mardi 29 août 2023

Le défi d’apprendre efficacement dans un cours de sciences ou de mathématiques en fonction des limites cognitives

Voici une synthèse d’une partie de l’article de Hartman (et coll., 2022) sur ce thème. Si cet article s’intéresse plus particulièrement au cas de l’apprentissage du cours de chimie, ses implications restent valables pour un cours de sciences ou de mathématiques.

(Photographie : Tatum Shaw)




Pour un enseignement efficace en sciences et en mathématiques


Un enseignement efficace en sciences et en mathématiques devrait être guidé par la recherche scientifique sur la façon dont le cerveau apprend, c’est-à-dire par les sciences cognitives.

Deux évidences d’emblée s’imposent :
  1. Pour des novices, et les élèves le sont essentiellement, un enseignement explicite en sciences ou en mathématiques sera plus efficace qu’une approche pédagogique fondée sur la méthode scientifique ou sur la découverte. Il peut concerner la démarche scientifique et la résolution de problèmes dans des domaines spécifiques.
  2. Pour résoudre des problèmes nouveaux, quelle que soit leur complexité, laisser raisonner les élèves pour qu’ils établissent des solutions par eux-mêmes ne permet pas d’apprendre efficacement. Les élèves doivent pouvoir mobiliser leurs connaissances (concepts, règles et procédures) et appliquer des algorithmes très bien mémorisés. L’étude de résolutions de problèmes types, suivie de leur application dans des contextes de plus en plus variés, permet de mieux soutenir un apprentissage intégré et profond.
En tant qu’enseignants, nous avons besoin d’une compréhension claire sur la manière dont nos élèves peuvent apprendre dans des conditions optimales. Un modèle du fonctionnement de la mémoire fondé sur les apports de la psychologie cognitive est à ce titre utile. 

Un modèle psychologique de l’apprentissage comme ceux développés par Willingham (2010), Chew (2021) ou Johnstone (2010) permet :
  • De comprendre et d’identifier les problèmes que rencontrent les élèves dans l’apprentissage en sciences ou en mathématiques.
  • D’indiquer les moyens d’intervenir sur les obstacles à l’apprentissage
L’enjeu est de transformer l’enseignement des sciences et des mathématiques, en passant de théories fondées sur des opinions à de meilleures pratiques fondées sur des données probantes. Il existe des preuves substantielles que lorsque les enseignants conçoivent un enseignement basé sur des données probantes liées à leur discipline et sur la façon dont le cerveau apprend, les élèves atteignent des niveaux de réussite plus élevés. L’enjeu est de mieux aligner l’enseignement des sciences et des mathématiques sur la science de l’apprentissage.

Les sciences cognitives étudient la façon dont le cerveau pense et apprend. Les disciplines qui y contribuent sont les neurosciences, la biologie de l’évolution et la psychologie cognitive et éducative. 

En sciences ou en mathématiques, nous demandons régulièrement aux élèves de résoudre des problèmes. Au sein des sciences cognitives, une sous-discipline se concentre sur la manière dont le cerveau résout les problèmes et apprend à le faire. 



Les apprentissages adaptatifs


Par la sélection naturelle, à travers notre ADN, nous sommes programmés pour résoudre automatiquement certains types de problèmes qui appartiennent au domaine des connaissances biologiquement primaires. 

Par exemple, nous prenons notre première respiration automatiquement en réponse à un stimulus approprié et apprenons à communiquer avec nos parents dès le premier jour. 

Mais toutes les connaissances nécessaires à la survie ne sont pas programmées. L’apprentissage a évolué pour adapter les individus à des environnements variés. Ces apprentissages sont stockés dans notre mémoire à long terme.

Le cerveau connait durant son développement des fenêtres de plasticité, également appelées périodes sensibles, pour des sujets limités. Dans ces situations, le cerveau a évolué pour stocker instinctivement, automatiquement et apparemment sans effort les connaissances acquises par l’expérience dans la mémoire à long terme.

Par exemple, la création de la parole est incroyablement complexe sur le plan cognitif, mais par simple exposition au langage dans leur environnement, les enfants parviennent à parler couramment la langue qu’ils entendent autour d’eux. Dans le cadre de la parole, nous appliquons des règles complexes avec une connaissance consciente minimale de ce qu’elles sont.

Les enfants apprennent aussi automatiquement dans d’autres domaines comme la reconnaissance faciale, les conventions des relations sociales. Ils obtiennent également des connaissances naïves et intuitives en physique et en biologie. 

