mardi 15 août 2023

La classe puzzle, un miroir aux alouettes en apprentissage coopératif

La classe puzzle ou approche jigsaw est une stratégie populaire régulièrement utilisée dans le cadre de l’apprentissage coopératif (apprentissage par les pairs), mais qu’en est-il de son efficacité ? Une synthèse d’un article de Stanczak et ses collaborateurs (2021) sur la question.

(Photographie : Neal McClure)




Avantages de l’apprentissage coopératif selon la théorie de l’interdépendance positive


Selon la théorie de l’interdépendance positive (Johnson & Johnson, 2009), les individus s’engagent dans la tâche et s’entraident parce qu’ils s’identifient au groupe et veulent que les autres réussissent. 

Dans cette perspective, les effets bénéfiques de la coopération apparaissent lorsque les membres du groupe se sentent responsables de leur propre apprentissage ainsi que de celui des autres. 

Selon la théorie de l’interdépendance positive, plusieurs éléments sont essentiels pour structurer la coopération dans les classes :
  • L’interdépendance positive est supposée émerger lorsque la réussite d’un membre du groupe est liée positivement aux autres :
    • Cette interdépendance positive génère des opportunités pour les élèves de s’engager dans des interactions promotrices qui sont à leur tour susceptibles d’améliorer l’apprentissage :
      • La facilitation du travail en groupe
      • L’aide donnée, recherchée et reçue
      • Le sentiment de responsabilité envers le groupe.
    • L’interdépendance positive peut faire référence aux résultats du groupe et à l’émergence d’objectifs communs ou de récompenses collectives.
    • L’interdépendance positive peut également faire référence à l’interdépendance des moyens et émerger de tâches, de ressources et de rôles complémentaires. 
  • La responsabilisation de chacun des membres du groupe doit être mise en avant :
    • La contribution des individus au produit du groupe doit être visible et chacun doit s’en sentir responsable. 
    • L’enjeu est de diminuer la tendance de nombreux individus à déployer moins d’efforts lorsqu’ils travaillent collectivement que lorsqu’ils travaillent individuellement.
    • La responsabilisation individuelle peut être réalisée en distribuant des ressources complémentaires à chaque membre du groupe. Lorsque les ressources sont distribuées de manière interdépendante, chaque membre du groupe est responsable d’expliquer aux autres membres du groupe la partie de la ressource qu’il possède ou maîtrise. Ainsi, l’interdépendance des ressources permet aux membres du groupe de devenir à la fois positivement interdépendants et individuellement responsables.
  • Le retour d’information est essentiel pour que la coopération atteigne des résultats optimaux. Il est généralement conseillé aux enseignants de fournir un retour d’information à la fois au niveau du groupe et au niveau individuel, en donnant aux apprenants des occasions de réfléchir au traitement du groupe. Un autre facteur important est qu’il faut former les élèves aux compétences et procédures nécessaires à l’apprentissage coopératif. 
Lorsque tous ces éléments seraient présents, l’apprentissage coopératif pourrait se produire et favoriser les résultats liés à l’apprentissage. 

Au-delà des résultats liés à l’apprentissage, d’autres effets bénéfiques sont visés. Ce sont des avantages pour la motivation, l’estime de soi et d’autres variables psychologiques, comme le sentiment de compétence et les attitudes envers le travail de groupe.



La nébuleuse de l’apprentissage coopératif


Slavin (2011) a défini l’apprentissage coopératif comme une méthode d’enseignement dans laquelle les enseignants organisent les élèves en petits groupes, qui travaillent ensuite ensemble pour s’aider mutuellement à apprendre un contenu académique. 

La plupart des enseignants considèrent l’apprentissage coopératif comme une stratégie utile pour promouvoir l’apprentissage et d’autres compétences sociales positives connexes chez leurs élèves.

Le consensus est si large que l’apprentissage coopératif est souvent présenté comme l’un des principaux thèmes qui devraient guider les réformes de l’éducation. Toutefois, il continue d’être utilisé de manière assez limitée dans la pratique.

Dans une de leurs revues, Johnson et Johnson (1989) ont rapporté des associations positives et moyennes entre l’interdépendance positive et la réussite scolaire (d = 0,64) et l’estime de soi (d = 0,44). Ils ont obtenu ces résultats en comparant l’apprentissage coopératif à un apprentissage individualiste.

