jeudi 31 août 2023

Influence des pairs à l’adolescence

Une dimension particulière de la gestion de classe au niveau du secondaire est qu’à l’adolescence, les élèves deviennent plus facilement influençables par leurs pairs et plus susceptibles de prendre des risques sans en considérer toute la portée.

(Photographie : Noel Carmodo)






L’évaluation de soi et la sensibilité aux récompenses à l’adolescence


L’évaluation de soi


L’adolescence, en tant que période de transition entre l’enfance et l’âge adulte, se traduit par une plus grande indépendance vis-à-vis de la famille et une meilleure caractérisation de soi (croyances et standards personnels). 

L’évaluation de soi se fait à travers des dimensions sociales variées (sur le plan de l’apparence, des activités sportives et extrascolaires, de l’appartenance à un groupe donné ou encore des conduites morales). Le point de vue des adolescents est fortement susceptible de varier en fonction des personnes en présence (Steinberg et Morris, 2001).


Une sensibilité accrue aux récompenses immédiates à l’adolescence


La capacité d’autorégulation des adolescents est plus dépendante que celle des adultes de facteurs contextuels :

Par rapport aux adultes, elle diminue :
  • Avec l’augmentation de la difficulté des tâches, ce qui fait que les adolescents baissent parfois les bras face à des difficultés qui resteraient à leur portée avec un peu plus d’effort et de constance.
  • Avec la présence de pairs, ce qui fait que les adolescents sont plus influençables.
  • Face à des récompenses anticipées retardées, ce qui fait que certains adolescents ne vont finalement se mettre à travailler scolairement que face au mur, dans la dernière ligne droite. 
Par rapport aux adultes, les adolescents vivent des expériences moins gratifiantes lorsqu’ils anticipent des récompenses.

Les adolescents sont plus motivés que les adultes à rechercher des expériences plus gratifiantes qui donnent des récompenses immédiates. Ils sont plus sensibles à la perspective d’une récompense primaire et directe, qu’elle ait une valeur pour elle-même ou qu’elle soit sociale ou monétaire. 

Ces tendances sont tout autant susceptibles de jouer de manière favorable ou défavorables pour leur autocontrôle, cela les incite à prendre des risques autant qu’à les éviter en fonction de la nature de la récompense.

En bref, lors de l’adolescence, la sensibilité aux récompenses immédiates est plus forte et celle aux récompenses retardées est plus faible que pour les adultes.



Influence des pairs à l’adolescence


Le contexte social de la prise de risque est fondamental. Les adolescents font preuve d’étonnantes capacités de prise de décision lorsqu’ils sont seuls. 

Par contre, le déséquilibre entre le système émotionnel et le système de contrôle cognitif devient plus important en contexte social, lorsque les adolescents se trouvent en présence de leurs amis ou en situation de comparaison sociale.

La prise de risque chez les adolescents est bien plus susceptible de se produire en présence de pairs que chez les adultes. 

La recherche en neurosciences semble indiquer que la prise de risque accrue en présence de pairs est due à l’influence des pairs sur le traitement des récompenses plutôt qu’à l’influence des pairs sur le contrôle cognitif.

Ainsi, lorsque la publicité préventive destinée aux jeunes, par exemple, met l’accent sur les risques à long terme du tabagisme par exemple, elle a peu de chances de fonctionner. Les adolescents comprennent déjà les risques. Mais dans le feu de l’action, lorsqu’on leur offre une cigarette, de l’alcool ou autre chose de répréhensible, beaucoup d’adolescents vont se soucier bien plus de ce que leur groupe de pairs pense d’eux. Ils vont négliger les risques liés à leur choix pour leur santé. 

Souvent, leurs décisions sont motivées par la crainte d’être exclus par leurs pairs, plutôt que par une considération impartiale des conséquences. 

Toutefois, cela n’est pas vrai pour tous les adolescents. Certains jeunes ne sont pas particulièrement influencés par ce que leurs amis pensent ou font, mais beaucoup le sont.

À l’adolescence, les décisions se prennent fréquemment en contexte social. De plus, les récompenses reposent souvent sur ce contexte social. C’est le fait d’être admiré, d’être accepté par le groupe, d’être aimé, de se sentir utile, qui compte. De fait, les processus sociaux et affectifs vont souvent de pair à l’adolescence. 



Influence des pairs sur la prise de risque à l’adolescence


Gardner et Steinberg (2005) ont confronté des adolescents (âgés de 14 ans) et des adultes (âgés de 19 ans et de 35 ans) à une tâche de simulation de conduite automobile :
  • À chaque intersection, les participants devaient décider ou non de freiner à l’approche d’un feu tricolore passant à l’orange. 
  • Plus la voiture avançait, plus le participant gagnait des points, mais le non-respect de la signalisation pouvait engendrer des accidents dramatiques conduisant à la perte de la totalité des points engrangés pendant l’essai. La tendance à vouloir maximiser le nombre de points entrait en conflit avec le risque de tout perdre en cas d’accident. 
  • Les participants ont effectué cette tâche soit seuls, soit en présence de pairs. 

Dans la condition de jeu individuel, les adolescents présentent une prise de décision légèrement aversive au risque. En revanche, dans la condition de jeu en groupe, la prise de risque augmente très fortement chez les adolescents, alors qu’elle ne varie pas chez les adultes les plus âgés. 

Ainsi, en compagnie de leurs amis, les adolescents présentent une plus forte tendance à la prise de risques que lorsqu’ils sont seuls.

Cette étude a été reproduite à l’aide de l’imagerie cérébrale fonctionnelle, afin d’étudier les zones cérébrales impliquées dans la prise de risque à l’adolescence (seul ou en présence de pairs). 

