(Photographie : rootlessly)
Les processus de retour d’information dans l’enseignement ne sont généralement pas complètement compris. Ils sont complexes à mettre en œuvre de manière efficace et peuvent ne pas répondre à leur objectif d’influencer de manière significative l’apprentissage des élèves.
Le principe de la littératie de rétroaction sera exploré dans cet article, car il résume bien la complexité des processus en œuvre du côté de l’élève. Synthèse d’un article de Carless & Boud (2018).
Comprendre les enjeux de la rétroaction du point de vue de l’élève
L’élève a un rôle central dans la compréhension et l’utilisation des commentaires qui lui snt fournis pour améliorer son travail ultérieur.
Le retour d’information peut être défini comme un processus par lequel les élèves donnent un sens aux informations provenant de diverses sources et les utilisent pour améliorer leur travail ou leurs stratégies d’apprentissage.
Pour que les processus liés au retour d’information soient améliorés, les élèves ont besoin :
- D’une compréhension de la manière dont le retour d’information peut fonctionner efficacement pour eux.
- D’opportunités de mise en œuvre du retour d’information dans le cadre de leurs cours.
Les informations peuvent provenir de différentes sources, par exemple des pairs, des enseignants, des amis, des membres de la famille ou de systèmes informatiques automatisés destinés à soutenir l’auto-évaluation des progrès de l’élève.
Cette conception de la rétroaction va au-delà des conceptions habituelles. Traditionnellement, le retour d’information consiste principalement à ce que les enseignants informent les élèves de leurs points forts, de leurs points faibles et de la manière de s’améliorer.
La rétroaction ne peut être une simple information. La rétroaction doit s’inscrire dans un cadre où un élève développe certaines compétences pour les utiliser et où l’enseignant apporte un étayage pour soutenir son utilisation.
Comprendre les enjeux d’une littératie de la rétroaction
Il existe un enjeu à apprendre aux élèves à faire une bonne utilisation de la rétroaction. À ce titre, il est intéressant de développer ce que l’on peut appeler une littératie de la rétroaction.
Le développement d’une littératie en matière de retour d’information à l’échelle d’une école doit viser à ce que les élèves apprennent à l’utiliser pleinement. C’est un élément d’une culture de l’apprentissage en école.
La notion de littératie en matière de retour d’information (Sutton, 2012) est la capacité à lire, interpréter et utiliser un retour d’information écrit. La littératie en matière de retour d’information des élèves est la compréhension, la capacité et les dispositions nécessaires pour donner un sens aux informations et les utiliser pour améliorer les stratégies de travail ou l’apprentissage.
La littératie en matière de retour d’information des élèves implique :
- Une compréhension de ce qu’est le retour d’information et de la manière dont il peut être géré efficacement.
- Des capacités et des dispositions pour en faire un usage productif
- Une appréciation des rôles respectifs des enseignants et des élèves dans ces processus.
Comprendre le rôle de l’enseignant face à la littératie en matière de rétroaction
L’un des principaux obstacles à un retour d’information efficace est le niveau généralement faible et inégal des connaissances des élèves en matière de littératie à son sujet.
Nous ne pouvons pas tabler sur l’existence large et partagée de compétences en matière d’usage de la rétroaction chez les élèves.
L’idée de définir cette littératie en matière la rétroaction ne revient pas à décharger les enseignants de leurs responsabilités, mais à souligner la complexité de l’entreprise.
Les enseignants se retrouvent à devoir :
- Gérer les processus de retour d’information
- Concevoir les processus de manière à ce que le retour d’information puisse être utilisé efficacement.
In fine, tout est dans les mains des élèves. Ils sont les seuls qui doivent agir pour améliorer leur apprentissage. Mais il faut les outiller et les former.
Il est irréaliste et inefficace d’attendre des enseignants qu’ils fournissent de plus en plus de commentaires à un grand nombre d’élèves si ceux-ci n’en font rien. Ce qui compte c’est d’avoir un cadre qui permet que la rétroaction mette les élèves en action et en situation d’apprentissage.
Parallèlement, soutenir le développement de la littératie en matière de rétroaction est utile et profitable pour les élèves. Cependant, il ne devrait pas avoir lieu en hypothéquant le bénéfice qu’ils peuvent retirer de la rétroaction.
Développer et soutenir une littératie de la rétroaction
Développer une littératie en matière de rétroaction impose que les élèves acquièrent des connaissances et des compétences en matière de retour d’information.