Hattie (2010) a réalité une synthèse de plusieurs méta-analyses relatives à l’effet de diverses interventions sur la réussite scolaire. Il a estimé que l’apprentissage coopératif, en général, a des effets positifs et « moyens » sur l’apprentissage lorsqu’il est comparé à l’apprentissage individualiste (d = 0,59, n = 774 études) et compétitif (d = 0,54, n = 1024 études). 

Toutefois, les chercheurs s’accordent à dire que toutes les techniques d’apprentissage coopératif ne sont pas équivalentes et que les preuves empiriques doivent être clairement établies avant de faire des recommandations aux praticiens (Slavin, 2008).

En effet, l’apprentissage coopératif peut être considéré comme un terme générique englobant plusieurs techniques coopératives, avec des effets variés sur l’apprentissage. L’apprentissage coopératif peut prendre plusieurs formes parfois contradictoires qui peuvent s’articuler autour de différents objectifs ou procédures avec des concepts en commun et d'autres en contraduction.

 Il n’y a pas un apprentissage coopératif, mais différentes formes, plus particulièrement on peut distinguer deux approches liées à la coopération comme stratégie pédagogique :
  • Certaines s’associent aux pédagogiques actives et au (socio)constructivisme correspondant au terme de "pédagogie coopérative".
  • D'autres se rapprochent du cognitivisme et de l’instructionnisme et correspondent au terme "apprentissage coopératif".
La recherche révèle l’existence d’un effet positif global de l’apprentissage coopératif sur les résultats d’apprentissage. Toutefois, il existe des variations significatives dans les effets des différentes méthodes d’apprentissage coopératif sur les résultats d’apprentissage. Il existe un déficit de recherches empiriques rigoureuses concernant l’apprentissage coopératif.



L’approche jigsaw (classe puzzle)


L’approche jigsaw est une procédure d’apprentissage par les pairs. Elle est dérivée de la théorie de l’interdépendance sociale, qui suggère que les individus positivement liés par un objectif commun peuvent bénéficier d’interactions sociales positives et promotrices (Aronson & Patnoe, 2011). L’approche jigsaw structure une interdépendance positive en distribuant des ressources complémentaires entre les membres du groupe en classe. 

L’approche jigsaw a souvent été présentée comme un moyen efficace de promouvoir l’apprentissage. Cependant, bien que l’approche jigsaw soit une méthode coopérative relativement populaire, les recherches empiriques testant son effet sur l’apprentissage restent relativement rares et débattues. La structure de cette technique a récemment été remise en question, notamment, parce qu’elle contient à la fois des éléments coopératifs et compétitifs. 

Cette incertitude sur l’approche jigsaw est un danger, car la faiblesse des preuves peut être trompeuse pour les enseignants. L’affirmation générale selon laquelle le jigsaw favorise l’apprentissage n’est pas établie. 

En outre, peu de recherches ont jusqu’à présent évalué empiriquement son efficacité sur l’apprentissage, notamment par rapport à d’autres méthodes d’apprentissage coopératif (par exemple, l’apprentissage réciproque).

Dans leur revue, Johnson et Johnson (2002) ont indiqué que seules 14 études empiriques avaient examiné les effets du jigsaw sur la réussite scolaire. Cet effet avait été étudié par rapport à l’apprentissage compétitif (n = 9 études) ou à l’apprentissage individualiste (n = 5 études). Ils ont constaté que la taille de l’effet de jigsaw était de d = 0,29 par rapport à un groupe de contrôle compétitif, c’est-à-dire la présence d’une interdépendance négative des objectifs ou des récompenses. Ils ont également constaté que la taille de l’effet de jigsaw était de d = 0,13 par rapport à un groupe de contrôle individualiste (c’est-à-dire un travail individualiste, sans interdépendance sociale entre les participants). Ils notent que cette taille d’effet est systématiquement inférieure à celle obtenue avec d’autres méthodes coopératives. Ces auteurs invitent les chercheurs à mener davantage de recherches sur des méthodes comme le jigsaw. 

Nous sommes dans un contexte de crise de la réplicabilité. Compte tenu des incitations à la recherche sur les preuves cumulatives dans le domaine de l’éducation, s’appuyer sur des modèles expérimentaux appropriés pour aborder l’efficacité des méthodes d’enseignement est particulièrement important. 