Les adolescents présentent une activation plus faible du cortex préfrontal latéral que les adultes, ce qui suggère que le système de contrôle cognitif des adolescents est moins efficient que celui des adultes (Chein et coll., 2011). 

Cependant, l’activation de cette région n’est pas modulée par le contexte socioémotionnel. Ainsi, l’activation du système de contrôle cognitif est liée à l’âge, mais ne semble pas sensible à la manipulation du contexte social. 

En revanche, les adolescents présentent une activation plus importante des structures du système motivationnel (striatum ventral et cortex orbitofrontal) par rapport aux adultes, et ce uniquement dans la condition de jeu en groupe. L’activation du système émotionnel est donc liée à la présence des pairs à l’adolescence, ce qui pourrait expliquer l’accroissement de la prise de risque dans ce contexte.

Sur le plan comportemental, l’augmentation de la prise de risque observée dans ces études peut s’expliquer par une sensibilité aux récompenses immédiates plus importante en contexte social (par exemple en présence de pairs).

Dans une étude (O’Brien, Albert, Chein, et Steinberg, 2011 ; Weigard, Chein, Albert, Smith, et Steinberg, 2014), les participants ont dû effectuer un choix. D’un côté, il y avait une réponse immédiate (par exemple 500 € immédiatement) et de l’autre une récompense différée plus importante (par exemple 1000 € dans 6 mois). Le délai de la récompense différée varie de 1 jour à 1 an, selon les essais. 

La valeur subjective immédiate accordée à une récompense différée, nommée également point d’indifférence, est plus faible lorsque la prise de décision des adolescents est effectuée en présence d’amis. De plus, le degré de dévaluation d’une récompense en fonction du délai (1 jour, 1 mois ou 6 mois, nommé taux de dévaluation) est plus important qu’en condition individuelle. 

La présence des pairs renforce donc la préférence pour les récompenses immédiates par rapport aux récompenses différées, ce qui pourrait expliquer l’accroissement de la prise de risque observée à l’adolescence.



Excès d’influence des pairs adolescents sur les adolescents

 
Knoll, Magis-Weinberg, Speekenbrink et Blakemore (2015) ont souhaité déterminer si le degré de conformisme social à l’adolescence variait en fonction de l’origine de cette influence (pair ou adulte) dans des situations de prise de risque. 

Les participants, des enfants, des adolescents ou des adultes, se sont vu proposer différents scénarios qui impliquaient un risque pour la santé (qui pouvait être modéré ou élevé). Ensuite, ils devaient indiquer à quel point ils trouvaient cette situation risquée. 

Après avoir indiqué leur propre perception du risque, ils visualisaient la réponse donnée par un autre participant, qui était soit un adulte, soit un adolescent, et devaient à nouveau indiquer leur perception du risque. 

Cette étude indique que les enfants perçoivent en moyenne les situations présentées comme plus risquées que les adolescents et les jeunes adultes (avec une courbe en léger u inversé). 

Par ailleurs, il existe une influence sociale à tous les âges. Tous les groupes d’âge modifient leur réponse dans le sens de la réponse d’autrui et cette influence décroît avec l’âge. 

Les enfants et les adultes se conforment plus souvent à la réponse d’autrui lorsqu’elle vient d’un adulte. Par contre, les jeunes adolescents (12–14 ans) sont plus influencés par les réponses données par d’autres adolescents que par celles des adultes. 

Ces résultats soulignent donc un effet de conformisme social à tous les âges, même si les pairs ne sont pas physiquement présents. Cependant, le début de l’adolescence semble être une phase cruciale au cours de laquelle les individus percevraient les situations comme moins risquées. Ils accorderaient plus de crédits à leurs pairs qu’à la figure d’autorité qu’est l’adulte, qu’ils tendent à contester. 


Mis à jour le 18/02/2024

Bibliographie


Habib, Marianne & Cassotti, Mathieu. (2017). La prise de risque à l’adolescence.

Steinberg, L., & Morris, A. S. (2001). Adolescent development Annual Review of Psychology, 52, 83–110. http:// doi.org/10.1146/annurev.psych.52.1.83.

Gardner, M., & Steinberg, L. (2005). Peer Influence on Risk Taking, Risk Preference, and Risky Decision Making in Adolescence and Adulthood: An Experimental Study. Developmental Psychology, 41(4), 625–635. http://doi.org/10.1037/0012-1649.41.4.625. 

Chein, J., Albert, D., O’Brien, L., et al. (2011). Peers increase adolescent risk taking by enhancing activity in the brain’s reward circuitry. Developmental Science, 14(2), F1–F10. http://doi. org/10.1111/j.1467-7687.2010.01035.x.

O’Brien, L., Albert, D., Chein, J., et al. (2011). Adolescents Prefer More Immediate Rewards When in the Presence of their Peers. Journal of Research on Adolescence, 21(4), 747–753. http://doi. org/10.1111/j.1532-7795.2011.00738.x.

Weigard, A., Chein, J., Albert, D., et al. (2014). Effects of anonymous peer observation on adolescents’ preference for immediate rewards. Developmental Science, 17(1), 71–78. http://doi.org/10.1111/desc.12099. 

Knoll LJ, Magis-Weinberg L, Speekenbrink M, Blakemore SJ. Social influence on risk perception during adolescence. Psychol Sci. 2015 May;26(5):583-92. doi: 10.1177/0956797615569578. Epub 2015 Mar 25. PMID: 25810453; PMCID: PMC4426139.

0 comments:

Enregistrer un commentaire