Lors d’une intervention en gestion de classe à la suite d’une perturbation, l’enjeu pour l’enseignant est de faire preuve d’influence sans tomber dans les pièges de la coercition.
(Photographie : Davide Monteleone)
Le piège du cycle de coercition
La coercition est un processus insidieux qui peut faire ressortir certains des pires comportements tant chez les enseignants que chez les élèves. Certains élèves perturbateurs peuvent arriver dans nos classes avec une propension à amorcer ce type d’échanges, ce qui demande pour l’enseignant d’être vigilant pour désamorcer ce risque.
Le phénomène de coercition est directement lié à une augmentation de la tension, du volume sonore, à de la provocation, à des menaces, de la non-conformité, des disputes, des crises de colère. Il se manifeste dans le fait de s’imposer pour faire reculer l’autre, dans le cadre de différents comportements perturbateurs.
Le processus coercitif commence lorsqu’un adulte donne une demande simple à un élève auteur d’une perturbation mineure et que celui-ci l’ignore.
Partons d’un exemple :
- L’enseignant : « Thomas, ne voudrais-tu pas maintenant t’asseoir et te retourner pour que nous puissions commencer le cours ? »
- L’élève semble ne pas avoir entendu la demande et n’obtempère pas dans les quelques secondes qui suivent.
- L’enseignant, connaissant les problèmes de comportement de l’élève, essaie alors de jouer sur le ton bienveillant, chaleureux et apaisant. Il lui dit alors : « Allez, Thomas, s’il te plaît, retourne-toi et assieds-toi maintenant sur ta chaise pour que nous puissions commencer les explications. »
- En réponse, l’élève temporise en s’adressant à l’enseignant sans le regarder de face, en disant par exemple : « Je le fais dans une minute, monsieur, je termine un truc là ! ».
- L’enseignant, qui ressent maintenant une certaine tension aversive, hausse le ton soudainement : « Bon, Thomas, tu as intérêt à t’asseoir maintenant ! Je ne te le redemanderai pas, c’est mon dernier avertissement ! ».
- Thomas commence alors à discuter, râler, se plaindre, cherche à se justifier à négocier ou à donner des excuses pour temporiser, tout en n’obtempérant pas !
- L’enseignant exaspéré se fâche et exclut l’élève du cours : « Ça suffit ! Tu n’as plus rien à faire dans cette classe, tu prends tes affaires et tu t’en vas… ».
- Thomas est susceptible de ne plus se contenir émotionnellement, de faire une crise de colère ou de crier à l’injustice : « Vous vous en prenez toujours à moi. On en a toujours après moi dans cette stupide école ! ».
- L’enseignant, surpris et contrarié, qui prend conscience de son propre emportement, se dit alors qu’il a peut-être exagéré. Il temporise puis finalement permet à Thomas de rester et de s’installer comme il veut en prenant son temps.
Cet échange présente divers problèmes pour l’élève à court terme :
- L’élève perturbateur a eu gain de cause. Il a été récompensé positivement pour sa non-conformité, ses retards, ses disputes, ses excuses, et finalement parfois pour s’être énervé. Il a pu exprimer le comportement qu’il souhaitait au départ.
- Lorsque l’enseignant est revenu sur sa décision d’exclusion et a opté pour la conciliation, l’élève a été renforcé négativement. C’est-à-dire qu’il a évité l’exclusion de la classe et échappé aux conséquences certaines liées à cet évènement.
- L’élève a bénéficié d’une grande visibilité et de l’attention des autres élèves tout en ayant globalement gain de cause.
- En conclusion, ses divers comportements ressortent renforcés de l’altercation et auront tendance à être reproduits par l’élève. Il s’en tire à bon compte.
Cet échange présente divers problèmes pour l’élève à long terme :
- Le comportement de l’enseignant est lui-même influencé par l’altercation et il aura tendance à répéter le retrait de ses menaces à d’autres occasions. En fin de compte, il a réussi à obtenir le comportement qu’il voulait de la part de l’élève.
- Même si l’enseignant finit par exclure l’élève du cours une prochaine fois, son comportement paraitra inconstant et injuste.