Sur des milliers de générations, la sélection naturelle a permis notre évolution pour favoriser la survie dans des environnements primitifs difficiles. 

L’apprentissage adaptatif est qualifié de biologiquement primaire du point de vue de l’évolution. Pendant l’enfance, des connaissances biologiquement primaires étendues sont automatiquement stockées dans la mémoire à long terme. En ce qui les concerne, un enseignement formel n’est pas nécessaire.



Les apprentissages dans le domaine des connaissances biologiques secondaires

 
La lecture, l’écriture et les mathématiques n’ont pas contribué au fitness des populations humaines dans la préhistoire. 

Leur apprentissage n’a pas évolué pour devenir automatique ou adaptatif. Il n’est pas inscrit dans notre ADN. Il nécessite presque toujours un effort, une attention, une répétition et une pratique du rappel. L’apprentissage qui nécessite un effort est qualifié de biologiquement secondaire du point de vue de l’évolution. Les apprentissages scolaires sont essentiellement biologiquement secondaires. 

Un problème est défini de manière générale comme un travail cognitif qui implique un défi modéré. L’objectif des écoles est de structurer l’apprentissage biologiquement secondaire : apprendre aux citoyens à résoudre des problèmes présents dans la société moderne et que nous n’apprenons pas à résoudre automatiquement.

Dans le cadre des fenêtres de plasticité, lorsque la période d’apprentissage d’un sujet biologiquement primaire se termine, celui-ci devient biologiquement secondaire. Par exemple, après l’âge de 12 ans environ, l’acquisition de la maîtrise d’une nouvelle langue nécessite presque toujours un effort (Pinker, 2007).



Une typologie des problèmes


Les apprentissages scolaires (apprentissages biologiques secondaires) peuvent être assimilés à de la résolution de problèmes. Ce processus bénéficie d’une orientation ou d’un étayage fourni par un enseignant ou un formateur. 

Ces problèmes peuvent être subdivisés en deux catégories : 
  • Certains problèmes peuvent s’accompagner d’un apprentissage qui permet de les résoudre automatiquement après avoir fourni l’effort nécessaire : 
    • Ils sont qualifiés de récurrents, car ils sont familiers et rencontrés souvent. 
    • Les compétences récurrentes sont exécutées en tant que processus fondés sur des règles après un temps d’entraînement. 
    • Ils possèdent des aspects routiniers et sont parfois entièrement automatisés.
    • Ce sont des problèmes bien structurés.
    • Par exemple :
      • Garder sa voiture dans sa voie tandis que l’on conduit devient automatique et souvent inconscient avec la pratique.
      • Connaitre ses tables de multiplication ou les symboles des éléments chimiques permet de retrouver les réponses correspondantes sans effort perceptible.
  • Certains problèmes ne peuvent être résolus entièrement automatiquement :
    • Ils sont qualifiés de non récurrents, car ils sont souvent complexes et variés, et ne sont pas rencontrés souvent sous une forme spécifique ou particulière.
    • Par exemple :
      • Devoir se garer dans un contexte difficile avec peu d’espace et une circulation importante demande de la concentration et n’est pas une action purement automatique. Nous sommes amenés à contrôler pleinement le processus pour éviter une manœuvre imprudente.
      • La plupart des problèmes que les élèves vont croisent dans le cadre de l’enseignement des sciences et des mathématiques ne seront pas au départ récurrents pour les élèves. Ils ne peuvent pas encore être résolus automatiquement. Les élèves doivent lire l’énoncé, identifier le type d’exercice. Une fois le type d’exercice déterminé, ils doivent considérer la configuration pour estimer la démarche à suivre puis s’y engagent.
Ces problèmes non récurrents peuvent eux-mêmes être classés en deux types :
  • Certains problèmes non récurrents sont bien structurés :
    • Ils possèdent :
      • Un but bien spécifié
      • Un état initial
      • Des contraintes
      • Des réponses correctes précises qui peuvent être déterminées par des procédures en étapes. 
    • Les procédures de calcul en sciences et en mathématiques en sont un exemple. Ils sont largement majoritaires.
  • D’autres problèmes non récurrents sont peu structurés : 
    • Les réponses correctes sont discutables ou inconnues, et différentes réponses peuvent être valables.
    • Ce type de problème est largement minoritaire en sciences et en mathématiques, mais peut être plus fréquent dans un cours littéraire.
L’apprentissage en sciences et en mathématiques repose essentiellement sur la résolution de problèmes bien structurés en appliquant des procédures éprouvées (algorithmes) plutôt que des « heuristiques » moins fiables qui peuvent impliquer des spéculations. Ces heuristiques seront plus communes dans la résolution de problèmes non récurrents peu structurés.