Des résultats de recherche décevants sur l'approche jigsaw (classe puzzle)


Stanczak et ses collègues (2021) ont testé l’hypothèse selon laquelle une intervention jigsaw produirait une taille d’effet significative (d = 0,40) sur les résultats d’apprentissage.

Cinq expériences randomisées ont été menées auprès d’élèves de 11-12 ans. L’intervention jigsaw a été comparée à une approche individualiste ou à un enseignement habituel sur le même contenu pédagogique. 

Dans l’ensemble des cinq expériences, aucun soutien empirique n’a été trouvé pour l’hypothèse d’une taille d’effet significative (d = 0,40). Dans l’ensemble, l’intervention jigsaw n’a pas produit les effets positifs attendus sur l’apprentissage. Dans un environnement de classe réel, pour une durée couvrant l’ensemble d’un trimestre et avec un véritable enseignant connu des enfants, les chercheurs n’ont pas observé les effets positifs attendus du jigsaw. 

L’approche jigsaw n’a pas apporté de gain significatif dans les résultats d’apprentissage par rapport aux conditions d’apprentissage individualistes ou d’enseignement habituel.

Ces résultats viennent contredire des données antérieures. 



Limitations à l’utilisation pédagogique de l’approche jigsaw (classe puzzle)


De mauvaises preuves peuvent être très trompeuses pour les enseignants et entraver le processus scientifique lui-même. Stanczak et ses collègues (2021) rejettent la présence d’un effet positif de l’approche jigsaw sur l’apprentissage dans leurs expériences. 

Les expériences actuelles soutiennent l’idée que, jusqu’à présent, les preuves empiriques ne sont pas suffisamment solides pour conclure à l’existence d’un effet bénéfique de la méthode jigsaw sur l’apprentissage. Si cet effet existe, il pourrait être plus faible que ce que l’on pensait initialement (Lakens, 2017). 

La seule façon de savoir si le jigsaw est ou non une technique efficace à utiliser en classe pour améliorer l’apprentissage des élèves est de mener des expériences contrôlées randomisées dans différents contextes. Actuellement, d’autres recherches sont nécessaires pour tirer des conclusions claires et directes sur le potentiel de la technique du jigsaw pour améliorer l’apprentissage. 

Cependant, ce que nos données suggèrent, c’est que ces effets, s’ils existent, sont très peu susceptibles de s’appliquer aux élèves de 11-12 ans. 

La science doit s’appuyer sur des preuves cumulatives et empiriques. Par conséquent, en attendant, Stanczak et ses collègues (2021) encouragent les enseignants à se concentrer plutôt sur des interventions fondées sur des preuves plus solides et de ne pas s’investir dans l’approche jigsaw avec leurs élèves.


Mis à jour le 10/02/2024

Bibliographie


Stanczak, Arnaud & Darnon, Céline & Robert, Anaïs & Demolliens, Marie & Sanrey, Camille & Bressoux, Pascal & Huguet, Pascal & Buchs, Céline & Butera, Fabrizio. (2021). Do Jigsaw classrooms improve learning outcomes? Five experiments and an internal meta-analysis. Journal of Educational Psychology. 10.1037/edu0000730.

Aronson, E., & Patnoe, S. (2011). Cooperation in the classroom: The Jigsaw Method. Pinter & Martin.

Hattie, J. (2010). Visible learning: A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement. Routledge. Manuscrit in press

Johnson, D. W., & Johnson, R. T. (1989). Cooperation and competition: Theory and research. Interaction Book Company.

Johnson, D. W., & Johnson, R. T. (2002). Cooperative learning methods: A meta-analysis. Journal of Research in Education, 12(1), 5–24.

Johnson, D. W., & Johnson, R. T. (2009). An educational psychology success story: Social interdependence theory and cooperative learning. Educational Researcher, 38(5), 365–379. https://doi.org/10.3102/0013189X09339057

Lakens, D. (2017). Equivalence tests: A practical primer for t tests, correlations, and meta-analyses. Social Psychological and Personality Science, 8(4), 355–362. https://doi.org/10.1177/1948550617697177

Slavin, R. E. (2008). Cooperative learning, success for all, and evidence-based reform in education. Éducation et didactique, 2(2), 149-157. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.334

Slavin, R. E. (2011). Instruction based on cooperative learning. Handbook of Research on Learning and Instruction, 4. https://doi.org/10.4324/9780203839089.ch17 

0 comments:

Enregistrer un commentaire