- De plus, une exclusion du cours peut également se révéler être un renforcement négatif et positif pour ce dernier. En effet, cela lui permet d’échapper à des tâches rébarbatives et d’accomplir des actions qui lui sont plus agréables en dehors de la classe.
- Avec le temps, la coercition va interférer avec les résultats scolaires de l’élève concerné s’il utilise cette stratégie pour éviter les tâches scolaires difficiles. Cet évitement se traduit par un apprentissage moindre.
- La coercition interfère également avec l’acquisition de compétences sociales et l’adaptation comportementale de l’élève. Le risque est que s’il réussit à utiliser la coercition avec les adultes, il essaiera de l’utiliser avec ses pairs pour contrôler les situations sociales, ce qui finira par le faire rejeter par ses pairs.
Agir sur le contrôle des antécédents en augmentant la précision des demandes
La clé est pour un enseignant de couper court à ce type d’échange coercitif lorsqu’il s’amorce et de ne jamais s’y laisser entrainer.
De nombreux enseignants souhaiteraient passer directement à des conséquences négatives pour supprimer les comportements coercitifs. Les conséquences sont coûteuses en matière de temps, d’efforts et d’émotions pour l’enseignant. L’efficacité des punitions est effectivement limitée même si elles peuvent se révéler utiles dans certaines conditions.
Des conséquences négatives légères peuvent éventuellement être nécessaires, mais elles ne doivent pas constituer la première ligne de réponse.
Le contrôle préventif des antécédents est une approche de première ligne beaucoup plus productive pour éviter le processus coercitif. Dans cette logique, l’enseignant examine les antécédents qui sont à l’origine du processus coercitif. Que se passe-t-il juste avant que l’élève ne se montre non coopératif, vindicatif et perturbateur ?
Dans le cas de figure du cycle coercitif, l’identification est simple. Les antécédents proviennent de l’adulte qui fait la demande et de la manière dont elle est faite.
La recherche a montré que de petits changements d’antécédents peuvent augmenter de manière significative la mise en conformité du comportement. C’est le principe de l’utilisation de demandes précises. Avec les demandes précises, les enseignants peuvent réduire de manière significative la non-conformité des élèves en changeant simplement la manière dont ils formulent leurs demandes, en en augmentant la précision.
Ne pas poser de questions
La première variable est qu’il est important que la demande ne soit pas formulée sous forme de question.
Par exemple, « Ne voudrais-tu pas commencer ? », « Est-ce que tu peux prendre ton matériel » ou « Est-ce que tu veux bien t’asseoir ? » sont des demandes inappropriées formulées sous forme de questions.
Les questions donnent à l’élève un faux sentiment de choix et l’opportunité de dire « non ».
En général, lorsque les enseignants formulent ces demandes sous forme de questions, le « non » est une réponse inacceptable. Mais en même temps, le « non » est présenté comme une alternative possible à l’élève dans l’interaction.
Dès lors, il est beaucoup plus efficace d’abandonner le format de question et de formuler une demande déclarative directe, comme « Je veux que tu commences » ou « Il est temps de se mettre au travail ».
Agir à proximité
La deuxième variable antécédente est la distance. Il a été estimé que l’enseignant moyen fait une demande à une distance de 4,5 à 6 mètres (Rhode et coll., 1992).
Pour augmenter la probabilité de conformité et la précision des demandes, il faut se rapprocher de l’élève.
La distance appropriée pour formuler une demande sérieuse à un élève est d’un mètre.
Les enseignants, en particulier les nouveaux enseignants, doivent reconnaître que la position frontale, debout devant la classe est un ennemi lorsqu’il s’agit de conformité.
Les enseignants doivent se déplacer dans la classe et faire la demande à un élève à une distance d’environ un mètre, non pas en face à face, mais de biais, avec un angle de 45°.
Une voix calme et économe
La troisième variable est le ton de la voix. Le fait de hausser le ton ou de crier n’améliore pas la conformité. Au contraire, cela aggrave la situation, d’autant que les cris sont généralement prononcés de loin ce qui met en scène l’altercation et attire l’attention de tous.
Les demandes succinctes, faites à proximité avec une voix calme, sous un ton poli, attentionné et assertif sont plus efficaces.