Les problèmes récurrents correspondent généralement à des opérations simples et génériques. Leur automatisation permet de récupérer des ressources en mémoire de travail. Les problèmes non récurrents structurés sont le format le plus fréquent, généralement rencontré dans le cadre des sciences et des mathématiques. Dès lors dans ces matières, l’enseignement de stratégies permettant de résoudre des problèmes bien structurés (récurrents et non récurrents) est dès lors un enjeu majeur.  



Un modèle de traitement de l’information


Le modèle proposé par Johnstone (2010) continue d’être appliqué par les spécialistes des sciences cognitives pour expliquer la résolution de problèmes et l’apprentissage. 




Le modèle comporte trois composantes principales :
  • L’attention ou filtre de perception : 
    • L’attention nous permet de nous concentrer sur ce que nous considérons comme important face à la multitude de stimuli auxquels nous assistons. 
    • L’attention peut être pilotée par ce que nous savons déjà pour sélectionner un nombre limité d’éléments. 
    • Des stratégies et des connaissances précédemment stockées dans la mémoire à long terme, car apprises précédemment, détermineront quelles données recevront l’attention. 
    • Les informations que nous admettons grâce à notre attention entrent dans la mémoire de travail.
    • Un bruit ou une image distrayante peut déplacer l’attention et envoyer des données étrangères dans la mémoire de travail. Les données parasites peuvent faire sortir des pensées, connaissances ou souvenirs stockés de la mémoire centrale, ce qui tend à provoquer une confusion. Cela peut nous faire perdre le fil de notre réflexion.
  • La mémoire de travail ou espace de travail :
    • Elle contient ce dont nous sommes conscients à ce moment précis.
    • C’est un espace de travail limité dans lequel la pensée consciente prend place. 
    • Elle rassemble les nouvelles informations admises par le filtre et les informations récupérées de la mémoire à long terme. 
    • Les diverses informations interagissent, cherchant à établir des liens entre les anciennes et les nouvelles connaissances. Ce processus permet de donner du sens aux nouvelles connaissances. 
    • Cet espace de travail a deux fonctions : retenir temporairement les informations et les traiter.
  • La mémoire à long terme : 
    • La mémoire à long terme est l’endroit où nous stockons ce que nous avons appris dans des réseaux de cellules spécialisées appelées neurones. 
    • Chaque neurone peut établir des connexions avec des milliers d’autres neurones et partager des informations avec eux. 
    • Dans les réseaux neuronaux, les informations sont codées : elles sont stockées sous forme de représentations qui peuvent être rappelées pour résoudre des problèmes. 
    • Grâce à ses synapses, chaque neurone peut se connecter et échanger des signaux avec des milliers d’autres neurones. Au cours de l’apprentissage, le câblage du cerveau subit des modifications qui permettent de stocker des connaissances. 
    • La mémoire à long terme est précâblée pour être capable de décomposer les images et les sons en petits éléments qu’elle peut encoder (stocker). Parmi ces éléments, de nouvelles connexions peuvent être établies dans la mémoire à long terme, ce qui entraîne un nouvel apprentissage. Par exemple, un enfant apprend à reconnaître certaines lignes et courbes comme étant le chiffre 5. Au cours de cet apprentissage, le cerveau crée une connexion câblée stockant le fait que ces lignes, ces courbes et cette disposition codées représentent le symbole 5. 
    • Le stockage de ces relations crée un bloc de mémoire à long terme. Les sciences cognitives définissent un chunk comme une collection d’éléments de connaissance connectés qui a une signification.


Mis à jour le 17/02/2024


Bibliographie


Hartman, J.R., Nelson, E.A. & Kirschner, P.A. Improving student success in chemistry through cognitive science. Found Chem 24, 239–261 (2022). https://doi.org/10.1007/s10698-022-09427-w

Pinker, S.A.: The Language Instinct: How the Mind Creates Language. HarperCollins, New York (2007/1994) 

Johnstone, A.H.: You can’t get there from here. J. Chem. Educ. 87(1), 22–29 (2010)

Willingham, D., Why Don't Students Like School?, Josey-Bass, 2010

Chew, S. L. (2021, June 17). An Advance Organizer for Student Learning: Choke Points and Pitfalls in Studying. Canadian Psychology/Psychologie canadienne. Advance online publication. http://dx.doi.org/10.1037/cap0000290

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