dimanche 27 août 2023

L’effet de l’information transitoire et ses implications pour un enseignement explicite

L’effet de l’information transitoire a été mis en évidence dans le cadre de la théorie de la charge cognitive. Il décrit dans quelles conditions l’apprentissage peut être facilité par des informations fixes (textes ou images) plutôt que transitoires (paroles ou animations).

(Photographie : Arnaud Teicher)






L’effet de modalité et ses limites


Nous pouvons constater l’effet de modalité lorsque des instructions audiovisuelles sont supérieures à des instructions uniquement visuelles en matière d’apprentissage généré. 

Les caractéristiques et les limites de la mémoire de travail sont essentielles pour la conception de l’enseignement. Une façon d’optimiser l’usage des limites de la mémoire de travail est d’utiliser conjointement les canaux auditifs et visuels. Il est possible que nous ayons évolué pour être capables d’écouter la parole tout en observant visuellement.

L’effet de modalité se produit lorsque l’information communiquée à travers les canaux auditifs et visuels, dans des conditions les sources d’information sont inintelligibles isolément. L’effet de modalité permet un apprentissage supérieur à une information qui reposerait uniquement sur le canal visuel ou sur le canal auditif. 

Cependant, si une source d’information ne fait que récapituler une autre source d’information dans une modalité différente, si elles sont intelligibles isolément, l’effet ne sera pas obtenu. Il y a alors un effet de redondance de l’information.

De même, dans certaines conditions, l’effet de modalité s’inverse ou ne se vérifie pas. C’est l’effet de l’information transitoire (Leahy et Sweller, 2011) :
  • Des énoncés simples qui n’imposent pas une charge excessive à la mémoire de travail peuvent entraîner l’effet de modalité en combinant le visuel et l’oral. 
  • Lorsque les énoncés deviennent plus longs et plus complexes, les avantages de la présentation bimodale (visuelle et orale) peuvent d’abord disparaître, puis s’inverser avec l’augmentation de la longueur et de la complexité.



Comprendre l’effet de l’information transitoire


Imaginons que nous souhaitons examiner un énoncé qui présente deux propositions, conditions ou consignes. Celles-ci ne sont pas indépendantes et doivent être pour une part, traitées conjointement afin d’être comprises.

Lorsqu’elles sont présentées sous une forme écrite, nous pouvons les visualiser facilement et passer aisément de l’une à l’autre sans jamais avoir besoin de les mémoriser. Elles sont là, disponibles devant nos yeux.

Elles peuvent également nous être présentées non plus sous forme écrite, mais sous une forme orale ou sous une forme visuelle transitoire comme sur deux diapositives que suivent sur un logiciel de présentation. Dans ces situations, si nous souhaitons y réfléchir par la suite, nous devons les avoir mémorisées. 

Lorsqu’il s’agit d’un contenu verbal simple, cette nécessité de mémoriser ne devrait pas créer de difficultés. En revanche, des informations complexes peuvent imposer une charge importante pour la mémoire de travail lorsqu’elles sont présentées sous forme orale ou visuelle transitoire. Cette charge est fortement allégée lorsque ces informations sont disponibles devant nos yeux sous forme écrite permanente.

C’est dans ce cas que se manifeste l’effet de l’information transitoire. En raison des limites de notre mémoire de travail, la tâche précitée peut s’avérer difficile, voire impossible, si l’information est présentée uniquement sous une forme orale et transitoire. La charge de la mémoire de travail peut être excessive.

L’information écrite est relativement permanente, tandis que l’information parlée est relativement transitoire. Le passage d’une information permanente à une information transitoire est susceptible d’avoir des conséquences cognitives et pédagogiques. 

L’information courante peut avoir été remplacée par de l’information nouvelle avant que l’apprenant ait le temps de la traiter ou de l’apprendre adéquatement. La nature transitoire de l’information peut altérer l’apprentissage. C’est particulièrement le cas lorsque les connaissances à apprendre sont séquentielles.

L’effet d’information transitoire se manifeste lorsque l’apprentissage est réduit en raison de la disparition de l’information transitoire avant que l’apprenant ait le temps de la traiter adéquatement.