Les cris ou les manifestations d’énervement suscitent également une réponse émotionnelle de la part de l’élève et, avec le temps, font de l’enseignant lui-même et de sa voix des stimuli négatifs.
L’établissement d’un contact visuel
Le fait d’obtenir de l’élève qu’il nous regarde dans les yeux pendant que nous lui faisons la demande améliorera la conformité.
Les enseignants peuvent se demander souvent comment obtenir un contact visuel.
Il existe deux méthodes de base :
- Nous nous approchons de l’élève. Lorsque nous arrivons à environ 1,5 à 2 mètres, la plupart du temps, il lèvera naturellement les yeux vers nous. Lorsque l’élève lève les yeux, nous lui faisons la demande. Cela n’a pas d’importance si l’élève détourne alors le regard. Nous avons son attention et la probabilité qu’il se conforme à notre demande augmente.
- Nous pouvons obtenir un contact visuel avec l’élève en nous adressant à lui en utilisant son nom et lui demander de vous regarder. Il convient de noter que dans certaines cultures, établir un contact visuel est considéré comme impoli ou intimidant. Pour les élèves issus de ces cultures, l’antécédent de contact visuel doit par conséquent être évité.
La fenêtre de temps de conformité
La fenêtre de temps de conformité est d’environ 5 à 10 secondes. Après avoir formulé une demande, l’enseignant doit attendre 5 à 10 secondes sans interruption et la conformité s’améliorera.
Il faut laisser à l’élève le temps de traiter l’information et ignorer ses réactions spontanées, son non verbal et son attitude durant ce temps.
En général, 35 à 40 % du temps, l’adulte interrompt pendant cette fenêtre de 5 à 10 secondes en faisant d’autres demandes ou en répétant inutilement la demande initiale (Rhode et coll., 1992). C’est contre-productif.
Si après 10 secondes l’élève n’a pas réagi à la demande, nous pouvons considérer qu’il ne s’y conforme pas.
Ne faire que deux demandes
Premièrement, dans le cadre d’une intervention pour gérer une perturbation mineure en classe, il ne faut pas harceler l’élève. Plus nous répétons la demande initiale, moins la conformité augmentera. La règle générale est de ne faire que deux demandes et de les faire suivre d’une conséquence. C’est généralement l’approche recommandée dans le cadre d’un continuum d’intervention.
Deuxièmement, nous ne devons pas faire de demandes multiples. Donner à un élève un flot de demandes différentes ne fait que réduire la conformité.
Le principe est de s’approcher, d’établir un contact visuel, de formuler une demande sur un ton bas puis d’attendre. Éventuellement, nous pouvons répéter la demande après la fenêtre d’attente puis, en absence de conformité, passer aux conséquences.
Décrire ce que nous voulons
Dans le cadre de cette variable antécédente, nous décrivons ce que nous voulons. L’inclusion d’une description concrète du comportement améliore la conformité.
Par exemple, au lieu de « Arrête ça », nous pouvons dire « Mets ce livre dans ton sac et sors ton manuel ! ». Ou, au lieu de dire « Ne parle pas oralement en classe sans autorisation ! », nous pouvons dire « Si tu souhaites intervenir ou si tu as une question, lève la main et attends de recevoir l’autorisation pour parler ! ».
Ajouter une description claire et précise du comportement attendu peut faire une grande différence.
Renforcer verbalement la conformité
Il est également important de renforcer verbalement la conformité après que l’élève se soit conformé à la demande.
Les recherches ont montré que les enseignants ignorent souvent les élèves lorsqu’ils ont suivi une demande de manière appropriée. Une étude portant sur des élèves difficiles a révélé que le renforcement verbal de l’enseignant à l’égard d’un élève qui suivait une demande était très aléatoire (Van Acker, Grant et Henry, 1996).
Des déclarations aussi simples que « Merci de suivre mes instructions » ou « Cela m’aide quand tu fais ce que je dis » peuvent augmenter et ensuite aider à maintenir des taux élevés de conformité. Ils peuvent soutenir l’amélioration du comportement d’élèves perturbateurs.