La difficulté est que certaines de ces connaissances sur l’importance du retour d’information sont tacites. C’est un type de compréhension qu’il est difficile de communiquer directement.
Le développement de ces connaissances tacites est nécessaire pour que les élèves puissent :
- Apprécier les messages de retour d’information
- Développer leurs capacités à porter des jugements
- Être prêts à apporter des ajustements à leur propre travail pendant sa production.
L’acquisition de connaissances tacites sur les processus de rétroaction se fait par l’observation, l’imitation, la participation et le dialogue. Elle se fait également sur le long terme et pas de la même manière chez tous les élèves. Par conséquent, un enseignement de certains aspects de la littératie de la rétroaction et un étayage pour d’autres s’impose si nous voulons qu’elle soit profitable à un maximum d’élèves.
Quatre caractéristiques de la littératie en matière de retour d’information sont :
- Prendre la mesure du retour d’information
- Porter des jugements pertinents sur le retour d’information
- Gérer l’affect lié au retour d’information
- Agir en fonction du retour d’information
Prendre la mesure du retour d’information
Le fait d’apprécier le retour d’information signifie que :
- Les élèves reconnaissent la valeur du retour d’information.
- Les élèves comprennent leur rôle actif dans les processus enclenchés par le retour d’information.
Les élèves peuvent avoir diverses conceptions du retour d’information, qui ne sont souvent pas particulièrement sophistiquées et qui se concentrent principalement sur le retour d’information en tant que récit narratif au passé. Ils peuvent agir en simples consommateurs d’analyse de leurs performances passées et ne pas prendre la responsabilité de développer leur maîtrise des apprentissages.
Le risque est toujours que le retour d’information se traduise par des attitudes passives manifestées par les élèves. Il peut également prendre la forme de perceptions selon lesquelles c’est la pleine responsabilité de l’enseignant de dire aux élèves ce qu’ils doivent faire pour obtenir de bonnes notes.
Lorsque le retour d’information s’apparente à un récit décrivant le passé sous forme de constats, il est insuffisant, car les élèves ne sont pas tous équipés pour le décoder ou agir de manière satisfaisante sur celui-ci. Le risque est que des messages clés restent implicites et ignorés par les élèves qui auraient le plus grand besoin de réagir.
Nous ne pouvons pas présupposer que les élèves puissent utiliser efficacement des constats, c’est pourquoi un retour d’information explicite et concret est important.
Porter des jugements pertinents sur le retour d’information
Pour tirer le meilleur parti des processus de retour d’information, les élèves doivent développer leur jugement évaluatif. C’est leur capacité à prendre des décisions sur la qualité de leur travail et de celui des autres (Tai et al. 2017).
Les élèves les moins performants sont souvent relativement faibles dans l’auto-évaluation de leurs performances. Ils confondent fréquemment l’effort et la qualité (Boud, Lawson et Thompson 2013).
Pour devenir plus précis dans l’évaluation des normes de leur propre performance, les élèves ont besoin d’occasions prolongées d’auto-évaluation afin de pouvoir améliorer leur jugement au fil du temps (Boud, Lawson et Thompson 2013, 2015).
La production d’un travail exige des élèves qu’ils planifient, rédigent et réécrivent, tout en faisant des ajustements en fonction de leurs jugements sur la qualité du travail. Au fur et à mesure que les apprenants examinent leurs progrès sur les tâches, une rétroaction interne est générée par ce processus de suivi (Butler et Winne 1995).
Pour soutenir le développement de ce retour d’informations interne, les élèves doivent obtenir des opportunités de s’autoévaluer et de confronter celles-ci à leur progrès.
Le retour d’information externe de l’enseignant peut avantageusement être axé sur l’aide apportée aux élèves. De cette manière, ils peuvent affiner leur propre retour d’information interne. Ce type de retour d’information peut avoir plus d’impact sur l’apprentissage des élèves que le retour d’information conventionnel tel qu’il est présenté (McConlogue 2015).
Les élèves sont plus susceptibles de changer ce qu’ils font uniquement lorsqu’ils ont jugé eux-mêmes que cela était nécessaire (Boud et Molloy 2013).
La rétroaction par les pairs est un moyen essentiel d’encourager les élèves à partager leurs jugements. La formulation de jugements implique l’application implicite ou explicite de critères. Les élèves trouvent souvent que les critères d’évaluation sont trop denses et abstraits pour leur permettre de porter un jugement sur la qualité. Ils leur préfèrent les exemples qu’ils perçoivent comme des illustrations plus accessibles de la qualité (Carless 2015). Il est utile par conséquent que les élèves puissent comparer leur production à des productions modèles faites antérieurement par d’autres élèves.