L’effet de l’information transitoire s’applique à l’apprentissage de connaissances biologiques secondaires


L’effet de l’information transitoire s’applique à l’apprentissage de connaissances biologiques secondaires lorsqu’elles sont complexes et nouvelles. Elles vont imposer une lourde charge cognitive intrinsèque. 

Il est peu probable que ces effets s’appliquent à des connaissances biologiques primaires, à des connaissances biologiques secondaires hautement automatisées ou à des informations qui ne sont pas présentées dans une optique d’apprentissage. 

Par exemple, l’écoute de dialogues ou la plupart des informations présentées dans les films, à la radio et à la télévision vont comprendre des textes parlés très longs qui peuvent être facilement traités. 

L’effet de l’information transitoire ne se rencontre pas avec des contenus qui n’imposent pas une lourde charge de mémoire de travail. De fait, dans son ensemble, la théorie de la charge cognitive ne s’applique pas lorsque la charge cognitive est faible. 



L’effet de l’information transitoire et ses implications pédagogiques


L’information auditive est transitoire. Elle n’est disponible dans l’environnement pédagogique que lorsqu’elle est délivrée. Si elle est longue, complexe et peu familière, tout avantage associé à l’information orale par l’effet de modalité est susceptible d’être annulé. La cause de cette annulation est la charge de la mémoire de travail associée au traitement de l’information transitoire. 

Par conséquent, la complexité des informations verbales est déterminante :
  • Les passages longs et complexes ne devraient pas être présentés sous forme auditive, car ils risquent de surcharger la mémoire de travail en raison de l’effet d’information transitoire. 
  • Les passages courts, ou les passages plus longs couvrant des informations familières et relativement simples qui peuvent être facilement retenues et traitées dans la mémoire de travail sont moins susceptibles de démontrer des effets d’information transitoire. 

L’effet de l’information transitoire a deux implications pédagogiques :
  • Premièrement, nous pouvons nous baser sur l’effet de modalité, lorsque des informations techniques et verbales peuvent être présentées en morceaux relativement simples, segmentés et espacés. Elles devraient être fournies sous forme auditive plutôt que visuelle, accompagnées de diagrammes ou d’autres informations visuelles. 
  • Deuxièmement, si l’information verbale est longue et complexe et ne peut être simplifiée, elle doit être présentée sous forme visuelle afin que les apprenants puissent accéder facilement aux aspects critiques. 

Ces implications découlent de l’architecture cognitive humaine. Cette architecture, à son tour, peut être utilisée pour déterminer les conditions dans lesquelles les implications ne s’appliquent pas et les conditions dans lesquelles elles peuvent être étendues. 

Selon Leahy et Sweller (2016), lorsque nous avons affaire à de multiples sources d’information, celles-ci peuvent se référer les unes aux autres et peuvent ne pas être comprises isolément. Dès lors, la présentation de l’information dans un format audiovisuel est susceptible d’être bénéfique, à condition que l’information verbale soit relativement simple et courte. 

Au fur et à mesure que la complexité et la longueur des informations verbales augmentent, l’avantage des informations audiovisuelles diminue et finit par s’inverser. À ce stade, les informations verbales doivent être présentées sous forme écrite. 

Nous devons nous méfier de l’utilisation de la technologie pédagogique pour transformer des informations permanentes en informations transitoires, ce qui peut entraîner une charge cognitive écrasante qui empêche la compréhension et l’apprentissage. Les technologies numériques nous tendent certains pièges, car de nombreuses techniques de présentation de l’information non transitoire sont remplacées par des présentations transitoires. L’utilisation d’animations en remplacement de graphiques statiques en est un exemple. Les animations peuvent entraîner la disparition d’informations essentielles après quelques secondes. Si nous n’y prenons pas garde lors de leurs conceptions, elles peuvent être moins efficaces que ces informations statiques en ce qui concerne l’apprentissage généré.



