ou a oublié certaines de ces connaissances préalables, il ne sera peut-être jamais capable de répondre à cette question par lui-même.

Par conséquent, nous devrions être capables de nous rendre compte à temps des lacunes que certains élèves possèdent dans leurs connaissances. 

Ces éléments bloquants sont appelés des concepts seuils. Il s’agit d’un concept introduit par Jan H. F. Meyer et Ray Land (2003). Ces deux professeurs d’économie ont remarqué que leurs étudiants semblaient bloqués régulièrement par les mêmes obstacles récurrents. Ils ont identifié certaines idées si fondamentales pour leur matière que les étudiants ne pouvaient pas progresser s’ils n’étaient pas sûrs de les comprendre.

Dans beaucoup de matières, nous travaillons tout le temps avec ces concepts seuils.

Une fois que nous avons identifié les concepts seuils dans nos programmes, nous pouvons planifier leur apprentissage, leur utilisation et leur mobilisation pour nous assurer que les élèves aient souvent l’occasion de les explorer et de les exploiter.

Nous nous en servons pour structurer le cours et nous assurons qu’ils soient récupérés suffisamment régulièrement pour éviter l’oubli et renforcer un apprentissage durable. Les concepts seuils sont enseignés tôt, bien enseignés et revus souvent.

Souvent, nous devrons nous assurer que les élèves maîtrisent ces connaissances de base avant de passer à une matière qui les mobilise. Cela nous permettra d’identifier qui a des lacunes et où elles se situent. 

Si les élèves n’ont pas saisi ces concepts seuils, il ne sert à rien de continuer. Nous devons planifier des activités pour les aider à combler ces lacunes. Un moyen simple d’y parvenir est de tester leurs connaissances à l’aide d’un quiz en introduction de cours ou par un ticket de sortie à la fin de celui-ci. 

Réexpliquer ce qui correspond à la lacune une seule fois ne suffira pas non plus. Nous devrons revenir souvent sur le sujet. Nous devons prévoir de relier les nouvelles informations à ces concepts seuils afin de démontrer les liens entre les différentes parties de la discipline. 

En concentrant d’abord notre attention sur la sécurisation de ces concepts seuils, nous pouvons aborder avec nos élèves plus sereinement les tâches complexes, en sachant que nos élèves ont les connaissances et la compréhension nécessaires pour les aborder.


Mis à jour le 13/02/2024

Bibliographie


Mark Enser, Making Every Geography Lesson Count, 2019, Crown House

Jan H. F. Meyer and Ray Land, Threshold Concepts and Troublesome Knowledge: Linkages to Ways of Thinking and Practising within the Disciplines. In Chris Rust (ed.), Improving Student Learning: Theory and Practice Ten Years On (Oxford: Oxford Centre for Staff and Learning Development, 2003), pp. 412-424.

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