Gérer l’affect lié au retour d’information
L’affect fait référence aux sentiments, aux émotions et aux attitudes. Les élèves présentent souvent des réactions défensives face au retour d’information. C’est particulièrement le cas lorsque les commentaires sont critiques ou que leurs notes sont faibles (Robinson, Pope et Holyoak 2013).
Dans ces circonstances, la rétroaction provoque souvent des réactions affectives négatives et des menaces pour l’identité. La conséquence est que la façon dont les élèves gèrent leur équilibre émotionnel a un impact sur leur engagement dans les commentaires critiques (To 2016).
Les réponses affectives au retour d’information sont médiatisées par les relations des élèves avec leur enseignant et avec les autres participants, car ils construisent des significations ensemble (Esterhazy et Damsa 2017).
L’un des objectifs du retour d’information est de pousser les élèves à adopter de nouvelles perspectives, mais il arrive souvent que les élèves n’acceptent pas ce défi (Forsythe et Johnson 2017).
Un retour critique peut avoir des effets positifs ou négatifs en fonction d’une série de facteurs (Pitt et Norton 2017) :
- L’auto-efficacité de l’élève
- Sa motivation
- Sa capacité à gérer ses émotions de manière constructive.
Le ton avec lequel le retour d’information est partagé est l’un des aspects les plus critiques de la réaction des élèves au retour d’information (Lipnevich, Berg et Smith 2016).
Lorsque les enseignants signifient par l’écrit et par la parole qu’ils se soucient de leurs apprenants, l’engagement des élèves vis-à-vis du retour d’information s’en trouve renforcé (Sutton 2012).
Lorsqu’une atmosphère de confiance est établie, les apprenants sont plus susceptibles de développer la confiance et la foi nécessaires pour révéler ce qu’ils ne comprennent pas entièrement (Carless 2013).
Les dispositions des élèves à s’engager dans le retour d’expérience ne sont souvent pas optimales. Les élèves semblent reconnaître que le retour d’information peut faciliter les progrès, mais sous-estiment leur propre responsabilité dans l’actualisation de cette amélioration (Winstone et al. 2017).
Les élèves capables sont souvent proactifs dans la recherche de retours d’information. Ils s’efforcent de comprendre ce que les enseignants recherchent dans les devoirs, c’est-à-dire les comportements de conscience ou de recherche d’indices identifiés dans la littérature (Miller et Parlett 1974 ; Yang et Carless 2013).
Le bilan de la recherche montre d’importantes disparités entre élèves ou étudiants dans l’effet de l’affect, souvent négatives alors qu’elles devraient être cruciales
Agir en fonction du retour d’information
La littératie du retour d’information exige que les apprenants agissent en fonction des commentaires qu’ils ont reçus (Sutton 2012). Les apprenants doivent s’engager activement à donner un sens aux informations et à les utiliser pour leur travail ultérieur, fermant ainsi une boucle de rétroaction (Boud et Molloy 2013).
Cet impératif pour les élèves d’agir est un aspect essentiel des processus de retour d’information qui est parfois sous-estimé. Les élèves ont besoin de motivation, d’opportunités et de moyens pour agir sur le retour d’information (Shute 2008).
Lorsque les tâches d’évaluation ne sont pas bien alignées ou ne sont soumises qu’à la fin des modules, les élèves ont peu de possibilités de mettre en pratique les commentaires des enseignants (Carless et al. 2011).
Les commentaires de fin de période ou sur les évaluations sommatives se concentrent souvent sur le développement futur au-delà du contexte immédiat. Cela implique une dimension temporelle liée à des aspects des résultats du cours qui s’acquièrent lentement, et exige une action soutenue de la part de l’élève sur une période prolongée (Price, Handley et Millar 2011).
Pour exploiter les informations du retour d’information, les élèves doivent :
- Posséder un répertoire de stratégies leur permettant d’agir de manière productive.
- Être capables de les mettre en œuvre.
Il est nécessaire que les élèves se considèrent comme les agents de leur propre changement et développent des identités d’apprenants proactifs. À défaut, ils peuvent être incapables de faire un usage productif des commentaires sur leur travail (Boud et Molloy 2013).
Sans les compétences nécessaires pour interpréter les commentaires reçus, peu d’élèves parviennent à agir en fonction du retour d’information (Robinson, Pope et Holyoak 2013).
Bibliographie
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