L’importance du contrôle des pauses et de la segmentation face à l’effet de l’information transitoire


L’information transitoire peut imposer des exigences fortes à l’élève. Celui-ci se retrouve face à la double tâche de mémoriser le contenu du support en même temps qu’il s’engage dans des activités de traitement cognitives nécessaires à l’apprentissage. L’information transitoire impose à l’élève, qui ne peut pas réguler son activité, de réaliser la tâche et de traiter le support en même temps qu’il apprend.

Il peut y avoir un goulet d’étranglement dû à l’effet de l’information transitoire. 

Toutefois, il existe des pistes pour renforcer l’effet de modalité et atténuer le risque de l’effet de l’information transitoire. Par conséquent, il ne s’agit donc nullement de remettre en cause l’efficacité́ des animations pour apprendre ou de privilégier le texte écrit à l’oralité. Nous devons comprendre dans quelles situations leur efficacité peut pleinement s’exprimer.

À ce titre, André Tricot (2021) rapporte qu’il serait efficace d’introduire des pauses pendant la présentation d’une vidéo ou d’un fichier son. Le bénéfice se manifeste à la condition que les pauses soient commandées par le système et non pas l’apprenant (Rey et col, 2019). De même, les animations peuvent être plus efficaces que les images statiques lorsque le rythme (les pauses) de l’animation est imposé et non lorsqu’il est contrôlé par l’apprenant (Berney et Bétrancourt, 2016). Ainsi une segmentation des contenus et l’ajout de pauses permettent l’utilisation judicieuse de l’oral et des animations en activant pleinement l’effet de modalité.



Manifestation de l’effet de l’information transitoire en classe


L’effet de l’information transitoire décrit comment, l’oubli d’informations importantes avant leur traitement par les élèves, peut entraver leur processus d’apprentissage. 

Un facteur aggravant en contexte de classe est la distraction de l’élève qui fait que lorsque beaucoup d’informations sont transitoires, il peut rapidement perdre le fil conducteur.

Il n’y a pas que l’oral qui en est responsable, l’usage d’un logiciel de présentation peut être lui-même une source d’informations transitoires. Les élèves doivent donc prendre des notes ou avoir un support de cours pour y échapper.

Les fonctions d’un logiciel de présentation qui nous permettent de faire disparaître les informations précédentes en fondu enchaîné ne rendent pas seulement difficile le fait de se souvenir des diapositives précédentes une fois qu’elles ont été vues. Elles peuvent également augmenter le risque de l’effet d’information transitoire.

Lorsqu’une grande quantité d’informations est présentée verbalement ou sur des diapositives, la mémoire de travail des élèves peut être mise à rude épreuve. Les élèves essaient de retenir, de comprendre et d’agir sur un trop grand nombre d’informations. Aucune des phrases que nous leur disons ne reste longtemps dans leur mémoire de travail, car leur attention est trop rapidement portée sur la phrase suivante. Cela conduit à une saturation, car trop d’informations se perdent en cours de route.

Avec un logiciel de présentation, dès que nous passons à la diapositive suivante :
  • Nous ne pouvons plus voir ce qui s’est passé précédemment
  • Nous ne visualisons plus où nous en sommes dans le parcours d’apprentissage
  • Nous ne savons pas ce qui va suivre.
Il en résulte que l’information est souvent perdue, car il est difficile de voir clairement le contexte derrière ce qui est dit. En ne pouvant pas relier l’information actuelle à ce qui la précède ou la suit, nous devenons très sensibles à l’effet d’information transitoire.



L’utilisation d’un champ de mémoire externe


Un champ de mémoire externe est un outil ou une ressource qui nous permet de conserver des informations dans un état plus permanent. Le champ de mémoire externe peut être sauvegardé et consulté ultérieurement. 

Un champ de mémoire externe est un moyen d’étendre considérablement notre mémoire de travail. Il peut prendre la forme d’un stylo et du papier pour une prise de notes Cornell. 

En transférant les informations de notre conscience vers une feuille de papier, nous n’avons plus besoin de les conserver dans notre mémoire de travail très limitée. 

À un niveau très élémentaire, c’est pourquoi les listes de courses, les listes de tâches ou les agendas sont utiles.