Développer l’habitude d’énoncer des demandes avec précision lors d’une intervention
Développer une habitude fluide de l’expression d’une demande précise de conformité regroupant les différentes variables antécédentes précitées constitue un atout précieux.
Tout le dispositif ne doit pas nécessairement être mis en œuvre dans son ensemble. Parfois, s’approcher où croiser le regard suffit.
En résumé, lors d’une demande de précision complète, un enseignant commence par faire une demande, à moins d’un mètre et avec un contact visuel. Il dit « S’il te plaît » et complète de la demande. Il attend alors de 5 à 10 secondes.
Si l’élève se conforme, il est récompensé verbalement. Si l’élève n’obtempère pas, l’éducateur fait une deuxième demande avec un mot signal incorporé. Celui-ci permet d’accentuer la demande et de marquer la seconde itération.
Par exemple, le mot signal peut être « besoin ». Par exemple, « Maintenant, j’ai besoin que tu… (complété de la demande contextuelle) ». Le mot signal indique à l’élève qu’il ne pourra plus faire de demandes et qu’une conséquence légère suivra la non-conformité.
L’enseignant assortit sa demande d’un choix. Soit il obtempère, soit il assume la conséquence de son comportement.
Si l’élève se conforme, il est récompensé verbalement.
Dans le cas contraire, une conséquence légèrement aversive doit être appliquée.
Combiner la demande précise avec une compétence sociale
Si l’utilisation de demandes précises permet d’accroître la conformité de l’élève, la combinaison de la demande précise avec une compétence sociale qui améliore la conformité sera encore plus efficace.
L’enjeu est d’enseigner aux élèves une compétence sociale associée à la première partie d’une demande de précision et d’en faire une routine.
Les élèves apprennent l’intérêt de répondre « Oui monsieur » ou « Bien sûr, je vais le faire » à une demande précise de l’enseignant. Ils comprennent l’utilité d’adopter le comportement demandé avant que l’enseignant ne doive répéter la consigne avec précision. Ils reconnaissent que les demandes sont légitimes et visent à les aider à répondre aux attentes scolaires.
L’acquisition de cette routine sous forme de compétences sociales augmente le niveau de conformité, ce qui permet à ces élèves d’être renforcés plus régulièrement.
L’énoncé « Bien sûr que je vais le faire » empêche la non-conformité et favorise le suivi du comportement demandé. Les recherches ont montré que l’utilisation du programme « Sure I will » peut augmenter considérablement la conformité avec les élèves difficiles (Kehle, Bray, Theodore, Jenson, & Clark, 2000).
Cette intervention présente l’avantage supplémentaire que les autres adultes (qui ne sont peut-être pas au courant de l’établissement ce cette routine) apprécient la manifestation de cette compétence sociale. Ils la renforceront naturellement lorsque les élèves perturbateurs l’utiliseront (Martin-LeMaster, 1990).
Cette intervention peut également être utilisée dans les classes avec la mise en œuvre de contingences de groupe (Rhode et coll., 1992), par exemple avec CWFIT.
Mis à jour le 29/01/2024
Bibliographie
Jenson, W. R., Clark, E., & Burrow-Sanchez, J. (2009). Practical strategies in working with difficult students. In A. Akin-Little, S. G. Little, M. A. Bray, & T. J. Kehle (Eds.), Behavioral interventions in schools: Evidence-based positive strategies (pp. 247–263). American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/11886-016
Rhode, G., Jenson, W. R., & Reavis, K. (1992). Tough kid book: Practical classroom strategies. Longmont, CO: Sopris West.
Martin-LeMaster, J. (1990). Increasing classroom compliance of noncompliant elementary-age students. Unpublished doctoral dissertation, University of Utah, Salt Lake City.
Kehle, T., Bray, M., Theodore, L., Jenson, W., & Clark, E. (2000). A multi-component intervention designed to reduce disruptive classroom behavior. Psychology in the Schools, 37, 475–481.
Van Acker, R., Grant, S. H., & Henry, D. (1996). Teacher and student behavior as a function of risk for aggression. Education and Treatment of Children, 19, 316–334.
0 comments:
Enregistrer un commentaire