En stockant l’information ailleurs sur un support externe à notre système de mémoire, nous libérons de l’espace pour à la fois retenir et analyser les informations suivantes.



Stratégies pratiques pour atténuer l’effet d’information transitoire


Si nous voulons atténuer les risques de perte d’apprentissage et de compréhension imputables à l’effet de l’information transitoire en classe, il est important de commencer par se poser des questions : 
  • Que connaissent déjà nos élèves ?
  • Quelles sont leurs capacités d’attention ?
  • Quel est leur degré de motivation ?
  • À quel stade des apprentissages en cours se trouvent-ils ? 
  • Quelles sont les informations importantes qu’ils doivent apprendre ou consolider avant d’aborder les étapes suivantes de l’enseignement ?

Les réponses à ces questions permettent d’apporter des nuances et un contexte aux démarches d’enseignement explicite dans lesquelles nous allons nous engager. 

Il n’y a pas deux profils de classes et deux contextes de cours identiques. La conception du cours permet de mettre en place le mode opératoire. La vérification de la compréhension et les démarches d’évaluation formative vont permettre de le piloter.

Pour limiter l’effet d’information transitoire, nous pouvons :
  • Augmenter la clarté des explications et améliorer la segmentation des contenus. 
    • En gardant les nouvelles informations délivrées succinctes, nous pouvons réduire les informations redondantes. Cela permet d’atténuer l’effet de l’information transitoire, car la brièveté des instructions verbales réduit les risques de perte d’information lors de la traduction.
  • Faciliter l’usage de champs de mémoire externes :
    • Nous pouvons fournir des documents ou des supports d’apprentissage aux élèves : notes de cours, organisateurs graphiques, problèmes résolus. Les élèves peuvent alors conserver une trace permanente et aisément consultable des informations clés. 
    • Ces démarches libèrent l’espace de la mémoire de travail qui était auparavant nécessaire pour contenir l’information. Les élèves peuvent alors se concentrer sur la compréhension, la manipulation ou l’application de ces informations.
  • Mettre en œuvre une structure claire qui rend visible l’alignement curriculaire :
    • En rendant perceptibles à tout moment, les objectifs d’apprentissage en cours, nous levons toute ambiguïté et structurons clairement notre cours autour de ceux-ci.
  • Mettre en place un cadre efficace en gestion de classe et multiplier les occasions de vérification de la compréhension :
    • En fonctionnant de la sorte, nous améliorons l’attention, l’engagement et le traitement cognitif dans lequel les élèves s’investissent en classe.
    • En vérifiant régulièrement la compréhension, nous pouvons mieux identifier les informations qui ont été perdues ou mal comprises et assurer un enseignement adaptatif au bon niveau qui leur permet de progresser à un rythme plus rapide.

Mis à jour le 16/02/2024

Bibliographie


Bradley Busch and Oliver Caviglioli, What is the transient information effect?, 2021, https://blog.innerdrive.co.uk/transient-information-effect

Tricot, A. (2021). Articuler connaissances en psychologie cognitive et ingénierie pédagogique. Raisons éducatives, 25, 141-162. https://doi.org/10.3917/raised.025.0141

Sweller, J., van Merriënboer, J. J. G. & Paas, F. Cognitive Architecture and Instructional Design: 20 Years Later. Educ Psychol Rev 31, 261–292 (2019). https://doi.org/10.1007/s10648-019-09465-5

Leahy and Sweller (2011). Cognitive load theory, modality of presentation and the transient information effect. Applied Cognitive Psychology, 25, 943–951.

Leahy, W., Sweller, J. Cognitive load theory and the effects of transient information on the modality effect. Instr Sci 44, 107–123 (2016). https://doi.org/10.1007/s11251-015-9362-9

Rey, G. D., Beege, M., Nebel, S., Wirzberger, M., Schmitt, T. H., & Schneider, S. (2019). A Meta-analysis of the Segmenting Effect. Educational Psychology Review, 31, 389–419.

Berney, S., & Bétrancourt, M. (2016). Does animation enhance learning? A meta-analysis. Computers & Education, 101, 150–167.

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